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Evaluation, gestion démocratique et développement
régional
Journées d'étude, Charleroi, 3 mars 2000
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Le développement des
pratiques d'évaluation en France et en Europe (1)
Fabrice Hénard
consultant; cabinet MOUTERDE Consultants,
spécialisé en évaluation de politiques publiques et aide à la décision publique
I. Les pratiques en France
I.1. Rappel du cadrage
réglementaire
Après une période de Rationalisation des Choix Budgétaires (1970-1983),
qui a introduit les premières réflexions sur l'allocation efficace des moyens
budgétaires dans les politiques publiques, plusieurs étapes récentes ont marqué un
intérêt croissant des pouvoirs publics nationaux pour l'évaluation des politiques
publiques :
1989 : Rapport du parlementaire Viveret sur le renouveau du
service public : ce rapport introduit la notion de jugement de valeur. Evaluer une
politique, c'est porter un jugement sur sa valeur, et formuler de nouvelles interrogations
telles que : réussite ou échec de la politique ? possibilité de prise en compte
d'autres critères que les critères techniques ? que faire de ce jugement de valeur ?
22.01.1990 : Décret relatif à l'évaluation des politiques
publiques : l'évaluation est définie comme une comparaison entre les effets attendus
d'une politique et ses objectifs assignés. Le décret crée le Conseil Scientifique de
l'Evaluation.
9.12.93 : Circulaire ministérielle rendant obligatoire
l'évaluation dans les Contrats de Plan Etat-Région elle fixe les modalités
d'évaluation dans les CPER 1994-98, en orientant davantage l'objet des évaluations vers
la recherche de la pertinence des politiques publiques. Environ 6/10.000ème des crédits
d'Etat consacrés au CPER sont alloués aux évaluations, soit entre 1, 5 et 3 MF par
région (environ 50 MF pour l'ensemble des régions).
18.11.98 : Second décret relatif à l'évaluation des politiques
publiques. Le Conseil National de l'Evaluation remplace le CSE. Le CNE intègre les
collectivités locales qui sont parties prenantes de l'évaluation. Ce décret insiste
également sur la prise en compte dans les évaluations de l'efficacité et de
l'efficience. Adossé au Commissariat au Plan, le CNE effectue des évaluations selon un
programme annuel et peut conseiller les administrations.

I. 2. La pratique française de l'évaluation :
I. 2.1 Une pratique encore timide au niveau de l'administration
centrale :
Au niveau de l'administration centrale française, l'évaluation fait
encore figure d'exceptions, qui se déclinent de façons diverses. Plusieurs dispositifs
législatifs ou des politiques spécifiques font l'objet d'évaluation, par exemple : loi
sur le RMI, politique du logement, politique industrielle, etc. Dans certains secteurs,
l'évaluation commence à se systématiser et à produire des résultats intéressants
(emploi, éducation). Cependant, l'évaluation en administration centrale demeure limitée
et s'introduit difficilement dans l'action administrative ; sa visibilité reste faible.
Le flou entre "évaluation" et "contrôle" perdure.
Les évaluations nationales sont menées à l'initiative de plusieurs
commanditaires, mais leur développement est inégal :
- Les dispositifs interministériels mènent des évaluations sur des thèmes
souvent larges (exemple : évaluation de la politique de la montagne). Depuis 1990, le CSE
puis le CNE ont réalisé une quinzaine d'évaluations.
- Certains établissements publics se lancent dans des évaluations : Caisse
Nationale des Allocations Familiales, Caisse des Dépôts et des Consignations
- Le Parlement développe quelques initiatives, mais qui restent encore trop peu
connues. Deux offices ont été créés (sur l'évaluation des politiques publiques et sur
l'évaluation de la législation). En 1999, une Mission d'Evaluation et de Contrôle a
été créée.
- La Cour des Comptes ne met pas uvre elle-même évaluations. Elle pose
surtout la question de l'efficacité des politiques qu'elle contrôle. Elle considère que
son rôle est de vérifier l'évaluabilité d'une politique.

I.2.2. Un développement notable des pratiques au niveau régional :
La décentralisation puis le développement des procédures
contractuelles renforcés par les règlements des fonds structurels européens ont
fortement contribué au développement de l'évaluation en région.
D'abord, le niveau déconcentré régional de l'administration
nationale se montre nettement plus volontaire que celui de l'administration centrale.
L'évaluation y est proportionnellement plus fréquente. Rapide et d'un budget plus
restreint que pour les évaluations centrales, elles sont le plus souvent menées par des
consultants extérieurs, à la différence du niveau central qui préfère mener lui-même
ses évaluations ou bien les confier à des organismes publics ou parapublics.
Le positionnement des régions françaises dans les Contrats de
plan Etat-Région et les fonds structurels en font des acteurs -et des promoteurs-
particulièrement actifs de l'évaluation. Hormis les évaluations obligatoires, les
conseils régionaux foisonnent d'initiatives et d'expérimentations locales. Ces
collectivités semblent en effet les mieux positionnées pour pratiquer des évaluations.
D'abord, elles assurent moins de travail de gestion et d'allocation d'aides qu'une commune
ou qu'un département, et disposent davantage de recul pour mener des réflexions sur
l'impact de leur politique. Situées au centre d'un jeu d'acteurs dont elles complètent
souvent l'action, elles appréhendent mieux les politiques et mesures transversales. De
plus, le niveau régional est plus enclin à développer des liens et des pratiques
croisées (à titre d'illustration, les régions et les SGAR travaillent ensemble sur de
nombreux projets, les personnes se connaissent localement et les politiques de chaque
entité sont souvent partagées).
Par conséquent, les régions ont développé leurs évaluations en
poursuivant de multiples objectifs. Par exemple, l'évaluation peut venir combler un
déficit d'instrument de suivi, pour répondre à une demande des procédures
contractuelles qui obligent de s'instrumenter davantage. Elle est une ressource de
l'administration régionale pour convaincre les élus (instrument de légitimité) et
mieux maîtriser l'environnement extérieur auquel elle s'adresse (par exemple : envers le
monde de l'entreprise). Elles peuvent également devenir un facteur de médiatisation pour
le conseil régional.
Le plus souvent, alors même que la loi n'impose aucun contrainte
hormis celle de créer les dispositifs d'évaluation prévus dans le cadre des contrats de
plan, nombreuses sont les régions ayant développé leurs propres structures
d'évaluation. Des comités consultatifs se sont répandus dans l'ensemble des régions,
de façon inégale certes, mais réelle. Peu de régions n'ont rien fait. Le modèle le
plus souvent adopté est celui d'un comité régional d'évaluation qui décide des
travaux à conduire, le pilotage reposant sur la responsabilité d'un groupe de suivi
et/ou technique. Après plusieurs tentatives d'évaluations globales souvent coûteuses,
les régions ont préféré des évaluations plus fractionnées (par exemple sur un
dispositif particulier plutôt que sur toute une politique). Les programmes d'évaluation
sont très divers. Si certaines évaluations sont obligatoires (contrats de ville, contrat
de plan
), d'autres sont systématisées (programme de développement économique) ou
bien dépendent de problèmes particuliers à la région (évaluation d'une politique née
d'une configuration régionale, par exemple : trafic routier en zone sensible, équipement
des stations de montagne
)

I.2.3. Un développement plus restreint mais en évolution dans les
départements et les villes
Les départements ont tardé à développer une pratique d'évaluation.
Le Conseil Général de l'Hérault a élaboré un ambitieux dispositif au début des
années 1990 (il vient d'être mis en sommeil), s'appuyant sur le modèle du CSE avec
comités d'élus et de techniciens. 6 évaluations ont été menées, parfois dotées de
moyens financiers conséquents (politique départementale de l'eau -150 MF-, de l'emprunt,
du patrimoine, de la petite enfance, du RMI, du développement local). D'autres
initiatives sont remarquables : le Conseil Général des Hauts de Seine, le Conseil
Général du Territoire de Belfort (qui a recruté 3 emplois jeunes chargés d'évaluer le
RMI sur une longue durée).
Les villes sont plus retenues dans leur pratique de l'évaluation. Les
structures intercommunales importantes semblent les plus novatrices. Ainsi, la Communauté
Urbaine de Strasbourg s'est dotée d'un service spécialisé, composé de 4 chargés de
mission et d'un comité de pilotage. L'évaluation est organisée par la CUS comme un
outil de management, un conseil auprès des décideurs, un diffuseur de culture de
marketing public et d'un dispositif d'écoute de la population.

II. Les pratiques en Europe :
II.1 Depuis 1993, l'évaluation se
développe en Europe
L'évaluation comble progressivement son retard avec les Etats-Unis
et le Canada, grâce à un développement quantitatif et qualitatif de ses pratiques.
Le langage de l'évaluation s'est stabilisé, les concepts se sont
diffusés et les exigences des commanditaires comme des évaluateurs se sont renforcées.
La situation reste contrastée en fonction des pays, ou plutôt selon des aires
géographiques européennes. Ainsi, l'Europe du Nord est plus impliquée dans une
évaluation de qualité qui ne porte pas seulement sur l'évaluation des fonds structurels
européens. Les travaux hétérogènes et sporadiques sont devenus plus systématiques
dans ces pays. Dans le reste de l'Europe, ces travaux se sont généralisés, mais
essentiellement à partir des programmes européens qui obligent à l'évaluation. La
réglementation communautaire a en effet joué un rôle indéniable dans le développement
de l'évaluation, qui était alors inexistante auparavant (en 1997, plus de 250
évaluations ont été pratiquées sur les programmes d'objectifs 1 et 2 en Europe).
Par ailleurs, les compétences se sont renforcées. L'évaluation n'est
plus pratiquée de façon artisanale, mais par des professionnels qui affinent leurs
méthodes. Cette professionnalisation se développe de différente manière. En Allemagne,
Finlande et Belgique, l'évaluation relève encore du champ universitaire et de la
recherche plutôt que de filiales privées de grands groupes. Dans les pays du Sud se
multiplient les petites structures privées, à la suite des évaluations de fonds
structurels. Dans le reste de l'Europe, les types d'organismes chargés d'évaluation se
sont panachés (universitaires, sociétés privées, grands groupes de conseil).
Parallèlement, les outils se complexifient : les modèles
économétriques utilisés en Allemagne, Italie, Irlande, Belgique se diffusent. Les
statistiques comparatives se développent, permettant l'analyse des liens de causalité.
L'analyse par groupe de comparaison, que pratiquaient la Grande-Bretagne et le Danemark,
se rencontre maintenant en France, Allemagne, Suède, Espagne, surtout pour évaluer les
politiques de l'emploi.

II.2 L'évaluation couvre des finalités différentes selon les pays et
leur expérience d'évaluation
Le développement de l'évaluation ne peut s'imputer exclusivement
aux initiatives et obligations européennes. Plusieurs pays, ceux de l'Europe du Nord en
tête, considèrent que l'évaluation peut apporter de nombreux enseignements pour
l'élaboration de leur politique publique.
L'évaluation suit un lent processus d'appropriation qui évolue dans
le temps. L'intérêt de l'évaluation se renforce progressivement et se diffuse parmi les
chargés d'évaluation, puis parmi les cadres chargés de l'élaboration des politiques,
puis auprès des politiques qui s'en servent comme élément de réflexion, d'orientation
et de choix. L'expérience de l'évaluation conduit au final à utiliser les résultats
dans le processus même d'élaboration et de gestion des politiques publiques.
Ce processus se déroule de la manière suivante. D'abord, d'une
contrainte réglementaire, plus ou moins bien vécue par les administratifs et les élus
(situation actuelle des pays du Sud de l'Europe), l'évaluation se développe dans une
logique de management (cas de la France, de la Belgique, du Royaume-Uni, de l'Irlande et
de l'Allemagne notamment ), puis elle s'intègre dans les processus de décision publique
(Danemark, Pays-Bas, Suède).
(1)
NB : Une
partie de cet exposé est basée sur l'intervention de MM. Eric MONNIER et Jean-Claude
BARBIER lors de leur intervention au colloque fondateur de la Société Française
d'Evaluation, juin 1999.

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Journées des 3 et 31
mars 2000 :
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Prospective, pilotage stratégique et développement
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