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Préface |
Atteindre le port ensemble |
Robert Collignon
Ministre-Président du Gouvernement wallon |
Dès les fêtes de Wallonie 1995,
jai souhaité que lannée 1996 constitue
loccasion, pour la Wallonie, de rendre hommage aux
populations qui sont venues participer au développement de notre
région et, ce, depuis la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi, cette année 1996 fut-elle
fertile en commémorations puisquelle permit, dune
part, de rappeler le Protocole daccord du 23 juin 1946 qui
allait ouvrir les portes de la Belgique à plus de 77.000
travailleurs italiens en moins de quatre ans et, dautre
part, de se souvenir de la catastrophe du Bois du Cazier à
Marcinelle, le 8 août 1956, où 186 mineurs Italiens trouvèrent
la mort aux côtés de 125 autres victimes de plusieurs
nationalités. Les noms inscrits sur cette longue liste de
victimes je lai dit à Marcinelle témoignent
de la richesse du tissu social de lindustrie wallonne. En
effet, à côté des fils de lItalie, se trouvaient
ensevelies des "Gueules noires" de toutes les
origines : polonaise, française, grecque, allemande,
hongroise, russe, ukrainienne, britannique, ainsi quun
lourd contingent de Belges.
Aux Italiens, aux Polonais, se
sont ajoutés les Espagnols, les Turcs, les Maghrébins, puis
ceux venus dautres pays dAfrique et dEurope.
Aussi, en guise de point
dorgue de cette année du cinquantenaire, jai voulu
évoquer la vie et lhistoire de tous ceux, quelle que soit
leur origine, qui sont venus vivre en Wallonie dont ils ont fait
leur foyer.
Dès lors, lévocation de
cette vie commune depuis 1946 et pendant toutes les années qui
ont suivi nous est apparue comme lhistoire dune
double intégration, dune reconnaissance mutuelle entre les
Wallons venus dailleurs et les Wallons dici. Lorsque
je parle des Wallons, jentends évidemment évoquer les
citoyens résidant de manière permanente au sein de cette
entité de droit public quest la Région wallonne.
Cette reconnaissance mutuelle des
uns par les autres ne débouchera ni sur une uniformisation
mondiale ni sur la constitution de ghettos communautaires, mais
sur un éloge de la différence à la manière prônée par
Albert Jacquart : une dialectique de lenrichissement.
Voilà donc comment, en Wallonie,
nous voulons renforcer notre identité en la définissant comme
ouverte à lautre et en lui assignant la défense de
valeurs démocratiques et humanistes. Ce discours nest
certes pas nouveau chez nous et il a été porté par tout le
mouvement wallon qui na cessé, malgré les difficultés de
sa tâche, malgré le contexte politique défavorable, de rejeter
tout repli "nationalitaire" et de proclamer que la
Wallonie est Terre daccueil ou, mieux, Terre de couleurs.
Cette ouverture, cest aussi
une histoire que nous écrivons ensemble depuis cinquante ans.
Une histoire économique où le contexte de la croissance
constante mais émaillée de crises jette, côte à côte,
les jeunes tantôt dans les entreprises innovantes et tantôt
dans les files du chômage. Une histoire sociale où, à travers
leurs luttes ouvrières, les travailleurs venus de tous pays
sunissent. Une histoire politique où les convictions
transcendent les origines. Une histoire culturelle où les
influences sinterpénètrent pour se sublimer.
Cest un long chemin que
Wallons dici et dailleurs ont parcouru depuis ce
demi-siècle et que jai demandé à lInstitut Jules
Destrée dévoquer dans cette exposition. Un chemin qui se
veut lavenir. Car la capacité qui fut la nôtre de nous
serrer les coudes dans la tempête est la meilleure garantie de
notre capacité à atteindre le port ensemble.
Ce texte est extrait du catalogue
de l'exposition
Wallons d'ici et d'ailleurs. La
société wallonne depuis la Libération, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1996.
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