Je suis très heureux de participer à ce séminaire de réflexion sur
le développement, l'aménagement du territoire et plus exactement, sur la
contractualisation entre les différents partenaires sur ce même thème du développement
et de l'aménagement du territoire.
Je souhaite tout dabord vous dire, en deux mots, doù je
suis et qui je suis. Je suis actuellement premier vice-président du Conseil général du
département de la Meurthe et Moselle, plus particulièrement chargé du Développement et
de l'Aménagement des Territoires. Jappartiens à la formation de la majorité au
sein de ce Conseil général et, lorsque je change de casquette pour siéger au Conseil
régional, je me retrouve dans l'opposition.
J'ai longtemps travaillé sur le Développement, particulièrement en
Lorraine, comme préfet de 1984 à 1988, dans une mission tout à fait spécifique liée
à la reconversion de la sidérurgie. J'ai ainsi collaboré avec beaucoup d'amis
présents à cette journée d'étude à la mise en place du pôle européen de Développement
sur le bassin de Longwy, Arlon et Athus, qui, jusqu'à preuve du contraire, continue à
faire parler de lui, même si, au bout de quinze ans, il commence à s'essouffler. On
parle aujourdhui de son second cycle.
J'ai eu l'honneur d'être, dans le gouvernement Rocard et pendant trois
ans, ministre de l'Aménagement des Territoires et des Reconversions. Depuis une dizaine
d'années, je suis revenu au pays, vivre le reste de mon âge, comme conseiller général
et animateur dune association de développement local de type "Loi 1901"
qui regroupe 43 communes, une cinquantaine d'entreprises, autant d'associations dans une
dynamique de développement local, appelée la dynamique des Pays dont on va vous
parler et qui est un peu au cur de l'approche française.
On vous a parlé de l'évolution française de l'aménagement du
territoire, plus particulièrement de la montée en puissance de ce que l'on a appelé le
processus des Contrats de Plan qui a démarré en 1984 à la suite des lois de
décentralisation et qui s'est déroulé en trois quinquennats de 1984 à 1988, de
1989 à 1993, de 1994 à 1998 ou plus exactement jusqu'au 31 décembre 1999 puisque le
gouvernement a rallongé la période initiale de 5 à 6 ans, les objectifs nayant
pas été atteints.

Au printemps de l'année dernière, Madame Voynet, actuelle ministre de
l'Aménagement des Territoires et du Développement, m'a demandé de lui faire un rapport
sur la situation de ce processus de contractualisation en France et, suivant le mandat
proposé, d'examiner dans quelles conditions ce processus pourrait être amendé,
renouvelé, pour qu'il constitue un élément fort de mise en uvre de la nouvelle
politique de développement et d'aménagement du territoire du gouvernement.
Il me semble que désormais la différence entre l'aménagement du
territoire et le développement sest un peu clarifié. De manière générale, on
n'a longtemps parlé que d'aménagement du territoire et fait de l'aménagement du
territoire sans jamais beaucoup afficher au service de quel développement était cet
aménagement du territoire ni quel était son contenu par rapport au développement du
territoire. On s'est étonné, au bout d'un moment, de voir que l'aménagement du
territoire ne signifiait plus que faire des routes, du bitume, des bâtiments, sans être
particulièrement au service du développement et en particulier, du développement des
territoires qui avaient le plus de difficultés à assumer au moins trois grands
phénomènes : la mondialisation des échanges, l'évolution des technologies et ce
que j'appelle les aspirations sociétales qui sont importantes depuis une dizaine
d'années. Petit à petit, je crois qu'en France, on parle peut-être plus de
développement que d'aménagement du territoire ou, du moins, on dit : on va prendre
telle décision concernant l'aménagement du territoire au service de tel concept du
développement.
On a ainsi remis l'église au milieu du village, car, à mon avis, il
n'y a jamais eu d'aménagement du territoire qui ne cachait une conception spécifique du
développement. Quand il s'est agi de désenclaver la Bretagne, de faire face aux
premières grandes manifestations de l'évolution paysanne et des évolutions
industrielles, on a choisi un type d'aménagement du territoire qui consistait en
particulier à faire une route à deux fois deux voies partant de Nantes, allant jusqu'à
Brest, et gratuite.
Aujourdhui, on se pose la question de savoir s'il faut faire des
autoroutes à péage. Mais à l'époque, on avait compris, face à des problèmes
particuliers d'évolution liés soit aux technologies soit aux mutations de toutes sortes,
qu'il existait des réponses en terme d'aménagement du territoire et donc qu'il y avait
des choix d'aménagement du territoire qui, à mon avis, ne valent que si on les affiche
en fonction de la conception du développement. Ainsi, en 1997, le nouveau gouvernement a
t-il tenu à afficher la politique de développement qu'il soutenait et à définir à
quoi devait servir une politique d'aménagement du territoire.
La lettre de mission que m'avait adressée Madame Voynet, l'année
dernière, au printemps, était très claire. Elle mentionnait de regarder si l'exercice
de la contractualisation correspondait bien à la conception du développement et de
l'aménagement du territoire que le comité interministériel d'Aménagement du Territoire
de décembre 1997 a affichée.
Je vous les rappelle : il y a quatre grands axes et c'est en
fonction de cette référence-là quà la fois les acteurs de l'Etat et les acteurs
du terrain doivent maintenant orienter leurs choix et leurs priorités d'aménagement.

Le premier objectif, dit le gouvernement français, vise à promouvoir
une organisation plus solidaire du territoire autour des agglomérations des villes
moyennes et des pays. On affiche ainsi cette volonté d'une certaine solidarité entre
les différents territoires.
Deuxièmement (on passe souvent à la trappe ce deuxième objectif et
notamment, parmi, les gens du développement local) : renforcer le positionnement
international de nos principaux systèmes urbains. On fait souvent le procès suivant
à Madame Voynet, au vu de ses aspirations écologiques : on dit que c'est une femme
du rural contre l'urbain. C'est en effet toujours une notion qu'on a : le rural
contre l'urbain. Or, le deuxième objectif fixé à l'aménagement du territoire, c'est de
renforcer le positionnement international de nos principaux systèmes urbains. Dans notre
système urbain, ce positionnement montre qu'on ne peut plus faire l'impasse, en terme de
développement, sur la réalité constituées par les fonctions des agglomérations.
Le troisième : valoriser la qualité des territoires et des
ressources locales, notamment, les ressources humaines. Le quatrième : favoriser
le partenariat et la démocratie participative. Voici les quatre orientations majeures
qui résument la politique actuelle du gouvernement français en matière de
Développement et d'Aménagement du Territoire.
J'ai donc conduit cet examen en recevant bien sûr les présidents de
régions, les préfets, etc. Est-ce que le processus des contrats de plan en France
constitue un élément fort d'une mise en uvre de la nouvelle politique de
développement ?
Les conclusions ont été les suivantes.
L'exercice qui sest déroulé sur trois quinquennats (quinze ans)
permet un peu de recul. Il a permis à la France de relever, en partie, un défi
fondamental qui était celui de la modernisation de ses industries et de ses territoires,
je pense, en particulier, aux industries navales, ferroviaires, sidérurgiques,
charbonnières etc. Il est évident aussi que cela a permis denclencher une
dynamique qui a fait monter en puissance, à partir des lois de décentralisation, les
nouvelles réalités que constituent les conseils régionaux, qui, dans ces lois,
disposent dune autonomie d'élaboration de leurs projets de développement et donc
dune autonomie de gestion de leur propre budget, ce qui n'est pas mince, puisqu'à
travers ces même lois, les préfets n'ont plus qu'une fonction, si j'ose dire, de
contrôle de légalité a posteriori.
C'est dire qu'une assemblée prend les décisions qui, en conscience,
lui incombent, mais seul le représentant de l'Etat a le droit de dire si cela cadre ou
non avec le respect de la légalité des lois de la République. Il ne sanctionne pas
lui-même, il défère au tribunal administratif, ce qui, dans un Etat jacobin, après 200
ans de jacobinisme, est déjà une évolution culturelle fondamentale.

Ainsi, lorsquon examine la période, avec quinze ans de recul, on
saperçoit qu'incontestablement, cet exercice du débat entre l'Etat déconcentré
et la décentralisation à travers le Conseil régional a permis, en grande partie, de
relever le défi de la modernisation, de la mondialisation des échanges, de l'irruption
dans tout les types dindustries des nouvelles technologies.
Ceci dit, lorsqu'on regarde l'exercice sous un autre angle, on
s'aperçoit quil y a eu concentration surtout sur des objectifs de macro
aménagement, c'est-à-dire répondant aux problèmes touchant au désenclavement, à la
montée en puissance des systèmes universitaires et d'enseignement, à l'amélioration,
à la correction dans les bassins industriels des dégâts urbanistiques, etc. Cet
exercice s'est surtout focalisé sur des objectifs de caractère macro-économique ou
macro territorial et, en cela, il n'a pas permis de réduire vraiment d'une manière très
significative les inégalités de développement.
En caricaturant, on peut dire que les régions riches ont tiré profit
de ce système, que les régions pauvres ont un peu corrigé à la marge les conséquences
du système des mutations mais qu'il n'y a pas eu une de correction, dans un sens plus
équilibré territorialement parlant, entre les régions. Autrement dit, les écarts de
développement entre les régions françaises n'ont pas été significativement corrigés,
ils se sont souvent accrus et, à l'intérieur des régions, les écarts de développement
infra régionaux se sont souvent au mieux stabilisés et quelquefois, accrus.
Donc, l'objectif qui était à la fois de répondre au défi de la
mondialisation, au défi de l'efficacité du développement, n'a pas été pleinement
atteint, non plus que celui de la solidarité. Malgré des efforts conséquents, en
particulier sous l'impulsion du Premier ministre, Monsieur Bérégovoy, et derrière lui,
de Monsieur Pasqua, ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Intérieur, on
na pas pu opérer des soutiens "inégalitaires" en faveur des territoires
et des gens en difficulté, légalité imposant parfois des mesures qui aggravent
les inégalités.
On sest également aperçu que l'exercice, en l'absence d'une
coordination sous l'égide du ministre de l'Aménagement du Territoire et de la Datar,
générait une implication des ministères tout à fait différente en fonction de
l'intérêt technique ou politique de la prise en charge du contrat de plan.
Deux exemples extrêmes : la contractualisation par le ministère
de l'équipement atteignait 75 % de son budget parce qu'il y avait une forte demande
pour des routes, dont une "demande électorale". Le ministère de l'équipement
se préservait donc de tout gel budgétaire en engageant ses projets sur cinq ans,
indépendamment de l'annualité budgétaire dont on a parlé.

En revanche un ministère comme celui du travail, de la solidarité et
de l'emploi ne contractualisait pratiquement pas. J'ai regardé pourquoi et me suis
aperçu quen matière de correction sociale, de développement, d'attaque du
chômage, ce sont bien des politiques conjuguées à la fois de développement macro
régional, micro régional, infra régional, qui permettent, dans la durée, de
reconquérir petit à petit des postes de service, de reconquérir à travers le réseau
des PME et PMI ce que les grandes entreprises ont perdu. Cela demande du temps, beaucoup
d'argent sans une véritable visibilité, or pour tout gouvernement, de droite comme de
gauche, lorsquon se place dans le domaine du social, il est important davoir
des effets significatifs sur le taux de chômage. Et pour ce faire, il faut, de temps en
temps, quand un brillant technocrate a inventé la mesure qui va toucher fortement le taux
de chômage, qu'immédiatement le ministre puisse dégager des fonds en conséquence.
Voilà, deux exemples significatifs d'un type de développement qui
fait qu'un ministère met ses sous à l'avance pour les préserver et qu'un autre les met
sous le coude pour qu'ils soient disponibles pour un objet ponctuel alors que son action
devrait sinscrire dans la durée.
Mon trait est forcé, il est un peu caricatural, mais la caricature
n'est que l'exagération de la réalité.
Dernier point, les contrats de plan n'ont pas été jusquici des
modèles de partenariat et de participation démocratique. Pour deux raisons, dabord
parce que les Français sont des jacobins, que toute démarche de décentralisation est un
long apprentissage conceptuel, un long apprentissage culturel, que les lois de
décentralisation n'ont pas concerné chacun des Français. L'appareil préfectoral, est
ainsi resté jacobin et les lois de décentralisation ont pris un peu à contre-pied les
préfets dun point de vue culturel. Cela ne veut pas dire que ça ne bouge pas, le
ministère des Finances et de l'Economie, qu'on appelait autrefois la Rue de Rivoli
et maintenant la Rue de Bercy , exerce une pression prépondérante dans la gestion
centralisée.
De plus, en France, on part du principe républicain, formidable, qui
dit qu'aucune collectivité n'a le droit d'exercer de tutelle sur l'autre. C'est Gaston
Deferre, un grand féodal provincial, antiparisien, qui a eu ces mots et il avait raison.
Seulement quand on regarde l'application de ce principe, cela signifie que chacun fait ce
qu'il veut, là où il est. C'est-à-dire que la commune peut faire le développement
économique qu'elle entend, comme le département, la Région ou encore l'Etat. Alors, si
vous ajoutez les fonds européens, le tout manque de cohérence; il y a dès lors un
gâchis invraisemblable.
Cependant tout ceci c'est un peu en train de s'ordonner, de se mettre
en route, mais toujours avec en parallèle notre la loi de décentralisation qui dit
et c'est sans doute une bonne chose quune collectivité n'exerce pas
de tutelle sur une autre. Tout en nayant pas su, pour faire un effort de toilettage
des compétences, indiquer que si tel niveau exerce une compétence majeure, c'est plutôt
sur celle-ci qu'elle doit s'engager.

Malgré ce constat, lappréciation reste globalement positive.
J'ai conclu, en direction du ministre et du Premier ministre, qu'il fallait continuer
l'exercice même s'il fallait dans le même temps opérer un toilettage. Sur trente-trois
propositions émises, je me propose de vous en citer quelques unes :
donner une pleine autonomie d'exercice de leurs compétences aux
deux acteurs principaux que sont l'Etat et la Région. Les régions ont pour mission
d'élaborer leur plan de développement à 5 ans, les préfets d'élaborer la stratégie
de l'Etat à 5 ans pour la Région concernée;
croiser ensuite les stratégies, car sil y a un temps pour
élaborer sa stratégie en toute autonomie, il faut également un temps pour se concerter;
associer les partenaires, les collectivités locales, les acteurs économiques;
dégager les objectifs communs qui constitueront la matrice du futur contrat de
plan. On se met d'accord sur des priorités communes, des programmations communes, et on
négocie;
inclure les données d'évaluation en amont. C'est-à-dire qu'au moment de
lélaboration dun projet, il doit y avoir, en amont, prévision du programme
d'évaluation qui devra suivre;
Cet exercice se déroulera sur sept ans;
Pour être en synchronisation avec les décisions de l'Europe, une
Conférence régionale d'Aménagement et de Développement du Territoire, (CRADT),
coprésidée par le préfet de Région et par le président du Conseil régional, sert de
lieu de concertation et de négociation.
Enfin, ces contrats de plan doivent être maintenant présentés quant
à leur architecture reposant sur deux éléments majeurs :
1. Un axe de développement macro régional prenant en compte les
grands objectifs du développement global de la Région, les routes, les équipements.
2. Un deuxième volet, sur lequel l'Etat et la Région sont
conjointement présents. Il sagit de contrats avec les territoires infra régionaux
qui structurent le développement régional, les agglomérations, ou les territoires non
agglomérés, qu'on appelle les Pays.
Et c'est probablement sur cette approche conjuguant les aspects
macro et infra du développement régional quon pourra mesurer si, en terme
de développement et d'aménagement du territoire, on a vraiment réussi à conjuguer la
nécessaire efficacité de développement par rapport aux grands enjeux de la
mondialisation et de lévolution des technologies, et l'exigence non moindre de
l'égalité des chances de développement pour chacun de nos territoires. Et c'est pour
cette raison que j'ai intitulé mon rapport : Plus de Région et mieux d'Etat.
Cela veut tout dire !