Fils d’un syndicaliste actif et petit fils d’un des fondateurs
de la Maison du Peuple de Marcinelle, Robert Moreau est âgé de
14 ans quand il commence à travailler comme garçon de course aux
ACEC de Charleroi, ce qui ne l’empêche pas d’obtenir, aux cours
du soir, un diplôme de dessinateur électricien, puis de se
perfectionner à l’Université du Travail de Charleroi. Chômeur
pendant la crise du début des années trente, mineur, ouvrier
cuiseur d’émaux, il rentre aux ACEC en 1937 ; il obtient alors
un emploi au bureau de dessin qui répond à sa formation. Dès ses
débuts professionnels, il mène une action syndicale ; secrétaire
d’une section locale de métallurgistes alors qu’il n’a que 17
ans (Syndicat des métallurgistes de Thiméon – 1932), il
n’arrêtera pas d’assumer des responsabilités toujours plus
importantes. Mêlé à la politique, il participe aux actions des
Jeunes Gardes socialistes (1930-1935).
En 1943, délégué syndical et employé clandestin aux ACEC, Robert
Moreau adhère au Mouvement syndical unifié d’André Renard,
mouvement alors clandestin et il déclenche, aux ACEC, la grève
des employés contre la déportation. En avril 1945, il devient
permanent syndical. À partir de 1947, il est secrétaire régional
FGTB à Charleroi, puis, de 1957 à 1962, secrétaire provincial du
Hainaut. En 1952, au départ du secrétaire général de la FGTB
Paul Finet, il propose que la FGTB nationale dispose d’une
double direction, wallonne et flamande. L’idée est repoussée.
Néanmoins, désigné comme secrétaire national adjoint à André
Renard en 1954, Robert Moreau représente, dans les faits, la
Wallonie auprès de la direction de la fédération syndicale.
Républicain et opposé à la politique menée par Léopold III,
Robert Moreau prend une part active dans le mouvement de
protestation déclenché en juillet 1950. Dès cette époque, Robert
Moreau apparaît comme l’un des premiers syndicalistes qui
prennent conscience de la problématique wallonne et surtout
essayent d’intégrer la dimension wallonne à l’action ouvrière.
Dans l’Action, édition namuroise et hennuyère de
Germinal, Robert Moreau publie, en 1953, un article intitulé
Wallons, debout !, qui est repris par Wallonie libre
de septembre. Il y défend le principe du fédéralisme et attire
l’attention sur l’émergence de la prise de conscience du peuple
wallon. Au sein de la FGTB, il sent le besoin d’apporter des
réformes permettant à l’aile wallonne d’être moins dépendante de
Bruxelles et de la Flandre. Au nom de la régionale FGTB de
Charleroi, en vue du congrès de la FGTB nationale des 14-15-16
novembre 1953, Robert Moreau dépose et défend un projet dans ce
sens. Sans succès.
En pleine crise du charbon (1959), lors d’un rassemblement à
Quaregnon, il déclare que la menace qui pèse, de manière
inéluctable sur le Borinage, vise en réalité toute la Wallonie.
De novembre 1960 à mars 1961, c’est-à-dire pendant toute la
durée du mouvement contre la Loi unique, Moreau assume le
secrétariat du Comité des Régionales wallonnes de la FGTB qu’il
a appelé de ses vœux. Début mars 1961, il démissionne une
première fois de son mandat national à la FGTB, à la suite
d’André Renard et d’André Genot ; à la demande de sections du
Hainaut, il reprend son poste en posant deux conditions ;
celles-ci n’étant pas rencontrées début avril, il démissionne
définitivement, et devient secrétaire du groupe syndical du
Mouvement populaire wallon (avril 1961-décembre 1963) et
s’occupe aussi du secrétariat du mouvement dans la région de
Charleroi (novembre 1962). En fait, il est chargé par André
Renard de l’organisation du Mouvement populaire wallon naissant,
dont il est membre du conseil général depuis sa fondation.
Signataire du manifeste du Mouvement populaire wallon (mars
1961), il en défend les deux principales revendications :
fédéralisme et réformes de structure. Président de la section de
Marcinelle (1961-1964), il dénonce l’intolérable déportation
dont l’économie du Hainaut est victime.

Étant l’un des quatre vice-présidents du Comité d’Action
wallonne de Charleroi (1962-1964), où il représente le MPW,
Robert Moreau participe notamment à l’organisation du Congrès
d’Action wallonne, qui se tient à Namur le 23 mars 1963,
contribue à l’organisation de l’importante manifestation du 26
mai 1963, à Charleroi. Après la disparition subite d’André
Renard, de sérieuses divergences de vue paraissent séparer André
Genot et Robert Moreau, les deux bras droits du leader wallon.
La plus importante concernerait la transformation du Mouvement
populaire wallon en un parti politique. André Genot affirme sa
totale hostilité à cette idée tandis que Robert Moreau, dès
septembre 1963, réunit des représentants du Mouvement populaire
wallon et de Rénovation wallonne pour former le Front d’Action
wallonne de Marcinelle. Ce groupement politique a comme objectif
la conquête du fédéralisme, seul capable d’assurer à la
Wallonie l’expansion économique et le progrès social, dans la
liberté et la vraie démocratie. Maurice Verschoren préside
le Front d’Action wallonne dont Oscar Delbart et Robert Moreau
sont les vice-présidents. Déjà, au moment de la constitution du
Collège exécutif de Wallonie, on remarque que Robert Moreau
apparaît comme membre suppléant de Victor Van Michel et donc
comme représentant du Parti d’Unité wallonne et non comme le
représentant du Mouvement populaire wallon.
Président de la section de Marcinelle du Parti socialiste belge
de 1945 à 1953, membre de ce parti depuis 1932, Robert Moreau
démissionne en janvier 1964 lorsqu’il fonde le Front wallon pour
l’Unité et la Liberté de la Wallonie. Il crée ce parti sur base
du Front d’Action wallonne de Marcinelle et après avoir noué des
contacts avec le Parti d’Unité wallonne de Victor Van Michel. Il
est encouragé dans sa démarche par le résultat du pétitionnement
organisé durant l’automne 1963 par le Collège exécutif de
Wallonie. En janvier 1964, Robert Moreau démissionne aussi de
ses fonctions au Mouvement populaire wallon. Il a résolument
opté pour l’action wallonne sur le seul plan politique.
Représentant de Charleroi à la première réunion du conseil
général provisoire du Front wallon pour l’Unité et la Liberté de
la Wallonie (Namur, 16 janvier 1964), il participe ensuite à
l’assemblée constitutive (Charleroi, 19 janvier) qui adopte la
Déclaration de principes et crée quatre groupes de
travail chargés d’élaborer les rapports à soumettre au premier
congrès statutaire du Front wallon auquel il participe aussi
(Charleroi, 12 avril 1964). Il est chargé de rédiger le
programme économique, social et culturel du parti. Élu
secrétaire général, Robert Moreau est aussi le président de la
fédération de Charleroi (avril). Membre fondateur de la société
coopérative Renaissance wallonne (décembre 1964), il figure
comme tête de liste du Front wallon, à Charleroi, lors des
élections législatives du 23 mai 1965. Dans la mesure où le
pétitionnement n’a pas été pris en considération, il exhorte les
Wallons à s’emparer des élections légales pour montrer de quel
poids la Wallonie peut peser dans l’État belge. Son programme
s’articule alors autour de quatre axes : fédéralisme ; réformes
de structure économiques, sociales et culturelles ;
referendum ; retour des Fourons en province de Liège. Au
soir du 23 mai, Robert Moreau est député. Avec François Perin à
Liège, les listes wallonnes remportent ainsi leur tout premier
succès électoral. Robert Moreau conservera ce mandat jusqu’en
1981.
En juin 1965, lors du congrès de fusion du Parti wallon des
Travailleurs et du Front wallon, Robert Moreau est désigné comme
secrétaire général du nouveau Parti wallon. Président de la
fédération de Charleroi dès sa constitution en novembre 1965, le
député wallon est l’une des deux locomotives du Parti wallon.
S’appuyant sur un travail en profondeur, il intervient très
souvent à la tribune de la Chambre : opposition au bilinguisme
généralisé, défense des populations fouronnaises, opposition à
la présence de l’OTAN en Wallonie, défense de la sidérurgie et
des mines, développement d’un plan de reconversion, etc. Lors du
premier congrès statutaire du Parti wallon, il définit la ligne
économique, sociale et culturelle du PW : développement d’une
infrastructure permettant à la Wallonie d’être en contact avec
Paris et avec la Ruhr ; plan de reconversion économique ;
économie dans la sécurité sociale ; établissement d’un statut de
la condition féminine ; défense des pensions des victimes de
guerre ; opposition au bilinguisme obligatoire et concrétisation
rapide de l’autonomie culturelle. Quant à la question de
Louvain, Robert Moreau estime que le transfert de la section
française en Wallonie est inéluctable et qu’il ne pourra que
revivifier la région où elle s’implantera. Il estime que la
Wallonie doit saisir cette occasion unique de créer un centre
universitaire catholique
Par la suite, Moreau fait évoluer le Parti wallon vers le
Rassemblement wallon dont il est l’un des fondateurs (7 mars
1968). Secrétaire général du Rassemblement wallon, il est l’un
des ténors d’un parti qui, progressivement, fait du fédéralisme
intégral sa doctrine politique. Rapporteur général à divers
congrès, Robert Moreau continue d’accomplir un travail
parlementaire important. Ses interpellations, nombreuses,
portent notamment sur les questions culturelles (projet
culturel, infrastructures sportives, démocratisation des études,
collaboration avec la francophonie, etc.), les questions
économiques et sociales (statut de la femme, temps de travail,
droits sociaux à inscrire dans la constitution), sa thématique
favorite restant les questions de maladie-invalidité et la
politique générale de la santé. En avril 1972, il présente un
nouveau schéma d’organisation de la Belgique dans lequel les
autonomies culturelle et régionale sont effectives, de grandes
villes sont créées en Wallonie (par des fusions de communes) et
où une véritable déconcentration s’opère. Représentant du
Rassemblement wallon au Conseil culturel de la Communauté
française, il en critique le fonctionnement et propose, en
quinze points, une vraie politique culturelle pour la Wallonie
(1972). Dénonçant les gaspillages financiers de l’appareil
d’État ainsi que les nominations politiques et partisanes,
soucieux d’un redéploiement économique véritable pour la
Wallonie, Robert Moreau met aussi l’accent sur la nécessité
d’une réelle initiative industrielle publique (février 1974).

Président de la régionale de Charleroi (1968-1980), président
fédéral intérimaire (juin-octobre 1974) lorsque François Perin
devient ministre, Robert Moreau est appelé à son tour à exercer
des fonctions ministérielles d’octobre 1974 à 1977. Ses
attributions sont spécifiquement wallonnes, à savoir le
secrétariat d’État aux Affaires sociales wallonnes (du 4 octobre
1974 au 8 décembre 1976) puis le ministère des Pensions et des
Affaires sociales wallonnes (du 8 décembre 1976 au 3 avril
1977). Il fait ainsi partie du tout premier Comité ministériel
régional pour la Wallonie (octobre 1974-1977), sorte de premier
Exécutif wallon officiel, créé à l’initiative du Rassemblement
wallon, via la loi Perin-Vandekerkhove. Ministre, Robert Moreau
abandonne la présidence du Rassemblement wallon à Paul-Henry
Gendebien et se donne comme objectif d’organiser la
régionalisation et le regroupement en une seule administration
wallonne des matières suivantes : famille et démographie,
hygiène et santé publique, emploi et accueil.
En 1975, alors qu’il souhaite que l’on ne s’enfonce pas dans la
régionalisation provisoire, Robert Moreau et le sénateur
bruxellois de la VU, Lode Claes, élaborent ensemble un
projet complet pour régler le contentieux communautaire. Ce
texte n’aura pas de suites concrètes immédiates. Persévérant
dans son combat en faveur de la reconnaissance définitive de la
Wallonie, multipliant les contacts discrets, les rencontres, les
plans et les projets, Robert Moreau aboutira aux accords Leysen-Moreau.
Le poids du CVP aura cependant raison de ses efforts. Toujours
durant son mandat, le ministre Moreau multipliera les
initiatives afin de rencontrer d’autres préoccupations
wallonnes. C’est ainsi qu’il demandera une étude sur la
démographie wallonne à l’Université de Louvain afin d’orienter
sa politique (rapport POLIWA). Il augmentera le budget de l’aide
familiale et de la santé publique, budget régionalisé. Il
répétera souvent sa proposition de décentralisation de
départements régionalisés : économie régionale à Liège,
institutions politiques à Namur, affaires culturelles à Mons,
affaires sociales wallonnes à Charleroi. Il s’agissait là
d’accélérer la décentralisation et de ramener des milliers
d’emplois en Wallonie.
Au moment où le Rassemblement wallon se partage entre partisans
du président Gendebien et sécessionnistes libéraux, Robert
Moreau demeure un des piliers du Rassemblement wallon dit
originel et apporte son soutien inconditionnel au manifeste
publié durant l’automne 1976. Éditeur responsable de L’État
wallon (1978-1979), il redevient, à Charleroi, l’un des
principaux animateurs du parti wallon. Les programmes de la CSC
wallonne et de l’Interrégionale wallonne de la FGTB lui font
espérer la concrétisation des revendications qu’il porte depuis
longtemps : fédéralisme et réformes de structure. La chute du
gouvernement Tindemans ruine cependant ses espoirs. Il avait
aussi introduit un avant-projet de charte wallonne et
l’inscription de nouveaux droits dans la Constitution.
Par ailleurs, les relations entre Moreau et certains dirigeants
du Rassemblement wallon se détériorent. Le 14 juillet 1980, dans
une tribune libre accordée à La Nouvelle Gazette, il se
prononce en faveur de l’autodétermination, une autodétermination
qui n’est possible que s’il se trouve une majorité politique
pour l’accepter. En égratignant P-H. Gendebien, il rejette
purement et simplement l’option indépendantiste qui se développe
au sein du parti : L’indépendance est la voie du néant.
Rappelé à l’ordre par Henri Mordant qui donne l’exacte
définition du terme autodétermination, Robert Moreau démissionne
de la présidence de la régionale de Charleroi du RW, dans le
souci de préserver l’unité du parti, puis cesse toute
affiliation au Rassemblement wallon, le 12 octobre 1981.
Quelques mois plus tard, il rallie le Parti socialiste.
Lors du congrès constitutif de Wallonie
Région d’Europe, Robert Moreau apporte sa caution à la naissance
du nouveau mouvement wallon (Namur, 25 septembre 1986). Par
ailleurs, auteur de plusieurs ouvrages sur le Mouvement wallon
et sur son action militante, Robert Moreau défend l’idée d’un
projet de Constitution wallonne, qu’il initie au sein de
l’Institut Jules Destrée.
Paul
Delforge |