Wallonie, Atouts et références d'une Région
Préface
(1995)
Robert Collignon
Ministre-Président du Gouvernement wallon
A la veille de fêter en
1995 ses quinze années d'existence institutionnelle, la Région wallonne a obtenu
des compétences et des moyens accrus. Elle dispose aujourd'hui des outils
indispensables à sa gestion quotidienne et aux efforts d'épanouissement, des
instruments d'action qu'elle réclamait de longue date, depuis plus d'un siècle
en ce qui concerne les plus lucides des militants wallons... Même si on est bien
loin de l'isolement total de ces premiers militants, isolement qui s'est
prolongé durant de longues décennies, il n'en reste pas moins que l'identité
wallonne est loin d'être toujours suffisamment affirmée - notamment parce que
les militants wallons, dont je suis, sont tout sauf nationalistes, chauvins ou
sectaires.
Politiquement, des
Wallons affirment l'existence de notre Région depuis plus d'un siècle, mais la
Wallonie a puisé une large part de son identité dans le creuset de la révolution
industrielle. Particulièrement précoce chez nous, elle a en effet profondément
modifié nos contrées originellement tournées vers le travail de la terre.
L'histoire industrielle participe donc largement de l'identité wallonne. Cent
ans de combats syndicaux et politiques menés plus ardemment au Sud qu'au Nord de
la Belgique devaient immanquablement fournir aussi des éléments identitaires au
caractère wallon.
Ce n'est pas un hasard si
en septembre 1993, comme Ministre régional chargé notamment du Patrimoine, j'ai
initié le programme de l'Année du Patrimoine industriel et . social en Wallonie,
que mon collègue André Baudson a concrétisé tout au long de 1994.
Au lendemain du premier
conflit mondial, le mouvement wallon, à peine naissant avant 1914, eut du mal à
se reconstituer face à un unitarisme largement majoritaire parmi les
francophones. Il me plaît de souligner que dans l'entre-deux-guerres, le
mouvement wallon ne versa jamais dans l'extrémisme de droite, ce qui est rare
pour un mouvement identitaire à cette époque.
La Résistance durant la
seconde guerre mondiale, "l'anti-léopoldisme" après celle-ci, la " Grande
Grève", de 1960, constituèrent ensuite des faits sensibles et palpables de
l'expression de l'identité wallonne .
L'histoire contemporaine
de la Wallonie passerait ensuite, et durant un quart de siècle, par la marche
constitutionnelle vers le fédéralisme. La première réforme constitutionnelle de
1970 déboucha sur la création de communautés culturelles néerlandophone et
francophone. Mais les Wallons durent encore batailler dix ans pour obtenir en
1980 la concrétisation de la régionalisation politique et économique.

C'est alors que Parlement
et Exécutif wallons furent "rapatriés" de Bruxelles à Namur, choisie pour
devenir la capitale de la Wallonie. Les institutions régionales se mirent en
place, lentement mais sûrement. Dans les années '80, deux combats contribuèrent
à nouveau à renforcer l'identité wallonne . la crise sidérurgique et les
affrontements des Fourons.
Les réformes
institutionnelles de 1988 et de 1993 aboutirent enfin à un véritable Etat
fédéral en Belgique, dans lequel la Région wallonne dispose de pouvoirs et de
moyens réels.
La Région wallonne va
vivre maintenant ses derniers mois d'existence dans le schéma institutionnel
issu de la réforme de 1980. Après les prochaines élections législatives en
effet, qui verront en 1995 l'élection séparée de Conseillers régionaux et
l'exercice du pouvoir exécutif à la Communauté confié aux Ministres régionaux
wallons et bruxellois, les données seront fondamentalement différentes pour les
Wallons et les francophones de ce pays.
Quinze ans après les
débuts effectifs de la régionalisation, la Wallonie entrera dans une phase
radicalement différente, où les rapports entre Wallons et Bruxellois seront
modifiés en même temps qu'amplifiés dans la conduite de leurs affaires communes,
comme l'enseignement, la culture ou l'audiovisuel.
Qui aurait pu imaginer le
chemin qui allait être parcouru en l'espace d'une génération, depuis les
premières réformes institutionnelles de 1970 ? Le 17 septembre 1994, c'est comme
Ministre- Président d'une entité reconnue sur la scène européenne et
internationale que j'ai reçu la centaine d'Ambassadeurs qui avaient accepté de
s'associer à la Fête de notre Région. Par sa présence, le Chef de l'Etat a
également manifesté sa reconnaissance du fait régional et de l'Etat fédéral que
les représentants de la Nation ont démocratiquement construit au cours de ces
vingt-cinq dernières années.
Enfin et surtout, dans la
gestion quotidienne des affaires wallonnes, les Wallons peuvent éprouver de plus
en plus fréquemment les effets concrets de cette révolution institutionnelle, ne
fût-ce que par comparaison, dans le chef des aînés, avec le fonctionnement de la
Belgique unitaire si souvent critiqué au sud du pays.
De plus en plus de
Wallons croient dans la Wallonie : j'ai pu parrainer, en 1994, le premier guide
touristique exclusivement consacré à celle-ci, par un éditeur tournaisien de
renommée internationale. J'y ai lu avec grand plaisir les pages de Gaston
Compère évoquant les facettes d'une identité wallonne et notamment "les
diversités sous-régionales qui ne sont pas sans faire son charme et lui amènent
peut-être des atouts" .

L'ouvrage que vous tenez
entre les mains souligne assez que cette identité est faite de diversités mais
aussi d'un passé commun et de difficultés présentes qui transcendent les
différences. Mais l'identité wallonne peut aussi se trouver dans les fiertés
partagées, dans des projets et des espoirs mobilisateurs et même, pourquoi pas,
dans le simple plaisir de vivre ici et ensemble. Comme toute chose humaine, le
bonheur et l'épanouissement d'une société se construisent pas à pas et je ne
crois pas incongru que le Gouvernement wallon affirme son ambition d'y
contribuer.
Il y aura vingt ans en
1995 que paraissait le premier tome de la monumentale entreprise dirigée par
Hervé Hasquin pour la partie proprement historique et par Jacques Stiennon et
Rita Lejeune pour la partie culturelle, les six volumes de La Wallonie, le Pays
et les Hommes, qui s'échelonnèrent de 1975 à 1981. Deux ans plus tôt, en 1973,
la première Histoire de la Wallonie avait été rédigée sous la direction de
Léopold Génicot.
Rien de comparable
n'avait été entrepris depuis cet impressionnant effort de synthèse des années
'70, et si les ouvrages politiques, historiques et culturels spécifiquement
wallons se sont heureusement multipliés ces dernières années, il me semblait que
la Wallonie - hier "le pays", aujourd'hui "la Région" - devait à nouveau
disposer d'un livre de prestige alliant la haute vulgarisation et la qualité
éditoriale, à la mesure des productions que je viens de rappeler.
Devenu en janvier 1994
Ministre-Président d'une Région désormais appelée à exercer de réelles
compétences en matière de relations internationales, et ayant dans mes
attributions le commerce extérieur fraîchement régionalisé, j'ai pu très vite
constater à quel point l'image de la Région en dehors de ses frontières est
importante pour favoriser une action efficace. Et chacun sait par ailleurs qu'à
intervalles plus ou moins réguliers, des études d'opinion dans la population
wallonne ou des groupes spécifiques de celle-ci, démontrent que cette image
demeure parfois étonnamment encore trop floue.
J'ai par conséquent
souhaité ce livre pour les quinze ans de la Région wallonne, née des lois de
réformes institutionnelles du 8 août 1980. Je remercie chaque auteur pour la
qualité de sa contribution et, ayant pu parcourir l'ensemble, je suis persuadé
que le fruit de leurs efforts connaîtra le succès qu'il mérite.
Carte de visite de la
Région wallonne, à destination des Wallons eux-mêmes autant que du public
étranger, cet ouvrage est donc une oeuvre collective : pas moins de vingt-cinq
spécialistes y ont collaboré généreusement, chacun y développant un thème qu'il
maîtrise par la pratique ou par ses travaux scientifiques.

Dans le cadre de
l'objectif commun fixé lors de la conception du volume - fournir sous une forme
aussi accessible et agréable que possible un panorama de grande qualité de la
Wallonie dans ses aspects les plus divers - chaque auteur a rédigé sa
contribution de manière autonome. Les sujets traités étant parfois connexes, des
recouvrements sont possibles, le maître de l'ouvrage ayant opté en parfait
accord avec l'équipe des collaborateurs pour accepter les risques de la liberté
d'écriture plutôt qu'imposer des canevas trop rigides et des frontières trop
hermétiques.
Le livre comprend
dix-neuf chapitres s'articulant autour de cinq grands thèmes . histoire, cadre
de vie, économie, culture et ouverture sur le monde. Autant d'atouts pour la
Région wallonne.
Les trois premiers
chapitres retracent l'histoire de la Wallonie depuis ses origines, en insistant
sur les combats wallons et l'évolution institutionnelle qui ont construit la
Région. Les trois chapitres suivants présentent la population wallonne dans son
cadre de vie naturel, et tel que les Wallons l'ont forgé.
La troisième partie de
l'ouvrage évoque les spécificités et les atouts de l'économie régionale, ses
travailleurs, et les apports wallons au progrès scientifique et technologique.
La vie culturelle wallonne, au sens large, fait l'objet d'une quatrième partie .
les lettres françaises et dialectales, les arts plastiques, la musique et la
photographie mais aussi les sports et les traditions de la Région y sont
largement présentés. Enfin, les deux derniers chapitres soulignent l'ouverture
au monde de la Wallonie et des Wallons, autant aujourd'hui qu'hier.
Il faut mettre la
Wallonie dans la tête des Wallons et la faire connaître à ses voisins comme à
ses partenaires les plus lointains : puisse ce livre y contribuer.
Robert Collignon,
Préface, dans
Wallonie. Atouts et références d'une Région, (sous la
direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.