Fils de Joseph Merlot, le jeune Joseph-Jean
Merlot est trempé dans le milieu socialiste dès son plus jeune âge. Il
succède à son père à la tête de Seraing en 1947 et est élu député en 1954.
Séduit par l’idée européenne, il est parmi les initiateurs du Conseil des
communes d’Europe (1951) dont il devient le vice-président. Pénétré des
principes de l’économie collective, il est un des animateurs des
intercommunales liégeoises de production et de distribution d’énergie.
Chargé par le Congrès national wallon d’avril
1959 de rédiger un rapport sur le problème économique de la Wallonie, J-J.
Merlot tire la sonnette d’alarme au sujet du déclin de la puissance
économique wallonne. Il constate que la situation de la Wallonie s’est
subitement dégradée en 1958. Elle se retrouve à la traîne en matière
d’augmentation de la production. Il propose dès lors de dresser un
inventaire des industries, de voir quelles sont les nouvelles à implanter,
les anciennes à transformer. Préconisant un plan d’ensemble, il affirme que
le salut de la Wallonie se trouve dans une Europe à créer. Le congrès wallon
se prononce en faveur du fédéralisme et plaide pour la création d’un Sénat
où Wallons et Flamands seraient également représentés. Ces idées sont
reprises par le congrès des socialistes wallons réunis à Namur, les 6 et 7
juin 1959, qui adopte aussi le programme de réformes économiques présenté
par André Renard.
Lors des grandes grèves de l’hiver
’60-’61, J-J. Merlot soutient
l’action des grévistes en général et les prises de position d’André Renard
en particulier. À la Chambre, il s’en prend ouvertement au gouvernement
Eyskens-Lefevre qu’il accuse de faire porter tout le poids des nouveaux
impôts sur le dos des ouvriers, et plus particulièrement de ceux de
Wallonie. Il réclame des réformes de structure économiques urgentes. Durant
la grève (2 janvier 1961), avec Edmond Leburton, il apporte au mouvement le
soutien des délégués des fédérations wallonnes du Parti socialiste belge. Il
promet aussi la création d’un comité permanent chargé d’assurer la liaison,
dans l’action, des fédérations wallonnes du PSB. Pour Renard, il ne devait
pas s’agir d’une manœuvre électorale et, une fois sorti du poulailler, le
Coq wallon ne devait plus y rentrer… On sait ce qu’il en est advenu.
Après les élections anticipées, J-J. Merlot
entre dans le nouveau gouvernement. En tant que ministre des Travaux
publics, J-J. Merlot a tout lieu de se réjouir de pouvoir inaugurer la
nouvelle écluse de Lanaye, près de Visé. Le bouchon de Lanaye a sauté ; une
très ancienne revendication du Mouvement wallon est enfin rencontrée (11
décembre 1961). J-J. Merlot lance aussi les débuts de la construction de
l’autoroute de Wallonie, autre revendication wallonne. Néanmoins, son mandat
est de courte durée. Ayant approuvé, solidaire avec les autres membres du
gouvernement, le projet Gilson fixant définitivement la frontière
linguistique (Mouscron-Comines au Hainaut, Fourons au Limbourg), il est
désavoué par la fédération liégeoise du PSB et, le lendemain du vote, il
démissionne (1962). Avec ses collègues parlementaires socialistes liégeois,
il peut dès lors s’insurger, l’année suivante, contre le projet de loi
Gilson relatif au maintien de l’ordre. Au moment du vote, il s’abstient
comme les sept députés socialistes de Liège et les quatre de Charleroi,
malgré le mot d’ordre donné par le bureau du PSB. Celui-ci prend des
sanctions et J-J. Merlot se retrouve seul représentant de la tendance
fédéraliste au sein du bureau du Parti socialiste. Alors peu sensible aux
options fédéralistes, le congrès du Parti socialiste belge poursuit sa
chasse aux sorcières en votant une motion d’incompatibilité de double
appartenance au MPW et au PSB, et ce malgré les avertissements de J-J.
Merlot qui craint une rupture au sein du mouvement socialiste (décembre
1964).

C’est le début d’une longue opposition interne
au parti socialiste entre fédéralistes et unitaristes. Les premiers
proviennent surtout des fédérations wallonnes et J-J. Merlot tentent de
rester proches des uns et des autres. C’est vraisemblablement pour cette
raison qu’il accepte d’être l’un des deux négociateurs wallons du PSB,
chargés de négocier avec le PSC les accords de la Table ronde. Guidé par le
Compromis des socialistes adopté en 1963, il contribuera à la
rédaction de cet accord qui, rejeté unanimement par le Mouvement wallon,
prévoyait notamment la déconcentration et la décentralisation des pouvoirs
de l’exécutif, faisant la part belle aux provinces.
Assis entre deux chaises, J-J. Merlot
démissionne de Wallonie libre, en compagnie de Simon Paque, en raison d’un
article mettant en cause, notamment, le parti socialiste (1965). Il est
clair que J-J. Merlot et Wallonie libre ne sont plus sur la même longueur
d’onde sur des questions de fond. Merlot n’en demeure pas moins le défenseur
de certains changements pour la Wallonie. À la Chambre, le 30 juillet 1965,
il déclare que notre devise n’est pas l’unité mais l’union fait la force.
C’est dans le cadre d’une solution de type fédéral qu’il faudra la trouver…
Or ce qu’on nous propose, c’est que chaque communauté puisse empêcher
l’autre d’avancer. Ce qu’il faut réaliser, c’est permettre à chaque
communauté de faire ce qu’elle veut.
À la suite des élections de 1965, alors que lui
est proposé le portefeuille de ministre chargé de la coordination de toute
l’infrastructure publique et des pouvoirs régionaux, J-J. Merlot refuse de
participer au nouveau gouvernement PSC-PSB dirigé par Pierre Harmel, jugeant
le programme insuffisant pour la Wallonie. Négociateur des travaux de la
Table ronde (1964), il avait déjà affirmé en juin 1964 que seul le
fédéralisme pouvait apporter une solution durable aux problèmes belges.
En 1966, une nouvelle coalition se forme rejetant le PSB dans l’opposition.
Celui-ci s’ouvre alors à la problématique communautaire. Devant l’échec du
Compromis de 1963 et des Accords de la Table ronde (1965) qu’il accepte de
reconnaître, J-J. Merlot tente d’infléchir la ligne du PSB en demandant la
convocation d’un congrès des socialistes wallons. Il veut doter la Wallonie
de réels pouvoirs tant politiques qu’économiques.
Réunies séparément de leurs homologues
flamandes, les fédérations wallonnes du PSB plaident pour le fédéralisme
lors du congrès de Tournai, les 11 et 12 mars 1967, et instituent un Comité
permanent des Fédérations wallonnes du PSB. J-J. Merlot en est le premier
président. Lors du congrès de Tournai, J-J. Merlot propose un projet prudent
ne nécessitant pas de révision de la Constitution : il s’inspire de la
proposition de Jean Duvieusart ; il prévoit la création d’un Exécutif
régional, présidé par un membre du Conseil des ministres ayant la communauté
dans ses attributions ; il aurait compétences en matières culturelles,
économiques et sociales. Un Conseil régional composé des parlementaires de
la région et des représentants du pouvoir provincial contrôlerait le dit
Exécutif. Les congressistes iront plus loin que ce simple plan de
décentralisation administrative. Chargé de préparer le congrès de Verviers
des socialistes wallons programmé les 26 et 27 novembre 1967, congrès qui
fait suite à celui tenu par les socialistes flamands à Klemskerke, J-J.
Merlot, rapporteur général, y fait adopter un plan de réformes concrètes
parmi lesquelles figurent la reconnaissance des communautés flamande et
wallonne et de Bruxelles, l’installation d’organes à compétences économiques
et culturelles, des ministres régionaux, etc. Ce plan est surtout le fruit
d’un travail de réflexion en profondeur entrepris par Freddy Terwagne.
C’est sur base de ce plan que J-J. Merlot entre
dans le gouvernement PSB-PSC de Gaston Eyskens (17 juin 1968). En fait, il
accepte de participer à l’équipe ministérielle afin de rencontrer la
revendication flamande d’autonomie culturelle en échange d’une certaine
décentralisation nécessaire pour résoudre les problèmes économiques wallons.
Malheureusement, un accident d’automobile suivi d’un arrêt cardiaque coûte
la vie au nouveau vice-Premier ministre et ministre des Affaires
économiques. Le Mouvement wallon perdait ainsi un allié potentiel important.
Paul Delforge