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La musique
- (1995)
Première partie - Deuxième partie
Robert Wangermée
Professeur honoraire à l'Université libre de Bruxelles
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V. Grétry et l'opéra-comique
Un changement important
est intervenu dans la vie musicale lorsque l'opéra de divertissement de cour est
devenu un spectacle public et payant. A Bruxelles, une première salle -le futur
théâtre de la Monnaie- a été ouverte entre 1695 et 1700; à Liège, c'est vers
1740 qu'une salle a été réservée à du théâtre parlé, des spectacles forains et
du théâtre lyrique. A Bruxelles, il s'est agi surtout d'opéra-comique, un genre
qui mêlait des dialogues parlés à de petits airs et à quelques danses; à Liège,
suite au succès fait à Paris à La serva padrona de Pergolèse, des troupes
itinérantes de comédiens italiens ont donné souvent des spectacles d'opéra
buffa. Sur ce modèle quelques nobles ont écrit en wallon liégeois des
livrets qui ont été mis en musique avec verve par Jean-Noël Hamal; les plus
remarquables Li lidjwè ègagï et Li Voyèdje di Tchafontaine,
n'ont évidemment pu bénéficier que de représentations locales pour une
bourgeoisie éclairée qui se penchait vers le peuple.
La découverte de l'opéra-bouffe
italien joué par une troupe de passage a déterminé la carrière d'André-Modeste
Grétry (1741-1813), alors qu'il était enfant de choeur et violoniste dans les
églises liégeoises. A 18 ans, grâce à une bourse instituée par un mécène pour
favoriser la formation en Italie de jeunes artistes et intellectuels liégeois,
il a pu séjourner à Rome pendant six ans avant de conquérir Paris avec Le
Huron un opéra comique sur un livret de Marmontel tiré d'un conte de
Voltaire. De tous les compositeurs d'opéra-comique de la fin du siècle, il a été
le plus prolifique et celui qui a connu le plus de succès.
Aussitôt après leur
création, ses nombreuses oeuvres ont été jouées dans toute l'Europe en italien,
en allemand, en anglais, en espagnol, en flamand, en russe aussi bien qu'en
français.
Ce succès a été dû à la
parfaite assimilation par Grétry du style italien dans ce qu'il avait de plus
séduisant, à sa facilité mélodique et à son souci constant de faire ressentir
toutes les émotions par sa musique et d'intégrer celle-ci dans une trame
dramatique efficace. Par les sujets qu'il a choisis et le traitement musical
qu'il leur a donnés il a haussé le genre de l'opéra- comique à un niveau
supérieur à celui de ses prédécesseurs. Il l'a maintenu souvent dans un climat
sentimental et bourgeois car il a toujours voulu toucher les "âmes sensibles";
il a évoqué aussi un Moyen Age mythique dans Richard Coeur de Lion,
premier "opéra troubadour" et un exotisme oriental dans Zémire et Azor Musicien
favori de Marie-Antoinette et de l'Ancien Régime, Grétry a continué à être joué
pendant la Révolution. Il a même écrit alors des oeuvres comme
La Rosière républicaine, ou Denys le Tyran. Mais, dès ce
moment, il s'est voulu surtout auteur littéraire. En 1789 déjà, il avait publié
des Mémoires ou essais sur la musique qui avaient pris pour modèle les
Confessions
de Rousseau. A la fin de sa vie dans l'Ermitage de Montmorency où avait vécu
Jean-Jacques il a rédigé en huit gros cahiers des Réflexions d'un solitaire.
Outre une autobiographie sentimentale, on trouve dans ces écrits l'analyse de
ses propres oeuvres, une réflexion sur la musique, sur l'opéra, sur les rapports
de la déclamation et du chant, sur l'expression musicale des sentiments. Il y a
exprimé le pré-romantisme qui est présent aussi dans sa musique.

VI. Un musicologue-pédagogue
Les compositeurs ne sont
pas seuls à marquer la vie de leur époque. Ainsi, dans le premier demi-siècle de
la Belgique, la personnalité la plus remarquable est certainement
François-Joseph Fétis (1784-1871) qui a composé des oeuvres de qualité (de la
musique de chambre et des symphonies) mais qui s'est imposé comme musicologue et
comme pédagogue.
Fétis avait fait son
premier apprentissage musical dans sa ville natale. Mons, mais c'est à Paris
qu'il a poursuivi ses études dès 1800. Les anciens Pays-Bas autrichiens avaient
alors été intégrés à la France et le Conservatoire qui venait d'être créé à
Paris exerçait une attraction considérable par la vertu d'un enseignement
rénové. Fétis y est devenu lui-même professeur de composition et bibliothécaire.
En 1833, au lendemain de la révolution qui a fait naître la Belgique, il a été
nommé directeur du Conservatoire de Bruxelles et l'est resté jusqu'à sa mort.
Le mérite de Fétis est
d'avoir été un des premiers à s'intéresser activement aux musiques du passé. En
effet, pendant longtemps, la civilisation occidentale avait vécu dans l'absolu
d'une musique contemporaine.Musique d'église, musique de théâtre, musique de
divertissement, devaient répondre aux besoins psychologiques et esthétiques de
leur époque. Lorsqu'elle cessaient de répondre à ces demandes, on ne les jouait
plus, on les oubliait. On ne connaissait donc au fil des siècles qu'une musique
contemporaine qui se renouvelait lentement mais incessamment.
Fétis a consacré aux
musiques du passé de nombreux travaux scientifiques. Il a écrit notamment une
Biographie universelle des musiciens en huit volume et une Histoire
générale de la musique restée inachevée. Ces musiques, il ne les a pas
défendues seulement auprès des spécialistes, mais auprès d'un plus large public
par ses articles dans La Revue musicale (un périodique qu'il a
entièrement rédigé lui-même et publié à Paris de 1827 à 1835) et plus tard dans
divers périodiques.
"L'art ne progresse pas,
il se transforme", telle était son idée fondamentale. Il s'est donné pour but de
mettre en évidence l'évolution organique de la musique, de montrer le
développement de ses formes et surtout de faire percevoir que les oeuvres du
passé sont dignes d'être aimées encore. Pour y arriver, il a aussi fait
connaître la musique ancienne dans sa réalité concrète en organisant à Paris
d'abord en 1832 et 1833 et plus tard à Bruxelles des Concerts historiques
qu'il a consacrés à la musique du XVIe siècle, à celle du XVIIe, à l'histoire de
l'opéra.
On a pu lui reprocher une
certaine incompréhension à l'égard des audaces de créateurs comme Berlioz ou
Wagner. Cette contradiction est significative. Si les hommes du XIXe siècle ont
accueilli avec empressement l'idée neuve que les musiques du passé étaient
capables de les émouvoir profondément, c'est parce que celles de leur temps ne
les satisfaisaient plus. Fétis annonce l'univers pluraliste dans lequel nous
vivons où toutes les musiques du passé constituent un musée sonore idéal où nous
allons chercher nos plaisirs, mais où les musiques contemporaines ne jouent plus
qu'un rôle très secondaire.

VII. Adolphe Sax
Le nom d'Adolphe Sax
(1814-1894) est universellement connu. Nul n'ignore aujourd'hui qu'il est
l'inventeur du saxophone et qu'il est né à Dinant. Succédant à son père qui
était déjà lui-même un facteur renommé d'instruments de musique, il a installé à
Paris, en 1843, une manufacture d'instruments à vent où il a fait preuve d'un
génie inventif étonnant. Certaines de ses inventions semblent assez folles et
n'ont pas été adoptées : les instruments à pavillon mobile, les instruments à
sept pavillons. Mais d'autres se sont imposés : en particulier, le saxhorn,
instrument en cuivre, à embouchure et à pistons et surtout le saxophone,
instrument en cuivre à anche et à clés. Sax a conçus ces instruments en familles
entières répondant aux mêmes caractéristiques techniques, ayant les mêmes formes
et une sonorité homogène du grave à l'aigu. Il les destinait à équiper les
musiques militaires et les orchestres d'amateurs qui représentaient alors un
marché important. Les saxhorns sont restés essentiellement des instruments de
fanfare, mais les saxophones ont connu un destin plus glorieux. Ils ont été
utilisés occasionnellement en musique classique et quatre des sept membres de la
famille, - le soprano, l'alto, le ténor et le baryton - se sont imposés après
1920 dans tous les orchestres de jazz et ont fait la gloire de leur inventeur à
travers le monde.

VIII. Une école liégeoise du violon
Au XIXe siècle, les
musiciens qui ont le mieux assuré la réputation de la Belgique dans le monde
sont sans doute des virtuoses. On a pu reprocher à certains d'entre eux de
corrompre le goût du public en l'égarant vers les artifices et en exploitant
leur technique pour elle-même. Mais, puisque l'oeuvre musicale a toujours besoin
d'un intermédiaire avec le public, les meilleurs d'entre eux ont été avant tout
des interprètes.
A la fin du XVIIIe
siècle, s'est constituée à Liège une véritable "école de violon" en partant de
quelques exécutants-compositeurs qui avaient été chercher leurs bases techniques
à Paris, mais qui les avaient combinées à ce qu'ils avaient appris chez les
Italiens, à l'école de Mannheim et chez les classiques viennois. Ils ont
perpétué de maître à élève cette technique, en donnant leur enseignement non
seulement à Liège, mais à Bruxelles, en France, en Allemagne, en Italie, en
Russie. Ils ont ainsi fait naître à travers l'Europe une véritable dynastie de
musiciens d'orchestre et de virtuoses de concert de toutes les nationalités qui
pouvaient à bon droit se réclamer d'une école liégeoise. Vieuxtemps et Ysaye en
ont été les plus célèbres.
Henry Vieuxtemps
(1820-1881) était né à Verviers. Il a été un enfant prodige et a entamé très
jeune une grande carrière. En 1834, peu d'années après la mort de Beethoven, il
avait été le premier à jouer à Vienne le Concerto en ré. Il a été,
lui-même, compositeur d'oeuvres qui étaient parfois de pure virtuosité, mais qui
le plus souvent tendaient à s'inscrire dans une perspective beethovenienne. Son
style de jeu a été caractérisé par l'ampleur du son, la longueur et la variété
de l'archet, l'intensité expressive et la virtuosité mise au service de la
musique.
Eugène Isaye (1858-1931)
était né à Liège. Elève de Vieuxtemps, il a incarné après lui les qualités
spécifiques de l'Ecole liégeoise. Excellent compositeur pour son instrument, il
a été un interprète idéal des grandes oeuvres du répertoire (Bach, Beethoven,
Mendelssohn, Brahms), mais il s'est consacré aussi à la musique de son temps. Il
a créé des oeuvres de Franck, Chausson, d'Indy, Lekeu, Fauré et Debussy. Il a
été le modèle du grand virtuose au service des oeuvres.

IX. César Franck et Guillaume Lekeu
Les deux plus grands
compositeurs wallons du XIXe siècle, les seuls qui aient atteint une véritable
réputation internationale sont Franck et Lekeu.
César Franck (1822-1890)
était né à Liège et y avait fait son premier apprentissage. Il a été un pianiste
et un compositeur prodige. Dans l'espoir de le voir entamer une carrière
internationale, il a été amené à Paris, dès 1835 par son père. Il a bénéficié au
Conservatoire d'une formation complète pour le piano, l'orgue, le contrepoint et
la fugue. Mais ses espoirs de succès rapides ont été déçus. Il n'a été longtemps
qu'un organiste d'église et un modeste professeur de piano. Il n'avait guère
retenu l'attention jusqu'à sa nomination en 1872 au poste de professeur d'orgue
au Conservatoire. En peu de temps, sa classe est devenue un foyer de création
extrêmement actif car on n'y apprenait pas seulement l'orgue, mais la
composition. C'est à partir de ce moment qu'il a écrit les oeuvres qui l'ont
imposé comme une figure maîtresse de la fin du siècle. Il les a conçues dans un
esprit mystique et dans un style personnel sévère caractérisé par une mélodie
aux lignes sinueuses et complexes, une harmonie au chromatisme incessamment
modulant, un contrepoint en imitation, des formes procédant par des variations
amplificatrices sur des thèmes de grande ampleur revenant de manière cyclique.
On a admiré à juste titre Les Béatitudes, un oratorio, de grandes pages
pour le piano (Prélude, aria et finale, Prélude, Chorale et
fugue, les
Variations symphoniques avec orchestre, Psyché, un poème
symphonique avec choeur, la Symphonie en ré mineur, de la musique de
chambre (un Quintette, une Sonate
pour violon et piano, un Quatuor à cordes) et trois Chorals
pour orgue.
Par ses oeuvres et son
enseignement, Franck est apparu comme le restaurateur d'un art noble et
rigoureux qui cherchait ses références auprès des maîtres du passé (Bach,
Beethoven) et qui voulait s'inscrire sans rupture dans une évolution continue à
travers les siècles du langage de la musique occidentale. Il a groupé autour de
lui une cohorte de disciples qui ont repris ses procédés d'écriture et les ont
maintenus bien après sa mort. On a pu parler de "franckisme" parce qu'à travers
leurs oeuvres, un langage véritablement collectif a été recréé qui a prétendu
représenter la "modernité", mais qui, en s'opposant à Debussy, est apparu
bientôt comme un bastion des traditions.
Guillaume Lekeu
(1870-1894) était né à Heusy près de Verviers. Dès 1879, il s'était installé en
France avec sa famille, à Poitiers d'abord, à Paris à partir de 1888. Il n'a pu
prendre qu'un nombre limité de leçons auprès de Franck, mais il a poursuivi sa
formation avec Vincent d'Indy, le combinateur le plus orthodoxe du maître. On le
range ainsi à juste titre parmi les franckistes. Il avait les mêmes admirations
pour Bach, Beethoven et même Wagner, le même goût pour les grandes formes, pour
les harmonies modulantes et pour les effusions lyriques. Il est mort très jeune,
mais un certain nombre de ses compositions sont de grande valeur : Andromède,
cantate de concours qui, à sa grande déception ne lui a valu qu'un second Prix
de Rome, la Fantaisie symphonique sur deux airs populaires angevins, les
Trois poèmes avec orchestre (dont il avait lui-même écrit les textes) et
surtout la musique de chambre, la Sonate pour violon et piano qu'Ysaye
lui avait commandée et le Quatuor avec piano resté inachevée.

X. Une tour de Babel
En Wallonie comme dans le
reste du monde, il n'y a pas une musique mais des musiques. La
présente étude néglige délibérément les chansons, les musiques de variété et de
jazz qui touchent un large public et ont joué parfois un rôle important dans la
formation de la sensibilité. Même en se limitant aux musiques "savantes" dont la
valeur culturelle n'est pas contestée, ce qui caractérise les musiques du XXe
siècle c'est leur diversité de langages.
En Wallonie, certains
musiciens ont longtemps prolongé le franckisme; d'autres ont adopté les
harmonies debussystes et ravéliennes; dans l'entre-deux-guerres, les Six
français ont eu des émules, Strawinsky a propagé le néo-classicisme; puis
Schoenberg et Webern ont imposé les musiques sérielles; certains ont recouru,
pour composer, aux machines électroniques et à l'informatique.
Devant ce babélisme,
beaucoup de musiciens ont versé dans l'éclectisme et ont tenté de concilier des
tendances hétérogènes. Ce qui compte, c'est la cohérence interne que certains
ont pu imposer à leurs oeuvres. En partant de ce critère, on peut mettre en
évidence, quelques musiciens dont les oeuvres mériteraient souvent une diffusion
plus large, ont peut citer des postfranckistes comme Joseph Jongen (1873-1953),
Albert Dupuis (1877-1967), Jean Rogister (1879-1964) : Désiré Paque (1867-1939),
un adepte de l'atonalité qui ne devait rien à Schoenberg, un mélodiste fauréen,
René Bernier (1905-1984), un ravelien Fernand Quinet (1898- 1971).
Parmi les plus
remarquables, on mentionnera surtout Jean Absil (1893-1974), un néo- classique
admirateur de Bach, tout autant que de Ravel, qui s'est inventé comme Bartok un
folkore imaginaire et qui a transmis sa solide technique d'écriture à beaucoup
d'élèves; Albert Huybrechts (1899-1938), au tempérament expressionniste; Raymond
Chevreuille (1901-1976), une personnalité tourmentée et secrète qui a mêlé une
libre atonalité à la polytonalité pour créer des oeuvres pleines de mystères.
Parmi les personnalités les plus riches, André Souris (1899-1970) a tenté de
créer une musique surréaliste, a été un militant du dodécaphonisme, mais est
resté profondément strawinskyen et a consacré la fin de sa vie à décrypter les
tablatures de luth du XVIIe siècle français; Pierre Froidebise (1914-1962), a
été à Liège au lendemain de la guerre un explorateur de toutes les musiques
contemporaines et de jeunes talents, un auteur d'oeuvres trop rares en référence
à Strawinsky, puis à Webern et un grand organiste qui a ressuscité les pratiques
d'exécution des oeuvres de la Renaissance et du baroque; Henri Pousseur (1929)
s'est engagé totalement dans les musiques sérielles et a su exploiter la musique
électronique avec les Boulez, Stockhausen, Berio, il a été reconnu depuis les
années cinquante comme un des représentants les plus éminents des "musiques
nouvelles"; il a été joué à Paris, à Milan, dans les grands festivals de
Darmstadt, Donaueschingen, dans les universités américaines, au Japon; il a su
concevoir des oeuvres utopiques où il aspire à réconcilier les langages de
toutes les musiques du passé et du présent dans une conception. Philippe
Boesmans (1936), recourt à un sérialisme post-moderne très libéré, ses oeuvres
instrumentales et ses opéras sont joués un peu partout. On le voit : les
compositeurs qui ont le mieux réussi à s'imposer sur le plan national et
international sont ceux qui ont adopté les langages les plus radicaux. Pousseur
a même dirigé le Conservatoire de Liège. On se méfie moins des avant-gardes
désormais que des académismes.

XI. Une musique wallonne ?
Dans cette diversité
extrême, il serait difficile de trouver les traits distinctifs d'une "musique
wallonne". A la fin du siècle dernier, quand la Flandre a commencé à revendiquer
des droits particuliers pour sa langue et sur le plan politique, Peter Benoit a
lancé l'idée d'une musique flamande et en a donné une expression valable dans le
lyrisme coloré de ses grandes cantates populaires. Pendant un temps, son
influence a joué sur divers musiciens; elle s'est manifestée dans des élans
postromantiques et dans des activités plus souvent politiques que musicales. La
Flandre idéale que ce postromantisme rêvait d'incarner à nouveau était celle de
Brueghel et de Rubens dans une musique très colorée, éclatante de santé et
d'allure populaire. Mais sur les générations actuelles, l'influence de Benoit
est nulle. Benoit aura même été un épouvantail plutôt qu'un modèle. Même si le
nationalisme politique flamand est souvent devenu plus virulent encore, il ne
s'exprime plus à travers la création musicale. Celle-ci est en Flandre aussi
diversifiée et aussi internationalisée qu'en Wallonie.
Les Wallons n'ont pas
ressenti la nécessité de s'affirmer en tant que tels à travers leurs musiques.
Ils n'ont pas exploité leurs chants populaires et leur folklore pour en faire de
la substance de leurs musiques savantes. Ils ne pouvaient se relier par la
technique, ni par l'esthétique aux polyphonistes des XVe et XVIe siècles. A
Liège, l'importance accordée au retour du coeur de Grétry dans sa ville natale a
été la manifestation symbolique d'un attachement sentimental à un grand
musicien, mais Grétry représente l'opéra-comique français, non la musique
liégeoise. Le franckisme tardif d'un certain nombre de musiciens les a agrégés à
la "Jeunes école française".
Certains, comme Jean
Absil, Pierre Froidebise, Henri Pousseur ont su rassembler autour d'eux quelques
disciples qui ont adopté leur technique et leur esthétique. Mais, ces
compositeurs se rattachent eux-mêmes à des courants dominants sur le plan
international. Après la guerre, en Wallonie comme ailleurs, tous les musiciens
ont situé leur art en de multiples variantes par rapport à quelques grands
maîtres, universellement admirés comme Strawinsky ou Webern.
Il ne faut pas oublier
que tout autant que par les compositeurs, le rayonnement de la musique créée en
Wallonie s'exerce aujourd'hui grâce à des artistes comme le violoniste Arthur
Grumiaux, le chanteur d'opéra José Van Dam (après Ansseau, Clairbet et d'Arkor)
et de nombreux autres interprètes. Il s'exerce aussi grâce à des institutions
comme le Centre lyrique de Wallonie, longtemps dirigé par Raymond Rossius,
l'Orchestre de Liège et de la Communauté française et son chef Pierre
Bartholomée, l'Orchestre de chambre de Wallonie à Mons, le Centre de Recherches
musicales et l'Ensemble "Musiques Nouvelles" à Liège.

Orientation bibliographique
R. WANGERMEE et Ph.
MERCIER (directeurs scientifiques), La musique en Wallonie et à Bruxelles,
Bruxelles, 2 vol., 1980-1982.
Liber arnicorum Henri Pousseur, numéro spécial de la Revue belge de
musicologie, Bruxelles, 1989.
M. STOCKHEM, Eugène Isaye et la musique de chambre, Liège, 1990.
César Franck et son temps, numéro spécial de la Revue belge de
musicologie, Bruxelles, 1991.
Ph. VENDRIX (direction scientifique), L'opéra-comique en France au XVIIIe
siècle, Liège, 1992.
Ph. VENDRIX (direction scientifique), Grétry et l'Europe de l'opéra-comique,
Liège, 1992.
G. LEKEU, Correspondance, Introduction, chronologie et catalogue des oeuvres,
par Luc Verdebout, Liège, 1994.
Orientation discographique
Les enregistrements
consacrés à des compositeurs et interprètes wallons sont aujourd'hui assez
nombreux. Il convient de citer ici tout au moins , les disques historiques
publiés depuis un quart de siècle par l'asbl Musique en Wallonie et
l'effort de la firme Ricercar qui publie et diffuse aussi bien des
oeuvres du passé (une intégrale Lekeu, par exemple), que des oeuvres
contemporaines (notamment de Pousseur et Boesmans).
Robert Wangermée, La
musique, dans
Wallonie. Atouts et références d'une
Région
(sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.