Après des
humanités traditionnelles à l’Athénée de Liège I (1948-1954), Jean-Maurice
Dehousse étudie à la Beverly Hills School (Californie 1955), puis obtient le
titre de docteur en droit à l’Université de Liège (1960) et est porteur
d’une licence spécialisée en hautes études internationales de la John
Hopkins University (1961). Aspirant FNRS (1962-1965), assistant à l’Institut
d’Études juridiques européennes de l’Université de Liège (1966-1971) et
professeur à l’École supérieure de Traduction de Bruxelles (1965-1971), il
est délégué syndical FGTB du personnel scientifique de l’Université de Liège
(avec Guy Mathot et Urbain Destrée). C’est d’ailleurs en tant que
représentant de la FGTB qu’il participe à la préparation du Congrès de
Verviers des socialistes wallons et qu’il fait partie du groupe de travail
animé par Freddy Terwagne. Le Congrès revendique, notamment, la
régionalisation de la Belgique.
Fils de Fernand
Dehousse et de Rita Lejeune, Jean-Maurice Dehousse a été trempé, dès son
plus jeune âge, dans le Mouvement wallon. En 1961 déjà, il assurait le
secrétariat de la Commission politique préparatoire au congrès de fondation
du Mouvement populaire wallon. En 1962, il est vice-président de la section
de Liège Centre et membre du comité des Étudiants de Liège du Mouvement
populaire wallon, comité estudiantin présidé par Guy Mathot et au sein
duquel Jean Gol est le délégué des syndicats. Lors du Congrès des
socialistes wallons qui se tient à Verviers (26 novembre 1967), il est très
applaudi lorsqu’il utilise cette formule : Nous disions socialistes
d’abord, wallons toujours ! À présent, nous disons : wallons d’abord… Ce
congrès revêt une importance majeure puisqu’il scelle la réunion des
socialistes wallons, des régionales wallonnes de la FGTB et du MPW.
Jean-Maurice Dehousse y voit aussi le coup d’envoi d’une vaste unité
wallonne et du redressement de la Wallonie à la condition qu’un programme
tolérant, auquel peuvent se rallier les progressistes, soit appliqué avec
radicalisme (Combat, n° 41, 23 novembre 1967, p. 8-9).
Signataire du
manifeste La Wallonie dans l’Europe (mars 1968), il observe que le
déclin économique wallon mesuré à l’échelle européenne est considérable
(ralentissement de l’économie de plus de 30% en dix ans) et se prononce en
faveur d’une réforme institutionnelle profonde. S’il considère légitime la
volonté flamande de constituer un grand ensemble avec le Limbourg hollandais
et Rotterdam, il demande que la Wallonie ne soit pas prisonnière de Benelux
et qu’elle puisse, librement, se chercher les alliances qui lui conviennent
le mieux, ainsi que le prévoient les traités européens. Membre du Groupe de
réflexion Bastin-Yerna créé en 1968, il répond à l’appel au rassemblement
des progressistes lancé par Léo Collard en participant à la rédaction du
livre Quelle Wallonie ? Quel socialisme ? (1971).
Attaché aux
Services de Programmation de la Politique scientifique (décembre 1969),
Jean-Maurice Dehousse est détaché au Cabinet de Freddy Terwagne, où il
devient chef de Cabinet adjoint du ministre des affaires communautaires
françaises (1970). À la suite du décès de ce dernier et du départ de René
Godefroid, il devient chef de Cabinet de Fernand Dehousse (1971). Il
participe ainsi aux travaux de la première réforme de l’État qui inscrit
dans la Constitution le principe de la reconnaissance de l’existence de
trois régions et de trois communautés.

Élu député de
Liège en 1971, il est dans l’opposition au moment de l’application de la
régionalisation provisoire. Il mène alors le combat à la fois contre ses
adversaires politiques au gouvernement – et notamment le Rassemblement
wallon – et contre ceux qui, au sein de son propre parti, manifestent des
positions wallonnes timorées. Percevant l’intérêt de certaines dispositions
de la loi d’août 1974, il se refuse à mener une politique d’opposition
radicale, contrairement à la FGTB wallonne. Très actif lors du congrès
doctrinal que son parti organise en novembre 1974, il encourage une
régionalisation accrue de son parti et apporte aussi une forte contribution
à l’élaboration des projets de réforme institutionnelle au sein du Comité
permanent des fédérations socialistes wallonnes. Wallon résolu, il contribue
à l’orientation fédéraliste du PSB.
Paradoxe
apparent, il s’abstient au moment du vote du décret faisant du drapeau au
coq hardy l’emblème de la Communauté française ; en fait, il refuse l’option
d’une Belgique communautaire et réclame le drapeau au coq hardy pour la
seule Wallonie. En février 1976, il prône un rapprochement entre le
Rassemblement wallon et le PSB et la constitution d’un large front
fédéraliste wallon. Préconisant la rédaction d’une charte minimale de
régionalisation à laquelle le Front commun syndical pourrait donner son
aval, il invite à la convocation d’un congrès national wallon. En juin 1976,
le PSB s’accorde avec la FGTB sur un projet de révision constitutionnelle
qui servira de référence durant toute la période de négociations (Egmont,
Stuyvenberg) conduisant à la réforme de 1980 ; ce projet prévoyait la
suppression des provinces, des conseils culturels et du Sénat ; il créait
trois régions (Wallonie, Flandre, Bruxelles) dotées de réels pouvoirs
politiques (exécutif et législatif distincts du national) et financiers. Les
compétences des trois régions recouvraient la politique d’expansion
économique, l’emploi, la législation industrielle, la politique foncière, le
logement, l’agriculture, l’infrastructure touristique, la politique
familiale et démographique, l’hygiène, la chasse, la pêche, l’urbanisme, la
restructuration et le renforcement des pouvoirs locaux. Durant les
négociations, Jean-Maurice Dehousse défendra aussi la régionalisation des
moyens de crédit.
Devenu ministre
de la Culture française (1977-1978), Jean-Maurice Dehousse actualise la loi
sur les bibliothèques publiques, encourage la réalisation de centres
culturels et sportifs, et fait adopter un décret réglementant la
subsidiation des fédérations sportives ainsi qu’un décret réformant la RTB
qui devient RTBf. Parallèlement, dans l’entourage d’André Cools, avec Léon
Hurez et Guy Spitaels, il participe aux longues négociations portant sur la
réforme de l’État. Spécialiste en droit constitutionnel, disciple d’un
fédéralisme dont les principes fondamentaux ont été établis par Denys de
Rougemont, Alexandre Marc et Guy Héraud, héritier des hautes réflexions de
son père Fernand Dehousse et de celles de Freddy Terwagne, Jean-Maurice
Dehousse contribue à faire inscrire dans la Constitution une partie
importante des revendications du Mouvement wallon. Dans le premier
gouvernement de Wilfried Martens et les diverses coalitions qui se succèdent
(avril 1979-septembre 1981), Jean-Maurice Dehousse devient ministre des
Affaires wallonnes et président de l’Exécutif wallon, alors composé à
l’intérieur du gouvernement national. Si l’on fait abstraction de la
régionalisation provisoire (1974-1977), il peut être considéré comme le
premier président d’un officiel gouvernement de la Wallonie. À ce titre, il
contribue à la mise en place de l’administration wallonne à Namur. Il s’agit
alors de doter la Wallonie de l’ensemble des instruments destinés à
concrétiser les décisions politiques wallonnes.

Élu sénateur
(décembre 1981), J-M. Dehousse fait partie du gouvernement wallon formé à la
proportionnelle (1982-1985). Ministre régional, il devient président du
gouvernement wallon en succédant à André Damseaux en octobre 1982. Il a
notamment à régler les problèmes économiques et plus particulièrement ceux
de la sidérurgie, et la question du déficit de la ville de Liège. Il réclame
la suppression du monopole de Bel Téléphone Anvers dans le contrat RTT et
accuse le Boerenbond de diriger le ministère de l’Agriculture. En
décembre 1982, dans les colonnes du Soir, il lance un appel à la
convocation des États généraux de Wallonie afin de résoudre les multiples
problèmes économiques qui s’abattent sur elle (Cockerill-Sambre, Laminoirs
de Jemappes, Aéronautique, Motte…). Opposé à une fusion Communauté-Région,
il contribue à fixer à Namur le siège de l’Exécutif wallon et celui de ses
services (décision du 12 juillet 1983). En janvier 1985, le président de
l’Exécutif wallon dénonce les pillages industriels et financiers de la
Flandre, sa mainmise sur les administrations et les services publics
(emplois, marchés…), ses manipulations des programmes d’investissement.
Elle nous a ruinés pendant les années grasses et elle seule (…) sent
les premières caresses de la reprise (Wallonie libre, n° 4, 15
février 1985, p. 1). En mars 1985, il signe l’acte de naissance du Conseil
(qui deviendra Assemblée) des Régions d’Europe.
Mêlé de près (par
son père) aux discussions relatives à la fixation de la frontière
linguistique (1962-1963), il ressentit le passage des Fourons au Limbourg
comme une agression. Membre du Mouvement populaire wallon, constant
défenseur de la cause fouronnaise, il est agressé physiquement par des
militants flamands, le 5 novembre 1983, au moment où il plante un arbre de
la liberté dans les communes annexées au Limbourg. Membre de Wallonie Région
d’Europe (1987), défenseur acharné d’une plus grande autonomie pour la
Wallonie, il affiche une intransigeante logique en toutes circonstances.
Associé aux négociations menées en vue de la formation d’un nouveau
gouvernement (1988), il claque la porte et s’oppose, avec José Happart et
Jean-Claude Van Cauwenberghe, à la participation gouvernementale du PS,
estimant que les engagements faits à l’électeur ne sont pas respectés. Il
apparaît alors aux yeux de certains comme incarnant une tendance dissidente
à l’intérieur du Parti socialiste liégeois, à la tête du groupe “ Perron ”
apparu au lendemain de la formation du gouvernement Martens VIII. Lors des
élections de 1991, inscrit à la septième place des candidats à la Chambre,
il récolte plus de 30.000 voix de préférence et est élu. Il est désigné
ministre de la Politique scientifique dans le gouvernement Dehaene.
Au sein du Parti
socialiste, Jean-Maurice Dehousse se pose davantage encore à partir de 1988
comme le leader d’un courant renardiste, préconisant un maximum de
compétences aux régions. Son influence se ressent dans les accords dits de
la Saint-Michel et de la Saint-Quentin qui modifient les structures de
l’État, en 1993, dans un sens fédéral. Il assume d’ailleurs pendant cette
réforme la fonction officieuse de ministre francophone des Affaires
communautaires.
Désigné
bourgmestre de la ville de Liège, le 1er janvier 1995, il
abandonne le portefeuille de ministre de la Politique scientifique pour se
consacrer exclusivement à ses nouvelles fonctions maïorales. Élu député
wallon lors des premières élections directes au Parlement wallon, il renonce
à ce mandat pour la même raison. En juin 1999, il se présente comme premier
suppléant sur la liste socialiste aux élections européennes et, suite à la
nomination de Philippe Busquin comme Commissaire européen, devient député
européen (15 septembre). Dans le même temps, il démissionne de ses fonctions
de bourgmestre de la ville de Liège et pose sa candidature à la présidence
du PS. C’est Elio Di Rupo qui est élu. Après cinq années de travail
parlementaire tant à Bruxelles qu’à Strasbourg, il n’est plus candidat aux
élections européennes du 13 juin 2004.