Le militantisme wallon de Robert Maiglet
remonte à ses études secondaires. Mon professeur de néerlandais était
flamingant. C’est par lui qu’il fait la connaissance du Mouvement
flamand. Membre de la Ligue wallonne de Charleroi, Maiglet en devient le
secrétaire et estime que, dans la région de Charleroi, la publication de
La Terre wallonne est insuffisante. En 1932, ce jeune ingénieur
commercial décide de lancer la revue Le Pays noir. Il contacte et
recrute ses futurs collaborateurs, principalement au sein de la Ligue
wallonne de l’arrondissement de Charleroi. L’équipe, qui assure l’existence
du Pays noir trois années durant, est composée notamment de quatre
futurs avocats (Armand Guillaume, Jean Coyette, Marius Delvaux et Jean Wyns)
dont la moyenne d’âge ne dépasse pas vingt-cinq ans. Le périodique ne dépend
pourtant d’aucune association. Lors de son lancement, Le Pays noir
est envoyé gratuitement, à titre de propagande, aux membres de la Ligue.
Tirée à mille exemplaires, assurée d’une
publicité importante, la revue paraît régulièrement sous la forme d’une
brochure mensuelle de seize pages à la couverture cartonnée. Cette
présentation donne une impression de luxe, inhabituelle pour les revues de
ce genre. Une action en justice intentée contre le mensuel par Marcel Grafé,
directeur de La Défense wallonne, met un terme à l’existence du
Pays noir, en 1935. Le motif officiel invoqué est la non-publication
d’un droit de réponse que Marcel Grafé a adressé au Pays noir à
propos d’un article où il a été personnellement injurié. En fait, le procès
porte bel et bien sur des questions d’opinions politiques, comme le montre
le compte rendu des audiences du tribunal et les articles polémiques des
deux revues. Cette querelle symbolise la totale divergence de vues entre les
deux tendances extrêmes du Mouvement wallon. C’est la nature de la patrie
des Wallons qui est au centre des débats. Pour les unionistes de La
Défense wallonne, il ne pouvait s’agir que de la Belgique ; pour les
réunionistes du Pays noir, il est évident que c’est de la France
qu’il s’agit. La condamnation à une amende de 20.000 francs (une somme
particulièrement importante pour l’époque) infligée à la feuille
carolorégienne ruine ces jeunes gens à peine entrés dans la vie
professionnelle. Malgré une réduction de l’amende à 2.500 frs obtenue en
Cour d’Appel de Bruxelles, – ce fut la toute dernière plaidoirie de Jules
Destrée en Cour d’Appel – la revue ne se relève pas de cette sentence.
Depuis septembre 1934, Robert Maiglet assumait toute la responsabilité de la
revue. L’influence de l’œuvre et de l’action de Maurras est manifeste. Sa
conception de la nation française s’en ressent nettement. Même s’il récuse
l’appartenance à l’Action française, il ne nie pas la filiation idéologique.

La conception que Maiglet se fait de la
Wallonie et de ses rapports avec la France est une forme particulière du
nationalisme français, bien plus que du nationalisme wallon. Pour lui, La
Wallonie est l’ensemble des provinces françaises du Nord, séparées
politiquement de la France (Le Pays noir, n° 8, septembre 1934,
p. 118). L’objectif poursuivi sera de limiter au maximum, dans l’immédiat,
les effets de cette séparation et, à terme, de la supprimer complètement.
Maiglet regarde le fédéralisme avec scepticisme. Si le fédéralisme n’est
possible que le jour où les Wallons seront assez forts pour l’arracher aux
Flamands, ce jour-là ils seront assez puissants également pour réaliser leur
objectif final : le retour à la France.
Robert Maiglet voit en l’abbé Mahieu le
continuateur de ses idées. Il semble d’ailleurs entretenir d’excellents
rapports avec lui, avant-guerre, et lui garder une admiration totale au
lendemain de la Libération. Maiglet ainsi que Mahieu auraient noué des
contacts avec les chefs des mouvements flamands (1933) dans le but
d’arriver à tracer entre eux et de commun accord, sur le dos des Belgeois,
leur adversaire commun, la bonne et solide frontière qu’ils voulaient. Ou
bien le fédéralisme, si vous préférez. Robert Maiglet affirme avoir
rencontré Joris Van Severen à Bruges et correspondre avec les équipes
estudiantines du Blauwvoet, tandis que Mahieu rencontrait Staf
Declercq dans l’arrière-boutique d’un libraire de Louvain (La Wallonie
française, 1950 et 1952).
Pendant l’occupation allemande, il semble,
d’après Georges Andrien, que Maiglet devienne le chef de la région VIII
(Namur-Gembloux) du Groupe G. Il est reconnu comme résistant armé, ayant
réalisé plusieurs actes de sabotage et, surtout, a cassé sa plume. Au
lendemain de la Libération, Robert Maiglet reprend son métier de journaliste
à La Nouvelle Gazette de Charleroi, où il signe de nombreuses
Cartes blanches, et milite toujours au sein du Mouvement wallon.
À la suite du rejet par la Chambre du projet
fédéraliste inspiré par le Congrès national wallon, Robert Maiglet figure
parmi les membres fondateurs du mouvement Jeune France décidé à lutter
officiellement pour la réunion de la Wallonie à la France (15 juin
1947-1948). Il devient d’ailleurs, petit à petit, rédacteur responsable du
journal Le Coq wallon, dont le sous-titre, Hebdomadaire pour la
défense de la Wallonie française, indique clairement la tendance.
L’adjectif française a d’ailleurs été ajouté au début janvier 1947
lorsque Maiglet fait son entrée dans le comité de rédaction aux côtés de
Jules Chauvier, présent, lui, depuis le début, en 1945. Résolument
“ rattachiste ”, Maiglet le proclame à chaque fois qu’il signe un article. À
l’origine, organe hennuyer de Wallonie libre, Le Coq wallon devient
de plus en plus celui du Parti d’Unité wallonne et reprend progressivement
la ligne de conduite du Pays noir d’avant-guerre. Sa philosophie est
assez claire : Le principe de notre œuvre n’est pas un principe diviseur
mais un principe unificateur. Notre but n’est pas de diviser la Belgique ;
il est d’agrandir la France. La notion même de Wallonie est à réviser. La
Wallonie telle qu’on la conçoit ordinairement n’existe pas. C’est une
invention de la Belgique. La Belgique comprend, outre les Wallons proprement
dits, des Lorrains et de nombreux Picards. Le seul lien entre ces différents
peuples, c’est la nationalité française (Le Coq wallon, n° 97, 19
avril 1947, p. 2).
Il n’est donc pas étonnant qu’en mars 1947,
le journal fasse l’objet d’une attaque en règle de la part du sénateur
Charles d’Aspremont-Lynden ; le comte considère les rédacteurs du journal
comme des traîtres, des séparatistes à la solde des Français dont ils
reçoivent des subsides. À l’automne 1947, Le Coq wallon disparaît.
Mais Robert Maiglet poursuit sa lutte pour une Wallonie française. Il est
parmi les fondateurs, en juin 1950, du Rassemblement national des
Irrédentistes français de Wallonie qui s’est doté d’un journal, La
Wallonie française dont Robert Maiglet est l’éditeur responsable.
Alain Clara – Alain Colignon – Paul Delforge