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Histoire politique et institutionnelle
 

 Histoire politique de la Wallonie 1970 - 1994
Du rêve autonomiste à la souveraineté internationale
- (1995)
Première partie - Deuxième partie - Troisième partie - Quatrième partie
 

Philippe Destatte
Historien
Directeur de l'Institut Jules Destrée

 

Introduction

"Faisons un rêve", dit un jour de 1976, Francis Delperée à l'occasion d'un colloque où il évoquait l'avenir de la Wallonie, "imaginons un instant que le gouvernement, soutenu soudain par une majorité qualifiée - c'est bien un rêve - confère aux autorités régionales wallonnes une compétence législative ou quasi législative - de même nature que celles des décrets dans les matières régionales. Dès lors, nous serions", ajouta le Professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Louvain, "devant un Etat fédéral semblable aux propositions jadis formulées par des Fernand Dehousse, Georges Truffaut, Jean Rey, etc". Et, mettant en garde les mouvements wallons contre un fétichisme excessif à l'égard des procédures institutionnelles et des institutions publiques, le constitutionnaliste concluait : "La leçon est d'importance. Dans un pays comme le nôtre, le pouvoir n'est jamais donné. Sans aller jusqu'à dire, avec le Général de Gaulle, qu'il se ramasse, admettons qu'il se prend, qu'il se conquiert, qu'il se conserve de haute lutte".

Assurément ! Qui pourrait nier que les vingt-cinq dernières années ont été, pour la Wallonie, celles de la difficile conquête d'une autonomie revendiquée depuis plus d'un siècle mais dont les progrès ont été si lents et les avatars si nombreux que leur histoire en démontre, aujourd'hui encore, toute la fragilité ?

 

I. Les extrémistes du possible (1970-1978)

Le Gouvernement Gaston Eyskens - Joseph Jean Merlot se met en place le 17 juin 1968 en affirmant sa volonté de remodeler la Belgique. Le Congrès du Mouvement populaire wallon qui se réunit le 23 juin 1968 reste sceptique et critique le programme gouvernemental. Mais, le 22 janvier 1969, le Vice-Premier Ministre JJ Merlot, celui qui avait été l'artisan du Congrès des Socialistes wallons à Verviers, se tue dans un accident de voiture. Il est remplacé par André Cools. Dès septembre 1969, le Groupe de Travail pour les Problèmes communautaires, représentant les différents partis, est à l'oeuvre. Ce "Groupe des 28", présidé par Gaston Eyskens et les deux ministres des Affaires communautaires, Léo Tindemans et Freddy Terwagne, rassemble tous les partis et se réunit du 24 septembre au 13 novembre 1969. C'est là que, contre toute attente, la proposition du Professeur Perin, Président du Rassemblement wallon depuis sa fondation en 1968, de confier aux régions un pouvoir normatif de décision dans certaines matières, recueille l'appui de Gérard Delruelle, député libéral de Liège, et au delà, celui du PLP-PVV. Le remarquable journaliste André Méan a rapporté les propos de Gérard Delruelle : "Il faut donner du pouvoir et des compétences aux trois régions. [...] La Wallonie doit recevoir quelque chose sur le plan économique en échange de l'autonomie culturelle que réclame la Flandre. Donnez aux régions des milliards pour régler leurs problèmes prioritaires". Quand le groupe des 24 prend la relève de celui des 28, sans la Volksunie, il aboutit à des résultats sur tous les points de son ordre du jour, excepté sur le problème de la création de la région économique bruxelloise et sur celui du statut des communes limitrophes de l'agglomération bruxelloise.

Dès lors, c'est le gouvernement qui doit s'attaquer lui-même à ces points. Il parvient à un accord global qui est présenté par le Premier Ministre à la Chambre, le 18 février 1970. L'accord précise que la Région linguistique bilingue de Bruxelles-capitale s'étend sur le territoire des dix-neuf communes. Trois communautés culturelles sont définies : française, néerlandaise et allemande; il en va de même pour les régions politiques, l'Etat en comprend trois : la wallonne, la flamande et la bruxelloise. "Une loi adoptée à une majorité spéciale attribue aux organes des régions qu'elle crée et qui sont composées de mandataires politiques élus, la compétence de régler les matières qu'elle fixe, dans le ressort et selon le mode qu'elle détermine. " En outre, les minorités sont protégées, la parité flamands- francophones au Conseil des Ministres ainsi que des majorités spéciales pour plusieurs matières sont prévues. C'est une véritable restructuration de l'organisation de l'Etat par l'autonomie culturelle et la mise en place des pouvoirs régionaux qui est ainsi opérée.

Méfiants par expérience, les bureaux du Mouvement populaire wallon et de Wallonie libre réclament, fin février 1970, le vote simultané de l'autonomie culturelle et de l'organisation régionale. De plus, ils demandent la consultation des populations pour déterminer les limites régionales. Le Congrès extraordinaire du Rassemblement wallon réuni mi-mars à Namur sous la présidence de François Perin dénonce, lui aussi, le fait que "le plan gouvernemental accorde immédiatement l'autonomie culturelle aux Flamands mais repousse dans un avenir éloigné et incertain le pouvoir régional sur le plan économique et social dont la Wallonie a un urgent besoin". Le 25 avril 1970, le Conseil général des fédérations wallonnes du PSB réclame à son tour que soient assurées simultanément la réalisation de l'autonomie culturelle et la reconnaissance aux régions des pouvoirs de décision en matières économique et sociale, c'est-à-dire la création d'un véritable exécutif wallon. Le socialiste carolorégien Jacques Hoyaux, seul, considère le projet en retrait par rapport aux résolutions des socialistes wallons et à leurs revendications essentielles. "Il n'est pas interdit de penser qu'un jour, nous réclamerons l'autodétermination des Wallons dans le cadre de l'Europe", annonce-t-il. Mais le travail législatif se poursuit au Parlement et rien n'est encore acquis.

Le 5 mai 1970, en Commission du Sénat, le mot région est supprimé de la proposition d'organisation régionale. On y parle d'organes régionaux. Il faut toute la force déterminée de Freddy Terwagne, le 18 juin, pour emporter le vote sur le projet d'accord initial : "Au centre de nos préoccupations fondamentales, il n'y a pas seulement la langue ou le territoire, mais encore et surtout l'homme. Instaurer un système régional, dans la Belgique de 1970, c'est construire une démocratie nouvelle", proclame le ministre wallon des Relations communautaires. Dès lors, l'article 107 quater, qui consacre l'existence de trois régions, la Flandre, Bruxelles et la Wallonie, est accepté par l'ensemble des partis à l'exception de la Volksunie.

Les compétences de ces régions - qui ne peuvent être celles prévues en matière d'emploi des langues et d'autonomie culturelle - restent à déterminer par une loi votée à majorité spéciale. Les lois d'application vont néanmoins tarder : les Flamands vont exiger que leur revendication de l'autonomie culturelle soit prioritaire et que ses lois d'application soient adoptées dans les mois qui suivent. En effet, ils considèrent que le vote du projet 125 sur la décentralisation économique et sa concrétisation assurent le parallélisme revendiqué du côté wallon. Ce projet a été approuvé les 2 et 3 juillet 1970 (Loi du 15 juillet 1970 ) et mis en vigueur par le Gouvernement le 31 décembre 1970, le jour même de la parution au Moniteur belge des articles constitutionnels révisés accordant l'autonomie culturelle. Comme l'a écrit Claude Remy, ancien collaborateur de Freddy Terwagne, "ce parallélisme a un mérite certain : pour la première fois dans l'histoire politique de la Belgique, des revendications wallonnes sont satisfaites en même temps que des aspirations flamandes". La Loi Terwagne, portant organisation de la planification et de la décentralisation économique, prévoit la mise en place de conseils économiques régionaux de droit public (installés en octobre 1971) qui organiseront la concertation entre les forces politiques, économiques et sociales des régions, la création de sociétés de développement régional (une seule pour la Wallonie dès 1973), "véritables organes d'exécution décentralisés", qui, comme l'a indiqué Terwagne, "auront à remplir les tâches de conception, de promotion, de réalisation et de coordination de l'économie planifiée de leur région", d'organes techniques de promotion et de réalisation dans les matières économiques, le Bureau du Plan et l'Office de Promotion industrielle. La tâche de tous ces organes est de poursuivre le travail du Conseil économique wallon, né de la guerre. Néanmoins, comme l'a indiqué le Bureau fédéral du MPW, "la décentralisation économique [...] n'aura de sens que si la Wallonie est dotée de pouvoirs réels de décision qui lui permettront entre autres de prendre des initiatives industrielles publiques".

Freddy Terwagne, dynamique artisan de la réforme, meurt brutalement le 15 février 1971. Il est remplacé par un militant wallon de toujours, Fernand Dehousse. Ce dernier est forcé d'accepter le découplage de l'autonomie culturelle et de la mise place des régions, le 11 avril 1971. C'est pour les Wallons une mise au frigo du 107 quater. Mais l'échec n'est pas celui d'un homme ou d'un parti. Dans un manifeste intitulé Quelle Wallonie ? Quel socialisme ?, le Groupe B-Y qui réunit des progressistes d'horizons divers autour de Max Bastin et de Jacques Yerna indique au même moment : "Wallons et francophones bruxellois ont oscillé trop souvent entre ce qu'il faut bien appeler un esprit vichyssois et certains irréalismes ou nostalgies. Les fruits amers de cette situation sont à déguster chaque jour à l'occasion des lois d'application et des autres domaines où la dynamique flamande pourra s'exercer et s'exercera. Par la nature des choses, certains Wallons parmi les plus sensibilisés n'ont pas toujours senti les réalités, ni changé de cap à temps. Les fédéralistes progressistes sont engagés dans des organisations et aussi dans des partis divers auxquels il arrive de s'affronter durement..."

Aux élections du 7 novembre 1971, provoquées par la fronde des députés CVP contre un projet de loi visant à résoudre le problème des Fourons, le Parti libéral francophone s'écroule alors qu'il vient de se séparer du PVV, tandis que FDF et RW, de plus en plus associés, doublent le nombre de leurs représentants en obtenant 24 députés, dont 14 RW. Dès lors, le Rassemblement wallon s'impose comme deuxième parti de Wallonie. Alors qu'Edmond Leburton constitue une coalition des trois familles traditionnelles, le 26 janvier 1973, son gouvernement ne parvient pas à dégager de nouvelles pistes sur les dossiers communautaires et force le MPW - et particulièrement son président Jacques Yerna - à réclamer à nouveau, dans une Lettre au Roi en février 1973, un Exécutif et une assemblée régionale pour la Wallonie. Le Gouvernement Leburton tombe sur l'affaire de la raffinerie iranienne Ibramco qui devait être implantée en Wallonie.

Marquant sa volonté d'aboutir à la mise en place de la régionalisation, le Rassemblement wallon entre, le 11 juin 1974, dans le Gouvernement que Léo Tindemans a formé le 25 avril avec les libéraux et les sociaux-chrétiens. La Loi Perin-Vandekerckhove est votée le 1er août 1974. Ne disposant pas d'une majorité qualifiée, le Gouvernement a créé des institutions régionales à "titre préparatoire" à l'application de l'article 107 quater. Celles-ci sont issues des négociations de Steenokkerzeel, les 19 et 20 avril 1974, auxquelles François Perin a participé, négociations revues lors de l'entrée du RW au gouvernement (Accord du 10 juin 1974). Le 11 juin 1974, Jean Gol et Etienne Knoops, députés RW, sont nommés respectivement secrétaires d'Etat à l'Economie régionale wallonne et adjoint au ministre des Affaires économiques. Le 4 octobre, ils sont rejoints par Robert Moreau, Secrétaire d'Etat aux Affaires sociales, Adjoint au Ministre des Affaires wallonnes. La loi Perin- Vandekerckhove prévoit que, dans les limites des circonscriptions existantes, chaque région sera dotée d'un Conseil et d'un Comité ministériel "spécial" rassemblant les ministres et secrétaires d'Etat ayant des attributions en matières culturelle et régionale. Il s'agira donc d'une assemblée consultative composée des sénateurs de la région. Chaque région doit recevoir une dotation financière de l'Etat central, fixée suivant trois critères de répartition, chacun comptant pour un tiers : la superficie, la population et le rendement de l'impôt des personnes physiques. Le vote, à majorité simple, a lieu le 20 juillet 1974 et permet aux régions de déterminer leurs politiques dans les domaines de l'expansion économique régionale, de l'emploi, de la santé, de l'eau, de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme, de la politique foncière, du logement, de la politique familiale et démographique, de la santé publique et de l'hygiène, de la politique industrielle et énergétique, du tourisme et de la politique d'accueil, de la chasse, la pêche, les forêts, l'organisation communale et la politique de l'eau. Si la Loi Perin est boycottée par les socialistes qui la jugent inconstitutionnelle et refusent de participer au Conseil wallon qu'elle crée, il n'en reste pas moins que la régionalisation préparatoire met en place une ébauche d'organes législatif et exécutif régionaux, un budget régional ainsi qu'un début de régionalisation interne des administrations concernées. En fait, le Conseil régional ne reçoit pas mission de régler les matières régionales - sinon on se serait trouvé dans le champ d'application du 107 quater, ce qui aurait nécessité une majorité qualifiée - mais donne un avis, par voie de motions motivées sur des projets gouvernementaux ou encore émet des propositions. Comme le souligne François Perin, Ministre de la Réforme des Institutions, "au niveau de l'élaboration des normes régionales, c'est évidemment toujours le Parlement qui vote les lois - dont le champ d'application peut être limité à une région - mais chaque Conseil régional doit, dans les matières régionalisées, être consulté". Le Conseil d'Etat décida pourtant de limiter le caractère contraignant de cette consultation.

Le 25 novembre 1974, le Comité ministériel wallon se réunit pour la première fois, à Namur, sous la présidence du démocrate-chrétien Alfred Califice, Ministre des Affaires wallonnes. Le lendemain, c'est au tour du nouveau Conseil régional wallon, composé des Sénateurs et présidé par le libéral carolorégien Franz Janssens, de tenir sa première séance à Namur.

C'est au printemps 1976 que, à l'occasion du 25e anniversaire du règne du Chef de l'Etat, une nouvelle lettre au Roi est adressée à Baudouin Ier. Elle est signée par Marcel Thiry, Fernand Dehousse, Francis Delperée, Joseph Hanse, Maurice Leroy et Jean Rey. Dénonçant la persistance du régime unitaire malgré les modifications de la Constitution, les signataires regrettent une nouvelle fois que la régionalisation, bien que votée par l'article 107 quater, soit restée lettre morte : "Tous ceux qui vivent quotidiennement la vie de la Wallonie, tous ceux qui ont sous les yeux le spectacle de ses usines fermées ou menacées, tous ceux qui savent que le grave chômage qu'elle connaît sera loin d'être résorbé avec la fin de la crise actuelle s'inquiètent de cette carence. Ils réclament des actions politiques qui lui donnent enfin la possibilité de lutter efficacement contre le sous-développement et le sous- emploi".

Le 16 juin 1976, François Perin fait l'éloge du projet d'accord sur l'application de l'article 107 quater, que le PSB a élaboré avec la FGTB. Cette proposition de régionalisation définitive a été présentée dix jours plus tôt aux socialistes des trois régions et sera approuvée au congrès national du PSB, le 27 juin. Un important Congrès des Socialistes wallons se réunit à Jolimont le 19 juin. Guy Spitaels, qui y a présenté le rapport sur la démographie et l'emploi, a déclaré que "la minorisation de la Wallonie continue à s'accentuer". Alors qu'à l'époque du rapport Sauvy, en 1962, le taux de natalité était de 15,2 pour mille, il est tombé en 1974 à 12,8 pour mille. L'orateur peut annoncer que "nous avons commencé à mourir collectivement". Quant au chômage, il est 30% plus élevé en Wallonie qu'en Flandre. Marcel Hicter, qui fait le rapport culturel, rappelle "qu'on ne peut dissocier la révolution culturelle des révolutions sociales et économiques". Le mouvement fédéraliste s'est à nouveau ébranlé. Le 29 juin, le Comité directeur du PSC marque son assentiment sur une formule de dialogue entre les communautés, nouvelle table ronde à mettre en place après les élections communales d'octobre 1977. Le Premier Ministre Tindemans marque sa préférence pour cette formule début septembre tandis que les socialistes wallons se revoient à Seraing le 12 septembre 1976. Ils élaborent un plan de développement économique et social pour la Wallonie.

La création du Club Réformes-Europe-Régions (CRéER) par François Perin, Etienne Knoops et Jean Gol, en juillet 1976, est le point de départ de l'éclatement du Rassemblement wallon. Cette initiative, qui a notamment pour objet l'intégration du concept européen et de préoccupations tournées vers le monde de l'entreprise pour casser l'image d'une "Wallonie rouge", va susciter un débat idéologique de type droite-gauche au sein du RW et mettre en porte-à-faux les ministres par rapport à la direction du Parti et notamment par rapport à son président, Paul-Henry Gendebien. Celui-ci lance, le 21 octobre 1976, avec Robert Moreau et Germain Capelleman, Secrétaire général du Mouvement ouvrier chrétien de Charleroi, un appel au peuple wallon, sous le signe de l'autonomie de la Wallonie intitulé L'Action wallonne pour le fédéralisme et les réformes de structures. Ainsi, s'affirmant fidèle aux sources profondes du mouvement wallon, la direction du Rassemblement wallon proclame que "le combat fédéraliste est aussi un combat social qui doit être mené par et pour les Wallons". Ce document, qui appelle la mise en place d'une majorité de progrès en Wallonie, est perçu comme l'abandon de la volonté pluraliste du RW et va accélérer la rupture entre les deux tendances du Parti. Ainsi, après l'échec d'un rapprochement avec un PSC francophone qu'il voudrait voir "déconfessionalisé", c'est le 24 novembre 1976 que le groupe Créer fonde, avec le PLP, le Parti des Réformes et de la Liberté en Wallonie (PRLW). Estimant que le PLP wallon s'est rallié à la grande tradition wallonne incarnée par Jean Rey, François Perin explique aux militants que, lui-même socialiste de gauche il y a quinze ans, il a "mis plusieurs années à soumettre un idéalisme excessif à la critique des faits et des hommes. J'ai ainsi pris conscience", écrit-il, "que la révolution rêvée, ou bien restait enfermée dans des évocations verbales, ou bien, quand la tentative avait lieu, se soldait par de tragiques échecs [...]".

Au même moment, Combat, l'organe du MPW, s'insurge, sous la plume de Jean- Marie Roberti, "contre le simulacre de régionalisation instaurée par la loi Perin qui n'accorde aucun pouvoir, aucune autonomie ni aucune responsabilité politique aux institutions de la Région et qui a, dès lors, tenté d'entretenir une dangereuse illusion de régionalisation auprès des Wallons".

Un important congrès du Rassemblement wallon se tient à Namur, le 4 décembre 1976. Alors que Marcel Thiry y souligne que Paul-Henry Gendebien - qui a été plébiscité par les 1200 militants et parlementaires présents - l'a persuadé que les participants représentaient encore "le RW dans toute sa force", Robert Moreau constate que c'est la première fois depuis quinze ans qu'il participe à un congrès wallon en l'absence de François Perin. Bien que, paraphrasant Jean Duvieusart, l'ancien syndicaliste des Acec proclame que les congressistes sont "des extrémistes, des extrémistes de la vérité, de la loyauté, de la fidélité et du courage" et qu'ils vont jusqu'au bout du combat wallon, on sent que quelque chose s'est cassé au Rassemblement wallon. Le 8 décembre, François Perin quitte son poste ministériel et est remplacé par le Wallon Michel Toussaint (PRLW) comme Ministre de la Réforme des Institutions tandis que Pierre Bertrand (RW) entre au Gouvernement.

En vue de son congrès constitutif du 15 janvier 1977, le nouveau parti patronné par Jean Rey lance un "Appel aux Wallons". Il y est précisé que "La reconnaissance des régions n'est pas seulement, comme on l'a dit trop souvent, la résultante de conflits basés sur des désaccords d'ordre linguistique. Elle s'impose aussi et de plus en plus, pour des raisons économiques, sociales et culturelles.[...] Il faut donc fédérer pour unir et doter notre Région wallonne des structures qui lui permettent d'envisager un devenir propre et d'engager un dialogue avec les autres régions et communautés". Au Congrès lui- même, Jean Rey qui préside le directoire constitutif du nouveau parti, précise les axes de la démarche commune qui unira les troupes de Pierre Descamps à celles de François Perin : fédéralisme, pluralisme, réformisme et intégration européenne. Et le Ministre d'Etat d'évoquer la mémoire de Charles Magnette, d'Emile Jennissen, de François Bovesse, "chefs incontestés du libéralisme wallon" ainsi que de Georges Thone, "fondateur et animateur du Rassemblement wallon" et de conclure : "Nous espérons être restés fidèles à leur mémoire et garder le souvenir de leurs efforts d'hier qui seront pour nous un guide et un stimulant pour nos efforts d'aujourd'hui et de demain."

Le 26 février 1977, le Bureau du Rassemblement wallon accuse le PSC et le PVV de bloquer le dialogue de Communauté à Communauté entamé depuis le 30 novembre à l'initiative de Tindemans et de ses deux ministres des réformes institutionnelles. Impatient, le RW réclame, le 28 février, la conclusion immédiate d'un accord politique sur la révision du 107 quater et, arguant de l'urgence de la situation économique, Paul-Henry Gendebien réaffirme la volonté de son parti "d'installer au plus tôt un gouvernement wallon". Une date d'évaluation est fixée : le 4 mars, la veille du congrès du RW. S'agit-il d'un ultimatum au Gouvernement ? Le 3 mars, alors qu'un accord semblait possible sur une note en quatre points présentée par Jean-Maurice Dehousse, négociateur socialiste, un incident éclate à l'occasion du vote du budget des Affaires économiques et provoque une tension au sein du gouvernement. Le lendemain, Robert Moreau et Pierre Bertrand sont démis de leur fonction par le Roi, sur proposition du Premier Ministre. C'est l'échec de l'ultimatum du RW, pris de vitesse par Léo Tindemans. Mais le Gouvernement n'a plus de majorité et chancelle.

A leur tour, le 8 mars, André Cools et Willy Claes, co-présidents du PSB-BSP reprochent aux partis de la majorité de bloquer la régionalisation définitive du pays et la révision constitutionnelle mais refusent de faire du futur Parlement une Constituante. Les élections sont organisées le 17 avril 1977; celles-ci concrétisent l'effondrement du RW : le parti fédéraliste perd 8 de ses 13 sièges à la Chambre, tandis que, de son côté, le PRLW en totalise 14. Au total, comme l'écrit Le Soir, "la régionalisation du pays s'est affirmée" : CVP en Flandre, Socialistes en Wallonie et FDF à Bruxelles ont renforcé leur "prédominance".

Tindemans, désigné comme formateur, a mis en place des négociations gouvernementales entre les socialistes, les sociaux-chrétiens, la VU et le FDF. Réunis au Palais d'Egmont du 9 au 25 mai, ils élaborent un Pacte communautaire qui prévoit que la Constitution "consacrera le principe de la décentralisation politique d'un certain nombre de matières vers les communautés et les régions". Conformément à une démarche fédéraliste, il est spécifié que ce sont les conseils régionaux qui régleront les matières d'intérêt régional non reprises dans les listes des compétences nationales, communautaires et régionales, "dans la mesure où les Chambres législatives ne font pas usage de leurs droits de légiférer [...]". En ce qui concerne le niveau régional, le pacte définit les conseils régionaux, prévoit leur élection au suffrage universel direct, l'incompatibilité entre le mandat de conseiller régional et de membre de la Chambre des Représentants, la tâche des exécutifs et leurs compétences, en distinguant entre compétences exclusives et compétences concurrentes. La faiblesse - majeure - du projet réside toutefois dans le peu de moyens accordé aux régions et dans le mécanisme de financement soumettant une véritable subsidiation au vote du parlement et à l'action du gouvernement. L'accord signé le 24 mai est intitulé Pacte communautaire.

L'équipe gouvernementale Tindemans-Hurez-Vanden Boeynants est mise en place le 2 juin 1977. Alors que, dans sa déclaration gouvernementale, le Premier Ministre Tindemans appelle l'opposition à se rallier au pacte communautaire, François Perin a déjà répondu dans la presse que, en dépit des imperfections du texte, il se voyait mal refuser de voter un document qui lui apparaissait comme l'héritage de négociations et d'évolutions qui durent depuis huit ans. Mais, tel un augure, l'ancien Ministre souligne qu'il est clair que le pacte résulte avant tout d'un accord Martens-Cools. En effet, François Perin estime que M. Tindemans n'a jamais été un chaud partisan des Exécutifs régionaux car, dit-il, "il avait la hantise des contre-pouvoirs". Néanmoins, le mouvement manifestement wallon a obtenu une garantie par la désignation du Sénateur Jacques Hoyaux qui se voit attribuer le secrétariat d'Etat à la Réforme des Institutions, en même temps que son collègue flamand Ferdinandus De Bondt. Le militant socialiste wallon s'attache à transcrire en projets de loi le Pacte d'Egmont et à préparer les textes mettant en place la régionalisation définitive et la Cour d'arbitrage, textes qu'il dépose le 15 décembre 1977 sur la table du gouvernement.

Afin de préciser certaines dispositions du Pacte d'Egmont, le Gouvernement organise des discussions au Palais du Stuyvenberg du 24 septembre au 17 janvier 1978. Les résultats de ces travaux font l'objet d'un complément à la déclaration gouvernementale relative au Pacte communautaire qui est adoptée au Parlement le 28 février. Un comité gouvernemental examine ces documents à partir du 27 avril et le projet de loi 461 est déposé à la Chambre début juillet 1978. Il est adopté en seconde lecture par sa Commission spéciale mais le rapport de cette commission ne sera jamais adopté. Dans sa présentation du texte, le 13 juillet, Jacques Hoyaux avait annoncé que, si le texte était voté, dès l'année suivante des conseils régionaux wallon, flamand et bruxellois, composé de députés et sénateurs de la région, prendraient des ordonnances ayant force de loi dans toute une série de matières importantes reconnues en tant que compétences exclusives et "à propos desquelles est donc exclue toute intervention du Parlement national". Mais, Léo Tindemans et ses amis n'ont pas résisté aux pressions du mouvement flamand - opposé aux accords depuis leur signature - et le Premier Ministre se dérobe spectaculairement le 11 octobre, ouvrant une crise politique. Après un renouvellement de la coalition pour former un gouvernement de transition permettant une déclaration de révision de la Constitution, des élections ont lieu le 17 décembre 1978. Le dernier parti unitaire n'a pas résisté au choc : c'est séparés que socialistes wallons et flamands vont à la bataille.

Les élections ouvrent une longue période d'incertitude pendant laquelle formateurs et médiateurs royaux se succèdent. Des déclarations communes PS-PSC-FDF et CVP-BSP- VU sont échangées. Un accord intervient toutefois le 30 mars 1979, entre cinq partis, sur base d'une note rédigée le 9 mars par André Cools, Président du PS. Ce texte reprend la proposition de Wilfried Martens, Président du CVP, d'une réforme de l'Etat en trois phases, prévoyant d'abord la formation du gouvernement dans lequel trois exécutifs régionaux seraient incorporés mais disposeraient dès le début d'une administration régionale. Le 107 quater serait appliqué immédiatement et l'article 59bis élargi aux matières personnalisables. Pour la phase définitive de la révision constitutionnelle, seules les options fondamentales seraient définies dans la déclaration gouvernementale. En ce qui concerne les compétences des régions, la proposition de Cools va plus loin que celle de Martens, notamment en matière de crédit et d'énergie.

La pression de la rue n'a pas cessé en Wallonie pour réclamer une avancée autonomiste de la Wallonie. Le 29 mars 1979 encore, l'Interrégionale wallonne la FGTB et le Comité wallon de la CSC ont réuni à Namur près de 100.000 travailleurs pour revendiquer la régionalisation et les réformes de structures. Combat se fait l'interprète des manifestants : "la Wallonie entend obtenir une assemblée élue au suffrage universel, un exécutif choisi en son sein et responsable devant elle, des compétences permettant une politique globale de développement régional, des moyens humains et financiers".

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Philippe Destatte, Du rêve autonomiste à la souveraineté internationale, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région, (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.


 

 

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