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Contrats, territoires et
développement régional
Actes de la Journée
d'étude du 11 mai 1999 au Château de Namur
Organisation :
Institut Jules Destrée
CEMAC (Centre de Management et de Créativité)
OGM (Organisation Gestion Marketing)
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Conclusion
Créer une dynamique d'excellence régionale wallonne
Pistes méthodologiques pour rédiger une nouvelle déclaration de politique
régionale
Philippe Destatte
directeur de lInstitut Jules Destrée
Comparaison nest pas raison.
Cadres communautaires dAppui (CCA), Documents uniques de
Programmation (DOCUP), Programmes dInitiative communautaire (PIC) : la
Commission européenne a toutefois véritablement marqué de son empreinte les méthodes
de travail du reste souvent héritées des pays du nord de tous ceux qui ont
pu avoir accès à ses programmes.
De même, en France, les contrats de Plan Etat-Région constituent le
fruit dune très longue expérience liée à la fois à lévolution de la
planification, de laménagement du territoire ainsi que de la décentralisation et
de la déconcentration administrative.
Dans les meilleurs cas, ces pratiques nouvelles, quand elles ont été
bien menées, ont permis déchapper aux jeux traditionnels qui privilégient les
pouvoirs au détriment des acteurs, les notables au détriment des élus, les fiefs au
détriment des milieux innovants. Leur vocation a été déviter que seules les
logiques ministérielles, administratives ou encore communautaires européennes
lemportent sur les initiatives locales ou sur les visions prospectives du
territoire. Dans certains cas, ces mécanismes ont permis une participation globale,
cest-à-dire de tous les acteurs, à des projets concertés alors même que,
traditionnellement, les élus souhaitaient conserver la maîtrise totale des opérations.
Ce ne sont pourtant que des exceptions.
Ainsi peut-on dire que, en Wallonie comme en France, ce qui frappe trop
souvent cest pour citer Jean-Marc Ohnet une distorsion permanente
entre territoires institutionnels, territoires électoraux et territoires pertinents de
laction publique, du développement économique et de la démocratie
(1). Sans nécessairement supprimer cette distorsion, il nous faut à
tout le moins la gérer.
Alors que la pertinence dun territoire se mesure à sa capacité
de mobiliser ses ressources, le problème majeur reste de mettre en place les mécanismes
qui permettent de passer de laction dEtat à laction collective. Car, en
matière de territoire et dingénierie institutionnelle, se pose aussi la question
de linnovation. Il y a, dit Robert Savy, président du Conseil régional du
Limousin, des pouvoirs installés qui se sentent menacés et des pouvoirs émergents
qui veulent émerger
(2).
De la même façon quen France, où l'on tente actuellement de refonder
la décentralisation
(3), en Wallonie,
entité fédérée qui dispose mais ne dispose que de compétences
précises, il faut refonder la Région avec les acteurs qui se sont ou se seront enfin
reconnus comme tels dans le cadre régional, même sils appartiennent à un autre
cadre institutionnel.
Mais, nous sommes là en plein paradoxe. Ainsi, alors que les citoyens,
nous dit-on, aspirent à une contribution plus large aux grands choix collectifs, susciter
le désir dagir nest pas une mince affaire. De même, la voie est-elle
étroite entre lexpression des besoins endogènes et la capacité pour les pouvoirs
publics dactiver les ressources matérielles et immatérielles qui y
sont localisées. Reconnaissons-le, on na pas encore trouvé la bonne adéquation et
le cadre le plus pertinent pour mener une dynamique de développement efficace, ni même
pour atteindre le seuil defficacité dans le dialogue comme dans laction. Le
problème est de savoir comment afficher une politique forte, qui napparaisse pas
comme lexpression du pouvoir régalien de lEtat, mais qui associe
lensemble des parties concernées à son élaboration
(4).
Créer une dynamique dexcellence régionale wallonne
Née de la réflexion française sur la pertinence des territoires et
limplication des acteurs, un modèle existe : cest celui de
lexcellence territoriale, tel que formulé par Michèle Cascalès. Pour cette
professeur associée à la Faculté de Droit et de Science politique de Reims,
lexcellence territoriale consiste en la réalisation dun projet commun
partagé par la majorité des acteurs dun territoire, de sorte que la démarche,
globale et intégrée, devra mobiliser large : elle nécessitera lémergence
dun nouvel équilibre et la mise en place de règles de fonctionnement appropriées (5) .
Processus inscrit dans le temps et dans lespace,
lexcellence territoriale met en uvre les instruments que nous avions
considéré comme innovants dans les conclusions du quatrième congrès La Wallonie au
futur
(6) :
la prospective, comme outil stratégique ;
lévaluation systématique, sur base dun cahier des charges, des
objectifs et des enjeux que se sont assignés les porteurs du projet de territoire ;
les études dimpact ;
la démarche qualité développée sur lensemble dun territoire et
mettant en uvre les capacités découte, de dialogue, de compréhension pour
mobiliser autour du projet ;
lintelligence économique, ses informations stratégiques, ses banques de
données connectées en réseau.
Contractualiser laction régionale pour atteindre
lexcellence
Pour atteindre cette excellence régionale, le processus de
contractualisation des politiques pourrait se faire en Wallonie à deux niveaux et en
trois phases.
Le premier niveau, cest-à-dire celui qui sétend sur la
totalité de lespace régional et qui porte sur lélaboration de projets
globaux dintérêt régional, verra lélaboration dun contrat-plan
régional wallon (CPRW).
Le second niveau sera celui de la mise en uvre des politiques
régionales adaptées au niveau local et de lélaboration des projets locaux,
cest le niveau qui fait lobjet des Contrats territoriaux de Partenariats et de
Développement. (CTPD).
Le Contrat-plan régional wallon (CPRW)
Il ny a pas de développement local sans cadre général, a
souligné avec raison la professeur Bernadette Mérenne.
Phase 1
La réunion du Parlement wallon qui suivra lélection régionale
pourrait entendre le ministre-président de la nouvelle majorité annoncer la volonté de
son gouvernement délaborer, pour la rentrée parlementaire doctobre, un
Contrat-plan régional wallon pour une durée de dix ans, soit deux législatures. Ce
contrat, davantage rousseauiste que le modèle français puisque
lexclusivité des compétences met ici lEtat central hors jeu engagera
le Région à légard des acteurs et, au delà, des citoyens.
Ce contrat rencontrera deux préoccupations. Dune part, le fait
que le gouvernement en assume la dynamique et le porte au Parlement indique sa volonté de
mener une politique volontariste inscrite dans la durée et ajustée par des procédures
dévaluation formelles. Les grands chantiers seront indiqués (chantiers généraux
assurer le développement durable régional, réduire les inégalités
territoriales, etc. ou chantiers plus particuliers par exemple sur base des
enjeux du Schéma de Développement de lEspace régional wallon (SDER), comme le
fait de mener une politique active dinscription de la Wallonie dans le cadre à la
fois des axes métropolitains et des euro-corridors). Ces enjeux seront bien sûr
identifiés en fonction des engagements électoraux, revus à laune de laccord
gouvernemental.
Phase 2
Dautre part, le gouvernement, conscient quon ne peut
mobiliser les acteurs que si on a fait appel à eux dans la phase délaboration des
grands axes politiques, lance une procédure de large consultation et de concertation sur
base de ces chantiers et enjeux.
avec les interlocuteurs consultatifs traditionnels,
stratégiques et revalorisés : Conseil économique et Social de la Région wallonne,
Conseil de la Politique scientifique, Conseil supérieur des Villes et Communes de
Wallonie, etc ;
avec les Villes, les Provinces et les Communautés française et germanophone, en
établissant des cahiers des charges des attentes et implications régionales (par exemple
la création dune DRAC wallonne) ;
et enfin, avec lensemble des acteurs régionaux y compris associatifs
identifiés par secteur (économie, environnement, aménagement du territoire,
etc.) par une démarche de recherche de diagnostics, catalyseur de la mobilisation pour la
démarche globale.
Lobjectif pour le gouvernement et pour les acteurs est
triple :
définir de manière explicite les enjeux et les objectifs
quantifiés (plans de convergences vis-à-vis dune situation fédérale ou des
régions limitrophes) par secteur en recherchant les synergies transversales ;
élaborer un projet stratégique de développement territorial et citoyen à
lhorizon de dix ans, destiné à définir les priorités fondées sur
lexcellence et la recherche qualité ;
fabriquer et hiérarchiser les projets dans le temps et dans lespace, en
fonction des marges de financement, en déterminant la participation financière de chaque
intervenant public ou privé et en choisissant les zones prioritaires
dactions.
Ces objectifs seront atteints au moyen dune méthodologie
définie par le gouvernement en tenant compte des expériences de consultation des acteurs
pour définir les priorités de développement telles que celle menée dans le
Nord - Pas de Calais à linitiative de Michel Delebarre, celle
intitulée Poitou - Charentes 2010, ou celle que constitue la
dynamique par questionnaire du Quatrième Plan lorrain 2000-2006, pour lequel plus
de 4000 partenaires dits privilégiés du Conseil régional ont été interrogés
et un Groupe stratégique de Planification mis en place.
Par leurs moyens et par leurs expertises à renforcer encore à
cet effet -, ladministration régionale wallonne, tout comme le Conseil économique
et social de la Région wallonne, devront jouer un rôle déterminant dans la mise en
uvre de cette phase.
Le projet ainsi élaboré que lon peut qualifier de
"charte régionale" doit consister en une série cohérente et articulée
de propositions précises, efficaces, structurantes, intersectorielles et programmées. Il
fait lobjet dun débat et dun vote au Parlement : cest la
Déclaration de Politique régionale.
Dès lors quelle est approuvée, la Charte régionale est mise en
uvre pour les matières dintérêt régional et définie comme cadre aux
matières dintérêts territoriaux par une dynamique de contrats signés avec les
partenaires institutionnels de la Région : Villes, Provinces, Communautés,
para-régionaux, etc. Cette contractualisation fera lobjet dévaluations et
dadaptations dans des délais fixés selon les organismes. Elle fera aussi
lobjet dune publicité par lintermédiaire dinformations et de
débats parlementaires.
Dans cette perspective, les acteurs comme les institutions partenaires
constituent autant de points dappuis aux politiques définies par concertations et
mises en uvre par contractualisations.
La DPR devra également annoncer le lancement immédiat de la
troisième phase : la dynamique de Contrats territoriaux de Partenariats et de
Développement.
Les Contrats territoriaux de Partenariats et de Développement (CTPD)
Sinspirant à la fois du principe de subsidiarité et de
lexemple français, le quatrième congrès La Wallonie au futur a proposé de
remailler le territoire wallon avec de nouveaux outils, de nouvelles plates-formes qui
intègrent les acteurs locaux autour de contrats de développement. Nous avions
dailleurs souligné le manque de représentation des acteurs et de la société
civile (universités, entreprises, interlocuteurs sociaux, etc.) dans les outils actuels
de développement local que sont les intercommunales. Nous avions souligné la nécessité
dinvestir les territoires infra-régionaux pertinents que sont les bassins de
formation, les communautés urbaines, les pays ou les arrondissements, quelle que soit
leur appellation
(7).
De son côté, le délégué à lAménagement du Territoire et à
lAction régionale, Jean-Louis Guigou, estimait que, désormais, la première des
urgences consiste à trouver des espaces pertinents susceptibles dengendrer et de
soutenir le développement endogène durable et de promouvoir la démocratie locale
participative
(8).
Ainsi, soit par priorité dans les zones daides européennes,
soit au travers de plusieurs expériences pilotes, ou peut-être en cumulant ces deux
formules, le gouvernement wallon valorisera de nouveaux territoires pertinents qui se
constitueront librement, peut-être pour des durées déterminées, sur les principes de
ladhésion volontaire et du pragmatisme. Transgressant les limites des
arrondissements et des provinces, des entreprises, des universités, des centre
dinnovations (CEI), des écoles, des intercommunales, des sociétés de consultance
et de transports, des centres de formation, des écoles secondaires, etc.
sassocieront dans un territoire à la fois bassin de préoccupation commune,
communauté de dessein et espace démocratique de développement
(9).
Lensemble des acteurs de ce territoire siégeront dans un Conseil
territorial de Partenariats et de Développement qui commencera par faire
linventaire des ressources matérielles et immatérielles disponibles et
déterminera, pour dix ans, avec le gouvernement et ladministration wallonne, des
actions qui seront formalisées dans des Contrats territoriaux de Partenariats et de
Développement. Une Commission permanente de Prospective, de Pilotage et
dEvaluation, attachée à chaque Conseil, complètera le dispositif en lui donnant
le caractère hautement professionnel indispensable.
LAdministration wallonne mettra au point des critères
déligibilité pour le financement des Contrats territoriaux, des mécanismes de
régulation pour assurer la pertinence des territoires, élaborera les règles du
processus et imposera des obligations de résultats. Le succès de ces outils résidera
dans la contractualisation formelle avec explicitation rigoureuse des engagements
réciproques et signature , dans la planification des opérations du projet entre
tous les acteurs, avec suivi technique et financier à chaque étape et chaque niveau et
publicité de lévolution du projet. Il sera nécessaire, ici comme pour les
contrats dintérêt régional, de prévoir, en droit partenarial, des formules de
conciliation des litiges éventuels et des sanctions en cas dinexécution adéquate
des engagements.
Ces dynamiques, menées avec souplesse, permettront doptimiser
les crédits, de multiplier les centres nerveux mais en les connectant et en leur donnant
une cohérence globale, dassurer une meilleure participation à lensemble. Les
contrats deviendront ainsi un élément essentiel de la cohérence mais aussi de la
diversité des politiques publiques. Dans un deuxième temps, les Conseils territoriaux de
Partenariat et de Développement constitueront eux-mêmes, à côté des acteurs globaux,
les piliers sur lesquels se construira le Contrat-plan régional wallon ultérieur.
Conclusion : la contractualisation, porteuse de sens
Trois réflexions pour conclure.
Dabord, la contractualisation, formalisation dernière du
partenariat, constitue un outil performant de la démocratie participative. Elle permet de
donner du sens à laction politique en responsabilisant le citoyen et en se basant
sur la réalité sociale et culturelle du territoire.
Ensuite, cette contractualisation ne pourra être menée que dans le
respect dun strict équilibre entre le gouvernement de la région, son
administration et les acteurs, sans dissolution de la norme régionale ni de laction
politique de lEtat fédéré, garant de léquité entre les habitants de la
région.
Enfin, les dynamiques de contractualisation stratégique, de
territorialisation, dévaluation, de responsabilisation, dintégration
régionale, ainsi décrites, permettront de jeter les bases dune structuration
endogène et créative de la Région, loin des débats constitutionnels
actuellement gelés tout en valorisant le meilleur des cadres institutionnels
hérités de lAncien Régime ou de la réforme de lEtat.
Lexpérience française nous renvoie à nous-mêmes. Elle nous
rappelle, au delà des raisons qui ont présidé à la construction dune région
entre Mouscron et Welkenraedt, entre Arlon et Waterloo, que la décentralisation
régionale correspond à cette triple nécessité chère au général de Gaulle :
nécessité démocratique pour rapprocher les centres de décision du citoyen, nécessité
économique pour libérer les initiatives locales, nécessité administrative pour coller
aux réalités régionales et locales
(10).
A lheure où, comme le souligne Jacques Cherèque, la
mondialisation met en cause la République, lorsque se font sentir les effets de
décohésion territoriale et de décohésion sociale, je pense, avec lancien
ministre de lAménagement du Territoire, que le contrat constitue un élément de
stabilité et de progrès. Organisé à notre intention propre et par nous-mêmes, notre
projet de contractualisation citoyenne, régionale et territoriale, est un moyen de
prouver que nous pouvons toujours agir sur notre avenir.
(1) Jean-Marc OHNET, Refonder la décentralisation
sur les territoires les plus pertinents de laction publique, dans Guy LOINGER et
Jean-Claude NEMERY, dir., Construire la dynamique des territoires
, Acteurs,
institutions, citoyenneté active, p. 57, Paris-Montréal, LHarmattan, 1997.
(2) Georges CHATAIN, En Limousin, un projet lourd
de conflits, dans Le Monde, 26 mars 1999, p. 14.
(3) Jean-Marc OHNET, Refonder la décentralisation
sur les territoires les plus pertinents de laction publique
, p. 55.
(4) Guy LOINGER, Laménagement du territoire
face à la globalisation de léconomie, dans Guy LOINGER et Jean-Claude NEMERY, Recomposition
et développement des territoires, Enjeux économiques, processus, acteurs, p.
36, Paris-Montréal, LHarmattan, 1998.
(5) Michèle CASCALES, Excellence territoriale et
dynamique des pays, Guy LOINGER et Jean-Claude NEMERY, dir., Construire la
dynamique des territoires
, Acteurs, institutions, citoyenneté active, p.
66, Paris-Montréal, LHarmattan, 1997.
(6) Philippe DESTATTE, Rapport
général du quatrième congrès, dans La Wallonie au futur, Sortir du Xxème
siècle : Evaluation, innovation, prospective, p. 423-439, Charleroi, Institut
Jules Destrée, 1999.
(7)
Philippe DESTATTE, op. cit., p. 431-432.
(8) Jean-Louis GUIGOU, Le paradoxe :
mondialisation-territorialisation, dans Guy LOINGER et Jean-Claude NEMERY, dir., Construire
la dynamique des territoires
, Acteurs, institutions, citoyenneté active,
p. 15, Paris-Montréal, LHarmattan, 1997.
(9) Michèle CASCALES, Comment sélaborent
les contrats de plan 2000-2006
, dans Pouvoirs locaux, n° 40, mars 1999,
p. 114.
(10) Document de travail de Philippe Chain, chargé
de mission à la Datar, Les Contrats de Plan Etat-Région du 18 octobre 1995, dans
Jacques VOISARD et François LAVALLARD, op. cit., p. 144.
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