Docteur en philosophie et lettres de l’Université de Liège où il
se revendique comme un élève de Godefroid Kurth, Henri Henquinez
est professeur à l’École des Hautes Études de Liège quand la
Première Guerre mondiale éclate. Ancien élève de la faculté des
lettres et de la faculté de droit de Paris, historien de
formation, directeur de la Revue belge d’exportation,
Henri Henquinez est l’auteur d’une étude sur Les origines de
Huy et notre plus ancienne charte de liberté. Introduction à
l’histoire de la constitution de Huy. D’après Félix Rousseau, il
n’était pas pris au sérieux dans le milieu des historiens et
s’occupait d’un commerce de cigarettes lorsqu’il fut nommé
secrétaire général du ministère wallon des Sciences et des Arts,
en janvier 1918.
Comme à son habitude, Félix Rousseau est bien informé. Henquinez
tient en effet une boutique de bijoux et de cigarettes, le
comptoir central, lorsque les Allemands prennent l’initiative de
la séparation administrative en mars 1917. Il est aussi
écrivain, publiciste et conférencier. Ses quelques essais
littéraires et ses articles consacrés à la Wallonie ont été
remarqués par ses contemporains, voire peut-être par quelques
Allemands… En 1917, Henquinez signe l’introduction d’un ouvrage
de Giorgio Molli (Le destin de l’Angleterre) où, à partir
de communiqués officiels allemands, l’auteur montre que le
monopole maritime anglais sera brisé par les sous-marins
allemands…
Entré en relation avec des Allemands, Henquinez s’installe à
Namur, en janvier 1918, où il accepte de recruter des
fonctionnaires supérieurs pour les administrations wallonnes et,
par sa présence, permet le paiement des traitements du personnel
resté en fonction. Parce qu’il appartient au courant catholique
et qu’il marque de l’intérêt pour la question wallonne,
Henquinez semble être l’interlocuteur complémentaire et idéal
pour l’occupant. Comme Oscar Colson et Franz Foulon, Henquinez
semble prêt à s’accommoder de la situation imposée par les
Allemands et à faire en sorte de préserver les intérêts wallons.
Henquinez est nommé Secrétaire général et Directeur du
Département des Sciences et des Lettres.
Invité par Oscar Colson, son collègue au ministère, à signer le
manifeste Au Peuple de Wallonie, Henri Henquinez devient
membre du Comité de Défense de la Wallonie. Partisan de
l’émancipation politique de la Wallonie dans le cadre de la
Belgique, il entend poser la question wallonne sur le plan
international et défendre les intérêts wallons face au danger
qu’il identifie venir du Raad van Vlaanderen et des
indépendantistes flamands. Lors d’une conférence organisée par
le Comité de Défense de la Wallonie, Henquinez précise la
nécessité, pour la Belgique indépendante de demain, de
s’organiser, non en fédération d’États comme le proposent les
Jeunes-Flamands, mais en État fédératif. La Suisse est, à ses
yeux, le modèle à suivre.

Dans un éditorial de L’Information du 28 mai 1918,
Henquinez précise « son » fédéralisme : autonomie administrative
et linguistique pour la Flandre et la Wallonie, tout en
maintenant l’indispensable unité commerciale et industrielle de
la Belgique.
Par ses articles dans l’Écho de Sambre et Meuse, dans
L’Information et dans L’Avenir wallon, Henquinez
multiplie les prises de position en faveur d’une Belgique
fédérale où la Wallonie disposerait de larges compétences. Si
l’on ne peut pas nier que de telles idées expriment ses
convictions les plus profondes, force est de constater qu’elles
correspondent parfaitement aux intentions politiques des
Allemands en 1918.
Établir un système fédéral entre Wallons et Flamands présuppose
un dialogue entre les deux. Par voie de presse, Henri Henquinez
tente de jeter des ponts avec le Mouvement flamand, quitte à
inviter un représentant du Raad van Vlaanderen pour une
conférence au casino de Namur. D’autres conférences y ont déjà
eu lieu et Henquinez semble avoir pris l’habitude d’introduire
les orateurs. Le 18 juin 1918, Emiel ver Hees évoque La
Flandre et la Wallonie au point de vue économique, mais s’en
tiendra là, refusant toute discussion politique. Le dialogue ne
peut être qu’impossible dès le moment où Henri Henquinez
revendique un régime bilingue pour tout l’arrondissement de
Bruxelles, considérée comme ville exclusivement flamande par le
Raad van Vlaanderen. Vraisemblable signataire du second
manifeste wallon (5 juillet 1918), Henquinez dénonce tout projet
en faveur d’une République wallonne ou d’un Grand-duché de
Wallonie. Souhaitant une Belgique rétablie sous une forme
nouvelle ainsi qu’une certaine autonomie accordée aux deux
peuples frères, il accepte de reconnaître que sa revendication
fédéraliste est peut-être inopportune mais souligne qu’il n’est
pas responsable des circonstances. À la veille du 21
juillet 1918, Henquinez adresse une lettre ouverte au roi Albert
dans laquelle il se réjouit et remercie le roi d’avoir constitué
une Commission, en dehors du territoire belge, chargée d’étudier
la question wallo-flamande, le système électoral et la révision
éventuelle de la Constitution. Il s’agit là « de l’esquisse d’un
programme destiné à assurer aux Flamands et aux Wallons
l’autonomie administrative qui cimentera la paix de demain ».
Dans un autre article, Henquinez trouvera en W. Wilson, le
président américain, le père de la séparation administrative
belge.
Chef de la propagande politique dirigée par les Allemands,
éditorialiste et responsable politique du journal L’Écho de
Sambre et Meuse, tout cela subsidié par les Allemands,
Henquinez est affublé de nombreux titres par quelques témoins
qui déposeront après guerre devant le juge d’instruction. Même
si l’adage veut que l’on ne prête qu’aux riches, aucun document
n’a été retrouvé prouvant ces affirmations. Néanmoins, en
novembre 1918, Henquinez a préféré quitter Namur.

Après un passage par Bruxelles, où il devait régler « ses
affaires commerciales », Henquinez gagne l’Allemagne, puis se
rend à Kreuxlingen, en Suisse. Par l’intermédiaire de la
« Commission internationale pour la défense des intérêts wallons
en Belgique et à l’étranger », Henquinez veut prendre la défense
des fonctionnaires démis par le gouvernement belge. Sans grand
succès. Avec Oscar Colson, lui aussi exilé, il écrit et publie,
en 1922, leur acte de défense sous la forme d’une brochure
intitulée L’Unionisme wallon pendant l’occupation allemande
en Belgique (1917-1918).
Lors du procès dit des « ministères wallons » qui se tient à
Namur en décembre 1919, Henri Henquinez figure parmi les
inculpés absents et en fuite. Dans son acte d’accusation,
l’avocat général le considère comme l’un des huit
« politiques ». Jugé par contumace, il est condamné à vingt ans
de travaux forcés. Inconnu
du Mouvement wallon avant guerre, Henquinez semble n’être jamais
rentré au pays. Pourtant, sa foi dans un fédéralisme belge est
demeurée intacte si l’on en croit un très long article
qu’il publie en 1924 dans la Revue de Genève et intitulé
Flandre et Wallonie.
Il y montre l’importance stratégique de la Belgique et évoque en
détail la question linguistique. Observant qu’une solution
simple consisterait à une administration séparée de la Flandre
et de la Wallonie, il souligne que le conflit oppose moins
Flamands et Wallons que ceux-ci au pouvoir centralisateur
bruxellois. Celui-ci s’appuie tantôt sur l’un, tantôt sur
l’autre pour imposer sa volonté directrice aux deux. Dans un
pays dont le modèle institutionnel est le système français
jacobin, en tous points semblables, il était impossible qu’un
tel système puisse s’appliquer harmonieusement à deux peuples
aussi différents que les Wallons et les Flamands. Se référant à
Maurice Wilmotte et à Godefroid Kurth, Henquinez explique que
l’avènement au XIXe siècle tant de la démocratie que
du phénomène des nationalités a permis l’émergence du Mouvement
flamand, scellant la fin de la Belgique unitaire. Ce mouvement
d’émancipation a cependant été confisqué par le parti
catholique, regrette Henquinez qui évoque brièvement le
Mouvement wallon en le faisant remonter à 1912. Il résume
l’activisme flamand des années de guerre avant d’évoquer
brièvement ce qu’il appelle la réaction wallonne. « Grâce aux
fonctionnaires wallons, la Wallonie a réussi à passer la guerre
dans les meilleures conditions » ; de plus, le manifeste Au
Peuple de Wallonie pensait l’avenir de la région dans les
mêmes termes que ceux employés à la même époque dans la presse
wallonne de Paris. Après avoir montré que le programme flamand
trouve à s’appliquer au Parlement belge dès l’Armistice signé,
Henquinez constate que la Wallonie est ainsi menacée et que la
seule solution de la question belge est l’application urgente
d’une formule fédéraliste, à trois composantes.
Paul Delforge
– Jean-Pierre Delhaye
Paul Delforge,
La Wallonie et la Première Guerre mondiale. Pour une histoire de
la séparation administrative, Namur, Institut Destrée, 2008 |