VI. L'emploi change de définition
Comme l'Europe et les
pays industrialisés, sous l'impact de la crise, la Wallonie a également connu
l'accentuation du chômage et la déstabilisation de l'emploi. Avec l'augmentation
du travail des femmes, la prolongation de la scolarité pour les jeunes et les
préretraites pour les travailleurs plus âgés, c'est le profil des "actifs" qui a
été profondément bouleversé.
Ces évolutions ont
accompagné, comme ailleurs dans le monde industrialisé, une transformation des
activités elles-mêmes. La tertiairisation de celles-ci en est sans doute la
composante principale.
La montée des emplois
tertiaires et la diminution des actifs agricoles constituent certes deux
tendances longues qui se déroulent depuis le début de notre siècle. Le déclin de
l'industrie par contre, bien que de fort moindre ampleur, est récent. On l'a vu,
il s'est manifesté en Wallonie dès les années cinquante avec la crise
charbonnière et s'est poursuivi, en particulier, dans la sidérurgie, les
fabrications métalliques et les métaux non ferreux. Si l'on ajoute
l'incorporation massive des nouvelles technologies, notamment l'informatique et
la robotique dans la production et les services, on peut dire que l'on a assisté
à une véritable mutation des activités.
D'une part, le travail
industriel ne consiste plus seulement à transformer des matières, mais de plus
en plus à manipuler des informations : lire, saisir et interpréter des données,
entretenir, surveiller et contrôler des équipements et des produits. d'autre
part, certains travaux qui relevaient de la sphère domestique deviennent des
emplois. Il en est ainsi de la garde des personnes âgées, des jeunes enfants, de
restauration à domicile ou encore de nouvelles demandes de formation par
exemple.

Tableau 2. Evolution de
l'emploi par grands secteurs d'activité en Wallonie
Secteurs |
1974 |
1992 |
Nombres |
Pourcentages |
Nombres |
Pourcentages |
Primaire |
55826 |
6,5 |
20328 |
2,5 |
Secondaire |
434037 |
50,6 |
286008 |
34,5 |
Tertiaire |
368602 |
42,9 |
521365 |
63,0 |
Emploi total |
858465 |
100,0 |
827701 |
100,0 |
Source ONSS
Tableau 3. Evolution de la répartition de
l'emploi en ouvriers et employés en Wallonie
|
1974 |
1992 |
Nombres |
Pourcentages |
Nombres |
Pourcentages |
Ouvriers |
481899 |
56,1 |
325966 |
39,4 |
Employés |
376730 |
43,9 |
501967 |
60,6 |
Emploi total |
858465 |
100,0 |
827701 |
100,0 |
Source ONSS
Alors qu'en 1974,
l'industrie représentait encore la majorité des emplois, soit 50,6%, elle n'en
représente plus que 34,5% en 1992. Ainsi, bien que l'emploi industriel reste
toujours important en Wallonie, c'est dans le tertiaire que se trouve localisée
la majorité des emplois (63%). On retrouve une évolution similaire dans la part
respective des ouvriers qui ne forment plus que 40% de l'emploi en 1992 contre
56% en 1974, et des employés avec 61% contre 44% moins de vingt ans auparavant.
Certes, le contraste avec
la "Wallonie ouvrière" paraît profond. On peut observer en effet, une véritable
"désouvriérisation" dans la mesure où la part des activités industrielles
diminue au profit des services et qu'au sein même de l'industrie, la part des
ouvriers diminue au profit des employés. Il n'en reste pas moins que le poids de
l'industrie est toujours considérable en Wallonie et que cette évolution
s'accompagne aussi d'une salarisation croissante de la population. Au total, les
salariés représentent aujourd'hui plus de 85% de l'emploi en Wallonie.
Avec l'expansion des
services, la redistribution des gains de productivité a aussi évolué.
L'accroissement de la part indirecte du salaire en regard du salaire direct est
un élément de ce changement. Il en résulte que la situation des individus
dépend, plus qu'avant, des décisions concernant la fiscalité et la sécurité
sociale. Si bien que la valeur du travail se laisse encore moins qu'avant
identifier à des tâches précises. Celles-ci sont de plus en plus décrites à
partir de leurs composantes immatérielles, alors que la reconnaissance de leur
valeur repose sur des mécanismes et des jugements qui émanent de la société. Si
l'industrie ne structure plus les rapports sociaux du travail dans les mêmes
termes qu'auparavant, elle garde néanmoins son caractère stratégique comme
moteur économique et sens du développement.
En Wallonie, confronté à
la crise structurelle de l'industrie, le mouvement syndical a été un acteur
important dans les transformations du travail comme dans la fédéralisation des
institutions. Les taux de syndicalisation très élevés en Wallonie se sont
maintenus malgré la crise. Sans doute la présence syndicale dans les
entreprises, l'importance des services organisés par les syndicats , en
particulier des services d'indemnisation du chômage et l'adaptation des
structures syndicales aux changements institutionnels du pays, en sont des
exmplications. Désormais, aux centrales professionnelles et régionales
interprofessionnelles s'est ajoutée une structuration des organisations
syndicales, comme d'ailleurs patronales, au niveau des entités régionales de l'Etat
fédéral.
Les bassins industriels
wallons avaient sans doute traduit au plus près le "noyau dur" de la conscience
ouvrière décrit par des sociologues comme Alain Touraine. Une industrie lourde,
très concentrée, des ouvriers qualifiés, syndiqués et combatifs, de sexe
masculin : tous les ingrédients de cette représentation des ouvriers se
trouvaient ainsi bien réunis. Examinée de plus près, non seulement la réalité
est bien plus mélangée, mais les transformations sont très profondes.
VII. Des mutations profondes
A la suite de ces
transformations structurelles, à savoir la transformation du travail par la
tertiairisation des activités et les technologies nouvelles, et celle des
travailleurs par les changements dans la population active elle-même, on peut
schématiser par trois grands traits les mutations dans le monde du travail.
Celles-ci ne caractérisent cependant pas la seule Wallonie. Elle traversent
d'une certaine manière le monde actuel et constituent une composante de la
modernité. Mais comme toute société est marquée par son histoire, la société
wallonne a imprimé de sa marque ses propres transformations.
La féminisation
croissante de l'emploi en est peut-être la principale. D'abord, les femmes ont,
bien sûr, toujours travaillé et leur participation à l'activité économique a été
importante. Si la grève de femmes de la FN à Liège en 1966 a mis en avant plan
la revendication de l'égalité dans le travail, elle n'était pas la première.
Mais ce qui a changé dans la période de l'après-guerre réside dans la
participation permanente des femmes à l'activité économique. Contrairement à ce
qui s'était passé dans les années trente, cette propension à travailler, comme
disent les économistes, est tellement forte que, ni la crise, ni le chômage
n'ont réussi ne fut-ce qu'à ralentir cette évolution. Si bien que les femmes
n'ont jamais été aussi nombreuses sur le marché du travail et que leur taux
d'activité n'a cessé d'augmenter.
Tableau 4. Evolution de
la répartition de l'emploi selon le sexe en Wallonie
|
1974 |
1992 |
Nombres |
Pourcentages |
Nombres |
Pourcentages |
Hommes |
598007 |
69,7 |
477225 |
57,7 |
Femmes |
260458 |
30,3 |
350476 |
42,3 |
Emploi total |
858465 |
100,0 |
827701 |
100,0 |
Source ONSS
Alors que les femmes ne
représentaient en Wallonie que 30% de l'emploi salarié en 1974, elles en forment
près de 43% en 1992. Cette situation est le résultat d'une double évolution.
D'une part, le pourcentage des femmes dans l'emploi ouvrier se renforce
légèrement. Elles subissent certes, même proportionnellement plus que les
hommes, les pertes d'emploi dans le secteur secondaire mais elles participent
bien plus que les hommes à l'augmentation des emplois ouvriers dans les
activités tertiaires. D'autre part, elles sont surtout très présentes dans
l'augmentation des employés. Alors que le nombre d'hommes employés dans
l'industrie diminue, les femmes ne connaissent qu'une diminution infime et
renforcent, en conséquence, leur part relative : elles formaient 22% des
employés dans l'industrie en 1974, elles en forment 27% en 1992. Mais c'est
surtout à travers la poussée des employés dans les activités tertiaires qu'elles
ont accédé à l'emploi. Elles représentent 56% des employés du tertiaire en 1992
(contre 46% en 1974). En maintenant leur nombre parmi les employés du secondaire
et en prenant très largement part à l'accroissement du tertiaire, les femmes
forment, avec 52% de leur effectif, la majorité des employés.
Cette participation
croissante des femmes à l'économie se fait de deux manières : un accès plus
grand au travail professionnel d'une part, mais aussi une courbe de l'activité
qui se différencie de moins en moins de celle des hommes d'autre part. En
d'autres termes, le fait d'avoir des enfants est de moins en moins synonyme
d'interruption de l'activité, si bien que c'est chez les mères avec enfant que
l'activité a le plus augmenté. En même temps, c'est le modèle d'activité
masculin qui, d'une certaine manière, s'est imposé.
Certes, l'accès croissant
à l'emploi et la diversification du travail féminin ont eu pour contrepartie une
infériorisation dans l'emploi. Les femmes se trouvent en grande partie
cantonnées dans des formes particulières d'emploi , et le travail à temps
partiel qui s'est très considérablement développé apparaît comme une forme
d'emploi spécifiquement féminine. Mais surtout, en période de contraction
générale de l'emploi, l'accès des femmes au marché du travail a pris aussi la
forme du chômage, entraînant une augmentation considérable du chômage féminin.
Cette participation des
femmes à l'activité coïncide avec l'expansion du secteur tertiaire. C'est dans
la distribution, la santé, l'enseignement, les banques, les assurances, les
loisirs, le social,... que beaucoup trouvent à s'employer. Cette culture de
salariées et, plus particulièrement peut-être d'employées n'est pas étrangère
aux changements des modes de vie et de l'organisation familiale.
Ainsi, cette propension
croissante au travail des femmes a contribué à diminuer, au sein du ménage,
l'étanchéité des rôles masculin et féminin. La femme continue néanmoins
d'assumer la plus grande part du travail domestique et de l'éducation de
l'enfant. Elle ne s'affirme pas moins comme personne à part égale dans le
travail, la famille et la société.
Une proportion croissante
de femmes choisit tout à la fois d'être mère et d'exercer une activité
professionnelle. Cette tendance irréversible de l'activité féminine semble
correspondre aux valeurs de plus en plus largement partagées par les femmes,
mais aussi aux circonstances de l'emploi. Le salaire des femmes constitue
maintenant une composante essentielle du revenu des ménages.
Dès lors, la majorité des
familles sont à présent celles où les deux conjoints travaillent, sans que le
salaire de l'un soit l'appoint de l'autre. Le modèle familial de référence n'est
plus celui de la famille nucléaire traditionnelle, mais, pour utiliser le terme
de Marie-Agnès Barrere- Maurisson, d'une famille à deux apporteurs, très
différente de la précédente.

L'augmentation du niveau
d'instruction des travailleurs paraît également une des transformations ayant
affecté en profondeur les rapports du travail. La tendance générale à la
démocratisation de l'enseignement s'est encore accélérée pendant la période de
crise économique. Il en est résulté une augmentation importante du niveau de
scolarisation des jeunes. En ce qui concerne la professionnalisation des
diplômes cependant, leur généralisation entraîne aussi la dévalorisation des
titres scolaires sur le marché de l'emploi.
En effet, les employeurs
ont pu, dans ce contexte, augmenter leurs seuils d'embouche, si bien que des
diplômes donnent à présent accès à des positions moindres. Pour occuper un même
emploi, il faut aujourd'hui bénéficier d'un niveau d'instruction plus élevé que
par le passé.
Des enquêtes dans les
entreprises nous ont permis d'observer une stabilité relative des
classifications d'emploi, alors même que dans chaque catégorie d'emploi, le
niveau d'instruction des salariés augmentait considérablement.
Cette dévalorisation
relative des titres scolaires pénalise moins les détenteurs du diplôme que ceux
qui en sont dépourvus et dont la vulnérabilité devient plus grande sur le marché
du travail. On comprend bien ainsi pourquoi la tendance à prolonger la scolarité
devient prépondérante dans nos sociétés.
Enfin, l'immigration de
travailleurs. Même si elle paraît liée aux origines mêmes de l'industrialisation
et peut, de ce fait, être considérée comme un trait permanent de nos sociétés
elle n'en revêt pas moins des formes récentes qui caractérisent d'ailleurs, à
certains égards, la situation wallonne.
L'immigration est
d'abord, on le sait, un phénomène socio-économique. C'est pourquoi d'ailleurs on
la désigne souvent en termes de travailleurs étrangers. Il n'est donc pas
étonnant que l'insertion professionnelle des immigrés ait constitué le facteur
principal de leur intégration.
Ainsi, c'est au XIXe
siècle, avec l'arrivée de Flamands dans les mines, que la Wallonie a connu son
premier choc migratoire. Ceux-ci seront ensuite suivis par des Polonais et des
Italiens et l'immigration devient véritablement massive dans
l'entre-deux-guerres.
Après 1945, c'est encore
la demande de main-d'oeuvre dans les charbonnages qui va poser le problème de
l'immigration. Pour faire face à la "bataille du charbon", on aura d'abord
recours à la main-d'oeuvre italienne ? La catastrophe minière de Marcinelle en
1956 au cours de laquelle 262 mineurs, italiens pour la plupart, perdent la vie,
fera en sorte que l'on s'adressera dès lors à l'Espagne, à la Grèce, au Maroc, à
la Turquie...
Alors qu'auparavant l'on
avait de préférence recours à l'immigration de jeunes hommes célibataires pour
les besoins des charbonnages, de la métallurgie et des travaux publics, un
tournant sera pris dans les années soixante. C'est en effet en raison de la
structure d'âge vieillie de la population wallonne - et le rapport établi à ce
sujet par Alfred Suvy fera l'effet d'un choc - qu'une préoccupation
démographique, à savoir le rajeunissement de la population, se greffera aux
mobiles économiques de l'immigration. Désormais les regroupements familiaux
seront encouragés et les immigrés seront aussi diversifiés par sexe et âge.
On voit donc bien comment
les facteurs économiques et démographiques se sont conjugués pour faire de
l'immigration un phénomène spécifiquement wallon et ouvrier, avant qu'elle ne se
diversifie sur le plan régional, en s'étendant vers Bruxelles et la Flandre et,
sur le plan des activités, en s'étendant vers les autres secteurs.
De la même manière que
les Flamands, perçus d'abord comme ignorants en raison de leur origine rurale et
de leur méconnaissance de la langue locale seront intégrés, l'intégration des
différentes couches migratoires qui font partie de la réalité wallonne s'est
faite, pour l'essentiel, à travers les activités de travail. Le rôle des
organisations sociales et ouvrières, tout comme la scolarisation ont été, de ce
point de vue, prépondérantes.

L'augmentation du nombre
d'indépendants, de commerçants et d'artisans parmi les étrangers indique un
changement de statut pour certains d'entre eux dans un processus d'installation
définitive. Si les jeunes d'origine étrangère occupent dans l'ensemble le même
type d'emplois que leurs parents, sous l'effet toutefois de la scolarisation, la
mobilité sociale fait aussi partie de leurs aspirations et élargit leur horizon
social.
Population mobile au
départ, constituée par une forte proportion de jeunes hommes célibataires,
affectés à des activités bien circonscrites, l'immigration s'est progressivement
diversifiée démographiquement, sectoriellement et géographiquement, pour devenir
familiale et se sédentariser. Aussi, malgré la crise et la montée du chômage qui
ont entraîné l'arrêt de l'immigration de travailleurs en 1974, les immigrés font
désormais partie intégrante de la population wallonne.
On compte à présent
quelques 372.000 ressortissants étrangers installés en Wallonie. Ils
représentent 41% des étrangers en Belgique et 11,6% de la population wallonne
(source INS pour 1990) . Les Italiens forment près de la moitié de la population
immigrée installée en Wallonie. Les autres nationalités les plus représentées
dans la population étrangère sont les Marocains (5,7%), les Turcs (5,5%), et les
Espagnols (4,5%).
Tout comme des Wallons se
sont installés partout dans le monde, c'est aussi de Flandre, d'Italie, de
Pologne, de Turquie, du Maroc..., "d'ici et d'ailleurs" que sont les
travailleurs wallons.
VIII. La Wallonie active
On peut synthétiser
l'ensemble de ces transformations en les ramenant à celles de la population
active. La structure de celle-ci s'est modifiée par un double mouvement de
soustraction et d'addition. Soustraction d'abord par le rétrécissement de la
pyramide des âges à ses deux extrémités : insertion professionnelle retardée des
jeunes par une scolarisation prolongée d'une part et abaissement de l'âge de la
pension par l'extension, en particulier, de système de pré-retraites d'autre
part. L'addition ensuite qui, dans un premier temps, résultait de l'immigration,
est à présent la conséquence de l'accroissement de l'activité féminine.
En Wallonie les salariés
(ouvriers, employés, fonctionnaires) forment 86,5% de la population active
occupée et les indépendants 13,5%. Au total les femmes représentent 30% des
actifs occupés. Elle sont cependant majoritaires parmi les employés (55%) et
forment 38% des fonctionnaires. La proportion des femmes est nettement moindre
parmi les ouvriers (26%) et les indépendants (25%).
Au total, 177.957
personnes, soit 17,4% des actifs occupés travaillent à temps partiel. Il s'agit
en grande majorité de femmes. Ainsi 81% des travailleurs à temps partiel sont
des femmes et 37% des femmes travaillent à temps partiel en Wallonie. C'est
aussi parmi les employés que le travail à temps partiel a connu l'expansion la
plus grande : 1/4 des employés travaillent à temps partiel.
Ainsi, une coupe de la
population active occupée reflète bien les résultats des transformations qu'elle
a subies. D'abord la salarisation des activités de travail : des auteurs comme
Michel Aglietta et Anton Brender ont défini les sociétés contemporaines comme
des sociétés salariales. La Wallonie n'échappe sûrement pas à cette définition.
Ensuite, l'accès croissant des femmes à l'emploi; lorsque près de 40% des actifs
occupés sont des femmes, c'est bien à une féminisation de l'activité que nous
assistons. Cependant, dans la mesure même où cet accès à l'emploi s'est fait à
travers le temps partiel, on peut voir là, malgré tout, la persistance de leur
infériorisation dans l'emploi. Enfin, la part importante des employés (33,6%) et
des fonctionnaires (21,9%) qui forment ensemble la majorité des actifs occupés
reflète bien un changement important qui va de pair avec la montée en force des
services. Dès lors, si la Wallonie peut également être qualifiée, tout comme les
autres sociétés développées de "société de service", les ouvriers continuent à
former, avec plus de 30% des actifs occupés, une part toujours très importante
dans l'emploi.
Tableau 5. Population
active occupée en Région wallonne - 1992
Statut |
Sexe |
Temps plein |
Temps partiel
+ saisonnier
+ intermittant * |
Total |
Ouvriers |
Hommes |
211741 |
21435 |
233176 |
Femmes |
36830 |
46026 |
82856 |
Total |
248571 |
67461 |
316032 |
Employés |
Hommes |
138852 |
17694 |
156546 |
Femmes |
105332 |
82312 |
187644 |
Total |
244184 |
100006 |
344190 |
Fonctionnaires |
Hommes |
132881 |
4768 |
137649 |
Femmes |
64283 |
21832 |
86115 |
Total |
197164 |
26600 |
223764 |
Indépendants |
Hommes |
103841 |
** |
103841 |
Femmes |
34552 |
** |
34552 |
Total |
138393 |
** |
138393 |
Total général |
Hommes |
587135 |
43897 |
631212 |
Femmes |
240997 |
150170 |
391167 |
Total |
828312 |
194067 |
1022379 |
Source INAMI (30/6/1992)
* Les seuls travailleurs
à temps partiel sont au nombre de 56.970 (13.129 hommes et 43.841 femmes) parmi
les ouvriers, et de 94.387 (15.907 hommes et 78.480 femmes) parmi les employés.
** On n'a pas tenu compte, afin d'éviter les doubles comptages avec d'autres
catégories, des indépendants dont l'activité est mixte, soit 24.442 personnes
(17.063 hommes et 7.379 femmes).
IX. La modernisation négociée
Au fond, ces mutations
profondes ne sont pas seulement liées aux révolutions technologiques. C'est
aussi une logique industrielle caractérisée par la production standardisée en
grandes séries et les traditions industrielles qui est secouée. Dans un contexte
de mondialisation de la production et de concurrence accrue, les logiques de
marché ont pris une vigueur nouvelle.
En ce qui concerne
l'institutionnalisation des relations de travail, le syndicalisme se structure
d'abord autour des entreprises et des centrales professionnelles et s'affirme au
niveau de la Belgique. Il s'organise cependant aussi localement et
régionalement. Les coopératives qui ont joué un rôle important dans le monde
ouvrier ont été un facteur décisif dans son insertion locale comme dans la
polarisation dans les villes et villages d'une vie ouvrière autour des Maisons
du peuple.
L'organisation des
négociations collectives au niveau des branches d'activité correspond certes au
poids des centrales professionnelles dans les syndicats. Ceux-ci n'en restent
cependant pas moins structurés également au plan local et par la suite au plan
de la région. Ainsi, dans les organisations ouvrières, les structures nationales
avaient certes prévalu dans l'ensemble, mais les coopératives ouvrières étaient
marquées, au contraire, par leur implantation locale. Les syndicalismes
socialiste et également chrétien furent fortement déterminés dans les débats qui
les ont traversés et dans les orientations qu'ils se sont données par leurs
composantes régionales. On peut ainsi discerner, aux diverses étapes de leur
évolution, le poids de leur aile wallonne.
Depuis sa création, en
1830 jusqu'à la révision de la constitution de 1970 la Belgique avait connu une
unité de législation et une forte centralisation des pouvoirs politiques. Les
réformes institutionnelles qui s'engagent à partir de 1970 reconnaissent l'unité
linguistique, culturelle, territoriale de la Flandre prônée par le mouvement
flamand et la volonté wallonne d'obtenir des moyens propres pour échapper au
déclin économique, moderniser ses structures industrielles, aménager son
territoire et gérer ses ressources naturelles.
Au plan social, les
organisations syndicales comme patronales ont ajusté leurs structures à la
fédéralisation de celles de l'Etat. En particulier, les compétences régionales
en matière d'emploi, la création du FOREM héritant, pour la Wallonie, des
fonctions de placements des chômeurs et de la formation professionnelle, naguère
exercés par l'ONEM. Celui-ci conserve comme attribution l'indemnisation du
chômage, demeurée de compétence fédérale comme la sécurité sociale dans son
ensemble. La constitution et l'activité du Conseil économique et social de la
Région wallonne traduit bien l'existence institutionnalisée d'un niveau de
concertation sociale au niveau wallon.
Le Conseil
Economique et Social de la Région wallonne CESRW
Créé par le
décret du 25 mai 1983, il est composé de vingt membres issus des
organisations représentatives de l'industrie, des classes moyennes et de
l'agriculture et de vingt membres issus des organisations
représentatives des travailleurs. Il sont nommés, sur proposition des
organisations, par le Gouvernement wallon. Le partage des mandats entre
les trois organisations syndicales est fonction du résultat des
élections sociales en Région wallonne.
|
Les grandes
transformations du travail, qu'elles aient oeuvré localement, nationalement ou
encore qu'il s'agisse de logiques de développement à l'échelle de l'Europe ou du
monde, ont été modelées en Wallonie par son histoire, ses institutions et ses
structures propres. Si bien que le vaste mouvement de modernisation qui a
traversé son économie traduit, tout à la fois, sa tradition industrielle et les
mutations sociales qui ont fait son histoire.
A présent, dans un
contexte mouvant, la question de la modernisation des structures économiques se
pose sous la double dimension technologique et organisationnelle. Les
transformations technologiques permettent de situer les entreprises wallonnes en
position enviable. Par leurs traditions sociales aussi, les entreprises comme la
Région sont "rodées" par la négociation. La Région, par ses institutions, ses
organes de développement économique, ses écoles et notamment ses établissements
techniques et professionnels, ses universités et centres de recherche
scientifique et bien sûr ses entreprises et son savoir-faire, se présente comme
un "milieu innovateur". Le relais du charbon et du fer est pris à présent par
l'aéronautique, l'espace, l'électronique, les biotechnologies, les énergies
nouvelles, les produits pharmaceutiques, la robotique, l'éducation, la santé et
les services.
Si l'on retient
l'assertion suivant laquelle la modernisation ne se limite pas à la technologie
mais qu'elle doit être aussi organisationnelle, la condition de sa réussite est
d'être négociée. Sur ces divers plans, riche de sa tradition mais aussi de ses
mutations récentes, la Wallonie dispose aujourd'hui des meilleurs atouts. A
condition toutefois que des préoccupations particulières ne fassent pas perdre
de vue que ce sont les perspectives de l'emploi qui conditionnent la
participation de chacun à la vie sociale.
Orientation bibliographique
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Bruxelles, 1972.
H. DE MAN et L. DE BROUCKERE,
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V. FEAUX, Cinq semaines de luttes sociales, Université de Bruxelles, 1963.
M. LIEBMAN, Les socialistes belges 1885-1914, Vie Ouvrière, Bruxelles,
1979.
R. MOREAU, Combat syndical et conscience wallonne, Ed. Vie Ouvrière,
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Ouvrière, Bruxelles, 1976.
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G. VANTHEMSCHE, Le chômage en Belgique. Son histoire, son actualité de 1929 à
1940,
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travail et les travailleurs ne sont plus ce qu'ils étaient, dans
Wallonie. Atouts et références d'une
Région, (sous la direction
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