Institut Destrée - The Destree Institute

               Accueil

Organisation

Recherche scientifique

Education permanente

Conseil

Action

Evénements

 

 

Institut Destrée, Centre de recherche européen basé en Wallonie

Contrats, territoires et développement régional
Actes de la
Journée d'étude du 11 mai 1999 au Château de Namur
Organisation :
Institut Jules Destrée
CEMAC (Centre de Management et de Créativité)
OGM (Organisation Gestion Marketing)
Contrats, territoire et développement régional -11.05.99

Les Contrats de plans Etat - Région en France

Jacques Cherèque
Ancien ministre
Vice-président du Conseil général de Meurthe-et-Moselle

 

Je suis très heureux de participer à ce séminaire de réflexion sur le développement, l'aménagement du territoire et plus exactement, sur la contractualisation entre les différents partenaires sur ce même thème du développement et de l'aménagement du territoire.

Je souhaite tout d’abord vous dire, en deux mots, d’où je suis et qui je suis. Je suis actuellement premier vice-président du Conseil général du département de la Meurthe et Moselle, plus particulièrement chargé du Développement et de l'Aménagement des Territoires. J’appartiens à la formation de la majorité au sein de ce Conseil général et, lorsque je change de casquette pour siéger au Conseil régional, je me retrouve dans l'opposition.

J'ai longtemps travaillé sur le Développement, particulièrement en Lorraine, comme préfet de 1984 à 1988, dans une mission tout à fait spécifique liée à la reconversion de la sidérurgie. J'ai ainsi collaboré – avec beaucoup d'amis présents à cette journée d'étude – à la mise en place du pôle européen de Développement sur le bassin de Longwy, Arlon et Athus, qui, jusqu'à preuve du contraire, continue à faire parler de lui, même si, au bout de quinze ans, il commence à s'essouffler. On parle aujourd’hui de son second cycle.

J'ai eu l'honneur d'être, dans le gouvernement Rocard et pendant trois ans, ministre de l'Aménagement des Territoires et des Reconversions. Depuis une dizaine d'années, je suis revenu au pays, vivre le reste de mon âge, comme conseiller général et animateur d’une association de développement local de type "Loi 1901" qui regroupe 43 communes, une cinquantaine d'entreprises, autant d'associations dans une dynamique de développement local, appelée la dynamique des Pays – dont on va vous parler et qui est un peu au cœur de l'approche française.

On vous a parlé de l'évolution française de l'aménagement du territoire, plus particulièrement de la montée en puissance de ce que l'on a appelé le processus des Contrats de Plan qui a démarré en 1984 à la suite des lois de décentralisation et qui s'est déroulé en trois quinquennats – de 1984 à 1988, de 1989 à 1993, de 1994 à 1998 ou plus exactement jusqu'au 31 décembre 1999 puisque le gouvernement a rallongé la période initiale de 5 à 6 ans, les objectifs n’ayant pas été atteints.

Au printemps de l'année dernière, Madame Voynet, actuelle ministre de l'Aménagement des Territoires et du Développement, m'a demandé de lui faire un rapport sur la situation de ce processus de contractualisation en France et, suivant le mandat proposé, d'examiner dans quelles conditions ce processus pourrait être amendé, renouvelé, pour qu'il constitue un élément fort de mise en œuvre de la nouvelle politique de développement et d'aménagement du territoire du gouvernement.

Il me semble que désormais la différence entre l'aménagement du territoire et le développement s’est un peu clarifié. De manière générale, on n'a longtemps parlé que d'aménagement du territoire et fait de l'aménagement du territoire sans jamais beaucoup afficher au service de quel développement était cet aménagement du territoire ni quel était son contenu par rapport au développement du territoire. On s'est étonné, au bout d'un moment, de voir que l'aménagement du territoire ne signifiait plus que faire des routes, du bitume, des bâtiments, sans être particulièrement au service du développement et en particulier, du développement des territoires qui avaient le plus de difficultés à assumer au moins trois grands phénomènes : la mondialisation des échanges, l'évolution des technologies et ce que j'appelle les aspirations sociétales qui sont importantes depuis une dizaine d'années. Petit à petit, je crois qu'en France, on parle peut-être plus de développement que d'aménagement du territoire ou, du moins, on dit : on va prendre telle décision concernant l'aménagement du territoire au service de tel concept du développement.

On a ainsi remis l'église au milieu du village, car, à mon avis, il n'y a jamais eu d'aménagement du territoire qui ne cachait une conception spécifique du développement. Quand il s'est agi de désenclaver la Bretagne, de faire face aux premières grandes manifestations de l'évolution paysanne et des évolutions industrielles, on a choisi un type d'aménagement du territoire qui consistait en particulier à faire une route à deux fois deux voies partant de Nantes, allant jusqu'à Brest, et gratuite.

Aujourd’hui, on se pose la question de savoir s'il faut faire des autoroutes à péage. Mais à l'époque, on avait compris, face à des problèmes particuliers d'évolution liés soit aux technologies soit aux mutations de toutes sortes, qu'il existait des réponses en terme d'aménagement du territoire et donc qu'il y avait des choix d'aménagement du territoire qui, à mon avis, ne valent que si on les affiche en fonction de la conception du développement. Ainsi, en 1997, le nouveau gouvernement a t-il tenu à afficher la politique de développement qu'il soutenait et à définir à quoi devait servir une politique d'aménagement du territoire.

La lettre de mission que m'avait adressée Madame Voynet, l'année dernière, au printemps, était très claire. Elle mentionnait de regarder si l'exercice de la contractualisation correspondait bien à la conception du développement et de l'aménagement du territoire que le comité interministériel d'Aménagement du Territoire de décembre 1997 a affichée.

Je vous les rappelle : il y a quatre grands axes et c'est en fonction de cette référence-là qu’à la fois les acteurs de l'Etat et les acteurs du terrain doivent maintenant orienter leurs choix et leurs priorités d'aménagement.

Le premier objectif, dit le gouvernement français, vise à promouvoir une organisation plus solidaire du territoire autour des agglomérations des villes moyennes et des pays. On affiche ainsi cette volonté d'une certaine solidarité entre les différents territoires.

Deuxièmement (on passe souvent à la trappe ce deuxième objectif et notamment, parmi, les gens du développement local) : renforcer le positionnement international de nos principaux systèmes urbains. On fait souvent le procès suivant à Madame Voynet, au vu de ses aspirations écologiques : on dit que c'est une femme du rural contre l'urbain. C'est en effet toujours une notion qu'on a : le rural contre l'urbain. Or, le deuxième objectif fixé à l'aménagement du territoire, c'est de renforcer le positionnement international de nos principaux systèmes urbains. Dans notre système urbain, ce positionnement montre qu'on ne peut plus faire l'impasse, en terme de développement, sur la réalité constituées par les fonctions des agglomérations.

Le troisième : valoriser la qualité des territoires et des ressources locales, notamment, les ressources humaines. Le quatrième : favoriser le partenariat et la démocratie participative. Voici les quatre orientations majeures qui résument la politique actuelle du gouvernement français en matière de Développement et d'Aménagement du Territoire.

J'ai donc conduit cet examen en recevant bien sûr les présidents de régions, les préfets, etc. Est-ce que le processus des contrats de plan en France constitue un élément fort d'une mise en œuvre de la nouvelle politique de développement ?

Les conclusions ont été les suivantes.

L'exercice qui s’est déroulé sur trois quinquennats (quinze ans) permet un peu de recul. Il a permis à la France de relever, en partie, un défi fondamental qui était celui de la modernisation de ses industries et de ses territoires, je pense, en particulier, aux industries navales, ferroviaires, sidérurgiques, charbonnières etc. Il est évident aussi que cela a permis d’enclencher une dynamique qui a fait monter en puissance, à partir des lois de décentralisation, les nouvelles réalités que constituent les conseils régionaux, qui, dans ces lois, disposent d’une autonomie d'élaboration de leurs projets de développement et donc d’une autonomie de gestion de leur propre budget, ce qui n'est pas mince, puisqu'à travers ces même lois, les préfets n'ont plus qu'une fonction, si j'ose dire, de contrôle de légalité a posteriori.

C'est dire qu'une assemblée prend les décisions qui, en conscience, lui incombent, mais seul le représentant de l'Etat a le droit de dire si cela cadre ou non avec le respect de la légalité des lois de la République. Il ne sanctionne pas lui-même, il défère au tribunal administratif, ce qui, dans un Etat jacobin, après 200 ans de jacobinisme, est déjà une évolution culturelle fondamentale.

Ainsi, lorsqu’on examine la période, avec quinze ans de recul, on s’aperçoit qu'incontestablement, cet exercice du débat entre l'Etat déconcentré et la décentralisation à travers le Conseil régional a permis, en grande partie, de relever le défi de la modernisation, de la mondialisation des échanges, de l'irruption dans tout les types d’industries des nouvelles technologies.

Ceci dit, lorsqu'on regarde l'exercice sous un autre angle, on s'aperçoit qu’il y a eu concentration surtout sur des objectifs de macro aménagement, c'est-à-dire répondant aux problèmes touchant au désenclavement, à la montée en puissance des systèmes universitaires et d'enseignement, à l'amélioration, à la correction dans les bassins industriels des dégâts urbanistiques, etc. Cet exercice s'est surtout focalisé sur des objectifs de caractère macro-économique ou macro territorial et, en cela, il n'a pas permis de réduire vraiment d'une manière très significative les inégalités de développement.

En caricaturant, on peut dire que les régions riches ont tiré profit de ce système, que les régions pauvres ont un peu corrigé à la marge les conséquences du système des mutations mais qu'il n'y a pas eu une de correction, dans un sens plus équilibré territorialement parlant, entre les régions. Autrement dit, les écarts de développement entre les régions françaises n'ont pas été significativement corrigés, ils se sont souvent accrus et, à l'intérieur des régions, les écarts de développement infra régionaux se sont souvent au mieux stabilisés et quelquefois, accrus.

Donc, l'objectif qui était à la fois de répondre au défi de la mondialisation, au défi de l'efficacité du développement, n'a pas été pleinement atteint, non plus que celui de la solidarité. Malgré des efforts conséquents, en particulier sous l'impulsion du Premier ministre, Monsieur Bérégovoy, et derrière lui, de Monsieur Pasqua, ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Intérieur, on n’a pas pu opérer des soutiens "inégalitaires" en faveur des territoires et des gens en difficulté, l’égalité imposant parfois des mesures qui aggravent les inégalités.

On s’est également aperçu que l'exercice, en l'absence d'une coordination sous l'égide du ministre de l'Aménagement du Territoire et de la Datar, générait une implication des ministères tout à fait différente en fonction de l'intérêt technique ou politique de la prise en charge du contrat de plan.

Deux exemples extrêmes : la contractualisation par le ministère de l'équipement atteignait 75 % de son budget parce qu'il y avait une forte demande pour des routes, dont une "demande électorale". Le ministère de l'équipement se préservait donc de tout gel budgétaire en engageant ses projets sur cinq ans, indépendamment de l'annualité budgétaire dont on a parlé.

En revanche un ministère comme celui du travail, de la solidarité et de l'emploi ne contractualisait pratiquement pas. J'ai regardé pourquoi et me suis aperçu qu’en matière de correction sociale, de développement, d'attaque du chômage, ce sont bien des politiques conjuguées à la fois de développement macro régional, micro régional, infra régional, qui permettent, dans la durée, de reconquérir petit à petit des postes de service, de reconquérir à travers le réseau des PME et PMI ce que les grandes entreprises ont perdu. Cela demande du temps, beaucoup d'argent sans une véritable visibilité, or pour tout gouvernement, de droite comme de gauche, lorsqu’on se place dans le domaine du social, il est important d’avoir des effets significatifs sur le taux de chômage. Et pour ce faire, il faut, de temps en temps, quand un brillant technocrate a inventé la mesure qui va toucher fortement le taux de chômage, qu'immédiatement le ministre puisse dégager des fonds en conséquence.

Voilà, deux exemples significatifs d'un type de développement qui fait qu'un ministère met ses sous à l'avance pour les préserver et qu'un autre les met sous le coude pour qu'ils soient disponibles pour un objet ponctuel alors que son action devrait s’inscrire dans la durée.

Mon trait est forcé, il est un peu caricatural, mais la caricature n'est que l'exagération de la réalité.

Dernier point, les contrats de plan n'ont pas été jusqu’ici des modèles de partenariat et de participation démocratique. Pour deux raisons, d’abord parce que les Français sont des jacobins, que toute démarche de décentralisation est un long apprentissage conceptuel, un long apprentissage culturel, que les lois de décentralisation n'ont pas concerné chacun des Français. L'appareil préfectoral, est ainsi resté jacobin et les lois de décentralisation ont pris un peu à contre-pied les préfets d’un point de vue culturel. Cela ne veut pas dire que ça ne bouge pas, le ministère des Finances et de l'Economie, – qu'on appelait autrefois la Rue de Rivoli et maintenant la Rue de Bercy –, exerce une pression prépondérante dans la gestion centralisée.

De plus, en France, on part du principe républicain, formidable, qui dit qu'aucune collectivité n'a le droit d'exercer de tutelle sur l'autre. C'est Gaston Deferre, un grand féodal provincial, antiparisien, qui a eu ces mots et il avait raison. Seulement quand on regarde l'application de ce principe, cela signifie que chacun fait ce qu'il veut, là où il est. C'est-à-dire que la commune peut faire le développement économique qu'elle entend, comme le département, la Région ou encore l'Etat. Alors, si vous ajoutez les fonds européens, le tout manque de cohérence; il y a dès lors un gâchis invraisemblable.

Cependant tout ceci c'est un peu en train de s'ordonner, de se mettre en route, mais toujours avec en parallèle notre la loi de décentralisation qui dit – et c'est sans doute une bonne chose – qu’une collectivité n'exerce pas de tutelle sur une autre. Tout en n’ayant pas su, pour faire un effort de toilettage des compétences, indiquer que si tel niveau exerce une compétence majeure, c'est plutôt sur celle-ci qu'elle doit s'engager.

Malgré ce constat, l’appréciation reste globalement positive. J'ai conclu, en direction du ministre et du Premier ministre, qu'il fallait continuer l'exercice même s'il fallait dans le même temps opérer un toilettage. Sur trente-trois propositions émises, je me propose de vous en citer quelques unes :

– donner une pleine autonomie d'exercice de leurs compétences aux deux acteurs principaux que sont l'Etat et la Région. Les régions ont pour mission d'élaborer leur plan de développement à 5 ans, les préfets d'élaborer la stratégie de l'Etat à 5 ans pour la Région concernée;

– croiser ensuite les stratégies, car s’il y a un temps pour élaborer sa stratégie en toute autonomie, il faut également un temps pour se concerter;
– associer les partenaires, les collectivités locales, les acteurs économiques;
– dégager les objectifs communs qui constitueront la matrice du futur contrat de plan. On se met d'accord sur des priorités communes, des programmations communes, et on négocie;
– inclure les données d'évaluation en amont. C'est-à-dire qu'au moment de l’élaboration d’un projet, il doit y avoir, en amont, prévision du programme d'évaluation qui devra suivre;

Cet exercice se déroulera sur sept ans;

Pour être en synchronisation avec les décisions de l'Europe, une Conférence régionale d'Aménagement et de Développement du Territoire, (CRADT), coprésidée par le préfet de Région et par le président du Conseil régional, sert de lieu de concertation et de négociation.

Enfin, ces contrats de plan doivent être maintenant présentés quant à leur architecture reposant sur deux éléments majeurs :

1. Un axe de développement macro régional prenant en compte les grands objectifs du développement global de la Région, les routes, les équipements.

2. Un deuxième volet, sur lequel l'Etat et la Région sont conjointement présents. Il s’agit de contrats avec les territoires infra régionaux qui structurent le développement régional, les agglomérations, ou les territoires non agglomérés, qu'on appelle les Pays.

Et c'est probablement sur cette approche – conjuguant les aspects macro et infra du développement régional – qu’on pourra mesurer si, en terme de développement et d'aménagement du territoire, on a vraiment réussi à conjuguer la nécessaire efficacité de développement par rapport aux grands enjeux de la mondialisation et de l’évolution des technologies, et l'exigence non moindre de l'égalité des chances de développement pour chacun de nos territoires. Et c'est pour cette raison que j'ai intitulé mon rapport : Plus de Région et mieux d'Etat.

Cela veut tout dire !

 

L'Institut Destrée L'Institut Destrée,
ONG partenaire officiel de l'UNESCO (statut de consultation) et 
en statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social
des Nations Unies (ECOSOC) depuis 2012
  The Destree Institute The Destrée Institute,
NGO official partner of UNESCO (consultative status) and 
in Special consultative status with the United Nations Economic
and Social Council (ECOSOC) since 2012 

www.institut-destree.eu  -  www.institut-destree.org  -  www.wallonie-en-ligne.net  ©   Institut Destrée - The Destree Institute