Docteur en histoire de l’Université de Liège,
conservateur à la Bibliothèque royale, Oscar Grojean joue un rôle important
au sein du Parti libéral. Organisateur de l’enseignement universitaire en
Égypte, professeur à l’Université libre de Bruxelles, haut fonctionnaire au
ministère des Sciences et des Arts, où il achève sa carrière en 1940 comme
directeur général de l’enseignement moyen, il connaît parfaitement les
problèmes que l’administration pose à ses fonctionnaires wallons, plus
particulièrement dans le département du ministère de l’Instruction publique.
Dès le début du siècle, l’aspect linguistique
de la question wallonne interpelle Oscar Grojean. Présent au Congrès wallon
de Liège (1905), celui qui, avec Raymond Colleye et Arille Carlier, fonde
les Jeunes Gardes wallonnes de Bruxelles, Charleroi et Liège (1905-1906),
intervient vigoureusement contre toutes formes d’ingérence des Wallons dans
les affaires flamandes. Par son intervention, il oriente le congrès et le
Mouvement wallon vers un régionalisme respectueux des choix d’autrui, loin
d’un nationalisme belge francophone soucieux d’imposer partout le français.
Il souhaite aussi une meilleure connaissance de l’histoire de la Wallonie,
mais exige rigueur et objectivité dans sa rédaction afin d’éviter les
travers des flamingants.
Collaborateur de L’Action wallonne
(1906-1908), Oscar Grojean s’exprime de façon réservée, au Congrès wallon de
1906, sur des questions concernant les chemins de fer et la séparation
administrative. Dans La Belgique artistique et littéraire (septembre
1906), il attire l’attention de la population belge sur les dangers du
pangermanisme, des théories de Gobineau, de l’aryanisme et de la présence
allemande au sein du Mouvement flamand. En 1906, il publie d’ailleurs La
Belgique et le pangermanisme, dans lequel il dénonce les menaces –
surtout linguistiques – que le second fait peser sur l’indépendance
nationale de la première.

Directeur du Flambeau avec Henri
Grégoire et Jacques Pirenne, Grojean livre à cette revue une contribution
intitulée Lettres wallonnes au moment où l’on commémore le centième
anniversaire de la Belgique. Mais la personnalité d’Oscar Grojean est
contrastée. Ainsi le retrouve-t-on parmi les rédacteurs réguliers de
Cassandre, journal vilipendé par le Mouvement wallon (1937). Avec R.
Colleye et A. Carlier, Grojean semble avoir apporté son aide à
l’établissement à Charleroi de La Maison wallonne (9, rue Charles
Dupret), sous la forme d’une société coopérative, afin de donner au Parti
wallon indépendant un local officiel.
Parmi les griefs wallons énumérés au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale, Oscar Grojean, citant la brochure Pour
renaître, retient l’exemple des cours de français qui ne sont pas
inspectés par des spécialistes en cette matière. C’est peu de chose,
peut-être, cette question d’inspection ; mais je pourrais allonger la liste
de centaines d’autres exemples. Et c’est sur ce terrain, en apparence
fastidieux et souvent obscur des divergences et des conflits administratifs,
que se poursuit une lutte où nous perdons à tout coup (désignation d’un
inspecteur général qui serait nécessairement bilingue, donc flamand ;
respect du droit à la liberté du père de famille…). (…) Le
fédéralisme préserverait bien des choses (…). En novembre 1944, il
publie dans L’Aurore, un important article sur Le problème wallon.
Celui qui, pour raison professionnelle, a passé
la majeure partie de sa vie à Bruxelles, est très conscient des problèmes
wallons et de la façon dont ils sont perçus. Il existe à Bruxelles une
épidémie de surdité qui pourrait avoir les conséquences les plus graves,
écrit-il en 1945. On a pris l’habitude ici de s’écrier avec un aimable
dédain, chaque fois qu’il s’agit de la Wallonie : “ ah oui ! Ces
régionalistes ! ” à la vérité
le mouvement wallon est beaucoup plus qu’un simple mouvement régionaliste :
une véritable conscience nationale wallonne est en voie de création. Ce
phénomène n’est pas dû seulement aux craintes qu’inspire l’impérialisme
flamand à la peur d’être colonisé ; il provient aussi de l’attitude
inconsidérée de la capitale et des froissements qu’elle a engendrés dans le
sud. La capitale se croit non seulement le centre géographique du pays mais
aussi le dépositaire de l’âme belge ; elle est terriblement égocentrique.
Membre émérite de la Société de Littérature
wallonne, Grosjean est aussi le président de la section bruxelloise de l’Association
pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie. C’est à ce titre
qu’il intervient lors d’un congrès du Congrès national wallon pour défendre
l’autonomie culturelle de la Wallonie. Membre du Congrès national wallon,
président provisoire du Conseil national wallon de la radiodiffusion en
remplacement de Valère Darchambeau (novembre-décembre 1945), il préside la
Commission consultative de Bruxelles du Conseil national wallon de la
Radiodiffusion (1946). Membre de la commission du choix de la deuxième
langue de l’Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la
Wallonie, il participe à ses réunions et partage les conclusions qui sont
présentées au ministre de l’Instruction publique et publiées, sous forme de
brochure, en 1947 : pour l’école primaire, la commission propose notamment
la suppression de l’enseignement de toute langue étrangère, l’interdiction
du bilinguisme obligatoire (du flamand) tant à Bruxelles qu’en Wallonie.
Pour l’enseignement secondaire, la commission prône une réelle liberté du
choix de la deuxième langue par le père de famille et la possibilité,
partout en Wallonie, de pouvoir choisir entre l’anglais, le flamand et
l’allemand. Se préoccupant aussi de la formation des maîtres, la commission
propose aussi plusieurs mesures diverses mesures pour l’enseignement
supérieur et met l’accent sur l’amélioration de la maîtrise de la langue
française dans la formation des enseignants. Oscar Grojean est encore le
fondateur de la Ligue des Intérêts économiques et culturels des Bruxellois
d’Expression française, dont les objectifs sont annoncés comme apolitiques :
Nous ne faisons pas de politique ; nous ne sommes ni autonomistes, ni
fédéralistes, ni irrédentistes ; ni rien. Nous sommes seulement des Belges
qui veulent se défendre en Belgique, sans cesser d’être Belge.
Paul Delforge