Dans son rapport général du quatrième congrès La Wallonie au
futur, organisé par lInstitut Jules Destrée, Philippe Destatte plaidait au nom
du Congrès pour intégrer les réalités en termes despace. Ceci signifie
quactuellement, selon ce congrès qui a rassemblé, rappelons-le, 500 personnes
pendant deux jours à Mons les 9 et 10 octobre 1998, un déficit existe dans ce
domaine : certains espaces du territoire wallon seraient mal intégrés les uns par
rapport aux autres.
Les disparités socio-économiques sont le reflet dramatique de ce
manque dintégration : on sait que les taux de chômage par arrondissement
varient du simple au double entre la dorsale et la verticale wallonne. On observe aussi
que certaines sous-régions nous les appellerons territoires pour
utiliser un terme plus neutre ont des dynamiques de développement très
favorables, et que dautres connaissent depuis vingt ans une dynamique
deffondrement telle quun programme dune importance de lObjectif 1
actuel ne semble pouvoir parvenir au mieux quà ralentir leur déclin
Ces faits étant reconnus, il importe de les assumer. Parler de
manifestations de sous-régionalisme entrave lintégration territoriale. Et
le rapporteur du Congrès de plaider en faveur dinnovations dans les
relations sous-régionales destinées à accentuer les processus dexpression des
besoins et le développement endogène par des démarches bottom-up.
Cette expression anglaise, qui se traduit littéralement par "du
fond vers la surface", désigne les processus de changement, dévolution,
partant de la base. Introduite dans les entreprises au cours des années 80 notamment via
les cercles de qualité, la démarche bottom-up consiste à proposer aux personnes
de première ligne (ouvriers, employés), cest-à-dire ceux qui font le
travail, de se réunir pour identifier et rechercher des solutions aux problèmes se
posant à leur niveau, et pour proposer celles-ci aux dirigeants (cest-à-dire ceux
qui fournissent les ressources, orientent et coordonnent le travail de la base). Après
accord des dirigeants, ces solutions sont mises en uvre par les personnes qui les
ont proposées avec le concours de leurs collègues.
La démarche bottom-up a ses inconvénients et ses limites. Elle
ne peut prétendre résoudre tous les problèmes. Sans le "sommet", la
"base" ne dispose pas dun recul suffisant par rapport aux problématiques
densemble, et notamment aux grands mécanismes régulateurs qui nécessitent de
définir les grandes priorités de lentreprise, comme la veille technologique,
stratégie marketing et sa gestion financière. Mais elle présente deux avantages
irremplaçables. Elle restitue à la base lexpression de la réalité du terrain et
la formulation de ses besoins. Elle lui renvoie en même temps aussi la responsabilité de
participer activement à la satisfaction de ceux-ci.
A lopposé de la plupart des autres régions européennes en
retard de développement, la Wallonie a la chance et saluons en ce sens les
sacrifices et la clairvoyance des générations antérieures de disposer de
structures de développement et de dialogue politique et social qui ont fait la preuve de
leur utilité et de leur efficacité. Même si, dans certains domaines, expertises et
structures nous manquent encore, cest en termes dorientation et
dintégration des efforts et de mobilisation des ressources que se situe le
déficit.

Et cest ici que les contrats interviennent.
Sans anticiper excessivement sur les communications et les débats qui
vont suivre, exprimons simplement lintérêt que la démarche contractuelle nous
semble présenter, et qui justifie cette journée détude :
Le contrat augmente lefficacité globale des actions de
développement. Il implique la définition dobjectifs communs, de prestations
réciproques, une durée, un système de gestion des relations et de gestion du projet
commun : le contrat oblige les partenaires à réfléchir, à prévoir, à
sorganiser. Il donne ainsi des perspectives, et constitue une structure commune de
référence pour laction.
Un contrat reconnaît et légitime lexistence et les
obligations des partenaires. Ainsi sont magnifiées les aspirations et valorisées les
ressources locales. Ainsi le soutien des autorités centrales (régionales mais aussi
communautaires, fédérales et européennes) peut-il être personnalisé, la solidarité
en sa faveur peut-elle être identifiée, alors que les limites mises au support
extérieur sur lequel le territoire peut compter lui font assumer la définition de son
propre avenir.
Le contrat clarifie et renforce les responsabilités. Il
considère les signataires comme des partenaires responsables. Pour peu que laccord
qui en résulte soit libre (et le contexte institutionnel, environnemental et temporel
influence profondément la négociation), il crée un cadre assurant la sécurité, et
laisse ainsi le champ libre à laction. Cest ce dont les territoires wallons
ont besoin pour agir comme opérateurs de leur propre avenir, en sachant comment et en
quoi ils peuvent sappuyer sur la synergie avec le pouvoir central, et sur la
solidarité et la complémentarité avec les autres territoires.
Un contrat qui marche induit une dynamique, un partenariat.
Sa négociation et son exécution ouvrent un dialogue permanent, un apprentissage dans
laction, un espace dans lequel "grandir ensemble", Il contient des
mécanismes de correction, de renégociation qui font du partenariat commun une entité
flexible dans le temps, comme les organismes vivants.
Comment susciter et organiser cette collaboration à long terme entre
acteurs de différents niveaux et de différentes compétences, qui respecte la
spécificité des chacun, et valorise leurs apports à une action collective
intégrée ?
Cette journée se fonde sur lhypothèse dun déficit de
mobilisation de la "base" dans le développement régional wallon, lié à une
absence de mécanismes permettant dexprimer clairement et de satisfaire ses besoins
spécifiques. Elle vise à étudier les apports de la technique contractuelle comme
mode de structuration de cette expression et de cette implication, pour la conduire à
déclencher un développement de la Wallonie par le développement de chacune de ses
composantes territoriales.
La définition de ces composantes et de leur mode de représentation et
daction sont évidemment essentielles à la réussite de cette démarche
contractuelle.
Sur le plan local, la qualité du processus dexpression bottom-up
est essentielle. Au niveau du processus, cette expression doit non seulement passer par
des canaux représentatifs de toutes les dimensions essentielles du développement local
(cest-à-dire par des canaux multiples et non limités aux structures politiques et
administratives). Au niveau du contenu, elle doit sexprimer de façon constructive
et prospective. Il ne sera pas facile de sortir des sentiers battus de la
revendication !
Sur le plan régional, la créativité et la fermeté seront
nécessaires pour former un cadre général ouvert et fédérateur, qui constitue le
ciment nécessaire à lharmonisation des actions dans une dynamique de solidarité,
et à leur intégration dans lenvironnement européen en mondial. Il ne sera pas
facile déviter de décider à la place des territoires, ni à linverse de
mettre des limites à leurs attentes.

De nombreuses expériences se font en termes de développement
régional et local, en Wallonie et à létranger.
En France, elles doivent être prudemment analysées pour pouvoir être
transposées en Wallonie :
la Wallonie avec ses 3,2 millions dhabitants, est une
région qui, sur le plan de la population, se situe entre la Nord - Pas de
Calais et la Région Pays de Loire, cest-à-dire la cinquième à léchelle
des régions de France, pour un territoire comparable à celui de la région de
Champagne - Ardennes. Quand on parle de développement local en Wallonie, on se
situe de facto à un niveau inférieur à celui de la région française, voire du
département;
le poids de lEtat en France est écrasant, et toute la
réforme de la régionalisation vise à le rééquilibrer, alors que, chez nous, on
pourrait plutôt observer que le manque dintégration dont je parlais tout à
lheure est un écho de la relative faiblesse du pouvoir central;
malgré la proximité géographique, une histoire en partie
commune et une langue partagée, la tradition et les mécanismes administratifs, la
structure et la culture des entreprises publiques et privées, français et wallons, sont
très différents.
Il faudrait ajouter que, bien sûr, la recherche de la
contractualisation séloigne de lexpérience française dans la mesure où, en
face de la dialectique entre les acteurs régionaux et le conseil régional, il ny a
ni Datar, ni ministère de lIntérieur, porteur de sa propre dynamique. En cela, la
contractualisation en Wallonie rejoint à la fois le contrat social rousseauiste et le
concept d"excellence territoriale", réalisation dun projet commun
partagé par la majorité des acteurs dun territoire, cher à Michèle Cascalès
(Commissariat général du Plan). On pourrait ajouter que le pouvoir normatif étant
faible dans les régions françaises, linitiative régionale en serait plus facile
à partager avec les citoyens. Cest en tout cas une hypothèse.