Lors de votre précédente journée du 3 mars 2000 consacrée à
lévaluation, nous avons pu faire le point sur une pratique, une démarche acceptée
aujourdhui par tous et qui saccentuera encore davantage à lavenir.
En effet, quil sagisse du Contrat dAvenir pour la
Wallonie dans les principes communs daction du Gouvernement wallon ou des
prérogatives de la Commission européenne en matière dévaluation, notamment dans
les fonds structurels, nous plaidons et poussons tous pour le développement dune
véritable culture de lévaluation en Région wallonne.
La prospective quant à elle, est un peu moins avancée dans la prise
de conscience collective. Pourtant ce nest pas auprès de vous que je dois insister
sur sa nécessité et sur limportance de celle-ci pour lavenir de notre
région.
Dans un monde où les changements sont de plus en plus rapides, de
moins en moins transparents, de plus en plus nombreux, nous avons encore trop souvent
tendance à assister, perplexes, aux bouleversements qui nous entourent. Et ainsi, à en
subir les conséquences sur notre développement.
Lincertitude grandissante ne doit pourtant pas inciter
lhomme à privilégier linvariant et lhabitude. Face à lurgence
de situations imprévues mais rarement imprévisibles, nous avons souvent tendance à
parer au plus pressé et à répondre à court terme. Pourtant je pourrais utilement
paraphraser Talleyrand en disant "quand nous sommes confrontés à lurgence,
il est déjà trop tard".
Ainsi, le défaut de prévoyance devrait être considéré comme un
péché capital du management privé et de la gestion publique. La prospective, qui
nest pas la prévision et encore moins la futurologie, nous montre que lavenir
nest pas prédéterminé mais quil est ouvert à plusieurs futurs possibles.
Attention, faire de la prospective, ce nest pas rêver et encore
moins passer pour des rêveurs. Il sagit, pour reprendre la distinction judicieuse
de Michel Godet, "dêtre pré-actif, cest-à-dire se préparer à un
changement anticipé, mais aussi et surtout, dêtre pro-actif, cest-à-dire
agir pour provoquer un changement souhaitable".
En fait, la prospective consiste à regarder lavenir pour se
forger sa propre trace, pour influer sur son propre destin.

Le Gouvernement wallon veut se donner des moyens modernes pour opérer
des choix stratégiques. Il désire tracer cette carte dun progrès que nous nous
assignons, bousculer les idées reçues en ouvrant la voie de limagination et en
balisant la piste de tous les phares de la rigueur intellectuelle. Nous voulons décrire
les futurs possibles et tous les possibles de futur et cest pourquoi nous sommes
là, convaincus de lenjeu, attentifs à une méthode.
Avec mon Gouvernement, nous sommes assignés à un objectif, celui de
changer la donne et de faire basculer la Wallonie dans le peloton de tête des régions
dEurope en pratiquant le changement dans les têtes et la pro activité dans les
actes. Dans quelques minutes, dans ses conclusions, le Professeur Michel Quévit posera la
question "quel travail de prospective mettre en uvre pour la
Wallonie ?".
Je suis convaincu que nous avons, avec humilité, ouvert la voie de la
prospective dans le chef du Gouvernement wallon avec le Contrat dAvenir pour la
Wallonie. En effet, nous avons analysé les rétroactes, le passé historique,
sociologique et économique de la région, nous avons fait un constat de base qui nous a
poussés à choisir un scénario de développement régional pour la législature.
Cest un acte typiquement prospectif dans lequel nous avons associé la technique du
Contrat.
Amendé, débattu, restructuré, le Contrat dAvenir pour la
Wallonie est maintenant un instrument de repères qui indique les étapes dune
marche à suivre. En même temps que nous planchions sur cet outil important, une méthode
semblable dinformation et de dialogue élaborait le document final du Phasing out
soumis pour linstant à lappréciation de la Communauté européenne. En même
temps encore, se concoctait le Plan fédéral pour un Développement durable, lui-même
proposé à lappréciation des citoyens, des interlocuteurs économiques et sociaux.
Ces deux documents sont, autant que le Contrat dAvenir, des
documents de prospective. Ils tentent tous de définir un horizon pour un pays ou une
région en mouvement. Ils prennent pour référence ce que nous appelons de nos vux
comme le Développement durable, cest-à-dire la possibilité pour une communauté
dindividus de pénétrer le temps en gardant intactes les valeurs fondamentales qui
garantissent une vie en société : la création de richesses, le respect de
lenvironnement et la cohésion sociale.
Cependant, ces quelques documents ne sont quautant de moments
dans la nécessaire prise de conscience du besoin de changement que nous connaissons
aujourdhui. Nous avons besoin dune réflexion prospective continue. La
question fondamentale que pose tout ceci et que ne manquera certainement pas de poser le
Professeur Quévit dans sa conclusion est donc "comment devons-nous intégrer tout
aussi durablement lacte de prospecter et le pilotage stratégique des projets et des
politiques, tant dans une authentique culture de service public que dans une culture
entrepreneuriale ?".
Les besoins en Wallonie sont immenses. Pour faire en sorte que
sinstalle lair du temps si favorable aux révolutions mentales, il faudra
certainement miser sur léducation. En terme de formation, il faudra préparer les
générations futures à ce nouveau mode de gestion et de prise en charge.

En espérant que le Professeur Quévit ne men voudra pas
danticiper un petit peu ses conclusions, et parce que je suis persuadé que la
prospective wallonne nécessite un outil dintégration continue de lacte de
prospecter, je me permettrai ici de développer un comportement pro et pré actifs en
levant un coin du voile sur le mécanisme de suivi permanent du Contrat dAvenir que
je voudrais voir élaborer dans les tout prochains jours.
Vous vous doutez évidemment bien quune structure, un mécanisme
dévaluation du Contrat dAvenir, est actuellement en cours de finalisation.
Plutôt que de chercher une évaluation "ex post" arrivant généralement trop
tard, nous sommes attelés à mettre sur pied un mécanisme de suivi permanent du Contrat
dAvenir pour la Wallonie. Dans toutes les politiques menées dans le cadre du
Contrat dAvenir pour la Wallonie, nous favoriserons ainsi une expertise extérieure
en partenariat étroit avec les administrations afin de disposer dune batterie
dindicateurs immédiats de suivi et de pilotage des politiques menées.
Un travail méthodologique préalable du consultant extérieur devra
permettre délaborer une arborescence dindicateurs qui définit une causalité
objective entre lensemble de ces indices dévolution des politiques menées
avec les deux objectifs du Gouvernement wallon, à savoir, la convergence européenne en
matière de taux demploi et de création de richesses par habitant.
Voilà, très brièvement résumé, le volet évaluation du Contrat
dAvenir. Mais ce nest pas tout. Nous chercherons également à y associer un
volet prospectif important.
Si çà et là différents instituts ou centres de recherche font de la
prospective, nous ne disposons pas de centre régional de prospective. Reconnaissons-le,
nos universités nont pas encore structuré, fédéré, une démarche prospective.
Par le biais de son conseil dadministration, lInstitut Jules Destrée
sest proposé dériger en son sein une cellule indépendante de prospective
régionale.

Mes collaborateurs et moi-même avons longuement réfléchi sur ce
sujet pour trouver un système qui permette dune part, la garantie du niveau
dindépendance requis pour une telle cellule et dautre part, des retombées
directes et effectives sur le Contrat dAvenir pour la Wallonie et la Région
wallonne. Moyennant quelques retouches que nous discuterons, je mapprête donc à
financer, au départ de mon budget, la création dune cellule indépendante de
prospective au sein de lInstitut Jules Destrée.
Cette cellule sera en relation avec le Service des Etudes et de la
Statistique de la Région wallonne, les universités, la cellule de prospective de la
Commission européenne, mais également, le contractant de lévaluation du Contrat
dAvenir.
Ainsi, il y aura interrelation permanente entre lévaluation et
la prospective du Contrat dAvenir.
Je proposerai également que deux champs de recherche soient
directement affectés à cette cellule par le Gouvernement wallon, tout en garantissant
lindépendance du travail effectué. Ces deux champs de recherche cadrent
directement avec la philosophie du Contrat dAvenir et touchent des domaines
historico-sociologiques dans lesquels lInstitut Jules Destrée dispose déjà
dune expérience importante.
Il sagit de :
- Lévolution de limage des Wallons de leur propre région et
deux-mêmes;
- Lévolution de la mentalité des Wallons par rapport à la réussite et à
léchec et par rapport à lesprit dinitiative.
Le Gouvernement wallon a effectivement besoin de disposer de vues
prospectives et de propositions daction dans ces matières quelque peu intangibles.
Le sondage sur la Wallonie réalisé par la RTBF pour son émission du
30 mars la encore démontré. Si les Wallons reprennent confiance en lavenir,
sils estiment que la région est effectivement sur la voie du redressement, il reste
un déficit dimage, non par rapport au Gouvernement, mais vis-à-vis de la Wallonie
et des Wallons eux-mêmes.
Nous savons tous que ces éléments découlent de lévolution
historique et sociologique de la Région mais nous navons que très peu
daptitudes prospectives par rapport aux actions à mener pour influer sur nos
propres mentalités et notre avenir. La future cellule de prospective régionale y
travaillera.
Bien entendu, outre ces prérogatives spécifiques du Gouvernement
wallon, le rôle de la cellule indépendante de prospective sera dassurer des
missions de prospective plus générales :
- La veille et la détection des signaux porteurs de sens;
- Lanimation de la réflexion générale sur lavenir de la Région wallonne;
- Une activité de recherche prospective, directement ou en partenariat;
- Une fonction de conseil pour le Gouvernement wallon dans les deux matières retenues et
ce, dès la mise en place de la cellule.
Ainsi, grâce à la mise en place dune cellule indépendante de
prospective, le Gouvernement wallon pourra disposer dun rapport prospectif pour sa
future évaluation à mi-parcours du Contrat dAvenir pour la Wallonie, rapport
prospectif qui lui permettra de mener des actions concrètes pouvant influer sur notre
"paradigme" régional.
En espérant ne pas avoir trop anticipé le discours de conclusion, je
voudrais terminer mon intervention par ce mot de Sénèque : "il ny a
pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va".