En avril 2000,
le professeur Jacques Lesourne, l'un des pères de la prospective française,
me dédicaçait son livre Un homme de notre siècle [
en formulant de sa plume des vœux de réussite pour le développement de la
prospective wallonne. Le fondateur de la chaire de prospective
industrielle au Conservatoire national des Arts et Métiers à Paris donnait,
par ces quelques mots, consistance à une idée en développement [.
Sa
concrétisation a permis de rassembler, quatre ans plus tard, un grand nombre
d'acteurs du développement régional, à différents niveaux, accueillis dans les
locaux du CESRW, avec le soutien de la SRIW et de la Sowalfin.
Le travail de
réflexion dans lequel de nombreux acteurs se sont investis, en 1999 et 2000, a
consisté en un effort de compréhension commun de l'évaluation, d'abord, de la
prospective, ensuite. Ce fut un travail d'intelligence collective assez
remarquable de conceptualisation et d'appropriation. Il s'agissait de l'acte
II de notre décision de passage à l'action, dans le prolongement du congrès
Evaluation, innovation, prospective, tenu à Mons en octobre 1998. L'acte I
avait, lui, porté sur la contractualisation des politiques publiques
régionales et territoriales.
En quatre ans,
la définition de la prospective que nous y avions dégagée et que nous avons
inscrite dans la charte de la Société wallonne de l'Evaluation et de la
prospective n'a pas vieilli [.
Dès lors, partant de ce texte fondateur pour la Wallonie, nous allons
reconsidérer ici la prospective selon trois axes :

1. La
prospective : une démarche rigoureuse et une méthode critique
La prospective
est une démarche rigoureuse qui permet de déceler les tendances d'évolution,
d'identifier les continuités, les ruptures et les bifurcations des variables
de l'environnement, ainsi que de déterminer l'éventail des futurs possibles.
Démarche
rigoureuse, méthode critique. L'historien que je reste est à l'aise dans la
conception d'une discipline qui, à l'instar de l'histoire mais à l'inverse de
quelques autres approches, a réussi à faire la part des choses d'un
positivisme à tout crin, relent d'un XIXème siècle d'illusions et de
certitudes, qui masque difficilement des légitimités postulées et des tours
d'ivoire fissurées par l'évolution du XXème siècle. Que dire enfin de la
vitesse de transfert des savoirs et des idées, par l'école, l'université, la
presse ? Pendant combien de temps après les explosions d'Hiroshima et de
Nagasaki n'a-t-on continué à enseigner que l'atome était insécable [4]
? De même, la construction de l'Europe était bien engagée alors que nos
manuels scolaires nous parlaient encore, ici en Wallonie, d'une Allemagne
orgueilleuse et belliqueuse [,
mots dont les jeunes élèves allaient mettre des décennies à .se défaire, pour
autant qu'ils y parviennent jamais.
De même que
l'histoire, la prospective n'est pas une science. La futurologie, qualifiée en
1949 de nouvelle science –
futurology – n'a guère
survécu à l'article de son fondateur Ossip Flechtheim, publié voici plus de
cinquante ans [6].
Ces considérations n'empêchent nullement la rigueur méthodologique et le
sérieux des Futures Studies de part le monde, la qualité de ses revues
chez les plus grands éditeurs scientifiques, l'existence de cours et de
chaires de prospective dans les meilleures universités, ni l'organisation
d'écoles doctorales, à Paris, à Rome, à Houston, à Turku, ou à Brisbane en
Australie, pour ne citer que les plus réputées.
La prospective
n'est pas donc pas la science de l'avenir. Son objet n'est pas de prévoir,
mais bien de mener à l'action. Ainsi, prévision et prospective ne jouent pas
dans le même registre. Dans un livre important, intitulé Crise de la
prévision, essor de la prospective [,
qui était en réalité sa thèse de doctorat, Michel Godet a montré dès 1976 que
les conditions d'évolution du monde nécessitaient la mise au point d'outils
qui lui paraissaient plus adaptés à la compréhension des changements accélérés
de la période contemporaine. Nous étions à l'époque d'Interfuturs, cet
exercice-phare, lancé à l'initiative de la délégation japonaise de l'OCDE et
dirigé par Jacques Lesourne. Exercice réalisé dans le contexte d'un monde
déboussolé par l'évolution des paramètres économiques et interpellé par le
rapport Meadows sur les limites de la croissance, porté par le Club de Rome
[.
Parcourir
l'étude Interfuturs aujourd'hui est édifiant. Intitulé Projet de recherches
sur l'évolution future des sociétés industrielles avancées en harmonie avec
celle des pays en voie de développement [,
il met en évidence la montée de l'interdépendance mondiale et les problèmes de
transition avec l'environnement physique, y compris climatique. Nous étions
alors en 1978. Ce rapport à lui seul, constitue un plaidoyer extraordinaire
pour l'intérêt et la pertinence de la prospective. Jacques Lesourne et son
équipe y notaient que l'une des difficultés auxquelles ont à faire face les
gouvernements résulte de ce que les problèmes sont traités isolément sans que
soient suffisamment prises en compte les interdépendances, ou de ce que ces
problèmes sont uniquement considérés sous leurs aspects à court terme sans que
soient appréciés leurs implications à long terme [.
Alors que la
prévision postule les continuités – c'est la fameuse formule "toutes choses
restant égales par ailleurs" –, la prospective remet en cause les postulats et
part à la recherche des changements [.
Certes, on peut comprendre le point de vue de ceux qui considèrent que le
système est clair et figé, sans incertitude, sans question sur l'avenir,
pérenne. Lac gelé comme un miroir, qui fait la joie des modèles économétriques
!
Mais, ne soyons
pas dupes. Sous l'étiquette même de prospectives, se cachent aussi ce que
Philippe Mirenowicz dénonce comme étant des prospectives molles, qui ne
sont que des prévisions sectorielles, incapables d'appréhender les ruptures.
C'est encore le directeur général du Gerpa et conseiller scientifique à la
Datar qui note qu'il vaut mieux que les hommes se rencontrent plutôt que
les chiffres s'additionnent [.
En réalité, nous
savons – et Philippe Mirénowicz aussi – que nous avons à la fois besoin des
femmes, des hommes et des chiffres. Une bonne radiographie aussi quantitative
que qualitative du territoire est fondamentale. Celle-ci doit éviter les
effets réverbères que nous avait décrits Jean-François Stevens en 2000, en
citant le statisticien Andrew Young : certains utilisent la statistique
comme un ivrogne utilise un lampadaire, non pas pour s'éclairer mais pour
tenir debout [.
Certains indicateurs ont de grandes vertus : ils peuvent être déterminants
pour appréhender les questions-clefs, s'ils ont été bien conçus et compris. On
sait pourtant que le taux d'emploi est plus important que le taux de chômage
et que, pour le prospectiviste, le chiffre du solde migratoire est moins
pertinent que de savoir réellement qui rentre et qui sort du territoire.
Tous les acteurs
de la prospective en Wallonie ont des attentes réelles envers le nouvel
Institut wallon de l'Evaluation, de la Prospective et de la Statistique
(IWEPS). De sa capacité à anticiper les questions qui se posent sur le
territoire et à construire les outils de réponses adéquats, sur base de séries
longues, dépendra en bonne partie l'avenir de la prospective régionale. Tous
les observateurs sont impressionnés par la différence de niveau de qualité des
services français d'évaluation et de prospective ainsi que des INSEE régionaux
français en fonction des différentes régions. Tous, pourtant, ont la volonté
commune de constituer de vrais services au profit de la collectivité.
Relevons ainsi
que, derrière l'apparente indiscipline de la prospective, on trouve en fait
des démarches critiques, d'heuristique et d'analyses, ainsi que la maîtrise
d'outils parfois très élaborés qui peuvent constituer autant d'indicateurs de
la qualité de la démarche. Il existe une boîte à outils et une grammaire de la
prospective. L'utilisation de l'une comme de l'autre ne s'improvise pas. Elle
se prépare, s'étudie et nécessite des investissements en temps, en compétences
et en intelligences considérables.

2. Une
approche systémique et un apprentissage collectif
Nous avions
écrit en 2000 que la prospective était une démarche généralement réalisée
de façon transdisciplinaire et en réseau. Qu'elle permettait d'élaborer
des stratégies cohérentes et d'améliorer la qualité des décisions à prendre,
qu'elle est une des techniques nécessaires à la proactivité.
Ceux
d'entre-vous qui ont participé à nos travaux à cette époque se souviendront du
fait que j'avais bataillé ferme contre l'ajout du mot généralement,
devant réalisée de façon transdisciplinaire et en réseau. Ne pensez pas
que je sois en train de pinailler sur les mots
La prospective,
et nous l'avons écrit plus loin dans la charte de la SWEP, travaille selon une
démarche systémique, globale, holistique. Toujours. Elle peut, bien
évidemment, aborder des thématiques que l'on qualifierait de "sectorielle" :
l'emploi, les transports, l'agriculture, les technologies. Mais elle les
aborde de manière globale et transdisciplinaire, c'est-à-dire qu'elle ne
favorise pas un seul mode d'analyse, un seul champ de questionnement. Elle
croisera toujours l'ensemble de ses approches et fera appel à des ressources
multiples. L'apport de la prospective à la démographie, par exemple,
consistera à poser de nouvelles questions sur les concepts eux-mêmes et à les
mettre en discussion. Une famille en 1980, est-ce comparable à une famille en
1960, en 2000 et en 2020 ? Un emploi ? Une retraite ? Qu'est-ce que le
vieillissement ? Est-ce seulement une tranche d'âge ? Qu'est-ce qui vieillit
dans l'âge d'une personne ? Il y a cinq cents ans, le troisième âge commençait
à quarante ans. Qu'en sera-t-il dans un siècle ?
Ainsi, tout
comme Léon-E. Halkin le disait de l'histoire, la prospective n'appartient à
personne et elle est ouverte à tous ceux qui veulent mieux la connaître. La
coopération interdisciplinaire reste le meilleur antidote de l'exclusivisme en
même temps que le plus précieux atout du progrès scientifique
[.
La prospective
se fait en réseau. La formule est exacte mais le mot est faible. Il
nous faut dire plus largement qu'il s'agit d'une réflexion collective, qu'on
ne fait pas de prospective tout seul, ni à trois, ni à huit. Qu'on ne fait pas
de la prospective sans les acteurs. Pas de prospective d'entreprises possible
sans cadres d'entreprises, pas de prospective agricole sans agriculteurs, pas
de prospective de l'armée sans soldats. On connaît la formule de Michel Godet
: tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. De toute façon,
il est une règle de gouvernance fondamentale, c'est qu'aucune réforme ne
peut se faire sans l'adhésion de ceux qui sont concernés
[.
Dans une thèse
terminée en 2003 pour le CNAM et l'Université Louis Pasteur à Strasbourg,
Jean-Philippe Bootz propose de mesurer l'impact d'une démarche de prospective
sur l'apprentissage organisationnel selon deux critères :
– d'une part,
la visée et l'impact stratégiques, c'est-à-dire le fait que le travail
prospectif fait l'objet ou non d'un prolongement stratégique, sous forme
d'options ou d'actions stratégiques concrètes, d'un passage de
l'exploratoire au normatif ;
– d'autre
part, la diffusion et la mobilisation, c'est-à-dire la dissémination de la
démarche et des résultats au sein de l'organisation [.
La
discrimination par ces quatre critères permet une typologie des exercices de
prospective sur base de leurs résultats :
– la
prospective confidentielle : celle qui ne fait l'objet d'aucune diffusion et
qui n'a pas d'impact stratégique;
– la
prospective stratégique confidentielle, qui débouche sur des actions
stratégiques mais dont les résultats ne sont pas diffusés;
– la
prospective participative est celle qui fait l'objet d'une large
mobilisation et d'une large diffusion, mais n'a pas de répercussions
stratégiques;
– la
prospective stratégique participative est celle qui est à la fois prolongée
sous forme d'actions stratégiques et est largement diffusée dans
l'organisation [17]
.
La prospective
confidentielle est bien évidemment le cauchemar du bon prospectiviste. Pour
Jean-Philippe Bootz, elle est souvent majoritaire en France et elle jette le
discrédit sur la discipline [18].
Elle trouve souvent son origine dans la non appropriation de la démarche par
les responsables de l'organisation, ou du territoire, au plus haut niveau
décisionnel. La prospective stratégique participative est, pour ce chercheur,
le modèle accompli d'apprentissage organisationnel, car elle repose à la fois
sur des changements comportementaux et sur des changements cognitifs. Ce
modèle est donc le plus vertueux. En liant la réflexion prospective à la
stratégie et à la mobilisation, la prospective stratégique participative
réunit les trois éléments du triangle grec cher à Michel Godet : réflexion -
appropriation - action [19].
De même qu'il nous apparaît inconcevable que la prospective ne débouche pas
sur l'action, de même elle ne peut être menée autrement que de manière
collective.

3. Une pédagogie de l'action et une ouverture internationale
La participation
impose aussi un élément déterminant que nous avions sous-estimé en 2000 : la
pédagogie.
Ce n'est pas par
hasard que les participants à la démarche Wallonie 2020 ont placé la pédagogie
de l'action parmi les attentes des citoyens envers la sphère politique comme
contrepoids à la gouvernance qu'ils appellent de leurs voeux
[.
De même, notre surprise a été grande lors des premiers ateliers prospectifs
avec les grands chefs d'entreprises wallons : leurs attentes à notre égard
étaient aussi grandes que les nôtres à leur égard. Nous étions venus pour les
écouter parler du positionnement et de l'évolution de leur entreprise dans le
monde, ils voulaient que nous leur expliquions les grands changements.
La prospective,
c'est avant tout de la pédagogie. Il faut comprendre la complexité des choses
et essayer de les expliquer simplement. On retrouve l'idée de processus
cognitif collectif. La prospective a une dimension cognitive importante dès
lors que, par sa démarche, elle remet en cause les représentations des
différents acteurs [21].
Comme l'indique Michel Godet, c'est moins de nouvelles méthodes d'analyse
et de réflexion dont on a besoin pour comprendre le monde que de progrès dans
la pédagogique de l'explication. […] Pour que l'anticipation soit
vraiment mise au service de l'action, il faut sans doute qu'elle cesse d'être
un art réservé aux princes éclairés pour devenir l'affaire du plus grand
nombre [.
De même, Gaston
Berger nous enseigne que, au lieu de projeter vers l'avenir des structures
identiques ou analogues à celles que le passé nous révèle, il nous faut
pousser à fond l'analyse des phénomènes, parvenir aux réalités élémentaires et
voir quelles conséquences ces réalités peuvent entraîner si elles se trouvent
engagées dans des situations originales [23].
La prospective
doit être impertinente, bousculante, critique. Elle doit lutter contre les
idées reçues, confronter les regards subjectifs à la connaissance objective.
Elle doit être capable d'ouvrir la boîte de Pandore. Le travail du
prospectiviste n'a de sens que s'il peut modifier le regard, et le modifier
collectivement. La prospective sert à fabriquer des visions partagées et à
construire les trajectoires pour y mener. En construisant des visions
globales, en s'inscrivant dans la complexité et la systémique, la prospective
met en cause les représentations des individus car elle les dote d'une
capacité de recul par rapport à leur propre fonctionnement cognitif [24].
Dans le monde en
mutation accéléré qui est le nôtre, dans cet espace global, fragmenté et
incertain, on pourrait considérer qu'une Région apprenante serait, comme une
entreprise apprenante, un lieu où les personnes augmentent continuellement
leurs capacités à créer des résultats qu'ils désirent vraiment, où de nouveaux
modèles de pensées sont développés, où les aspirations collectives sont
encouragées et où les individus apprennent continuellement comment apprendre
ensemble [25].
Ainsi, le
prospectiviste doit être modeste. Tous ceux qui pratiquent l'exercice savent
qu'il suffit d'un grain de sable pour que la prospective manque son objectif.
Bien souvent, nous travaillons par essais et erreurs, ce qui constitue, avec
la formation et la rigueur méthodologique, l'un des axes de l'apprentissage.
Nous nous trompons parfois. Mais chaque fois, de ces erreurs, comme par effet
induit, des plus-values d'expériences et de coopérations plus pertinentes ont
découlé. L'échec et la dissolution d'euroProspective en constituent un exemple
éclairant.
Jusqu'en 1999,
la Wallonie a travaillé en vase assez clos, même si elle avait bénéficié des
apports du programme FAST (Riccardo Petrella, Jacques Berleur, Georges Thill,
etc.) et que la prospective française avait un peu percolé : Gaston Berger,
Pierre-Yves Portnoff, Thierry Gaudin, Claude Thélot, Michel Godet, Hugues de
Jouvenel, etc. Les Assises de la prospective, tenues en décembre 1999 à
l'Université Dauphine, ont ouvert les portes de l'Ecole française et de ses
connexions : l'IPTS à Séville, la Cellule de Prospective de la Commission
européenne (les travaux de Jérôme Vignon et de ses successeurs). Ces apports
européens se sont affaiblis avant de reprendre vigueur au travers des
initiatives de la Direction générale de la Recherche de la Commission
européenne, sous l'impulsion du Commissaire Philippe Busquin et de ses
collaborateurs, parmi lesquels Paraskevas Caracostas. Le mouvement de
convergence entre le Foresight anglo-saxon et la prospective française
constitue un vrai tonus pour la prospective européenne : les workshops se sont
multipliés depuis 2001 ‑ citons Dublin, Séville, Bruxelles et Ioanina ‑ tandis
que les groupes d'experts et les initiatives ont fleuri : FOREN, STRATA-ETAN,
Blueprints for Foresight Action in the Regions. Ces avancées sont
considérables pour la prospective, pour ses méthodes, mais aussi pour toutes
les régions européennes car elles constituent également un processus collectif
d'apprentissage. Elles confirment les concepts et principes méthodologiques
que nous avons rappelés.
De même, les
apports de l'espace mondial doivent être mentionnés : OCDE, World Futures
Society, World Futures Studies Federation et Millennium Project de
l'Université des Nations unies (American Council for United Nations
University) constituent des communautés de savoirs prospectifs fondamentaux,
tant pour les méthodes que pour les contenus.

Conclusion : les défis du futur et la part qu'y prendra
l'Institut Jules-Destrée
Malgré les
progrès réalisés, un groupe d'experts européens rassemblés par la DG Recherche
formulait, en 2002, les trois catégories de problèmes et de défis qui
attendent ceux qui, aujourd'hui, veulent faire de la prospective :
– les
problèmes et défis conceptuels : la distinction entre la prospective et
d'autres outils de planification, légitimation des résultats de la
prospective vis-à-vis du processus de décision démocratique, contribution de
la société civile, etc.;
– les
problèmes et défis méthodologiques : le choix des méthodes en fonction des
différents objectifs, intégration de diverses contributions en un message
cohérent, méthodes d'étalonnage et d'évaluation, etc.;
– les
problèmes et défis de mise en œuvre : manque de motivation parmi les
participants, manque de soutien et de moyens, poursuite du processus après
l'achèvement du projet initial et transférabilité des études de cas dans
d'autres régions ou contextes culturels [26].
En Wallonie, les
progrès développés ces dernières années peuvent encore s'accélérer, si nous
comprenons mieux ce qu'est la prospective et si nous y investissons davantage,
non en moyens, mais en compétences.
L'Institut
Jules-Destrée continuera à prendre sa part dans cet effort de renforcement des
compétences de la société wallonne dans le domaine de la prospective.
Il ne le fera
pas seulement au sein de son Pôle Prospective, il le fera au travers de ses
quatre Pôles : en matière de Recherche, en matière d'Information, en matière
de Prospective et en matière de Citoyenneté.
Cet effort se
construira suivant sept axes.
1. Dans le champ
de l'éducation permanente. Le séminaire de Choiseul organisé à Tournai
récemment par Citoyens d'Europe dont Présence et Action culturelles et
l'Université de Bordeaux, en collaboration avec l'IGEAT-ULB, dans le cadre du
programme européen SOCRATES, a bien exploré les axes de développement de la
participation citoyenne dans les territoires. Nous y avons valorisé la
prospective comme outil critique de construction citoyenne dans le champ de
l'éducation permanente, s'inscrivant bien dans le cadre du nouveau décret de
la Communauté française Wallonie-Bruxelles [.
2. C'est dans
cette logique d'éducation permanente que se lance le Collège wallon de
Prospective. Il trouve son origine dans la volonté du groupe des rapporteurs
de Wallonie 2020 de poursuivre le travail entamé. Le concept de "collège"
prend ici sa double signification. D'une part, il s'agira d'un lieu
d'apprentissage commun, ou plutôt de poursuite d'apprentissage, puisque la
plupart des rapporteurs ont à la fois été formés lors d'un séminaire
préparatoire à la démarche, ont participé à l'ensemble de deux ans de travaux
et oeuvrent actuellement à la mise en place du processus d'évaluation. D'autre
part, il s'agira, à partir de la société civile, de mobiliser le potentiel de
la prospective régionale, en construisant et en pilotant un programme
pluriannuel de prospective. Nous avons décidé de porter ce groupe à une
vingtaine de personnes avec lesquelles nous allons contractualiser pour cinq
ans, sur base de l'expérience qui a été menée en Poitou-Charentes.
3. Dans le
domaine de la recherche : l'Institut Jules-Destrée
devient un centre de recherche associé au Conservatoire national des Arts et
Métiers (Paris), et plus particulièrement au LIPSOR (Laboratoire
d'Investigation en Prospective, Stratégie et Organisation) et à la chaire de
Prospective industrielle (en Sciences de Gestion) du professeur Michel Godet
(ancienne chaire de Jacques Lesourne). La tradition du
CNAM, depuis sa fondation par la Convention en 1794, à l'initiative de l'abbé
Grégoire, est de se consacrer à l'enseignement des sciences neuves et
utiles. Il s'agit d'échanger des chercheurs, de participer à une dynamique
doctorale et d'engager des travaux communs. Un premier projet de travail a été
lancé sur la mémoire de la prospective et sur la diffusion des textes des
grands prospectivistes. Une collaboration s'est nouée sur ce programme auquel
ont adhéré le LIPSOR, Futuribles, l'OCDE, la DATAR et l'Institut
Jules-Destrée.
4. Les Chrétiens
avaient, voici près de deux mille ans, compris que la voie du succès sur le
long terme consiste à former des hommes et des femmes. L'accroissement des
compétences, le renforcement des connaissances prospectives, et donc la
formation sont essentiels pour la Wallonie. L'Institut Jules-Destrée et
Futuribles – qui dispose à la fois d'une excellente expérience de formation de
haut niveau et de partenariats – se sont associés pour proposer une offre de
formation spécifique, en amont des formations organisées à Paris, mais aussi
en décentralisant sur Namur ces formations, tout en ciblant les besoins. Un
premier séminaire sera organisé à Namur les 5 et 6 mai 2004. Il s'agira d'une
formation initiale proposée à un coût abordable.
5. L'Institut
Jules-Destrée poursuivra dès cette année le cycle de séminaires intitulé
Leçons et débats sur le futur, qui avait été lancé lors de la troisième
phase de Wallonie 2020 et a permis d'accueillir une dizaine d'experts parmi
lesquels Philippe Moati, Thierry Gaudin, Marc Van Keymeulen, Marc Luyckx-Ghisi,
André Lambert, Yves Hanin, Ghislain Géron, Pierre Pestieau, Gérard Fourez,
Georges Thill, Marcel Crahay, notamment. Rencontrer, écouter, dialoguer,
débattre avec des prospectivistes ou des experts de ce que l'on appelle les
"sciences régionales", est porteur de savoir, de créativité et de visions
systémiques et donc prospectives.
6. L'Institut
Jules-Destrée poursuivra le travail avec les jeunes, particulièrement dans les
écoles, en développant un programme pilote en ce sens, dans la lignée de ceux
menés en 2003 à l'Athénée de Soumagne, à l'Institut Félicien Rops à Namur et à
l'Institut supérieur professionnel de Nivelles. Former les jeunes à voir bien
et à voir loin est essentiel, pour eux-mêmes, d'abord, pour la société tout
entière ensuite.
7. L'Institut
Jules-Destrée renforcera sa capacité et sa disponibilité de centre de
ressources en prospective pour la Wallonie, l'aire de Bruxelles ainsi que pour
les régions frontalières. Il le fera en collaboration avec les centres de
recherches et d'actions des universités de Wallonie et de Bruxelles, mais
aussi de Lille et de Nancy. Répondre aux attentes en appui et en compétences
des opérateurs privés et fonctionnaires territoriaux au sens large est un défi
majeur pour l'Institut Jules-Destrée.
Pour tous les
axes de ce programme, nous lançons un appel aux partenariats : d'abord, bien
évidemment, au nouvel Institut wallon de l'Evaluation, de la Prospective et de
la Statistique créé au sein de l'Administration wallonne, mais aussi à la
Société wallonne de l'Evaluation et de la Prospective qui remplit avec
détermination son rôle de sensibilisation et de développement d'une culture de
l'évaluation et de la prospective.
L'enjeu est bien
celui que le Commissaire européen et administrateur de l'Institut
Jules-Destrée Philippe Busquin évoquait lors de notre rencontre de 2002 à
Seneffe : mettre en œuvre ensemble ces possibilités afin de se doter
d'outils et de démarches performantes qui nous permettront de construire notre
avenir sur des bases lucides et partagées par tous [28]
.
