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Contrats, territoires et
développement régional
Actes de la Journée
d'étude du 11 mai 1999 au Château de Namur
Organisation :
Institut Jules Destrée
CEMAC (Centre de Management et de Créativité)
OGM (Organisation Gestion Marketing)
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Réactions, actualisations,
réflexions générales
Alain Lesage
Directeur du Département Economie, Recherche
et Développement de l'Union wallonne des Entreprises
Cest comme témoin que vous mavez invité à prendre la
parole et je nai donc pas préparé un texte académique sur le thème de la
contractualisation. Je préfère vous livrer les quelques idées suggérées par une
écoute attentive de vos débats aujourdhui.
Tout d'abord, je voudrais vous faire part d'un étonnement. Dun
point de vue dentreprise, que l'on puisse s'interroger pendant une journée sur la
pertinence du contrat, vous en conviendrez, c'est un peu étonnant.
Mais, à bien y réfléchir, ce débat est pourtant nécessaire.
Il y a deux façons, antinomiques, de formaliser les relations entre
les personnes : par contrat ou par décret, cest-à-dire par une décision
négociée ou par une décision unilatérale. Et cette tension existe aussi dans le monde
de l'entreprise. Pour mener son action, l'entreprise a besoin d'une décision en dernière
instance qui n'est pas négociable. Et lobjectif de qualité totale, apparu dans les
grandes entreprises au cours des années 1980, consistait notamment à réintroduire du
contrat entre les services, entre les départements, au sein même de l'organisation
industrielle.
Cette question n'est donc pas très différente, dès lors que l'on
considère l'Etat dans son rôle dopérateur et que lon sattache à
rechercher une meilleure efficacité dans la prestation des services publics.

Mais ceci minspire une deuxième remarque. Il me semble que vous
avez eu deux débats différents. Et une des questions posées cet après-midi en atteste.
Jusqu'à quel point une démarche de contractualisation est-elle acceptable sur le plan de
lorganisation politique. Respecte-t-on vraiment les principes démocratiques en
négociant un contrat entre deux institutions qui dépendent en ressort ultime de la
tutelle du même Etat ? Ne faudrait-il pas toujours décider au terme de débats
publics au sein dun parlement élu ?
Je crois que cette question n'est pertinente que pour la décision
relevant du pouvoir législatif, qui inscrit les objectifs politiques dans les textes de
loi, mais non pour celle relevant du pouvoir exécutif qui définit comment atteindre ces
objectifs en pratique.
Ainsi, tout à l'heure, Francis Bismans ou François Burhin nous ont
donné des raisons très convaincantes en faveur dune contractualisation. Mais,
ensuite, des exemples français nous ont surtout montré l'énorme difficulté à mettre
celle-ci en uvre. Or, ces difficultés ont été exprimées dans un domaine, celui
de la gestion territoriale, où le contrat ne trouve peut-être pas sa meilleure
application. En matière de gestion territoriale, on reporte au niveau local la
responsabilité et la charge de définir des objectifs de politique générale, ce qui est
précisément le rôle de l'Etat. Sauf à organiser celui-ci sur le modèle fédéral, ce
qui nest pas le cas de la France, et ce qui nest pas le cas de la Wallonie
(les provinces ou les arrondissements ne sont évidemment pas des entités fédérées de
la Région), on sinscrit forcément dans lhypothèse dune
déconcentration et non dans celle dune décentralisation qui supposerait un
transfert du pouvoir de décision. Javoue dès lors ne pas bien saisir la teneur ou
la nécessité dune "déconcentralisation", néologisme proposé ici par
lun des orateurs français.
Cest bien cette question au fond paradoxale, "contrats,
territoires et développement régional", qui était proposée à vos réflexions. Et
jy reviendrai donc dans un instant. Je voudrais dabord évoquer un troisième
commentaire liminaire : il porte sur la notion de subsidiarité. Pourquoi défendre
lidée même dune contractualisation ? C'est dabord, me
semble-t-il, pour une raison de principe. Nos démocraties parlementaires et nos
économies de marché, même lorsquelles sont sociales et améliorées, reposent
dabord sur lindividu et se sont bâties par opposition au pouvoir absolu
dun "Etat incarné". Lidée dun contrat dans la gestion
publique me paraît fondamentale parce que, dans sa capacité à négocier, elle
reconnaît à l'autre une existence. La contractualisation est donc un corollaire tout à
fait naturel de la subsidiarité, qui ne consiste pas uniquement en loctroi
dun pouvoir au niveau le plus adapté ce niveau doit couvrir la zone où
sapplique réellement la compétence, et incidemment ce niveau nest pas
forcément le "plus proche possible" du citoyen mais qui consiste aussi
en loctroi dun pouvoir seulement lorsque les individus ou leurs associations
ne suffisent pas à organiser une régulation satisfaisante.

Cette vision extrême de la subsidiarité trouve son exact contraire
dans le système hiérarchique strictement pyramidal qui est celui du modèle
administratif hérité du 19ème siècle. Pourquoi ce siècle a-t-il produit à la fois
une société basée sur la liberté individuelle et un modèle dorganisation aussi
centralisé ? Je pense qu'on a rappelé très clairement, au début de cette
réflexion, pourquoi le modèle doit évoluer et ceci est fondamentalement lié aux
mutations techniques.
Les nouvelles technologies de linformation nous permettent
aujourdhui de gérer des systèmes complexes très décentralisés sans devoir
supporter dautres coûts que ceux dune centralisation et dune
circulation adéquate des données. Ceci nétait pas possible au siècle passé. Ces
mêmes mutations élargissent désormais notre horizon au monde, ce qui avive la
concurrence et nous oblige à nous adapter de plus en plus vite. La technologie rend donc
possible ce que la mondialisation impose. Nous devons réformer la gestion publique, parce
quune gestion décentralisée est moins coûteuse et plus adaptable. Au delà
dune question de principe, nous devons défendre un mode dorganisation basé
sur le contrat pour des raisons defficacité.
Le contrat implique évidemment comme condition sine qua non
lexistence dalternatives et la possibilité dune évaluation. Je rejoins
en cela les remarques qui viennent d'être formulées par Jean-Marie Agarkow. Derrière
l'idée de contrat, vous avez la mise en concurrence d'opérateurs et le fait de confier
une mission à l'opérateur jugé le plus performant pour la mener à bien. C'est en cela
que le contrat négocié permet d'atteindre plus d'efficacité qu'un système totalement
hiérarchique.
En outre, la mise en concurrence systématique doit sappuyer sur
un professionnalisme renforcé et sur une véritable culture de lévaluation, non
pas seulement chez les opérateurs, mais aussi dans ladministration qui est donneur
dordre. Je voudrais vous donner un exemple dune démarche qui est
manifestement porteuse de progrès. En matière de recherche et développement, on a dit
plus avant que lévaluation allait de soi puisque le chercheur contrôle lui-même
et fait évoluer son projet au fur et à mesure de ses besoins. En vérité, ceci ne
résout rien parce que rien n'assure qu'au terme de ce processus, le chercheur respecte
encore les objectifs politiques généraux que l'on pourrait avoir fixés, et, en
labsence dun regard extérieur, le chercheur pourrait suivre son libre chemin
sans préoccupation particulière, par exemple, pour une valorisation économique de son
projet ou pour le développement de l'excellence dans l'institution à laquelle il
appartient. Il y a quelques années, la Hollande a institué une évaluation systématique
de ses recherches. Ce pays appartient à cette culture, anglo-saxonne au sens large, où,
ce fut évoqué tout à lheure, l'évaluation paraît mieux acceptée. Au départ,
elle fut pourtant très mal acceptée par le monde universitaire hollandais. Cependant, en
quelques années, un milieu universitaire qui était en retard, mal connu au plan
international, est parvenu à se hisser dans plusieurs domaines à un niveau de grande
reconnaissance internationale, par une opération d'évaluation continue, restée
intra-universitaire, c'est-à-dire que ny furent mêlés ni le politique, ni
l'industrie qui sont des consommateurs de services universitaires, mais qui fut bien
interuniversités et menée dans une réelle transparence. Ceci doit nous rendre
optimistes sur les possibilités de progrès et de développement, dès lors que
l'évaluation rentre dans les murs.

Revenons à la matière qui nous occupe aujourdhui. Comment faire
entrer du contrat dans la démarche daménagement du territoire ? Je lai
indiqué, on se trouve là dans un domaine où le principe dun contrat trouve moins
bien à sappliquer. Il sagit de définir des priorités en matière de
travaux, ce qui est quantifiable, mais aussi et surtout en matière de développement
local, ce qui lest moins. A défaut dobjectifs précis, pas de critères
d'évaluation et, forcément, pas de résultats à évaluer. Cette question est difficile.
Peut-on accepter dautres critères que strictement quantitatifs ? Je crains que
l'introduction de critères qualitatifs ne soit souvent un alibi, un refuge pour éviter
de prendre des engagements trop clairs. Si je m'en rapporte à nouveau au monde de la
recherche, les critères purement bibliométriques sont vivement critiqués, mais
simultanément, on doit admettre que les unités, les individus, les chercheurs qui
réunissent les meilleurs scores sur les critères bibliométriques sont souvent aussi
ceux qui rendent le meilleur service à la collectivité. Il existe probablement une bonne
corrélation entre les deux, bien quon ne dispose pas de critère aussi précis pour
mesurer comment le second objectif est atteint. La difficulté peut donc être contournée
et il faut surtout éviter lévaluation alibi.
Concernant la gestion territoriale, et particulièrement le schéma de
développement de lespace régional (SDER), je pense quil faut y introduire le
plus possible de projets individuels, de projets de territoire qui ont leur cohérence
économique propre, en faisant en sorte qu'au niveau de la région centrale, on ait des
critères très forts sur la procédure pour y arriver. On distingue ainsi le rôle de
lEtat comme opérateur, de son rôle comme régulateur. Décentralisation dans un
cas, concentration dans lautre.
Qui sont alors les interlocuteurs légitimes ? Quelle est la zone
optimale sur laquelle travailler ? Pour quel type de projet ? Quels sont les
types de critères à utiliser ? Tout cela doit être strictement défini par le
niveau régional. Mais, il est clair qu'un SDER qui émanerait uniquement de l'autorité
centrale n'est tout simplement pas applicable, par manque d'adhésion au projet.
En conclusion, je voudrais évoquer cinq éléments qui me semblent
ressortir de vos discussions.
Dabord, je pense que depuis une dizaine dannées sest
vraiment établi un paradigme nouveau , fait de développement local, de territoire
comme facteur de développement, de co-responsabilité, dadhésion des acteurs et de
mise en réseau, de prédominance de l'immatériel sur le matériel. Et il est tout de
même assez étrange que tout cela soit apparu au moment où a vraiment commencé la prise
de conscience de la mondialisation, comme si lon avait besoin de retrouver une
identité et de croire que lon peut encore agir sur un destin qui paraît nous
échapper de plus en plus.
Deuxièmement, je crois qu'on a fait un grand pas en Région wallonne,
en comprenant que l'aménagement du territoire nest pas une politique à part, alors
que pendant très longtemps, on a fait de l'aménagement du territoire à côté du
développement économique régional. L'effort qui est fait aussi en Région wallonne
depuis l'an passé, à loccasion des réformes du CWATUP et du RGPE, afin de mettre
en synergie différents ministères, bien difficilement sans doute, est encore un pas plus
grand.
Mais il ny a pas de développement possible sans un cadre
général dans lequel sinscrire. Il est indispensable que la Région fixe des
objectifs, des stratégies et pour fixer ces objectifs, ces stratégies, elle doit avoir
la capacité de se projeter dans le futur. A ce stade, je ne crois pas que le SDER soit
vraiment un projet de développement à dix ans. Ce dont la Wallonie a le plus besoin,
c'est d'une cohérence, et c'est au niveau wallon que la cohérence peut se faire, pas à
un échelon infrawallon. On ne fait pas non plus du développement local à n'importe
quelle échelle. Il faut un minimum d'acteurs. Il faut un minimum de moyens. Il faut du
professionnalisme. Il serait intéressant de réfléchir à quelle est la masse critique
nécessaire pour intervenir efficacement.

Quatrièmement, la Région wallonne ne souffre pas d'un déficit
d'initiatives locales. Bien au contraire, il y en a des multiples à l'échelle de toutes
les communes pratiquement. Ce qui manque bien entendu, ce sont les interrelations,
cest la mise en réseau. Je crois vraiment que c'est là que l'on peut agir. Et
c'est pour là qu'il faut des éléments fédérateurs.
Enfin, dernière remarque. Je pense qu'on ne peut pas fonctionner sans
des espaces, pays, communautés urbaines, ou autres, qui sont des espaces de solidarité
territoriale. Si on ne fonctionne qu'avec des espaces à géométrie variable, on
n'arrivera pas à la finalité du développement territorial qui est, justement, de créer
des synergies entre tous les éléments du système. Nous devons réfléchir à la
meilleure échelle spatiale pour ce développement territorial. Je ne pense pas quil
se fonde sur des institutions existantes, mais plutôt sur une cohérence
socio-économique et sur un vécu commun. Il ny a pas de projet si les gens pour qui
il est conçu ne veulent pas le mettre en uvre ensemble. Donc, il faut faire
émerger, par des processus très démocratiques, ces espaces de solidarité et je crois
qu'ils sont indispensables sur le plan du développement territorial.
La contractualisation nest pas simple à instaurer. Elle comporte
plus de forces que de faiblesses et elle est porteuse de progrès. Mais elle sera
essentiellement ce que son élaboration progressive en fera, ce que l'évaluation en fera,
ce que les sanctions en feront et surtout, elle dépendra du poids et de l'engagement des
acteurs. Je crois que les expériences françaises décrites plus haut évoquaient très
justement les difficultés des contrats et leurs opportunités.
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