Ouvrier-mineur jusqu’au début de la Première
Guerre mondiale, Paul Gruselin devient auxiliaire social après l’arrêt des
hostilités. Parallèlement, il décide de poursuivre des études de droit à l’Université
libre de Bruxelles et est promu docteur en 1934. Avocat, il est
particulièrement attentif à la défense des ouvriers des mines. Député
socialiste de Liège élu en 1936, membre du Rassemblement démocratique et
socialiste wallon, où il y siège sous le nom de code Cassandre, il
participe à ses travaux clandestins (1942-1943). Il ralliera cependant la
Commission des Affaires wallonnes de la fédération liégeoise du Parti
socialiste belge, formée dans la clandestinité ; il y participe, en 1943, à
l’élaboration d’un projet fédéraliste, proche d’un système de confédération,
qui vise à consolider l’État belge, en normalisant les rapports entre
Wallons et Flamands. Les conclusions de cette commission (publiées à la
Libération et rééditées en 1961) serviront constamment de référence à Paul
Gruselin. Il ne voit en effet de solution au problème belge que dans
l’instauration d’un régime fédéral mettant sur pied d’égalité la communauté
wallonne et la communauté flamande. Il est membre du Congrès national
wallon en 1945.
Particulièrement actif au sein de la
Résistance, il est arrêté par la Gestapo en 1944 et fait prisonnier à la
prison Saint-Léonard. Au début de l’année 1945, la fédération liégeoise du
Parti socialiste belge le désigne pour assumer la fonction de bourgmestre
laissée vacante par Joseph Bologne. Il exercera ce mandat jusqu’en 1958.
Fin juillet 1950, alors que la tension de la
Question royale atteint son paroxysme, le bourgmestre de Liège se déclare
prêt à céder l’Hôtel de ville de Liège pour une réunion des États généraux
de Wallonie. Depuis le 28 juillet, il paraît apporter son soutien à la
formation d’un gouvernement wallon provisoire (avec François Van Belle,
André Renard, Fernand Dehousse, Joseph Merlot, Georges Thone, Robert Lambion,
Simon Paque et Fernand Schreurs). Cet exécutif wallon provisoire aurait été
chargé de convoquer les États généraux de Wallonie. Avec l’annonce de
l’abdication de Léopold III, ces projets sont abandonnés.

Dans la foulée des travaux du Collège
wallo-flamand (1954), Paul Gruselin déclare partager la volonté de
rapprochement des deux communautés et d’instauration d’un régime fédéral
dans le cadre belge et à l’échelle européenne. Notamment à l’occasion des
Fêtes de Wallonie de 1954, il réclame l’autonomie culturelle et la création
d’organismes en assurant la réalité ; réclamant la fixation définitive de la
frontière linguistique, il prône aussi une certaine décentralisation des
pouvoirs aux points de vue politique et économique. Le bourgmestre de
Liège se dit prêt à engager le Collège échevinal à soutenir les contacts
noués par le Collège wallo-flamand. Par ailleurs, dans un discours prononcé
à Liège, le 25 septembre 1955, à l’occasion des fêtes de Wallonie, il attire
l’attention du gouvernement sur la nécessité d’accorder à la Wallonie, dans
les délais les plus brefs, deux des conclusions formulées par le Centre
Harmel : l’autonomie culturelle, la fixation définitive de la frontière
linguistique. Ainsi réalisées, ces deux mesures élimineraient des
méfiances, des malentendus et créeraient une ambiance favorable au
rapprochement des deux communautés.
Réélu député en mars 1961, mandat qu’il n’avait
plus exercé depuis 1949, Paul Gruselin se retrouve membre de la Commission
de l’Intérieur chargée d’examiner le projet Gilson relatif au clichage de la
frontière linguistique (octobre). Ce projet ne propose pas de territoires
linguistiques homogènes. Ainsi Mouscron et Comines restent en Flandre, avec
régime français au point de vue administratif. Les Fourons sont maintenus
dans la province de Liège, avec un régime linguistique néerlandais. La
Commission apporte des modifications au projet ; les plus substantielles
concernent Mouscron, Comines et les Fourons. Selon Arthur Gilson,
s’exprimant dans La Libre Belgique (encore en décembre 1987), c’est
l’intervention du socialiste liégeois Paul Gruselin traduisant l’opinion de
ses collègues wallons qui a déclenché le processus vers le transfert. Selon
un organisme flamand, De Voer, ce sont, au contraire, les députés de
la Volksunie bruxelloise Daniel Deconinck et du parti libéral
lierrois Herman Vanderpoorten qui ont introduit l’amendement proposant
l’annexion des Fourons au Limbourg.
S’il a bien soutenu ce transfert au sein de la
Commission de la Chambre, Paul Gruselin l’a vraisemblablement fait en se
souvenant du Projet d’instauration du fédéralisme en Belgique élaboré
d’août 1943 à août 1944 par la Commission des Affaires wallonnes de la
fédération liégeoise du Parti socialiste belge, et de la proposition de
révision de la Constitution déposée en mars 1947 à la suite de la décision
du congrès national wallon d’octobre 1945. Dans les deux cas, c’est sans
aucun doute les données du recensement linguistique de 1930 qui justifient,
à ses yeux, le transfert des Fourons au Limbourg. Pourtant le recensement de
1947, publié avec retard en 1954, montre que la francisation est manifeste
dans les communes de la Voer. L’ignorance de ce renversement de situation ne
devait plus être de mise. Toujours est-il que le sort des Fourons s’est joué
à la Commission de l’Intérieur de la Chambre. Toujours est-il que Paul
Gruselin se ravise rapidement. À la Chambre, dès la première discussion,
l’ancien bourgmestre de Liège rappelle les conclusions du Centre Harmel au
sujet des Fourons : leur régime serait déterminé par arrêté royal après
consultation des administrations communales. C’est, à son avis, la
sagesse même. La Commission de l’intérieur (…) ne l’a pas confirmé et
je crois maintenant qu’elle a eu tort. Les débats seront longs et vifs.
Au moment du vote sur l’ensemble de l’article portant notamment sur le
transfert de Mouscron-Comines au Hainaut et des Fourons au Limbourg (15
février 1962), Paul Gruselin vote en faveur de cet article ; il s’abstient
cependant au moment du vote de l’ensemble du projet.
Membre du comité permanent du Comité d’Action
wallonne (1962-1964), Paul Gruselin patronne, avec d’autres personnalités
liégeoises, le pétitionnement de l’automne 1963. Proche de la doctrine
générale du Congrès national wallon, dont il est d’ailleurs un des membres
du Comité permanent (1947-1971), Paul Gruselin lance un appel, en 1965, à la
réunion des forces wallonnes au sein du Congrès national wallon. Membre du
comité de patronage de la grande mobilisation wallonne du 19 avril 1969, il
apporte ainsi son soutien à l’action lancée en 1968 par les quatre
mouvements wallons, sur base du Memorandum réalisé par le Conseil
économique wallon (1968) : il s’agit de mobiliser tous les Wallons pour
obtenir au minimum une réelle décentralisation économique.
En juin 1976, Paul Gruselin figure parmi les
signataires de la Nouvelle Lettre au roi pour un vrai fédéralisme
rédigée à l’initiative de Fernand Dehousse, Jean Rey et Marcel Thiry,
notamment, et qui vise à dépasser la régionalisation pour instaurer un
fédéralisme véritable, fondé sur le respect des droits de l’homme et de
l’égalité des citoyens, fondé sur l’égalité politique des communautés et des
régions qui ont des pouvoirs véritables, un fédéralisme où Bruxelles est
reconnue comme région à part entière.
Paul Delforge