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Loisirs - Arts - Lettres

La musique - (1995)
Première partie - Deuxième partie

Robert Wangermée
Professeur honoraire à l'Université libre de Bruxelles

Introduction

Dans nos régions, la musique a connu un âge d'or à la Renaissance. A la fin du XIVe, au XVe et au XVIe siècles un art s'est imposé en Europe qui a servi partout de modèle d'écriture. Né dans les églises, il a été pratiqué aussi dans les cours princières et bientôt dans les demeures bourgeoises. On a souvent parlé à son propos de "musique néerlandaise" ou "musique flamande", comme on a parlé de tapisserie flamande à propos de la production de Tournai, de peinture flamande à propos de Roger de la Pasture dit Van der Weyden. On sait, en effet, que les termes "flamand" ou "néerlandais" appliqués au domaine de l'art ont acquis depuis longtemps une valeur conventionnelle non restrictive. Dès le XVIe siècle, en Italie on appelait Fiamminghi, en Espagne Flamencos, en Allemagne Niederlaender, tous les musiciens des dix-sept provinces. Mais il n'est pas inopportun de rappeler que Liège et sa principauté, Cambrai et son diocèse, ainsi que le Hainaut ont joué un rôle déterminant dans l'élaboration de cette musique.

I. La musique dans les abbayes, dans les églises urbaines et dans les cours princières.

C'est dans les nombreuses abbayes installées dès le Haut Moyen Age qu'on trouve les premières traces de musique dans nos régions. Le chant liturgique s'est d'abord transmis de manière orale. Quand on a voulu le noter, différents systèmes ont été élaborés. Une des variétés les plus remarquables et les plus anciennes (antérieure à 900) provint de l'abbaye de Saint-Amand, non loin de Valenciennes, qui relevait du diocèse de Tournai. C'est aussi à Saint- Amand qu'un moine nommé Hucbald a rédigé un traité de musique qui a fourni sans ambiguïté les premières références historiques à la polyphonie occidentale. Un grand nombre de traités sur le chant grégorien ont été rédigés du Xe au XIIe siècle dans les abbayes de l'ancien Pays de Liège (Saint-Laurent et Saint-Jacques à Liège, Lobbes, Gembloux, Saint-Trond); ils ont eu une telle réputation qu'on a pu parler à leur propos d'une véritable école liégeoise de musique.

Plus tard, la pratique musicale la plus active est passée des abbayes aux églises urbaines, cathédrales et collégiales. Pour l'exécution des messes et motets en polyphonie, on a vu s'y constituer des ensembles spécialisés comprenant des enfants (les choraux) pour les voix aiguës, des chantres adultes, un organiste, parfois divers instrumentistes sous la direction d'un maître de chant, pédagogue et compositeur.

C'est en France que la polyphonie s'était d'abord développée : au XIIIe siècle, à Notre- Dame de Paris, par exemple, avec Léonin et Pérotin représentant ce qu'on a appelé l'Ars Antiqua, au siècle suivant avec Guillaume de Machaut, chanoine de Reims, compositeur illustre d'une messe, de motets et de musique profane dans un style plus complexe, caractéristique de l'Ars Nova.

Le premier grand compositeur issu de nos principautés est le Liégeois Jean Cigogne formé à la collégiale Saint-Jean et connu sous le nom de Johannes Ciconia par ce qu'il a fait sa carrière en Italie. Il y est mort en 1411 après avoir été chanoine de la cathédrale de Padoue. Il est un des premiers musiciens venus du nord qui se soit installé dans la péninsule. Il y a composé des pièces profanes sur des textes en langue française et en langue italienne, des motets et des fragments de messes. Par rapport aux pratiques françaises, l'influence de l'Italie s'est marquée dans son langage par un assouplissement des lignes mélodiques et un adoucissement des dissonances. Après lui et poursuivant dans la même voie, Guillaume Dufay a renouvelé plus profondément encore tous les aspects du langage musical, mélodie, rythme, contrepoint, sens de la tonalité. Cette technique nouvelle était aussi une "autre esthétique" qui peut être tenue pour la première manifestation de la Renaissance en musique. Issu de la musique française, cet art a recueilli, absorbé et amalgamé des procédés empruntés à l'Italie (et un peu à l'Angleterre). Il était vraiment international et il a été une réaction contre les raffinements excessifs du XIXe siècle français, en somme, contre le gothique.

Dufay - dont le nom doit être prononcé en trois syllabes, comme ceux des hameaux de Wallonie et du nord de la France qui parlent d'un "fayt", c'est-à-dire d'une hêtraie - est né un peu avant 1400. Il a fait son apprentissage comme choral à la cathédrale de Cambrai, siège alors d'une petite principauté épiscopale, mais aussi d'un évêché qui s'étendait jusqu'à Bruxelles et Anvers. Il est parti pour l'Italie fort jeune; il a été attaché à la cour de divers princes et à la chapelle pontificale où il a retrouvé bon nombre de musiciens venant des échevêchés de Cambrai et de Liège. Puis, il est rentré à Cambrai où il a occupé de hautes dignités ecclésiastiques jusqu'à sa mort en 1474. C'est, en effet, dans les principales églises urbaines et dans les cours princières que les musiciens pouvaient exercer l'art savant de la polyphonie. A côté de musiques destinées à la liturgie (messes, motets, hymnes, antiennes, magnificats), Dufay a composé beaucoup de musique profane (des ballades, rondeaux et virelais).

C'est à la cour du duc de Bourgogne Philippe le Bon que Gilles Binchois (vers 1400- 1460) a fait sa carrière : il y a composé des oeuvres du même type que Dufay à qui son nom a été souvent associé.

Jean Ockeghem (1420-1495) est considéré comme le chef de file de la génération de compositeurs de la seconde moitié du XVe siècle. On a souvent pensé qu'il était né en Flandre orientale où il y a un village d'Okegem, près de Termonde. Mais il se disait lui-même originaire du Hainaut et l'on sait aujourd'hui qu'il est né à Saint-Ghislain, tout près de Mons. Après un bref passage à la cathédrale d'Anvers où il a été chapelain-chantre, il a fait sa carrière en France à la cour du duc de Bourbon, puis comme maître de chapelle du roi. Vers 1480, ce sont ses oeuvres et non plus celles de Dufay qui ont été proposées comme modèles à ses contemporains, notamment par le brabançon Johannes Tinctoris (originaire de Nivelles) qui vivait à la cour du Roi Ferdinand d'Aragon à Naples et qui a rédigé d'importants traités de "musique pratique".

II. Les lois du contrepoint

Aux XVe et XVIe siècles, toutes les compositions musicales ont été régies par les lois du contrepoint, mais celles-ci ont connu des variantes selon les époques. Pour Ockeghem et Tinctoris, le contrepoint était une écriture essentiellement horizontale où chacune des voix était perçue comme indépendante des autres. A la génération de Josquin Desprez, la composition musicale a été conçue comme un ensemble où toutes les voix hiérarchisées selon leur hauteur, de la basse au soprano, ont été traitées à égalité et en étroite solidarité. C'est par l'"imitation" que cette cohésion globale s'est manifestée le plus clairement. Selon ce procédé un motif mélodique entendu dans une voix était répété successivement et à des hauteurs variables par les autres voix. L'imitation pouvait être rigoureuse, "canonique" et donner lieu à des constructions fort savantes en faisant entendre une même mélodie, "par augmentation" de durée, par "diminution", par "mouvement contraire", par "mouvement rétrograde" etc. L'imitation le plus volontiers pratiquée au début du XVIe siècle ne répète pas littéralement les phrases musicales; elle ne s'applique qu'à des motifs mélodiques assez brefs et elle est plus ou moins systématique selon les compositeurs. Toute construction polyphonique était faite dès lors d'une suite d'imitations qui s'accrochent les unes aux autres : un motet, un mouvement de messe, une chanson consistent souvent dans l'enchaînement de séquences en style d'imitation, basées sur divers motifs mélodiques. Ainsi au XVIe siècle, le contrepoint n'a-t-il plus été seulement l'art de superposer plusieurs mélodies selon des rapports de consonances et dissonances, mais l'art d'élaborer un développement selon des procédés à base d'imitation.

Par son prestige, Josquin Desprez (vers 1440-1521) a contribué à imposer ces procédés, mais lui-même en a allégé la sévérité en établissant des liens étroits entre le texte et la musique. Il a adopté une véritable rhétorique où le mot suscite l'invention d'un motif mélodique qui acquiert aussitôt son autonomie et est développé selon des procédés d'amplification proprement musicaux. Au témoignage de plusieurs de ses contemporains, c'est dans le Hainaut qu'il est né vers 1440. Il a passé l'essentiel de sa vie en Italie comme chantre ou maître de chapelle à la cathédrale de Milan, à la cour des ducs Sforza et à la chapelle pontificale avant de rentrer dans le Hainaut : il a obtenu diverses prébendes et chapellenies dans nos principautés (il a notamment été chanoine de la collégiale Sainte-Gudule à Bruxelles); il s'est installé à Condé où il est devenu prévôt de l'église Notre-Dame jusqu'à sa mort en 1521.

La musique sacrée est le domaine où les musiciens du nord se sont imposés sans conteste. Cependant ces hommes d'église n'ont jamais cessé d'écrire de la musique profane; ils ont appliqué à la chanson les mêmes procédés contrapuntiques que dans leurs messes et leurs motets, se bornant à en alléger quelque peu l'écriture. A la fin du XVe siècle, leurs chansons n'ont plus été destinées seulement à des milieux aristocratiques; elles ont été appréciées aussi par la riche bourgeoisie des villes.

L'imprimerie a permis d'assurer une diffusion plus large à la musique sacrée aussi bien que profane. A Venise dès 1501, puis à Paris, Lyon, Nuremberg, Anvers, Louvain, des maisons d'édition fort actives se sont installées. En assurant aux oeuvres une circulation internationale, elles ont créé un marché qui a stimulé les compositeurs et en a accu le nombre.

Les musiciens des Pays-Bas et du nord de la France ont été longtemps majoritaires dans ces éditions; ils ont ainsi répandu plus activement encore leur style sévère à travers l'Europe. Dans la suite, dans les différents pays, les compositeurs nationaux ont pris de l'importance. Ils ont suivi les principes d'écriture des fiamminghi en y apportant parfois des variantes stylistiques. Dans la musique profane, le succès de la chanson française a fait naître des équivalents de facture généralement plus simple en langue italienne, allemande, anglaise, espagnole et même en langue flamande. Les musiciens des Pays-Bas installés dans les divers pays d'Europe n'ont jamais hésité à écrire eux-mêmes dans toutes ces langues. Ils ont notamment pratiqué le madrigal, un genre nouveau apparu vers 1530 qui sur des poèmes en langue italienne suscitait une musique subtile dans les relations avec les textes ainsi que dans l'usage du chromatisme et le traitement des dissonances.

Pendant tout le XVe siècle, les églises des Pays-Bas ont formé des musiciens qui souvent, dès leur jeunesse, ont été "exportés" vers l'étranger. Alors que Liège et le Hainaut avaient d'abord fourni les plus gros contingents de musiciens, dans le courant du XVe siècle, les riches villes flamandes de Gand, Bruges et Anvers ont été le plus souvent sollicitées. Après Josquin c'est Adrien Willaert (1490-1562), né à Bruges qui, au milieu du XVe siècle a représenté la perfection musicale pour les contemporains. Mais les musiciens issus des régions romanes des Pays-Bas ont toujours été nombreux dans les différents pays d'Europe. En Espagne, Philippe II a placé à la tête de sa capella flamenca, Pierre de Manchicourt qui avait été maître de chant à la cathédrale de Tournai, Phillippe Rogier, né à Namur, et après ce dernier un certain Mateo Romero qui était, en fait un Liégeois hispanisé du nom de Mathieu Rosmarin. En Allemagne, le poste de maître de chapelle de l'Empereur a été occupé par Jean Guyot (1512-1588), souvent appelé Castileti, du nom de sa ville natale, Châtelet, qui relevait alors de la principauté de Liège.

III. Roland de Lassus (1532-1594)

Le plus illustre, le plus prolifique et le plus important de ces compositeurs est sans nul doute Roland de Lassus, né à Mons en 1532. Dès l'âge de douze ans, il avait été engagé pour sa belle voix par Ferdinand Gonzague, vice-roi de Sicile, qui commandait à l'époque une armée de Charles-Quint faisant campagne en France. Il a d'abord vécu en Italie où il a reçu l'essentiel de sa formation. A 21 ans, il est devenu maître de chapelle de Saint-Jean de Latran à Rome. Rentré aux Pays-Bas, il s'est fixé à Anvers pendant deux ans, mais dès 1556, il a été engagé par le duc de Bavière. Il s'est établi à Munich et y est resté comme maître de chapelle jusqu'à sa mort. Il n'a cessé de publier chaque année chez les plus importants éditeurs d'Italie, de France, des Pays-Bas et d'Allemagne. Aucun honneur ne lui a manqué. Le "plus que divin Orlande", comme l'a appelé Ronsard a été accueilli partout comme "le prince des musiciens".

Roland de Lassus a abordé tous les genres avec une égale maîtrise. Ses chansons françaises lui ont sans doute valu les plus larges succès : elles présentent l'aspect le plus facile et le plus séduisant de sa production. Il est entré, grâce à elles, dans toutes les maisons bourgeoises aussi bien qua dans les palais princiers. Sur des vers rustiques ou raffinés, gaillards ou tendres, il a su faire alterner une musique légère et directe avec une écriture savante. La même variété se retrouve dans ses oeuvres italiennes; il a écrit des madrigaux en se conformant aux subtilités d'écriture requises par le genre, aussi bien que des villanelles et des moresques d'allure populaire dans leurs rythmes dansants. Il a écrit aussi des lieder polyphoniques en langue allemande.

Malgré l'abondance et la qualité de sa production profane, Lassus a été surtout un compositeur de musique sacrée. On connaît de lui cinquante-trois messes, une centaine de magnificats, plus de cinq cent motets. On considère généralement qu'il a atteint une véritable perfection dans les cycles des Psaumes de la Pénitence, dans les Leçons de Job et dans les Prophéties des Sibylles.

L'oeuvre de Roland de Lassus est l'aboutissement suprême de l'art du contrepoint qui en rayonnant à partir de nos régions (de Liège et du Hainaut autant que de Flandre et du Brabant) ont donné à l'Europe ses modèles d'écriture pendant deux siècles. Mais 1594, année de sa mort marque symboliquement la fin d'une époque. Au même moment, l'opéra naissait à Florence. Le contrepoint a subi des critiques très vives : on lui en a reproché alors sa complexité et sa sévérité. En opposition à lui, un style nouveau est apparu en Italie. Basé sur le principe de la "monodie accompagnée", il a été ressenti comme une libération sur le plan de l'expression. Il a d'abord été considéré comme essentiellement italien, mais bientôt le "goût italien" a été concurrencé par le "goût français" et les Allemands ont essayé de faire prévaloir une manière qui les conciliait. En tant que procédé systématique d'écriture, le contrepoint a été considéré comme vieilli et progressivement abandonné. C'en était fini de l'hégémonie des musiciens des Pays-Bas à travers l'Europe.

IV. Style nouveau

Le style nouveau a été caractérisé par le rôle expressif accordé à une partie vocale ou instrumentale au-dessus d'une "basse continue" réalisant l'harmonie, par l'importance donnée à la musique instrumentale d'ensemble ou de solistes s'exprimant dans des formes spécifiques (suites de danses, sonates, symphonies, concertos) et par le triomphe d'un genre nouveau, l'opéra.

Bien que la liturgie ait favorisé le maintien de pratiques désormais archaïques, le style nouveau s'est introduit chez nous dans le répertoire sacré comme dans la musique profane. A Liège, les compositeurs ont subi principalement l'influence de la musique italienne, dans le Hainaut, celle de la musique française; plus tard l'influence de la musique allemande et viennoise s'est marquée aussi dans la musique instrumentale.

On a joué, on a chanté dans nos régions beaucoup de ces musiques étrangères. Pour les divertissements de cour (opéras et ballets) à Liège comme à Bruxelles, on a toujours recouru à des Italiens et pour les concerts publics qui sont apparus dans le courant du XVIIIe siècle, on a souvent fait appel à des virtuoses étrangers. Certes, il y a encore eu chez nous de bons compositeurs et d'excellents instrumentistes, mais généralement, ils n'ont pas quitté le pays et leurs styles n'ont plus rien eu de spécifique; ils n'ont été que des variantes des styles baroques et galants dominant alors à travers l'Europe.

Un des rares compositeurs qui ait fait une carrière à l'étranger est Henry Du Mont (1610-1684). Il était né à Villers-l'Evêque et avait été formé à la collégiale Notre-Dame à Maastricht mais il s'est établi à Paris dès 1640; et il est devenu en 1663 un des maîtres de chapelle du Roi. Il a joué auprès de Louis XIV le même rôle pour la musique religieuse que Lully pour les ballets et les tragédies lyriques. Le style des deux musiciens est assez semblable : il correspond à une francisation d'italianismes d'origine.

Dans ses motets pour solistes et quelques instruments, Dumont a adopté, lui aussi, une écriture où le récitatif domine, mais prend parfois plus d'ampleur et devient un petit "air"; les épisodes chantés y alternent avec des intermèdes instrumentaux. Ses vingt grands Motets pour la Chapelle du Roy publiés en 1686 ont l'originalité d'avoir été conçus pour cinq solistes formant un petit choeur (et intervenant aussi de manière individuelle), pour un grand choeur à cinq voix, un orchestre de cordes à cinq parties et basse continue. Les alternances entre le petit et le grand choeur déterminent des contrastes d'intensité sonore qui traduisent un goût par des solennités versaillaises bien caractéristiques de l'esthétique baroque à la française.

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Robert Wangermée, La musique, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.


 

 

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