Lors de l’Exposition
universelle et internationale, qui se tient à Liège, en 1905, le Congrès
wallon invite différentes personnalités du monde des Arts et des Lettres à
s’exprimer, dans les domaines où ils excellent, sur Le Sentiment wallon.
Ainsi, Paul Jaspar fait-il rapport sur Le Sentiment wallon dans l’Art de
l’Architecture, Joseph Rulot sur Le Sentiment wallon en Sculpture.
Le Sentiment wallon en musique inspire Ernest Closson et Charles
Delchevalerie rédige quelques notes sur Le Sentiment wallon dans la
Littérature d’expression française.
Quant à la peinture
– cet art majeur où tant de nos artistes se distinguèrent – c’est à Auguste
Donnay que l’honneur revient d’en parler. Et l’artiste subtil et délicat,
par Quelques idées sur le Sentiment wallon en peinture, tente de
rendre sensibles ses convictions profondes. Le rapport, lu par un
congressiste en l’absence de son rédacteur, fait grande impression sur ses
contemporains. Donnay, par petites touches, a cerné à la fois l’art et
l’artiste wallons.
Voici quelques-unes
de ces “ idées ” :
Il est de mode
actuellement d’attacher quelque mépris à l’intellectualité en manière de
peinture, le peintre devient, grâce à l’influence dominante de la critique
flamande, uniquement un œil sensible aux manifestations de la couleur, et
rien de plus.
De la couleur, de
la couleur et rien de plus.
Est-il besoin de
prouver l’inanité charmante d’une affirmation dont l’envers serait plus
amusant à démontrer : la couleur est absolument négligeable en peinture.
Est-il un artiste
wallon qui peignit jamais pour le plaisir de juxtaposer des taches de
couleurs ? Tous ces vieux peintres ignorèrent la nature morte qui est bien
de la peinture pour de la peinture - uniquement.
Les premiers, ils
regardent sous le ciel, la grande nature ; ils deviennent paysagistes pour
le plaisir de rendre le paysage. Ils ont inventé le paysage en art.
Un pays bleu où
s’aperçoit apaisée la manifestation des forces du commencement – où apparaît
visible la structure de la Terre – où la stratification des roches
perpendiculaires, horizontales ou tourmentées raconte les merveilles de la
transformation lente.
La créature humaine
est perdue dans ces paysages, elle n’y est point nécessaire : complément
infime aux lignes sinueuses des sommets, elle disparaît dans la vallée.
PATENIER et BLÈS,
les premiers comprirent cela. Ils inventèrent l’aspect de la Terre, et leur
géologie légendaire n’est que l’admirable synthèse d’une vision pensive et
réfléchie.
Ils entendirent
parler la grande âme de la Terre qui retient la vie éparse des hommes.
Les aspects de la
terre wallonne, si rapidement différents et changeant vite selon la lumière,
ne sont point pour la tranquillité et la régularité d’une seule idée.
L’artiste wallon
doit penser.

La vision du
paysage chez LÉONARD DE VINCI est parallèle ou plutôt identique à celle de
PATENIER et de BLÈS.
Y aurait-il là,
simplement un hasard quelconque ?
ALBERT DÜRER a
dessiné l’intelligente figure de PATENIER, il le nomme “ le bon peintre de
paysage ”.
Cela a bien quelque
valeur.
Des tableaux qui
sont des accords de tons rares et fins, des nuances et non de la couleur,
avec, très souvent, comme dominante, une note bleue, – d’un bleu superbe et
très particulier et qui joue le rôle de la tache de vermillon qui éclabousse
presque toujours les tableaux flamands – il me semble que beaucoup d’anciens
tableaux wallons laissent cette impression.
Pas un seul rouge,
pas une couleur, mais les tons les plus distingués, les plus variés, les
mieux opposés les uns aux autres – un dessin d’un merveilleux savoir, une
composition qui musèle la critique – un art pondéré, raisonné, mathématique
– l’émotion habillée d’une hautaine science.
Cependant il faut
admettre que nos vieux artistes sont TOUS mordus au talon d’une étrange
tarentule littéraire.
Une idée d’abord,
le tableau ensuite.
Copier la Nature ?
- On copie l’écriture d’un manuscrit, oui.
L’artiste
interprète et plus son interprétation s’éloigne logiquement d’une impossible
copie, plus certainement il est artiste.
Pour être quelque
peu affirmatif, pour pouvoir déterminer à peu près exactement la valeur de
ces curieux artistes légendaires et si vrais, – la légende n’étant que la
vérité habillée, il faudrait avoir vu tous ces tableaux éparpillés en Europe
et autre part.
Élevé par une
vieille bonne, toute hantée de légendes qui sentaient le mystère, le jeune
Auguste Donnay a appris dès le plus jeune âge à chercher l’au-delà des
choses les plus quotidiennes et les plus humbles. C’était un enfant sage,
craintif et consciencieux. Il choisit de devenir peintre-décorateur et se
perfectionne, à l’Académie de sa ville natale, en suivant l’austère
enseignement d’Adrien de Witte. À son grand étonnement, en 1881, Auguste
Donnay remporte le premier prix d’un concours dont le lauréat se voit offrir
un séjour de cinq mois à Paris. Charles Delchevalerie dira que ce voyage fut
le grand étourdissement de son existence. Il visite musées et expositions,
s’émerveille devant les Tanagras, l’Art égyptien, l’Art japonais, les
Primitifs italiens et apprend par Léonard de Vinci que l’art est cosa
mentale.
De retour au pays,
un labeur absorbant va l’aider à sortir d’une douloureuse période
d’incertitude, du vertige de tant de voies offertes. La rencontre avec
Albert Mockel, qui partage avec Henri de Regnier la direction de
l’importante revue symboliste La Wallonie, sera déterminante pour l’artiste.
En 1887, Mockel le met en rapport avec les membres actifs de la revue –
ceux-ci vivaient sous le charme des préraphaélites anglais, de Gustave
Moreau et d’Odilon Redon – et Donnay de dessiner cette belle figure de
femme, entourée de chardons et de lys, qui ornera bientôt la couverture de
la revue.
Sa vie durant,
celui qui réalisa Terre wallonne, œuvre achetée par l’État belge en
1902, illustrera par des dessins et des vignettes, qui sont de pures
merveilles de simplicité et d’émotion, les revues et les écrits de ses amis
poètes et romanciers. Dès le premier numéro de la revue en 1893, Auguste
Donnay apporte sa contribution à Wallonia. En 1897, il donne quelques
dessins au journal La Réforme, des frères Chainaye. En décidant, en
1905, de s’installer à Méry-sur-Ourthe, Donnay retrouve la nature qui parle
à son âme. Le silence des paysages enneigés, la lumière frisante d’un
crépuscule ou le frémissement des feuillages printaniers, conviennent pour
exprimer la tendresse infinie d’un homme qui est en communion profonde avec
sa terre, sa “ géologie élémentaire ”.
Nombreuses ont été
les participations d’Auguste Donnay aux manifestations artistiques de son
temps. Ainsi, en 1894, il figure au premier salon de la Libre esthétique et,
en compagnie de Levêque et Delville, aux expositions du groupe ésotérique
Kumris. En 1896, l’artiste accroche ses œuvres à Paris, au salon de L’Art
indépendant. Elles voisinent celles de Rops, Redon, Denis, Berchmans et
Rassenfosse. Ses œuvres seront montrées à Venise, en France, en
Grande-Bretagne et en Suède. Les artistes de l’École de Verviers, Pirenne,
Lebrun, Derchain et Delcour, se diront disciples du Maître de Méry.
Nombreuses sont les affinités qui lient ces peintres intimistes.
En 1907, Maurice
des Ombiaux consacre une étude à quatre grandes figures liégeoises :
Rassenfosse, Maréchal, Berchmans et Donnay. Le peintre a été nommé
professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Liège où il inaugure en 1901, un
cours de composition ornementale. Interrogé sur la suppression de
l’université française de Gand, l’artiste s’indigne de la mise en cause de
la langue française, langue internationale par excellence et ridiculise les
patois flamands (1911). De 1912 à 1914, il participe au projet de faire de
l’église romane d’Hastière un centre de l’Art wallon. Il y réalise son
fameux triptyque de Saint-Walhère. Mais la Première Guerre mondiale va le
blesser intimement et cet être, trop sensible, trop fragile, mettra fin à
ses jours le 18 juillet 1921.
En 1922, Liège
organisa une grande rétrospective, une salle du Musée des Beaux-Arts portera
son nom. Albert Mockel publiera Auguste Donnay - Souvenirs et réflexions
et Maurice Kunel, en 1923, lui rendra hommage par une monographie
Auguste Donnay, peintre de Wallonie. Le Musée de l’Art wallon, à
l’occasion de la parution de l’ouvrage de Jacques Parisse, Auguste Donnay
un visage de la terre wallonne, lui a consacré une belle rétrospective
où les œuvres peintes, les aquarelles, les dessins, les illustrations de
l’artiste furent, à nouveau, offertes au regard de ceux qui savent percevoir
l’intense ferveur du maître du silence.
Liliane Sabatini