IV. Le Patrimoine bâti
L'urbanisme
Historiquement, ainsi que
son nom l'indique, l'urbanisme est l'affaire des villes. Il a trait à la manière
de les aménager, et surtout d'y construire. La Wallonie n'a pas échappé à ce
phénomène : longtemps, les campagnes n'ont été soumises à aucune règle juridique
d'urbanisme et d'aménagement du territoire. Dans certains cas, c'est même une
situation qui a perduré jusque dans la seconde moitié de ce siècle, jusqu'à la
législation organique de 1962. Ceci étant, même dans les villes, l'urbanisation
a été interminablement spontanée et libre de toutes contraintes. Ce fut
particulièrement vrai dans les cités et les banlieues industrielles, qui
caractérisent le sillon wallon. On comprendra donc comment il se fait que le
patrimoine urbanistique wallon est parfois un héritage lourd à assumer.
Comme partout ailleurs,
ce sont néanmoins les campagnes qui sont à l'origine de la Wallonie. On admet
généralement que les villages se sont fixés dès la fin du Haut Moyen Age. Plus
vite un nombre croissant de bâtiments ont recouru à des structures complexes et
à des matériaux semblables à la pierre ou à la brique, plus la trame du village
a été définitivement établie. Dans la plupart des cas, les villages étaient
économes de l'espace et épousaient au mieux le relief. Les contraintes
techniques et les difficultés de transport faisaient que les matériaux locaux
étaient exclusivement utilisés. En raison de la diversité très typée des régions
géographiques, les villages acquirent des caractéristiques architecturales d'une
grande homogénéité. Plusieurs sont parvenus jusqu'à nous et font maintenant
l'objet de mesures urbanistiques particulières.
S'il n'y avait pas eu la
révolution industrielle, la Wallonie serait probablement demeurée une région où
ne se rencontreraient que de petites villes, Liège faisant exception. On peut
être frappé par l'abondance de ces villettes qui se sont développées au départ
d'une vie marchande ou d'un carrefour de voies de communications, à moins que ce
ne soit au pied d'un château-fort ou dans les limites d'une enceinte. Le
communalisme wallon se comprend bien lorsqu'on observe ce réseau dense de cités.
Tout comme dans les villages, il s'agit là d'un urbanisme spontané, qui n'est
éventuellement contraint que par de premières règles en matière d'hygiène ou de
sécurité, par exemple dans le domaine de la protection contre les incendies.
L'urbanisme militaire est
sans doute celui qui a le plus contribué à structurer les villes wallonnes. Non
seulement parce qu'il est à l'origine de plusieurs localités - les exemples les
plus connus étant ceux de Philippeville et de Charleroi -, mais parce que les
périmètres définis par les remparts, avec leurs glacis et autres systèmes de
défense, ont contribué à dessiner le plan originaire des villes. Par la suite,
lorsque les fortifications ont été démantelées, elles ont été remplacées par les
premiers boulevards urbains, et on a pu assister alors à la naissance d'un
premier véritable urbanisme civil, souvent bourgeois. Des villes comme Mons ou
Tournai sont très caractéristiques de ce processus.
Les XIXe et XXe siècles
ont été marqués par une urbanisation galopante et souvent anarchique. Dans un
premier temps, ce fut l'ensemble du sillon wallon qui fut atteint : l'habitat
ouvrier suivit l'implantation des mines et des entreprises métallurgiques. Il en
résulta un extraordinaire mitage de l'espace rural, si bien qu'on a à la fois
l'impression d'être dans la ville et de ne pas y être. Dans un second temps - et
celui-ci nous est contemporain -, les campagnes ont été attaquées une nouvelle
fois : d'un côté, au départ des villes les plus importantes qui, à l'entour, ont
essaimé des lotissements périphériques considérables; d'un autre côté, ce sont
les villages qui se sont développés eux-mêmes en s'étirant au long des voiries.
C'est ce qu'on a appelé : l'extension linéaire de l'habitat. Dans un cas comme
dans l'autre, l'architecture individualiste de la maison isolée, à quatre
façades, triompha. Là, c'en était fini des caractères si intrinsèquement liés
aux terroirs.

Le patrimoine monumental
Sous forme de boutade
mais aussi un peu sur le ton du slogan à usage touristique, on affirme parfois
que la Wallonie est la région du monde où l'on trouve le plus d'églises et de
châteaux au kilomètre carré. C'est probablement exagéré, mais ce n'est quand
même pas tout à fait faux. Malgré les guerres, les invasions et les épisodes
destructeurs de l'Histoire, un patrimoine monumental conséquent est parvenu
jusqu'à la fin du XXe siècle. Sans conteste, le fleuron du patrimoine religieux
est constitué par la cathédrale de Tournai. Mais de combien d'autres centaines
d'églises faudrait-il parler ? L'architecture religieuse romane est prestigieuse
: s'imposent aussitôt des églises comme Hastière ou Celles, sans oublier la
collégiale de Nivelles. Mais le gothique et le baroque dominent aussi :
Sainte-Waudru à Mons, Saint-Aubain à Namur, la collégiale de Dinant ou la
basilique de Saint-Hubert le rappellent à suffisance.
Les manoirs, les
châteaux, les citadelles et les forteresses sont légion. Presque tous
constituent des buts d'excursions, même lorsqu'ils sont privés. Il y a les
châteaux-forts, comme La Roche, Logne, Vêves, Montaigle. Il y a les citadelles,
comme Dinant, Bouillon, Namur, Huy. Il y a même un burg, à la manière
germanique, comme Rénastène ou Reinarhdstein, aux pieds des Hautes-Fagnes. Il y
a enfin les manoirs, ou les châteaux qui ont tellement évolué qu'ils peuvent y
être assimilés. Le plus connu d'entre eux est probablement Beloeil. Mais ne
serait-ce pas plutôt - ou autant - son parc, qui fasse la réputation de Beloeil
? Car si la Wallonie ne compte pas de grands parcs urbains, elle recèle par
contre de fort beaux jardins associés à un château ou un manoir. Les parcs ou
jardins d'Annevoie, de Freyr ou d'Enghien sont parmi les plus renommés.
Cependant, les églises et
les châteaux n'ont pas le monopole du patrimoine monumental. On l'a déjà vu,
l'archéologie industrielle est une composante essentielle du patrimoine wallon.
Tout le monde connaît maintenant des sites comme le charbonnage de Blégny -
Trembleur, l'étonnant complexe du Grand Hornu, les ascenseurs du Canal du
Centre, ou - à l'entrée de l'Ardenne - le Fourneau Saint-Michel. Ici encore, ces
lieux, une fois restaurés, acquièrent rapidement une vocation touristique. Tel
n'est pourtant pas toujours le cas. Lorsqu'il s'agit d'ensembles d'habitations
ouvrières, le mieux est de leur laisser leur destination première. Ainsi en
va-t-il pour les Carrés du Bois-du-Luc, à La Louvière, qui demeurent affectés au
logement social. D'anciennes usines sont aussi, par contre, reconverties dans le
logement; telles sont, du côté de Verviers, l'usine de draps Simonis et l'usine
textile Wasson, à Dison. Enfin, à Marche-en- Famenne, la vieille Brasserie des
Carmes est devenue une espèce de centre culturel, tandis qu'à Waterloo, une
sucrerie désaffectée a été transformée en un établissement hôtelier de haut de
gamme.
Last but not least,
le patrimoine monumental n'est heureusement pas qu'un héritage; notre époque
aussi y contribue. La création de nouveaux sites universitaires a été
l'occasion, par exemple, de la construction de plusieurs bâtiments fort
remarquables. C'est particulièrement vrai pour l'Université de Liège, dans les
bois du Sart-Tilman. C'est aussi maintenant que l'on redécouvre une production
architecturale intéressante - de la première moitié de ce siècle - dans des
villes comme Liège et Charleroi. Pour terminer, il serait injuste de ne pas
réserver une place aux travaux de génie civil conçus et réalisés par des
ingénieurs belges. Le pont incliné de Ronquières, des viaducs semblables à ceux
de Beez ou de Dinant, les nouveaux ponts sur la Meuse, voire des infrastructures
autoroutières comme les échangeurs de Daussoulx ou de Loncin, appartiennent,
aussi et déjà, d'une certaine manière, au patrimoine monumental de la Wallonie.

Le patrimoine quotidien
La Région wallonne est
sans doute une de celles où l'accent a été le plus rapidement mis sur
l'importance culturelle du patrimoine quotidien. Cela tient fort probablement à
l'histoire sociale et aussi à la recherche de racines dans un passé assez
récent. Cette reconquête du patrimoine quotidien ne porte cependant pas sur un
patrimoine exclusivement populaire. C'est ainsi - on l'a dit - que
l'architecture et l'urbanisme bourgeois de la seconde moitié du XIXe siècle et
du début de celui-ci, se redécouvrent dans des villes comme Liège ou Charleroi,
mais également dans toutes les autres cités. Des styles - qu'on méprisait
jusqu'il y a peu - reviennent, de la même façon, à l'honneur; tel est, par
exemple, le sort actuel du style dit "bateau".
L'habitat rural
traditionnel a trouvé les mêmes lettres de noblesse. Longtemps on eut le
sentiment que les seuls à s'y intéresser, étaient les citadins en quête de
seconde résidence. Puis vinrent les premières études scientifiques et les
premières publications. Jusqu'alors il n'était encore question que de
conservation; certains travaux - qui firent même un temps autorité -
apparaissaient plutôt comme des sortes de guides ou de catalogues de conseils
pour bien restaurer sa fermette. Aujourd'hui, l'habitat rural traditionnel n'a
plus de connotation passéiste. Au contraire, il sert de référence pour les
nouvelles constructions, qui doivent s'y conformer, en vertu de la politique
d'intégration au bâti préexistant.
L'habitat urbain
populaire ne joue certes pas le même rôle d'étalon que l'habitat rural
traditionnel. Mais, dans la foulée de l'archéologie industrielle, il a été
intégré au patrimoine culturel immobilier. Il faut reconnaître que, outre la
valeur symbolique et le témoignage historique, certaines formes d'habitat urbain
populaire possèdent un niveau d'homogénéité architecturale et de cohérence
urbanistique, qui sont exemplaires. Il est des corons, des cités ouvrières,
voire des ensembles de logements sociaux, qui par leur unité mais aussi par leur
originalité sont des exemples ou des leçons d'urbanisme.
Un autre concept qui a
pris cours en Wallonie est celui de petit patrimoine. A trois reprises, des
campagnes ont été entreprises sur ce thème : d'abord, il s'est agit des
fontaines; ensuite, il fut question d'éléments aussi divers que les calvaires,
les potales, les enseignes ou les horloges; enfin, ce fut au tour des portes,
des portiques et des portails. Le grand mérite de ces opérations a été d'attirer
l'attention du grand public sur ces éléments simples et cependant constitutifs,
eux-aussi, du patrimoine wallon. C'est une manière comme une autre de faire
comprendre les interactions patrimoniales et de sensibiliser au concept de
conservation intégrée. L'intérêt porté au petit patrimoine constitue
l'aboutissement normal d'une démarche qui avait refusé de limiter le patrimoine
aux églises et aux châteaux.
Participant aussi - d'une
certaine façon - au patrimoine quotidien, il y a ce qu'on pourrait appeler le
patrimoine social. Celui-ci est intimement mêlé aux luttes ouvrières qui ont
contribué à façonner l'image politique de la Wallonie. A ce titre, tout comme
l'archéologie industrielle ou l'habitat urbain populaire, une Maison du Peuple
ou le bâtiment qui avait abrité une société coopérative acquérait la double
valeur de symbole et de témoin, et, comme telle, passait dans le patrimoine
culturel immobilier wallon. On l'a déjà écrit : la connaissance et la
conservation du patrimoine wallon contribuent à forger et à conforter l'identité
régionale. C'est pour la même raison que, tôt ou tard, le charbonnage du Bois du
Cazier, à Marcinelle, - dont la charge symbolique est sans commune mesure avec
tout autre lieu du sillon wallon -, sera lui aussi, un jour, intégré à ce
patrimoine que les Wallons visitent, pour ne pas perdre la mémoire.

V. Les politiques du Patrimoine
L'aménagement du territoire et l'urbanisme
Au niveau régional, la
matière est prise en charge par la Division de l'Aménagement et de l'Urbanisme,
qui est une Inspection générale instituée au sein de la Direction générale de
l'Aménagement du Territoire et du Logement, une des principales administrations
du Ministère de la Région wallonne. Cette administration fonctionne de manière
déconcentrée, à raison d'une Direction par province. C'est là un héritage de
l'ancien Ministère (national) des Travaux publics, dont l'Aménagement du
Territoire et l'Urbanisme faisait autrefois partie. A la tête des Directions
provinciales, on trouve des fonctionnaires délégués; il s'agit là d'une
originalité du droit public belge, puisque ces fonctionnaires ont reçu
délégation de pouvoirs, non en vertu des règles habituelles en matière de
délégations, mais en raison de la loi elle-même, qui leur a donc attribué cette
qualité particulière. Malgré cette déconcentration administrative, il existe
encore quatre Services centraux au sein de la Division de l'Aménagement et de
l'Urbanisme; ce sont : - la Direction de la Politique générale, - la Direction
du Contrôle, - la Direction de la Rénovation et de l'Equipement, - la Direction
de la Décentralisation. Bien que ce ne soit pas là leur objectif principal, ces
Services sont souvent appelés - par le biais des dossiers qu'ils traitent - à
jouer un rôle conséquent dans la conservation du patrimoine.
La matière de
l'aménagement du territoire et de l'urbanisme est réglée par une loi organique
de 1962, aujourd'hui intégrée dans le Code Wallon de l'Aménagement du
Territoire, de l'Urbanisme et du Patrimoine. Le système mis en place par cette
législation peut être résumé comme suit : nul ne peut construire (ou poser des
actes ou effectuer des travaux ayant un impact physique) sans avoir obtenu
préalablement un permis, lequel ne peut être délivré que conformément aux plans
d'aménagement et aux règles d'urbanisme; tout qui construit sans permis ou sans
en respecter la teneur, est passible de sanctions, pouvant aller jusqu'à la
démolition de l'immeuble en infraction. Le permis est, dans la plupart des cas,
délivré par le Collège des bourgmestre et échevins sur avis favorable du
fonctionnaire délégué. L'introduction de recours est possible, d'abord au niveau
de la Députation permanente, ensuite à celui du Ministre qui a l'aménagement du
territoire dans ses attributions.
Deux grands principes
régissent aujourd'hui les politiques d'aménagement du territoire et d'urbanisme
: d'une part, la gestion parcimonieuse du sol; d'autre part, l'intégration au
bâti préexistant. La gestion parcimonieuse du sol tend à lutter contre
l'expansion désordonnée du bâti, et, ce faisant, à préserver l'environnement
naturel et paysager. L'espace physique n'étant pas extensible, le sol constitue
une denrée rare et - partant - une matière précieuse. C'est particulièrement
vrai dans des régions densément urbanisées - comme la Wallonie -, où la maîtrise
foncière et la résistance contre des menées spéculatives ou de grandes
opérations immobilières déstructurantes peuvent constituer des enjeux capitaux.
La gestion parcimonieuse du sol, en tant qu'elle vise à protéger les fonctions
faibles comme les bois et les campagnes, aide donc puissamment à la sauvegarde
des paysages. Par ailleurs, l'intégration au bâti préexistant entend privilégier
les styles régionaux et la typo-morphologie locale, en tâchant de réaliser un
difficile équilibre entre - d'une part - l'évolution des techniques de
construction, la diversification des matériaux, les variations des idées et des
goûts, et - d'autre part - un certain respect des formes, des couleurs, des
matériaux, de la volumétrie et de la disposition des constructions, telles
qu'elles se sont développées - au cours du temps - dans le respect des terroirs
et des paysages. La politique d'intégration s'est traduite, non seulement dans
l'adoption de règlements d'urbanisme à caractère régional (comme ceux relatifs
aux centres anciens ou aux bâtiments en site rural) ou à caractère local (tels,
dans le cadre du régime dit de décentralisation-participation, les règlements
communaux d'urbanisme), mais - plus récemment - par une référence croissante au
bâti préexistant dans le traitement ordinaire des demandes de permis de bâtir et
de lotir. Enfin, dans un triple souci de pédagogie, d'information et de réponse
à l'accusation d'arbitraire, l'Administration se propose de publier un Guide du
bon aménagement des lieux, qui viendra expliciter la politique dorénavant
poursuivie.

Les monuments, sites et fouilles
Les réformes
institutionnelles de la fin des années quatre-vingts ont été l'occasion de
régionaliser et d'unifier ces matières, qui - auparavant - étaient, pour une
part, de la compétence de la Communauté française, et, pour une autre part, de
la compétence de l'Etat national. Les monuments et sites relevaient de
l'Administration du Patrimoine, tandis que le secteur archéologique était confié
au Service national des Fouilles. Au sein du Ministère de la Région wallonne,
l'intégration a été opérée par la constitution d'une Division des Monuments,
Sites et Fouilles, dépendant elle-aussi de la Direction générale de
l'Aménagement du Territoire et du Logement. Cette Division, qui recourt
également aux services des Directions provinciales évoquées plus haut, comporte
trois services centraux : les directions de la Conservation, de la Restauration
et des Fouilles.
En fait, l'organisation
de ces matières est plus complexe qu'il n'y paraît, eu égard au rôle historique
de la Commission royale, dont l'intitulé exact est aujourd'hui : Commission
royale des Monuments, Sites et Fouilles pour la Région wallonne. Cette
importante instance consultative a été structurée en deux niveaux : d'une part,
une chambre régionale; d'autre part, cinq chambres provinciales. Par ailleurs,
tant l'une que les autres sont composées de manière à ce que les trois matières
(monuments et ensembles architecturaux, sites et fouilles) soient représentées;
ce sont autant de sections différentes.
On ne reviendra pas ici
sur la législation et son évolution, cela a été abordé dans la première partie
du présent chapitre; on rappellera toutefois que la matière a été maintenant
intégrée au Code wallon, dont elle constitue le livre V. Il ne s'agit pas d'une
intégration qui ne soit que formelle, car la gestion du patrimoine protégé
recourt dorénavant à la technique des autorisations d'urbanisme. Le classement
n'est donc plus le seul système juridique de sauvegarde du patrimoine. Il en
existe encore d'autres, qui sont d'ailleurs consacrés par la réglementation :
par exemple, l'établissement de l'inventaire du patrimoine immobilier et
l'inscription sur une liste de sauvegarde.
Depuis trois décennies
déjà, un
Inventaire du Patrimoine monumental ainsi qu'une collection de
l'Architecture rurale de Wallonie sont en cours de réalisation et de
publication. Ces ensembles d'études - accessibles à tous puisqu'éditées -
constituent une véritable somme en matière de patrimoine bâti. Elles sont à la
fois la légitimation et le support pédagogique des politiques de conservation
menées dans ce domaine. On pourrait y ajouter les Atlas du Patrimoine
architectural des centres anciens protégés et les études de
périmètres culturels et de protection des ensembles ruraux, de même que les
Atlas du sous- sol archéologique des centres urbains anciens et la
planification des sites d'intérêt archéologique (essentiellement en milieu
rural). L'ensemble de ces travaux et publications permet d'avoir une fort bonne
connaissance du patrimoine bâti et du patrimoine archéologique de Wallonie. Le
parent pauvre demeure le secteur des sites; à cet égard, l'étude de référence
demeure probablement l'inventaire dit Isiwal.
En matière d'archéologie,
c'est également grâce à la régionalisation que le droit a enfin pu consacrer
cette élémentaire règle de prudence, qui veut que "nul ne peut procéder à des
sondages ou à des fouilles sans autorisation préalable". D'autre part,
parallèlement aux fouilles, l'importance du concept de site archéologique a pu
aussi être reconnu. Non seulement ces sites archéologiques bénéficieront de
toutes les mesures de protection que peuvent leur procurer les réglementations
afférentes à l'aménagement du territoire, à l'urbanisme et au patrimoine, mais -
de plus en plus - on se soucie de leur mise en valeur, à des fins pédagogiques
et encore touristiques. A ce propos - tout comme, de façon générale, on doit
saluer l'action de Qualité- Village-Wallonie -, il faut souligner l'action
entreprise par deux associations (d'ailleurs soutenues par la Région wallonne) :
la Saw et la Sas, la première ayant pour objet la valorisation des sites
archéologiques de l'ensemble de la Wallonie, et la seconde ceux de la vallée de
la Semois.

Les forêts et la conservation de la nature
Au sein de la Direction
générale des Ressources naturelles et de l'Environnement, la Division de la
Nature et des Forêts embrasse la totalité de ces matières. Cette inspection
générale a succédé à l'ancienne Direction générale des Eaux et Forêts qui, avant
la régionalisation, fonctionnait dans le Ministère (national) de l'Agriculture.
Cette administration était si connue qu'aujourd'hui encore, on l'évoque
volontiers et couramment sous le simple nom des "Eaux et Forêts". La Division de
la Nature et des Forêts est extrêmement déconcentrée, développant, en province,
des directions, des inspections, des cantonnements, des brigades et des triages;
"l'ingénieur" et "le garde" sont bien connus de leurs interlocuteurs communaux.
Néanmoins, quatre services centraux ont été mis en place : la Direction de la
politique forestière générale, la Direction de l'aménagement et du génie
forestier, la Direction de la conservation de la nature et des espaces verts,
ainsi qu'une Direction de la chasse et de la pêche, cette dernière fonctionnant
également de manière déconcentrée. Aux côtés de l'Administration, diverses
instances consultatives ont vu le jour, essentiellement dans les domaines de
l'environnement, de la conservation de la nature, et des forêts.
En plus des politiques
forestières (qui bien sûr ont évolué), la régionalisation a été l'occasion de
développer des actions plus dynamiques dans les secteurs de la conservation de
la nature, de la chasse et de la pêche. Certes, comme on l'a vu précédemment,
ces nouvelles politiques s'inscrivent dans l'évolution des idées ainsi que dans
le cadre juridique imposé par l'Union européenne. Quoi qu'il en soit, des
réglementations beaucoup plus restrictives ont été adoptées dans des domaines
comme la chasse ou la tenderie. On le sait aussi : les réserves naturelles se
sont multipliées, tandis que s'accroissait sans cesse la liste des espèces
végétales et animales protégées. La structure de l'Administration s'en est
ressentie, et la modification de son appellation en est le symbole même.
La politique en matière
de forêt est toujours conçue sur base des trois fonctions qui lui ont été
reconnues autrefois. On ne voit d'ailleurs pas les raisons qu'il y aurait de
changer. Ces trois fonctions sont les suivantes : une fonction économique, une
fonction écologique et une fonction sociale. Cette distinction est à la fois
théorique, car elle permet d'approcher la globalité de la problématique
forestière, et opérationnelle, en raison des choix et des actions qu'elle permet
de définir clairement. Il n'empêche que, dans le vécu, les fonctions se mêlent.
Par exemple, la pratique de la chasse aura des retombées économiques (les
locations de territoires, les dépenses diverses des chasseurs), aura un impact
écologique (la régulation du gibier et ainsi de sa pression sur les végétaux),
et aura un caractère récréatif.
En fait, la fonction
économique de la forêt réside essentiellement dans les revenus financiers
qu'elle peut procurer, de par l'exploitation des bois et les locations de
chasse. J'y ajouterai volontiers son rôle important dans le domaine de
l'économie touristique, dès lors qu'elle constitue l'un des principaux éléments
attractifs, motivant l'intérêt des excursionnistes, des villégiateurs ou des
seconds résidents. Que l'on songe seulement à l'impact actuel des promenades en
forêt.
La fonction écologique de
la forêt - qui pour moi est la première et qui à elle seule légitime la
sauvegarde des bois et des massifs forestiers - réside dans son indispensable
vocation régulatrice de processus naturels, vitaux ou conséquents pour l'être
humain. A cet égard, qu'il suffise d'évoquer l'action de la forêt quant à la
purification de l'air, à la conservation des sols, au régime des cours d'eau. La
forêt est un poumon dont la nécessité s'impose avec encore plus d'évidence,
lorsque l'entoure de toutes parts un monde urbanisé et industrialisé. Dans le
cas de la forêt wallonne, cela ne se conteste pas.
Enfin, la fonction
sociale de la forêt embrasse l'ensemble des activités humaines qui l'utilisent
pour le loisir et le sport, le repos et la détente, voire le refuge et la
méditation. On a déjà évoqué la chasse et la pêche, mais il y a bien d'autres
sports : la marche, la course, le vélo, le V.T.T., le cheval, le ski, le kayak,
voire le 4 X 4 et la moto verte; bien sûr, certaines activités sont sujettes à
caution et sont même souvent incompatibles avec une saine gestion de la forêt.
D'autant que la forêt sociale ne peut se réduire au simple décor de loisirs
actifs. C'est aussi celle du promeneur solitaire, de l'être contemplatif et de
l'artiste. C'est d'ailleurs le peintre qui nous rappelle que la forêt est
paysage, et - de ce fait - composante essentielle du patrimoine visuel wallon.
Jean-Pierre Lambot,
Tourisme et patrimoine en Wallonie, dans
Wallonie. Atouts et références d'une
Région
(sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.