Docteur en droit de l’Université de Liège (1948), avocat au
barreau de Liège (1950), pénaliste renommé, spécialiste des
acquittements difficiles et des causes désespérées, Jean Mottard
plaide avec succès de nombreuses affaires d’assises, dont le
procès du Softénon au début des années ’60 qui le place sur le
devant de la scène publique quand il obtient l’acquittement du
Docteur Casters. Maître de stage d’un jeune avocat qui se
réclamait de la gauche extrême (Jean Gol), compagnon de sorties
de Freddy Terwagne lorsqu’ils étudiaient ensemble le droit à
l’Université de Liège, Jean Mottard entre très tard en
politique, bien qu’il ait déjà milité dans les milieux wallons
et progressistes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et
au début des années soixante.
Au lendemain de la Libération, en effet, Jean Mottard participe
à l’éphémère Forces nouvelles (février 1945-août 1946),
hebdomadaire fondé à l’initiative de la famille Levaux et proche
de l’Union démocratique belge ; pendant une courte période, il
est d’ailleurs le secrétaire de rédaction du journal. Jeune
étudiant, il participe également au Congrès national wallon qui
se tient à Liège, les 20 et 21 octobre 1945. Il prend déjà
nettement conscience de l’importance du fédéralisme pour
l’avenir de la Wallonie, mais c’est sa rencontre avec André
Renard qui marque son enracinement dans le Mouvement wallon.
Défenseur des « casseurs » de la gare des Guillemins (grève de
l’hiver ’60-’61), l’avocat liégeois est séduit par le programme
du Mouvement populaire wallon, surtout les réformes de structure
économiques et sociales. Lors du deuxième congrès du mouvement
(Liège, décembre 1962), le président de la cantonale de Liège
(mars 1961) se déclare partisan du fédéralisme et des réformes
de structure et dénonce les attaques dont sont victimes les
populations des Fourons. Prônant un dialogue permanent avec les
fédéralistes flamands, Jean Mottard veut aussi rassurer les
catholiques wallons que jamais la Wallonie fédérale ne se fera
contre eux. Présent à de nombreuses reprises dans les Fourons où
il donne notamment des conférences, il est l’un des
« pionniers » de la résistance « à l’annexion », et l’avocat de
la cause fouronnaise avec son confrère, parfait bilingue, Max
Hoge. Vice-président du bureau de la régionale de Liège
(1962-1969), Jean Mottard est l’un des deux délégués liégeois au
bureau fédéral du Mouvement populaire wallon (1965) et l’un des
neuf délégués de Liège au conseil général. Lors du cinquième
congrès (Namur, 23 juin 1968), il s’interroge sur les moyens à
mettre en œuvre pour réaliser une gauche wallonne. Il suggère
d’élaborer un programme, simple, qui pourrait être largement
diffusé. Il dénonce par ailleurs le fait que l’autonomie
culturelle telle qu’elle est conçue dans le programme du
gouvernement Eyskens-Merlot repose essentiellement sur une base
linguistique.
À l’occasion de l’Assemblée commune des trois Mouvements wallons
(Liège 18 décembre 1976), Jean Mottard considère que ce serait
une erreur historique de sacrifier l’essentiel des
revendications wallonnes (fédéralisme et réformes de structure)
à des considérations tactiques erronées. C’est l’exemple wallon
qui permettra aux progressistes flamands de s’exprimer. Il
propose que le 1er mai 1977 soit placé sous le signe
du renouveau wallon.
Avocat de la FGTB Liège-Huy-Waremme, il joue un rôle important
dans l’ombre de Robert Gillon avant d’entrer en politique au
sein non pas du parti socialiste mais du Rassemblement wallon.
Présent sur les listes du parti wallon aux élections d’avril
1977 et de décembre 1978, il n’est pas élu. Il réagit très
durement en apprenant la chute du gouvernement Tindemans II
alors que le Pacte d’Egmont était en cours de négociation et que
la Wallonie commençait à croire que les lois de 1970 allaient
enfin être appliquées. Avec l’ensemble du conseil général du MPW
(réuni à Namur le 24 février 1979), Jean Mottard a des mots très
durs contre le CVP et, s’il se réjouit du front
francophone constitué par le PS, le PSC et le FDF pour résister
au front flamand, il ne pense pas qu’il s’agisse là de l’amorce
du rassemblement des progressistes
que le Mouvement populaire
wallon appelle de ses vœux. Il est plus que jamais
convaincu que le fédéralisme est la seule solution aux problèmes
wallons, un fédéralisme à trois qui accorde aux régions de réels
pouvoirs et compétences. Avec Pierre Lothe et Léon Damery, Jean
Mottard s’insurge aussi particulièrement contre le sort qui est
réservé aux Fourons. Aucun démocrate ne peut rester
insensible à la situation des Fourons (1979). Avec Robert
Gillon et José Happart, Jean Mottard est membre du comité de
Wallonie-Fourons, créé au printemps 1980, et où il représente le
MPW.
En octobre 1981, il démissionne du Rassemblement wallon, dont il
était l’un des vice-présidents, pour protester contre la
présentation de listes communes RW-FDF aux élections du 8
novembre 1981
et l’orientation « pro-communauté française » que cela implique. Avec P-H. Gendebien, Yves de Wasseige et
les trois autres vice-présidents du RW (J-É. Humblet, Marie
Caprasse et Paul Nopère) qui formaient déjà la tendance
Indépendance et progrès au sein du RW, il participe à la
création du Rassemblement populaire wallon.
Le nouveau parti défend un fédéralisme fondé sur trois Régions,
rejette l’option « Communauté française » et par conséquent
l’idée de la fusion qui représente, pour le RPW, la négation de
la Wallonie et un obstacle à l’émergence de la Région
bruxelloise.
À Liège, le RPW fait alliance avec le PS et se présente en
cartel sous le nom de Rassemblement des progressistes. Une place
en ordre utile est offerte à Jean Mottard, qui est élu :
député socialiste-tendance RPW en 1981 (3.326 vp.), réélu en
1985 (4.732) et 1987 (5.915), l’avocat de José Happart et le
conseil de l’Action fouronnaise ne devient membre du PS qu’en
septembre 1988. De 1985 à 1987, il préside la Commission des
Technologies nouvelles, des Relations extérieures, des Affaires
générales et du Personnel du Conseil régional wallon.

Lors des élections communales d’octobre 1982, il se présente à
Liège en cartel avec le PS, sur une liste du Rassemblement des
Progressistes et Socialistes Wallons (RPSW) qui s’oppose à
l’Union pour Liège (UPL) des libéraux Michel Foret et Jean Gol
et des sociaux-chrétiens conduits par William Ancion. Réélu en
octobre 1988, en tant conseiller communal PS, Jean Mottard se
refuse cependant à se lier à un « clan », oscille entre réalisme
et souhaitable entre le PS officiel, dont le RPW est partenaire,
et les « rebelles » régionalistes wallons vis-à-vis desquels il
est en forte sympathie, tout en exerçant sa liberté de penser et
de critiquer ; ainsi, quand est émise l’idée de vendre le
tableau de Picasso, détenu par la ville de puis son achat à
Lucerne en 1939, pour rééquilibrer les caisses communales, le
président de la Commission de la Culture de Liège (1989-1994)
fait entendre fermement son opposition (mars 1990). Ce sont les
années où les finances de la ville de Liège conduisent le
bourgmestre Édouard Close à imposer un plan de restructuration
drastique, avec le ministre de l'Intérieur Louis Tobback et en
accord avec André Cools qui deviendra le ministre de tutelle de
la ville de Liège (1988-1990), dans une atmosphère
particulièrement tendue: les poubelles ne sont plus ramassées
pendant plusieurs semaines et le personnel communal qui craint
pour son emploi mène un long mouvement de grève. Lorsqu’il faut
pourvoir au remplacement du bourgmestre Édouard Close (décembre
1990), le nom de Jean Mottard circule avec insistance, comme
conciliateur et réconciliateur… avant que Henri Schlitz ne soit
finalement désigné.
Porteur d’une « triple casquette » parlementaire, Jean Mottard siège,
de 1981 à 1995, à la Chambre des Représentants, au Conseil
régional wallon et au Conseil de la Communauté française.
Deuxième vice-président de la Chambre (1989-1992), président de
la Commission de la Justice de la Chambre (1988-1995), l’avocat
et juriste se voit confier un domaine dans lequel il excelle.
Mais les dossiers qu’il va avoir à examiner ne sont pas de tout
repos. En novembre 1989, après son adoption par le Sénat, le
projet de loi sur la dépénalisation partielle de l’avortement
revient en Commission de la Justice : Jean Mottard devra faire
preuve de patience et de diplomatie pour mener les travaux à
leur terme (mars 1990). Par ailleurs, faut-il rappeler que les
années ’80 ont notamment été marquées par les tueries du Brabant
et les actions des CCC ? Membre de la commission parlementaire
d'enquête sur le banditisme et le terrorisme, Jean Mottard est
ainsi amené à rouvrir les dossiers relatifs aux secrets de
l'affaire Pinon, à l'incendie de l'hebdomadaire Pour (1981), au
«suicide» du chef du W.N.P. Paul Latinus (1984)… Au moment du
dépôt du rapport de la Commission d’enquête en mai 1990, Mottard
rejette la thèse du grand complot et en appelle à une
« révolution tranquille » mais ferme dans le monde judiciaire,
afin d’éviter les errements identifiés. Dans la foulée, il signe
la préface de l’ouvrage que le journaliste René Haquin consacre
aux « Tueries du Brabant, enquête parlementaire sur la
manière dont la lutte contre le banditisme et le terrorisme est
organisée », et auquel il a apporté sa collaboration.
Absorbé par les travaux de la Commission de la Justice, l’élu de
Liège ne consacre guère de temps aux travaux des assemblées
fédérées. Deux interventions seulement marquent son activité au
sein du Conseil régional wallon entre 1988 et 1991. Néanmoins,
ce sont ses interpellations répétées qui conduisent les entités
fédérées à intervenir pour sauver l'Hôtel de Soër de Solières,
seul exemple liégeois d'architecture de type « Renaissance
italienne », menacé de disparition. Par ailleurs,
président-fondateur de RTC depuis 1971, le député Mottard
réclame au Conseil de la Communauté française des subventions
proportionnelles à l’importance des activités de la télévision
liégeoise (1991).
Restant partisan de l’indépendance de la Wallonie et un
défenseur acharné de la cause fouronnaise, Jean Mottard avait
encouragé le Parti socialiste présidé par Guy Spitaels à
réaliser une nouvelle avancée institutionnelle et à résoudre
définitivement la question fouronnaise, selon ses revendications
les plus chères. Les circonstances paraissaient propices au soir
du scrutin de décembre 1987. Quand, enfin, la crise politique
qui a duré cent jours au niveau du pouvoir national se dénoue en
mai 1988, il se montre déçu par les résultats finalement
obtenus. Afin de mieux faire entendre sa voix à l’intérieur de
la formation politique, il rallie alors officiellement le parti
socialiste. En 1988 et en 1989, Jean Mottard fait partie
des mandataires qui votent les lois qui transfèrent vers le
pouvoir régional wallon notamment les travaux publics et les
communications (excepté la Sabena et la SNCB), le Fonds des
Communes et le Fonds des Provinces, ainsi que les programmes de
résorption du chômage et les cinq secteurs économiques qui
étaient restés nationaux. Il adopte alors aussi le principe du
transfert des compétences résiduaires vers les régions et
communautés et celui du vote direct et distinct des conseils
régionaux. En janvier 1989, il participe enfin au vote de la loi
communautarisant l'enseignement et son financement. Une nouvelle
étape dans la réforme de l’État est franchie, les entités
fédérées obtenant un large accroissement de compétences et une
augmentation des budgets, Bruxelles étant reconnue comme
Région-Capitale. Convaincu que l’avancée aurait pu être plus
forte encore, Jean Mottard accepte avec une certaine résignation
une solution provisoire pour Fourons ; moyennant une série de
compensations améliorant la vie des Fouronnais, Nico Droeven est
nommé bourgmestre, tandis que José Happart accepte un mandat de
premier échevin (accord dit de la Saints-Innocents, 28 décembre
1988).

Et dans l’atmosphère pesante qui règne alors au PS, entre ceux
qui ont accepté la participation au gouvernement et ceux qui
l’ont refusée, Jean Mottard s’essaye à nouveau au rôle de
conciliateur, dénonçant la chasse aux sorcières faite aux
opposants de mai ’88 (Dehousse, Happart, Van Cauwenberghe) par
les partisans d’André Cools. Rappelant que le droit de tendance
fait partie du débat démocratique, il stigmatise aussi les excès
verbaux des « contestataires » et réclame la fin du clanisme
dans l’intérêt général du parti socialiste. Ce rôle d’entre deux
ne plaît cependant pas. Ayant assisté impuissant à un important
renouvellement des membres du Conseil d'administration de l’asbl
en 1990, il pressent un entrisme de la Fédération liégeoise du
PS, et proclame vouloir maintenir autant que possible
l’indépendance des journalistes ; un an plus tard, il est
remplacé à la présidence de RTC par Maurice Demolin, provoquant
même la réaction offusquée de Jean Gol. Défenestré, Jean Mottard
dénonce un accord PS-PSC et refuse le titre honorifique de
président d’honneur (juillet 1991). En juin 1992, non sans
surprise…, il retrouve la présidence de RTC, s’imposant d’une
seule voix au candidat officiel de la Fédération du PS, soutenu
par le PSC. C’est sous sa présidence qu’est décidé le
déménagement des locaux de RTC dans le quartier du Laveu.
Atteint par la limite d’âge fixée par le parti, Jean Mottard ne
se représente pas au scrutin de novembre 1991. Toutefois,
réanimant le Rassemblement populaire wallon et ses centaines de
sympathisants, il encourage tous ceux qui avaient voté pour lui
en 1987 (5.915 voix de préférence) à soutenir le candidat
Jean-Maurice Dehousse, relégué au septième rang de la liste PS à
la Chambre.
Au-delà de ce rapprochement entre le groupe Perron et le RPW,
Jean Mottard reprend alors ses activités d’avocat, anime le
« Club Rencontres », tout en continuant à veiller avec attention
à la manière dont est menée la politique culturelle liégeoise,
ainsi qu’n se préoccupant de la préservation du patrimoine
liégeois (hôtel de Soër de Solières, Tour cybernétique de
Nicolas Schöffer, Musée du Verre, imprimerie Bénard-Bâtiment
Jaspar, implantation du théâtre de la Place, etc.). En novembre
1992, il est le seul membre de la Commission de la Culture qu’il
préside à s’opposer à la fermeture provisoire du Musée de l’Art
wallon pour y installer l’exposition d’une association privée,
et consacrée à « Tout Simenon ». Jusqu’aux élections d’octobre
1994, où il ne se présente plus, le conseiller socialiste
multipliera les demandes d’explication auprès de l’échevin de la
Culture Hector Magotte, se défiant notamment d’un projet de
musée de la Chine. Renonçant à présenter une liste dissidente
socialiste sous le nom de « Liège 94 » aux communales de 1994,
Jean Mottard conserve la présidence de RTC jusqu’en juin 1996.
Il s’agit de son dernier mandat, mais non dans son dernier
combat, l’avocat demeurant attentif aux enjeux culturels et
wallons.
Son amour du théâtre se mêlera à son action wallonne.
Farouchement indépendant, homme de culture et d’esprit,
humaniste appartenant à la gauche tolérante, Jean Mottard est le
fondateur, avec la fille de Jean Rey, du théâtre de l’Étuve au
tout début des années ’50. De cette scène coincée dans une
petite cave (ancien mûrissoir de bananes), sortiront des
personnalités comme Georges Koonen, Dolly Damoiseau, Anne Marev,
Jo Rensonnet, Michel Franssen, etc., qui feront carrière la RTB.
Jean Mottard organise aussi des expositions de peintures. Il n’a
alors que 25 ans et termine ses études de droit à l’Université
de Liège. Plus tard, lassé de constater que les meilleurs
comédiens formés à l’Étuve partent pour Bruxelles, Jean Mottard
travaille à la création d’une compagnie professionnelle, le
Centre dramatique de Liège, et à sa reconnaissance comme
établissement d’utilité publique au service de la culture
française en Wallonie. Son objectif est de décentraliser des
lieux permanents de culture dans divers lieux de Wallonie que ce
soient les théâtres ou les services de radio ou de télévision
(1971). Il prend d’ailleurs une part active dans la création des
festivals de Stavelot et préside Radio-Télévision Culture, asbl
chargée par la Communauté française d’une expérience de
télévision locale en région liégeoise (1977).
Avocat de la Maison de la Presse de Liège, président-fondateur
des Amitiés Wallonie-Québec, Jean Mottard était un idéaliste
généreux qui a servi avec conviction la Wallonie et la Culture à
Liège. Jean Mottard nourrissait deux nostalgies : celle d’André
Renard (s’il n’était pas mort si vite, la Wallonie eut été
tout autre…) et celle d’un Parti wallon indépendant.
Néanmoins, il affirmait que le Mouvement wallon ne pourra
progresser qu’au sein des structures du plus important parti
politique wallon, à ses yeux, le Parti socialiste.
Paul Delforge |