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Histoire politique et institutionnelle


Les étapes du combat wallon
- (1995)
Première partie - Deuxième partie - Troisième partie


Freddy Joris
Historien
Chef de Cabinet du Ministre-Président du Gouvernement wallon

 

X. Un nouveau souffle pour le mouvement wallon

La relance de l'action wallonne avait été amorcée dès 1959, et la situation économique critique de la Wallonie y était pour quelque chose. Le déclin de l'économie wallonne avait certes commencé avant le début des années soixante (que l'on se souvienne, notamment, du rapport du Conseil économique wallon en 1947) mais c'est à cette époque que la Wallonie est, en peu de temps, gravement touchée. La crise est surtout sensible dans le secteur charbonnier. L'intégration de l'industrie charbonnière dans le Marché commun nécessite un plan d'assainissement de la production; dans cette optique, la Communauté européenne du charbon et de l'acier impose à la Belgique une réduction drastique de sa production, réalisable par fermetures de sièges. Outre le charbon, la Wallonie a pour grand ressort industriel la métallurgie. L'encombrement de la production fait peser une menace sur cette dernière, et par conséquent sur l'économie régionale.

En mars 1962 survient la publication d'une étude demandée à deux professeurs français par le Conseil économique wallon sur la démographie wallonne, le fameux "rapport Sauvy". En raison des circonstances, celui-ci aura un grand retentissement dans l'opinion publique. Alfred Sauvy démontre le vieillissement considérable de la population de la région. Le rapport Sauvy sera assez froidement accueilli en Flandre, parce qu'il préconise un régime de faveur pour la Wallonie, ainsi que dans les milieux unitaristes, parce qu'il souligne les différences entre les deux régions du pays et propose des mesures propres pour l'une d'elles. En Wallonie, il alimentera la thèse fédéraliste et les argumentaires du Mouvement populaire wallon (MPW).

Le MPW, qui fut le fer de lance de l'action wallonne au moins dans la première moitié des années soixante, est inséparable, à ses débuts, de son leader le syndicaliste liégeois André Renard, membre du PSB. L'attitude pour le moins peu enthousiaste des directions nationales du PSB et de la FGTB à l'égard de la "grande grève" pesa sur la décision de Renard de créer le MPW. Il était également déçu de n'avoir pu faire triompher au sein de la FGTB un système confédéral.

La création du MPW était décidée à la mi-mars 1961, elle fut annoncée dans Combat le 6 avril. Le comité d'organisation comprenait uniquement des mandataires syndicaux et, les objectifs du Mouvement tenaient en une formule : "fédéralisme et réformes de structures". Le Congrès constitutif du MPW se tint à Liège les 18 et 19 novembre 1961. A ce moment, un grand nombre de parlementaires socialistes militaient dans les rangs du Mouvement, tel Fernand Dehousse. Au fur et à mesure des condamnations du MPW par le PSB, leur nombre allait diminuer.

Le Congrès de novembre 1961 entendit un rapport de la Commission politique du mouvement. Celle-ci avait été présidée par Dehousse. François Perin faisait fonction de rapporteur. Des travaux de cette commission était issu un projet de réforme de l'Etat, appelé par certains projet Dehousse - Perin, par d'autres projet ou rapport MPW. Celui-ci préconisait une forme atténuée de fédéralisme à trois.

Le développement rapide du Mouvement populaire wallon va surprendre le monde politique par son importance. Le MPW est fortement appuyé sur des centrales syndicales affiliées collectivement, surtout dans la région liégeoise. Par contre, dès le début de 1962, certains hommes politiques socialistes vont choisir entre le Mouvement et le PSB, en abandonnant le premier : c'est le cas de Dehousse (dès le 20 janvier) et du député Lucien Harmegnies par exemple. A ce moment, le PSB est retourné au pouvoir et cela met dans une situation délicate de nombreux socialistes affiliés au MPW, car celui-ci réserve l'essentiel de ses critiques au Parti socialiste.

Par ailleurs, sans vouloir se substituer non plus aux syndicats, le MPW veut "rechercher le contact le plus direct possible avec la masse de la population et avec les travailleurs en particulier". En cela notamment, le Mouvement tranche sur les autres groupements wallons évoqués jusqu'ici (où pareille affirmation avait rarement été mise en pratique). C'est dans son sillage que ces derniers vont retrouver une certaine vigueur. Le MPW est l'initiateur de la grande manifestation wallonne du 15 avril 1962 à Liège. Mais celle-ci marque la fin de la première phase du mouvement après laquelle s'amorce déjà un déclin. André Renard meurt peu après, le 20 juillet 1962, ce qui porte un rude coup à l'organisation : le MPW se retrouve en perte de vitesse après la disparition d'une aussi forte personnalité.

"Wallonie Libre" et "Rénovation wallonne" bénéficèrent de la relance énergique de l'action wallonne sous l'impulsion du MPW. Un quatrième mouvement avait vu le jour à Liège en mai - juin 1962, le "Mouvement libéral wallon" créé à l'initiative de Fernand Schreurs en réaction contre les tendances unitaristes d'un Parti libéral récemment restructuré. Aucun de ces trois groupements n'était un mouvement de masse comparable au MPW. Aucun ne partageait entièrement ses thèses, surtout en matière économique et sociale. Mais tous étaient fédéralistes et comprirent qu'il convenait d'unifier leurs efforts.

Un Comité central d'Action wallonne est donc créé le 2 juin 1962, associant les divers mouvements, les fédérations des partis socialiste et communiste et de nombreuses associations. Un Congrès d'Action wallonne a lieu le 23 mars 1963 à Namur. Il décide la création d'un "Collège exécutif de Wallonie". Celui-ci sera composé de représentants du Mouvement populaire wallon (André Genot, François Perin, Robert Lambion, Léon Defosset notamment), de "Wallonie libre" (Simon Paque, Jean Pirotte), de "Rénovation wallonne" (Robert Royer, Lucien Outers), du Mouvement libéral wallon (Jean Van Crombrugge), des tendances politiques communiste (Jean Terfve), socialiste (Hubert Rassart, Freddy Terwagne notamment), sociale-chrétienne (Joseph Bercy, Pierre Ruelle entre autres) et du Parti d'Unité wallonne (Victor Van Michel).

Parmi les diverses missions qui ont été confiées au Collège, il en est une qu'il mène à bonne fin, malgré l'hostilité de tous les partis traditionnels : le "pétitionnement wallon". La pétition que les mouvements wallons font circuler en octobre et novembre 1963 a pour but de récolter le maximum de signatures contre l'adaptation des sièges parlementaires aux chiffres du dernier recensement. Malgré le désaveu des grands partis, plus de 645.000 électeurs (dont 120.000 Bruxellois) signèrent la pétition - soit près du tiers de l'électorat wallon !

Mais, miné par des dissensions internes, le Collège exécutif de Wallonie ne saura tirer profit de cette expression de l'opinion wallonne - dont le gouvernement et les partis refusèrent de tenir compte. Le Collège disparaît de facto. A l'initiative de Génot, de nouveaux contacts aboutissent à la formation d'un nouveau comité de coordination, qui se réunit le 7 janvier 1965. Ainsi est progressivement constituée la Délégation permanente des mouvements wallons, officiellement créée le 21 mars. On n'y trouve plus aucun parlementaire. Ceux-ci en effet ont souvent freiné l'action du Collège exécutif parce qu'elle était condamnée plus ou moins ouvertement par leur parti. Nous allons nous tourner maintenant de ce côté.

 

XI. Luttes de tendances entre unitaristes et fédéralistes dans les milieux politiques wallons

Les fédérations wallonnes du Parti communiste soutenaient le MPW parce qu'elles y voyaient un mouvement essentiellement ouvrier et rebelle au socialisme traditionnel; elles pesaient au sein du mouvement afin d'éviter qu'il ne perde son caractère populaire ou ne se laisse gagner par un nationalisme antiflamand qui aurait déforcé les militants communistes en Flandre.

A l'opposé de l'échiquier, la tendance dominante de l'aile francophone du PSC demeure au moins étrangère au mouvement wallon, tout en étant hostile au mouvement flamand - mais sans rompre pour autant avec l'aile flamande du Parti, malgré son flamingantisme. Les membres de Rénovation wallonne sont en fait des catholiques indépendants sur lesquels le PSC n'a guère de prise et qui tentent d'ébranler les milieux catholiques wallons. Ils y parviennent dans le cas de Jean Duvieusart par exemple : l'ancien Premier ministre, en mai 1965, refusera de se représenter sur les listes PSC, pour marquer sa désapprobation de la politique communautaire du Parti.

En matière de réforme de l'Etat, le PSC se contente encore de préconiser d'une part le système de la majorité des 2/3 au Sénat pour certaines matières risquant d'opposer les communautés, d'autre part le provincialisme. A l'opposé, Rénovation wallonne propose un "régionalisme à trois" fort proche du fédéralisme - et un de ses mérites est de ne pas faire dépendre ses positions en la matière des seuls intérêts de la minorité chrétienne wallonne.

Quant au Parti libéral, il s'est transformé en octobre 1961 en Parti de la Liberté et du Progrès (PLP). Il s'agit plus que d'un changement d'appellation. Désormais, sa doctrine repose notamment sur l'affirmation de la liberté d'opinion en matière religieuse et philosophique. Par ailleurs, et c'est ce qui nous intéresse surtout, il prend une option unitariste fondamentale. Il va de soi que cette option gênera les libéraux engagés dans le mouvement wallon, poursuivant une tradition remontant au XIXe siècle.

Le 29 mai 1962, la presse annonce la constitution à Liège du Mouvement libéral wallon, dont la cheville ouvrière n'est autre que Fernand Schreurs, secrétaire du Congrès national wallon depuis 1945. Le MLW se présente comme fédéraliste, désireux de faire entendre (si possible) les thèses fédéralistes au sein du PLP, d'y exercer en quelque sorte une pression comparable à celle du MPW sur le PSB ou de Rénovation wallonne dans les milieux chrétiens. Le MLW participera à l'action commune des mouvements wallons. Mais il demeurera un fait essentiellement liégeois.

Quant à l'Entente libérale wallonne, elle n'est guère plus écoutée. Présidée par le Namurois Michel Toussaint, elle regroupe depuis 1937 les Fédérations libérales wallonnes. Elle ne collabore pas avec les mouvements wallons, mais très antiflamingante, elle est résolument opposée à la politique linguistique du gouvernement PSC - PSB.

Les socialistes wallons, eux, tiennent un nouveau Congrès les 23 et 24 septembre 1961 à Charleroi, puis un autre, toujours à Charleroi, les 17 et 18 mars 1962, pour y adopter un projet de fédéralisme connu sous le nom de rapport Dehousse - Costard. Celui-ci énumère avec beaucoup de précision les Principes fondamentaux d'un statut fédéral. Il est adopté par l'assemblée. Mais - et l'influence du MPW est ici évidente - celle-ci rejette une partie du rapport et l'amende en conférant au futur Etat wallon autonome des attributions plus substantielles en matière économique et sociale.

Ensuite, la confrontation au sein du Parti entre les thèses fédéralistes des socialistes wallons et les vues des socialistes flamands et bruxellois va se heurter au mur d'inertie des socialistes flamands : ceux-ci refusent de se réunir en un Congrès régional pour discuter du problème; leur leader Josse Van Eynde, vice-président du Parti, est résolument adversaire d'un système de type fédéral qui pourrait nuire aux socialistes flamands. Les résolutions wallonnes rencontrent également des réticences à Bruxelles.

Les projets de lois dits "du maintien de l'ordre" seront l'occasion au printemps de 1963 d'une nouvelle manifestation de l'opposition entre socialistes flamands et wallons. L'opposition du Parti communiste, du MPW et de l'aile gauche du PSB amène la FGTB puis les Fédérations wallonnes du PSB à s'élever rapidement contre les projets. L'importance du courant oppositionnel wallon au sein du Parti et du syndicat est telle qu'elle encourage quelques-uns à ne pas désarmer. Si la très grande majorité des députés socialistes wallons se plient à la discipline du Parti et votent à la Chambre en faveur des projets, le 9 avril 1963, douze d'entre-eux s'abstiennent. Au Sénat, le 26 mai, six sénateurs socialistes liégeois s'abstiennent également. Le Bureau du Parti prendra des sanctions disciplinaires contre les "rebelles".

Le conflit entre le PSB et le MPW, entre la direction nationale du PSB (appuyée surtout par les Fédérations flamandes) et le courant minoritaire de gauche (surtout wallon) rebondit dans les derniers mois de 1963 sur le problème de la révision constitutionnelle. Le 13 juillet 1963, le Bureau du PSB présente lors d'un Congrès d'information une formule baptisée "Compromis des socialistes", très loin de la revendication fédéraliste. Le "Compromis des socialistes" défendu par le Bureau est appuyé en bloc par toutes les Fédérations flamandes. En revanche, il sera vivement critiqué dans certaines Fédérations wallonnes et bien sûr par le mouvement wallon.

Le conflit entre le PSB et le MPW devient alors d'autant plus vif qu'au moment où est discuté le "Compromis", le Collège exécutif de Wallonie (dominé par le MPW) organise le "pétitionnement wallon". Celui-ci est condamné non seulement par le PSC et le PLP mais aussi par la direction du PSB. Cette condamnation pousse plusieurs parlementaires socialistes à se retirer du Collège exécutif de Wallonie. Quant au MPW, il s'en prend violemment au Parti socialiste. Malgré cette campagne, le "Compromis des socialistes" est adopté par le Congrès à l'écrasante majorité. Plus des trois quarts des délégués wallons ont accepté le texte, y compris la majorité de la Fédération liégeoise - ce qui témoigne bien de la perte d'influence du MPW au sein du PSB wallon.

La rupture entre le PSB et le MPW se produira à la fin de l'année 1964, après de nouvelles tensions lors des élections communales. Les 12 et 13 décembre 1964, l'incompatibilité entre la qualité de membre du PSB et celle de dirigeant du MPW est décidée, par les seules Fédérations wallonnes, par 417 voix contre 143 et 18 abstentions. Seules les Fédérations de Liège et de Soignies se prononcent contre l'incompatibilité. La majorité des socialistes wallons a donc changé de cap à l'égard du Mouvement populaire wallon.

Après ces quatre années de tensions linguistiques et de défaites francophones et wallonnes, les élections législatives du 23 mai 1965 se soldèrent par un recul général des partis de la coalition gouvernementale et une progression remarquable du PLP. Au niveau wallon, le PSB réalisa son plus mauvais score depuis 1919 avec 35,7 % des voix; il perdait environ 212.000 voix (11,4 %) ainsi que la majorité dans la représentation parlementaire wallonne : il détenait auparavant 39 sièges wallons sur 76, il n'en avait plus que 28 ! Mais il y avait un autre événement : si en Flandre, la Volksunie passait de 5 à 12 sièges, à Bruxelles, un nouveau parti (le FDF) en obtenait trois et en Wallonie - ce qui ne s'était jamais produit auparavant - deux représentants des mouvements wallons entraient en tant que tels au Parlement.

Des listes d'Action wallonne avaient en effet obtenu au total 72.000 voix et deux de leurs candidats avaient été élus à la Chambre : Robert Moreau (à Charleroi) et François Perin (à Liège pour le Parti wallon des Travailleurs). Pour la première fois, l'action wallonne et francophone était représentée par des parlementaires élus en dehors des partis traditionnels. C'était là une des conséquences des multiples événements intervenus durant la législature, de l'attitude des partis à l'égard du mouvement wallon comme du vote des lois linguistiques sous les pressions flamandes.

 

XII. La tentative de "trêve communautaire"

Un gouvernement social-chrétien - libéral dirigea le pays de mars 1966 à février 1968. Il avait été précédé par un éphémère cabinet PSC - PSB conduit par le social-chrétien liégeois Pierre Harmel, installé fin juillet 1965 contre le voeu de la majorité des membres wallons du Congrès du PSB. Une fois de plus, les socialistes wallons ont dû alors s'incliner devant le vote du Congrès au nom de l'unité d'action : lors du vote à la Chambre sur la déclaration gouvernementale, l'équipe Harmel obtiendra l'appui de tous les députés PSC et PSB sans exception.

Le gouvernement Harmel n'a portant guère entendu les revendications des mouvements wallons. La Délégation permanente de ces derniers a remis en juillet à Pierre Harmel un long mémorandum sur la situation de la Wallonie. Ce texte constitue une véritable somme des revendications du mouvement wallon. Le même mémorandum sera remis en mars 1966 à Paul Venden Boyenants, président du Parti social-chrétien devenu formateur après la chute du cabinet Harmel : ce dernier avait dû donner la priorité aux préoccupations financières; la révision constitutionnelle n'était pas apparue comme une tâche prioritaire pour le gouvernement.

La déclaration gouvernementale du gouvernement VdB - De Clercq (26 mars 1966) décrétera une "trêve linguistique" : la nouvelle équipe souhaite ne pas aborder de front les problèmes communautaires et au contraire pratiquer ce que certains appelleront, en recourant à une image significative, la "politique du frigo". Le gouvernement relance le projet de création d'une Commission permanente pour l'amélioration des relations communautaires, finalement votée par la Chambre le 30 juin 1966.

La direction du PLP confirme l'unitarisme du Parti lors du Congrès tenu à Knokke les 29, 30 septembre et 1er octobre 1967. Lors de ce Congrès, le fédéralisme mais aussi toute idée allant à l'encontre de l'unitarisme sont durement critiqués. Du côté des libéraux wallons, la tendance fédéralisante ne représente plus grand chose. Elle est essentiellement centrée sur Liège : à la mi-mai 1968, quelques éléments "fédéralisants" (le bourgmestre Destenay, l'échevin Lejeune, etc.) critiqueront ouvertement la ligne unitaire du Parti.

Les tendances unitaristes, on le sait, ne sont pas moins puissantes au sein du PSC. Opposé au fédéralisme, celui-ci s'en tient à la décentralisation en faveur des provinces comme réforme institutionnelle. Mais l'aile flamande de ce Parti, majoritaire en Flandre, a cependant été forcée depuis longtemps de reprendre à son compte les revendications flamingantes, pour éviter de plus grands succès électoraux des nationalistes. Quoique tièdes à l'égard du mouvement wallon, les sociaux- chrétiens francophones sont néanmoins opposés au mouvement flamand. Dès lors, au fur et à mesure que grandissent les exigences de ce dernier, relayées par les PSC flamands, les risques de tension entre les deux ailes du Parti vont s'accroître. Au cours de la période 1966 - 1967, les deux ailes acquièrent progressivement une vie autonome. L'"affaire de Louvain" va déclencher un affrontement grave entre elles et déboucher, au début de 1968, sur une crise au sein du parti et sur la chute du gouvernement.

La mise en place de la Commission permanente pour l'amélioration des relations communautaires avait été la seule initiative gouvernementale en la matière. Elle travailla dans la plus grande discrétion. En fait, un autre débat communautaire se déroulait en dehors de la Commission, dans la rue et entre partis, autour de la section française de l'Université de Louvain : c'était un problème important auquel, malgré toute sa volonté, le gouvernement ne put échapper. Finalement, le "frigo communautaire" ne devait pas résister à l'explosion de Louvain.

L'Université de Louvain était l'objet de controverses depuis 1961 - 1962, depuis le dépôt des projets de lois linguistiques du ministre Gilson. Située en région flamande, l'UCL (Université catholique de Louvain, bilingue depuis les lois linguistiques de 1932) abritait une forte clientèle francophone (étudiants et enseignants). Les francophones avaient gardé l'espoir que leur institution resterait viable en dépit de son installation en un territoire légalement unilingue. Par contre, dans les milieux flamands, la crainte grandissait d'une francisation de Louvain en raison du rôle joué à cet égard par l'Université. Dès janvier 1962, des voix s'élevaient en Flandre pour réclamer le départ des francophones de Louvain.

En juillet 1963 eut lieu le vote des lois linguistiques. Du fait qu'elle ne s'appliquait pas à l'enseignement supérieur, la nouvelle législation linguistique tolérait la situation exceptionnelle de Louvain. A ce moment, les sociaux-chrétiens flamands s'étaient engagés envers leurs homologues francophones à accorder aux enseignants francophones de l'UCL des facilités. Mais dès la rentrée académique suivante, l'Association des étudiants flamands résumait son action dans le slogan Walen buiten.

La tension renaît tant à Louvain (où l'agitation n'a pas cessé) qu'au sein du PSC à la fin de 1967. Il est clair que l'aile flamande du PSC toute entière renie alors ses engagements de 1963 à l'égard des francophones. L'attitude de ces derniers est tout aussi nette : le 9 janvier 1968, le président de l'aile wallonne du Parti refuse toute scission de l'Université de Louvain. Le 18 janvier, les bureaux des groupes parlementaires PSC flamands font savoir que le transfert en Wallonie de la section française de l'UCL est la seule solution acceptable par l'opinion flamande. L'épiscopat flamand, qui n'a cessé depuis des années d'aller de concessions en concessions aux flamingants, prend position "pour le peuple flamand" le 2 février, par la voix de l'Evêque de Bruges Mgr De Smet. Les ministres CVP démissionnent le 7 février, entraînant la chute du gouvernement tout entier. La dissolution des Chambres est décidée; celles-ci votent fin février une déclaration de révision de la Constitution.

 

 

XIII. L'opposition francophone et la réforme de l'Etat

Le programme du Parti wallon de François Perin se situe dans la filiation de celui défini en novembre 1961 par le Mouvement populaire wallon. Mais une de ses caractéristiques, compte tenu de l'origine socialiste des principaux animateurs du Parti wallon, est l'abandon de toute référence explicite à l'idéologie socialiste. L'élargissement du Parti wallon aux milieux non socialistes sera cependant lent à se produire. A cet égard, la chute du gouvernement VdB et l'annonce d'élections anticipées vont jouer un rôle accélérateur déterminant.

Dès le 10 février 1968, la direction du Parti wallon lance un appel au rassemblement des forces wallonnes. Le processus de constitution du Rassemblement wallon est achevé à la mi-mars. Le nouveau parti fait place sur ses listes électorales à de nombreux chrétiens, la plupart issus de "Rénovation wallonne". Il reçoit l'appui de l'ex - PSC Jean Duvieusart (qui a refusé une place sur la liste sociale-chrétienne à Charleroi) ainsi que de certaines personnalités libérales liégeoises et du Mouvement libéral wallon.

Après le retour de leur parti dans l'opposition (1966), les socialistes wallons vont tenter quant à eux de sortir leur mouvement de l'état de crise où il est plongé depuis 1964. La présence du PSB dans l'opposition favorise un rapprochement avec le MPW notamment, d'autant que ce dernier a refusé de s'engager à l'égard du Parti wallon. Le 23 février 1967, le Conseil général du MPW, tout en réaffirmant le voeu d'une "totale autonomie politique de la Wallonie" décide de rechercher en collaboration avec d'autres secteurs de l'opinion wallonne, la réalisation d'objectifs immédiats. En adoptant en quelque sorte une attitude plus modérée et plus "réaliste" à titre transitoire, le MPW favorise le rapprochement avec le PSB wallon.

L'Interrégionale wallonne de la FGTB se constitue à la même époque. Le 26 février 1967, une importante assemblée des régionales wallonnes de la FGTB adopte un programme fort proche, au point de vue des institutions économiques, de celui (déjà connu à ce moment) qui va être soumis une quinzaine de jours plus tard à un Congrès des socialistes wallons. Ce processus de rapprochement entre l'aile wallonne de la FGTB et le MPW d'une part, et, d'autre part, l'aile wallonne du PSB se concrétisera dans la participation active d'André Génot et de Jacques Yerna aux travaux préparatoires des deux Congrès socialistes wallons de 1967.

En cette année 1967, le mouvement socialiste refait donc son unité et les socialistes wallons réaffirment leur option fédéraliste tout en élaborant un programme "fédéralisant" constituant une étape transitoire immédiatement réalisable. Cela se fait en deux temps, lors des Congrès socialistes wallons de Tournai (11 et 12 mars) et Verviers (26 et 27 novembre). En matière institutionnelle, les propositions de Verviers étaient modérées. Elles furent d'ailleurs adoptées par les congressistes comme constituant un "programme minimum" conditionnant toute participation gouvernementale future - ce que Merlot avait appelé la politique du "dos au mur".

Le "réalisme" du MPW et des forces syndicales wallonnes qui participèrent à l'élaboration du "programme minimum" de Verviers ne fut pas du goût de tous les milieux d'action wallonne. "Wallonie libre" y voyait une manoeuvre électorale destinée à "couler" le Parti wallon. A l'opposé, en dépit du caractère réaliste du programme de Verviers, celui-ci fut très mal accueilli par les socialistes flamands qui y virent du fédéralisme "à peine déguisé". C'est que les socialistes flamands s'étaient peu auparavant penchés eux aussi sur le problème de la réforme de l'Etat lors d'un Congrès tenu à Klemskerke en octobre 1967, qui avait refusé une refonte de l'Etat selon un système de type fédéral et s'était rallié à une solution jugée dépassée par les socialistes wallons.

En février 1968, la chute du gouvernement (et l'annonce d'élections anticipées) précipite le processus de recherche d'un accord Klemskerke - Verviers. Parce qu'il constitue un compromis, cet accord ne pouvait de toute évidence se ramener à une juxtaposition des deux textes initiaux. En matière institutionnelle, il sera nettement en retrait sur les options fédéralisantes des socialistes wallons. Mais le programme d'ensemble du PSB est plus explicite en matière économique et là plusieurs revendications des socialistes wallons sont rencontrées. Enfin, le PSB reconnaît et demande que soient reconnues trois régions : Wallonie, Flandre et Bruxelles.

Le scrutin du 31 mars 1968 se soldera par une nouvelle progression des partis communautaires francophones. Le FDF double presque son score de 1965; en Wallonie, le RW gagne plus de 100.000 voix et passe le cap des 10%. Le FDF - RW compte désormais 20 parlementaires. Cette avance électorale confirme en l'accentuant le bouleversement amorcé dès 1965.

 

 

XIV. De l'Etat unitaire à l'Etat "communautaire et régional"

Le gouvernement social-chrétien / socialiste (laborieusement) issu des élections de 1968 entamera, au travers d'une réforme constitutionnelle doublée d'une importante loi de décentralisation économique, la première réforme de l'Etat belge, sonnant le glas d'un Etat unitaire "dépassé par les faits", de l'aveu même du Premier Ministre Gaston Eyskens.

Comme devait le souligner en 1970 le Ministre wallon des Réformes institutionnelles, l'Amaytois Freddy Terwagne (qui comptait dans son Cabinet un certain Robert Collignon), "on peut bien sûr parler d'une certaine philosophie fédéraliste, mais l'Etat que nous allons créer, communautaire et régional, n'est pas un Etat fédéral et un fédéraliste doit être à l'aise pour le souligner".

Il n'empêche que la révision constitutionnelle initiée par le gouvernement en octobre 1968 serait le premier acte d'un quart de siècle de réformes institutionnelles qui conduiraient en 1993 à la transformation officielle de la Belgique en un Etat fédéral.

 

 

Orientation bibliographique

J. DESTREE., Wallons et Flamands. La querelle linguistique en Belgique, Paris, 1923.
F. JORIS, les Wallons et la réforme de l'Etat, 1890-1971, Bruxelles, Institut Emile Vandervelde, 1983, pp. 146.
J. LOTHE., l'histoire des mouvements wallons, dans La Wallonie. Le Pays et les Hommes, T. II, Bruxelles, 1976.
X. MABILLE., l'Histoire politique de la Belgique, Bruxelles, 1986.
J. MEYNAUD, J. LADRIERE et F. PERIN, La décision politique en Belgique, Paris, Colin, 1965, sur la période de 1944 à 1964, pp. 89 - 149.
R. MOREAU, Combat syndical et conscience wallonne, Bruxelles, 1984.
J.M. REMOUCHAMPS, L'Assemblée wallonne 1912 - 1937, Bruxelles, 1939.
R. ROYER., Histoire de Rénovation wallonne, 1973.
F. SCHREURS., Les Congrès de rassemblement wallon, Couillet, 1960.
E. WITTE et J. CRAEYBECKX, La Belgique politique de 1830 à nos jours, Bruxelles, 1987.
L'histoire du mouvement wallon, Charleroi, 1978, brèves présentations du Congrès national wallon (par A. SCHREURS) de "Wallonie libre" (J. Pirotte) et de "Rénovation wallonne" (R. Royer).

Freddy Joris, Les étapes du combat wallon, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région, (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.


 

 

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