Fils de Marcel
Bertrand, Pierre Bertand est frappé par la guerre en pleine jeunesse, ce qui
n’est pas sans favoriser une prise de conscience wallonne, en raison des
événements. Son option wallonne émerge de la capitulation de mai 1940, du
dualisme belge sous l’occupation, de la résistance menée depuis Londres par
le général de Gaulle et du besoin de réformer la Belgique dans le sens
fédéral. De sa scolarité bousculée, il retient surtout l’influence qu’exerce
sur lui son professeur de français, qui n’est autre que Robert Grafé. Sans
oublier le rôle paternel, cette influence n’est pas étrangère à l’adhésion
de Pierre Bertrand à la cause wallonne. Au début 1942, il est recruté parmi
les rédacteurs de Sambre et Meuse. En février, il décide avec Paul
Dehousse, Christian Grafé, Jean Petit et André Schreurs, de fonder un
mouvement clandestin destiné à toucher l’enseignement secondaire : Les
Lycéens wallons. Leur première action consiste à distribuer La Wallonie
libre, La Meuse ainsi que Sambre et Meuse dans les écoles
liégeoises. Après quelques tracts publiés de façon indépendante en 1942, Les
Lycéens wallons font paraître un clandestin, La Jeune Revue wallonne,
dès le 1er avril 1943.
Avec d’autres
membres de Jeune Wallonie – dont il est co-fondateur en 1942 – ou de
Wallonie libre, Pierre Bertrand mène par ailleurs une action de résistance
originale durant la Seconde Guerre mondiale en installant des piquets de
garde aux alentours de la Werbestelle. Guettant l’arrivée de jeunes
inconscients des conséquences d’un engagement, il les arrête et explique les
dangers de leur démarche. Le 21 juillet 1943 cependant, Pierre Bertrand est
arrêté par la Gestapo suite à une dénonciation et condamné à quatre mois de
prison par le Conseil de guerre allemand. Le groupe des Lycéens wallons
interrompt alors ses activités pendant un mois avant de se reconstituer sous
le nom des Jeunesses estudiantines wallonnes, groupe qui publie, dès le 1er
septembre, Jeune Wallonie. À peine libéré (octobre 1943), Pierre
Bertrand reprend ses activités jusqu’à la victoire finale. Membre du réseau
Aide wallonne aux Prisonniers français, il est aussi membre de la Brigade
“ Front de l'Indépendance Jeune Wallonie ”, groupement armé dirigé par André
Schreurs, dépendant des milices patriotiques du Front de l’Indépendance.
Décidé à bouter les nazis dehors, à assurer la séparation de la Wallonie et
de la Flandre, à instaurer une Wallonie indépendante et libre aux côtés
d’une France libre, Pierre Bertrand se prononce en faveur d’un régime
démocratique, anticapitaliste et républicain, assurant du travail à tous les
citoyens. Outre une action par la presse clandestine, Pierre Bertrand
pratique, au sein de Jeune Wallonie et du Front de l’Indépendance, d’autres
formes de résistance : aide aux jeunes réfractaires au travail en Allemagne,
fourniture de fausses pièces d’identité, hébergement et accompagnement de
prisonniers français évadés.
Dès la
Libération, avec le groupe des Lycéens wallons, Pierre Bertrand s’occupe
activement d’un mensuel, L’Ergot, qui défend le fédéralisme et se
montre incisif sur les questions d’actualité. Pierre Bertrand signe les
principaux articles (censure du journal Le Gaulois, opposition à
Léopold III, inciviques et collaborateurs). Pendant plusieurs mois, il
participe aussi à une intense campagne de propagande (par conférences,
meetings, débats, organisation de bals et placardage d’affiches), notamment
en faveur de l’abdication de Léopold III, et à la préparation du Congrès
national wallon d’octobre 1945. Membre du Comité liégeois et du directoire
de la Wallonie libre, il est en contact avec André et Fernand Schreurs ; il
participe aux congrès du Congrès national wallon de 1945 et de 1946 ; il
refuse la place de secrétaire du Parti d’Unité wallonne que lui propose
Victor Van Michel parce que, dit-il, j’étais opposé à l’idée d’autonomie
développée par le parti wallon. La Wallonie ne peut devenir un État.
Étudiant en droit à l’Université de Liège, Bertrand anime et préside
l’Association wallonne des Étudiants de l’ULg. Docteur en droit de
l’Université de Liège (1951), il suit la filière paternelle, en s’inscrivant
au barreau de Liège, comme avocat.

Sans affiliation
politique jusque-là, Pierre Bertrand adhère au Parti socialiste belge en
1958. Trois ans plus tard, sa formation d’avocat l’amène à contribuer à la
constitution du Mouvement populaire wallon. Membre fondateur de la section
de Liège-ville, secrétaire de la section de Liège 3 (1961), il a l’honneur
de prononcer le tout premier discours du Mouvement populaire wallon à Liège,
avec Robert Lambion. Dans le cadre des manifestations de ce mouvement, il
prendra d’ailleurs souvent la parole à l’occasion des nombreux meetings
organisés dans les usines liégeoises et il est régulièrement au premier rang
des manifestations dans les Fourons. En 1963, il fait partie du comité
liégeois de patronage au pétitionnement et, l’année suivante, il démissionne
du PSB suite à l’incompatibilité de mandat MPW-PSB décrétée par ce dernier
(1964).
Présent ensemble
dans la Résistance wallonne, et au sein du Mouvement populaire wallon,
Pierre Bertrand et François Perin vont lier leur destin politique pendant
douze années en contribuant à la formation puis au développement de partis
wallons. Secrétaire général liégeois du Parti wallon des Travailleurs,
Pierre Bertrand figure sur les listes de ce parti aux élections de 1965, en
deuxième place à la Chambre, juste derrière François Perin qui est élu.
Ensemble, ils sont parmi les fondateurs du Parti wallon (1965-1968). C’est
Pierre Bertrand qui est d’ailleurs le rapporteur du congrès de fusion Front
wallon/Parti wallon des Travailleurs en juin 1965 ; il y est désigné comme
administrateur général du Parti wallon. Un an plus tard, au terme du premier
congrès statutaire du parti, le président de la fédération liégeoise du
Parti wallon est désigné comme secrétaire et directeur du Centre d’études. À
ce titre, il est chargé de rédiger un rapport sur le statut de la condition
féminine, un statut qui protège la femme travailleuse et la libère du rôle
secondaire qui lui est imposé.
Membre du comité
de la fédération de Liège de Wallonie libre (1968), membre du Rassemblement
wallon à la formation duquel il participe, Pierre Bertrand est élu député
(31 mars 1968-1974) puis sénateur (1974-1981) de l’arrondissement de Liège.
Outre une importante activité de terrain, il développe le contenu doctrinal
du nouveau parti dans les questions européennes, politiques et sociales
notamment. Lors du congrès du Rassemblement wallon des 22 et 23 mars 1969,
le président de la régionale de Liège répète son opposition à la création
d’un Benelux politique, rappelle son soutien au combat des Fouronnais
francophones et des habitants de Malmedy, et lance un appel pour la
constitution rapide d’un pouvoir wallon de décision et pour l’élaboration du
programme du premier gouvernement wallon. Favorable à la construction d’une
Europe des Régions, il suit François Perin dans sa recherche d’une voie
nouvelle entre socialisme, christianisme et libéralisme. Partisan d’une
réforme profonde de la société, il prône le fédéralisme intégral comme
système permettant à la Wallonie de se redresser.

Membre du comité
de patronage de la grande mobilisation wallonne du 19 avril 1969, Pierre
Bertrand apporte ainsi son soutien à l’action lancée en 1968 par les quatre
mouvements wallons, sur base du Memorandum réalisé par le Conseil
économique wallon (1968) : il s’agit de mobiliser tous les Wallons pour
obtenir au minimum une réelle décentralisation économique. Député, il ne
ménage pas les coalitions gouvernementales, enfonçant ses opposants dans
leurs contradictions et rappelant sans cesse le sort peu enviable réservé
aux six communes de Fourons. En juin 1972, il dépose un amendement (Le
canton de Fourons appartient à la région linguistique française) contre
un amendement déposé par le gouvernement PSB-PSC (Le canton de Fourons
appartient à la région linguistique néerlandaise). Discuté en
Commission, le point sera reporté sine die. Il fait aussi adopter par
le Conseil communal de Liège, où il est le chef de l’opposition, une motion
contredisant une décision du ministre Van Elslande interdisant aux communes
wallonnes de subsidier les Fourons. Au sein du Rassemblement wallon, Pierre
Bertrand est aussi le spécialiste des matières culturelles (jeunesse,
radio-télévision), européennes et internationales. Il sera d’ailleurs membre
du Parlement européen (1974-1977) avant que celui-ci ne soit composé de
membres élus au suffrage universel, mode d’élection que Pierre Bertrand
avait depuis longtemps appelé de ses vœux. Défenseur d’un fédéralisme où
communes, régions et Europe constituent les seuls niveaux de pouvoir, Pierre
Bertrand défend le projet d’une Ligue des Villes wallonnes, afin de pouvoir
peser sur le pouvoir central (1975). Fort de ses succès électoraux
successifs, le Rassemblement wallon est invité à participer à la direction
des affaires de l’État. En décembre 1974, le Conseil régional wallon créé à
la suite de la loi Perin-Vandekerkhove se réunit pour la première fois à
Namur et Pierre Bertrand est l’un des deux vice-présidents de cette
assemblée.
S’il avait
accompagné François Perin au moment où se créaient les premiers partis
wallons, Pierre Bertrand refuse la démarche du professeur de droit
constitutionnel lorsque celui-ci fonde le PRLw (1976-1977). Pierre
Bertrand estime
que François Perin se fait duper par Jean Gol, Étienne Knoops et Philippe
Monfils. En réaction au groupe CRéER, Pierre Bertrand fonde le Club d’action
wallonne pour le fédéralisme et les réformes de structure. Représentant
principal de la tendance Gendebien à Liège, Pierre Bertrand entend rester
fidèle à ses options politiques de toujours. Lors du remaniement ministériel
de l’hiver 1976-1977, Pierre Bertrand est désigné comme ministre au sein de
l’équipe gouvernementale dirigée par Léo Tindemans (Tindemans II, décembre
1976-mars 1977). Ministre adjoint aux Affaires économiques, il est chargé de
la politique de l’eau, de la chasse, de la pêche et des forêts. Mais la
participation gouvernementale du Rassemblement wallon n’est pas acceptée par
la totalité des membres du parti. Les tensions demeurent. Au printemps 1977,
les ministres Rassemblement wallon sont défenestrés par Léo Tindemans.
Chef de groupe
RW-FDF au Sénat, Pierre Bertrand refuse de voter en faveur des lois de 1980
portant sur la réforme de l’État, considérant qu’elles sont timorées et
qu’elles présentent plus d’inconvénients que d’avantages. Pressenti pour
reprendre la présidence du Rassemblement wallon, il décline l’offre qui lui
est faite (1980). Inscrit sur les listes liégeoises du RPSW, le conseiller
communal de Liège qu’il est depuis 1970 devient échevin de la Culture et du
Tourisme en 1983. Il retrouve alors le Parti socialiste qu’il avait quitté
vingt ans plus tôt. Il mettra un terme à sa carrière politique en 1988, à la
fin de son mandat d’échevin. Ressentant la Belgique comme un étouffoir,
Pierre Bertrand n’est pas insensible à un rapprochement avec la France, du
moins, dans un premier temps, d’un point de vue culturel.
Paul Delforge