Après des humanités anciennes aux Collèges de
Charleroi puis de Thuin (1884), Maurice Desombiaux est poussé par son père à
entreprendre des études notariales (1885-1886). Mais déjà attiré par le
renouveau littéraire des années 1880, il se lance dans la littérature.
D’abord collaborateur de Caprice-Revue puis de La Jeune Belgique,
il est l’auteur de quelques pièces en vers et en prose dont il tirera
plusieurs recueils, Chants des jours lointains notamment (1888) et
d’un drame symboliste, Les Amants de Taillemark (1892) ; membre actif
du groupe de La Wallonie d’Albert Mockel, il part ensuite à la
recherche de son style, affiche des opinions radicales et quitte La Jeune
Belgique pour Le Coq rouge, mouvement qui se veut le défenseur de
la liberté en art (1895). Il collabore aussi à L’Art jeune qui
fusionnera avec Le Coq rouge (1896) ; il y rencontre les Lemonnier,
Destrée, Maeterlinck, Gide, Rodenbach, le peintre Rops, le sculpteur Victor
Rousseau, etc.
Mais son père, fonctionnaire à
l’enregistrement, ne voit pas cette vocation d’un bon œil : il fait entrer
son fils dans l’administration de l’Enregistrement et des Domaines (1887) et
désigner à Bruges (1889-1890) comme commis. Après diverses autres
affectations et la réussite du concours de receveur de l’Enregistrement
(1895), Maurice Desombiaux est envoyé à Grimbergen (1902). Il sera admis à
la retraite en 1921. Cette activité professionnelle dans l’administration ne
casse pas la plume de Desombiaux. Au contraire. Celle-ci est de plus en plus
affûtée par la lutte que se livrent Jeune Belgique et Le Coq rouge.
Ainsi, signe-t-il le manifeste Nous tous, réquisitoire très vif
contre l’esprit doctrinaire de la Jeune Belgique. Avec virulence, il
s’en prend aussi à l’inertie de l’État belge dans le domaine des lettres
(dernier numéro du Coq rouge, sous le titre Belgeoisie, mars
1897). Il y pourfend Edmond Picard, champion de l’âme belge.
Décidément, celui que l’on surnomme le
mousquetaire, révolutionnaire des lettres, ne néglige aucune occasion de
faire parler de lui. Lorsqu’il publie Mes Tonnelles (1898), la
promotion qui accompagne la sortie de ce livre fait scandale, puisque son
éditeur utilise des “ hommes-sandwiches ” promenant, dans tout Bruxelles, un
panneau sur lequel on pouvait lire : Dreyfus revient de l’Île du Diable
pour lire - Mes Tonnelles, par Maurice Desombiaux.

Desombiaux opte ainsi pour la prose et se lance
dans une veine réaliste et populaire qui correspond mieux à sa nature. Il
dévoile ses talents de conteur gaillard et sentimental. En fait, Maurice
Desombiaux plonge aux sources de son enfance lorsque son père, son oncle, sa
grand-mère ou un chansonnier de Charleroi lui racontaient les vieilles
légendes locales, les vieilles histoires de Thuin et autres exploits du
passé. L’Histoire mirifique de saint Dodon (1899) augmente sa
popularité. Accusé de plagiat, il se défend et obtient réparations. Après
Jeux de Cœur, ses meilleurs écrits atteignent aux sommets du roman
naturaliste (Mihien d’Avène et surtout Le Maugré) considérés
par Lemonnier et Maeterlinck comme des chefs-d’œuvre. De 1898 à 1914, il
publie plus d’un ouvrage par an tout en consacrant des études à des artistes
wallons. Critique d’art, il signe ainsi un Essai sur l’Art wallon,
collabore à la revue Jeune Wallonie. C’est encore lui qui lance la
campagne (dans Durandal) pour la restauration de l’église de Hastière,
église romane à laquelle était attachée la légende de Saint-Walhère qu’Auguste
Donnay représenta.
Défenseur d’une décentralisation de la Belgique
(La Meuse, 28 mars 1902), fondateur, avec Jules Destrée, d’une
Fédération des Artistes wallons, dont il devient le président, puis d’une
Société des Amis de l’Art wallon, qui comptera des sections dans toutes les
villes de Wallonie, co-organisateur de la première exposition d’Art wallon à
Charleroi (1911), il ne cesse de montrer que la Wallonie, trop souvent
négligée au profit de la Flandre, est en réalité un des berceaux de l’art en
Occident. Il révèle ou vulgarise quelques-unes des illustrations du
patrimoine artistique wallon : l’école de Tournai, qui influença l’art
flamand, l’école de l’abbaye de Lobbes, Roger de le Pasture, Victor
Rousseau, etc. Il exige que l’apport artistique de la Wallonie soit reconnu
et sa filiation française proclamée. Occupé par le seul passé wallon,
Desombiaux ne se livrera jamais à une peinture de la Wallonie industrielle,
même s’il ne reste pas insensible aux villes (Namur, Liège, etc.).
Pendant la guerre, cet ami de Jules Destrée
dirige le Cabinet du ministre Charles de Brocqueville au Havre et fonde
La Revue belge pour lutter contre la propagande allemande. Dans
France et Belgique (Paris-Barcelone, 1916, 61 p.), il décrit ce que les
Allemands voulaient faire des pays envahis et ce que nous ferons d’eux.
L’absence de mesure dans ses propos ne lui vaudra pas que des amis au
lendemain du conflit. Il signe aussi une série de monographies consacrées à
la politique et à la guerre. En 1919, il est membre de l’Assemblée
wallonne ; il y est l’un des délégués de Thuin et bien que souvent à
l’étranger, il restera membre de l’Assemblée wallonne jusqu’à la fin de
l’existence de cette institution. Membre du comité d’honneur de la Fondation
universitaire wallonne (1933), il apporte aussi sa collaboration aux revues
Almanach wallon (1923), La Gaillarde, La Patrie wallonne.
En 1938, il est membre du comité d’honneur du premier Congrès culturel
wallon (Charleroi 1938). Au moment de la Drôle de Guerre, il est membre du
comité de patronage du Secours wallon aux Blessés français (1940) (avec
Jules Bordet et Charles Plisnier).
Installé à Paris (1917 ou 1921), Desombiaux
publie des romans historiques qui manquent parfois de méthode. Il n’hésite
d’ailleurs pas à réécrire l’Histoire à sa façon. De cette veine nouvelle au
goût parfois naïf pour la petite histoire, il faut extraire deux essais :
Froissart ou le génie du Hainaut (1930) et Le Génie bourguignon
(1935) où se retrouve une inspiration plus naturelle. Dans le premier cité,
Froissart devient le symbole d’une civilisation, de la naissance de la
civilisation française en Wallonie. La part prise par Maurice Desombiaux
dans la définition de la personnalité wallonne est considérable. Il est
peut-être l’un des écrivains wallons qui a le plus fait pour révéler la
Wallonie à elle-même.
À deux reprises, son élection à l’Académie de
Belgique lui a été refusée ; est-il besoin de préciser qu’il en fut fort
affecté, d’autant qu’il avait été, en 1912, l’un des cinq signataires de la
pétition des écrivains belges adressée au ministre des Beaux-Arts réclamant
la création d’une telle académie. En 1904, il avait fondé les Amitiés
françaises de Bruxelles, dont il assure la présidence avant la Première
Guerre mondiale, et, toute sa vie, il est resté un défenseur de la Wallonie
et de la France dans des essais historiques, politiques, littéraires,
artistiques et mêmes parfois gastronomiques. En ce domaine, il s’était créé
une réputation de buveur de Bourgogne (1907). Connaisseur du bien
boire et du bien manger, épicurien raffiné, chroniqueur gastronomique, il
rédige un code de la table et acquiert en France la grande célébrité par ses
différents ouvrages en cette matière. Ses confrères lui décerneront le titre
de Cardinal du Bien manger.
Ces honneurs ne l’empêchent pas de continuer à
s’intéresser à la question wallonne. En octobre 1931, il consacre un article
dans Le Flambeau (n° 10, p. 339-342) intitulé Ma Wallonie. En
1938, pour un discours qu’il devait présenter à Liège, il rédige des notes
que Jean-Marie Horemans a exhumées et publiées. Cinq thèmes y sont abordés :
la participation de la Wallonie à la création et à la défense de la
civilisation française, l’attachement de ses habitants à la France, les
menaces que font peser les revendications flamingantes sur l’identité
française de la Wallonie, la nécessité de l’union de tous les Wallons et
enfin l’obturation de l’histoire de la Wallonie par l’histoire officielle
belge (Horemans J-M.,
Maurice Desombiaux, Défense de la Wallonie, Texte inédit, Centre
d’histoire et d’art de la Thudinie, 1980).
Connaissant les honneurs tant dans son pays
natal qu’à l’étranger, Maurice Desombiaux, qui s’était donné le pseudonyme
de des Ombiaux, ne retrouvait cependant plus la maîtrise de son art. Devant
vivre de sa plume, il multiplie les manuscrits mais leur valeur littéraire
subit le contre-coup de la nécessité. Ses vieux jours sont assombris par la
Seconde Guerre mondiale et la maladie a finalement raison de lui. Il meurt à
Paris toujours occupée et y est provisoirement inhumé. À l’initiative de son
ami M. Piret, ainsi que des Amitiés françaises, son corps est ramené à
Thuin, le 7 mai 1955.
Paul Delforge