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Joseph Hanse
Grammairien
Floreffe 05.10.1902 - Watermael - Boitsfort 07.11.1992
Allocution de Monsieur Henry INGBERG,
Secrétaire général du Ministère de la Communauté française
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Hommage
à Joseph HANSE
Palais des Académies
18 mars 2002
Index |
Mesdames,
Messieurs,
« On ne sait
presque plus le français : on ne le parle plus. Si la décadence continue, cette
belle langue deviendra une sorte de jargon à peine intelligible. »
Rassurez-vous : ces paroles sentencieuses ne sont pas de moi mais de l’écrivain
français Félicité de Lamennais, mort au beau milieu du … XIXe siècle.
Aujourd’hui,
je me réjouis avec vous de constater que la sinistre prophétie ne s’est pas
réalisée. La langue française est bien vivante et, depuis 1995, la Communauté
Wallonie – Bruxelles lui consacre même une fête annuelle qui bat actuellement
son plein.
Connaissant
le tempérament passionné et chaleureux de Joseph Hanse, je suis persuadé qu’il
aurait applaudi des deux mains (il ne proscrivait pas ce pléonasme évident)
cette fête de la langue dont l’objectif est précisément de lutter contre le
pessimisme et les préjugés. L’entreprise est méritoire et audacieuse car le
jugement sans appel d’un Félicité de Lamennais convaincrait encore bon nombre de
nos contemporains.
Non, le
français ne s’appauvrit pas ! Ce qui ne signifie pas que nous devions faire
l’impasse sur les problèmes, bien réels ceux-là, de lecture, de compréhension et
de maîtrise conceptuelle éprouvés par nos jeunes en âge de scolarité. Ce qui ne
dispense pas non plus les pouvoirs publics de mettre tout en œuvre pour assurer
la promotion et le rayonnement de notre langue sur la scène internationale.
Lorsqu’il
présidait le Conseil de la langue française (qui, à l’époque, n’était pas encore
« supérieur »), Joseph Hanse n’était pas homme à se lamenter sur le déclin
supposé de notre langue. Il n’était pas de ces laudatores temporis
acti qui contemplent le passé parce qu’ils craignent l’avenir.
Perméable aux idées neuves et toujours soucieux
d’encourager les projets constructifs, Joseph Hanse s'intéressait de près aux
implications sociales des faits de langue. Dès 1985, en étroite collaboration
avec l’administration, il a ainsi défendu une conception originale de la
« politique linguistique » qui, récusant toute visée essentialiste, cherche à
appréhender les interactions complexes entre le langage et la vie en société.
Qu’il s’agisse de lisibilité des textes administratifs, de féminisation des noms
de métiers ou d’enrichissement terminologique, la langue est un instrument au
service des locuteurs ; elle doit correspondre à leurs besoins de communication
ou s’y adapter ; elle ne saurait faire l’objet d’une quelconque dévotion
a priori.
Pour l’avoir
connu à cette époque, je puis vous dire que Joseph Hanse s’investissait sans
relâche pour faire triompher cette conception généreuse et ambitieuse de l’
« aménagement linguistique » (comme disent nos amis québécois). Depuis, l’idée a
fait son chemin et a convaincu les plus sceptiques. Mais il y a une vingtaine
d’années, je vous assure qu’elle était loin de faire l’unanimité.
Joseph Hanse
était d’ailleurs coutumier de ce genre de prémonitions. N’a-t-il pas marqué
jusqu’à nos jours l’histoire des lettres françaises de Belgique avec sa thèse de
doctorat, publiée en 1928 et consacrée à La légende d’Ulenspiegel ?
N’a-t-il pas eu l’idée inédite, en 1958, de fonder un centre de documentation et
de recherches sur le patrimoine littéraire, théâtral et éditorial en Belgique
romane, bien connu sous le nom d’Archives et Musée de la Littérature ?
Bien sûr – et
je ne vous apprends rien – Joseph Hanse était aussi un grammairien. Et quel
grammairien ! Son Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne
est une somme irremplaçable, reconnue comme telle à Paris, à Québec ou à
Dakar. Roger Dehaybe, administrateur général de l’Agence intergouvernementale de
la Francophonie, est parmi nous pour le confirmer. Dix ans après la disparition
de son auteur, la quatrième édition de ce dictionnaire, revue et enrichie par le
professeur Daniel Blampain, confirme ses inestimables qualités et offre au
lecteurs, grâce au cédérom qui accompagne la version papier, des possibilités de
consultation inégalées.
Le Ministère
de la Communauté française est fier et heureux d’avoir soutenu cette
publication. Mais en définitive, il s’agit là d’un bien modeste témoignage de
notre reconnaissance envers un homme dont la vie et l’œuvre furent tout entières
consacrées à la promotion de notre langue et de notre littérature. La dette de
la Communauté Wallonie – Bruxelles à son égard n’est pas éteinte.
Ses talents
exceptionnels de grammairien, Joseph Hanse les devait à sa prodigieuse érudition
et à sa méthode de travail. Une méthode qu’il a patiemment mise au point et
peaufinée pendant plus d’un demi-siècle. Ses recommandations se fondent toujours
sur une abondante documentation, sur une observation rigoureuse des mécanismes
linguistiques et non, comme c’est trop souvent le cas chez ses pairs, sur des
impressions ou sur des intuitions. En 1983, dans la préface de la première
édition de son Dictionnaire, il résumait en ces termes sa conception de
la belle ouvrage :
« Jamais
je n’ai perdu de vue que celui qui consulte un dictionnaire des difficultés veut
y trouver rapidement une solution nette et tranchante ; cela n’empêche pas de
lui montrer, quand il y a lieu, que l’usage est souvent plus variable ou plus
instable que ne le prétendent la grammaire scolaire traditionnelle ou les
puristes. (…) Je m’en tiens donc à l’attitude que je m’impose depuis cinquante
ans : une information scrupuleuse, une réflexion qui me laisse à distance des
laxistes comme des puristes (…). »
Avec Maurice
Grevisse, J. Hanse a ainsi forgé une véritable éthique du métier de grammairien.
Il
lui a donné
ses titres de noblesse et un code de déontologie. Avec lui, la grammaire du bon
usage ne se conçoit pas sans un bon usage de la grammaire. Il a fermement établi
la réputation d’excellence dont les grammairiens jouissent en francophonie et
au-delà.
On l’oublie
parfois, cette réputation s’inscrit dans le doit fil d’une tradition qui, dans
nos régions, commence au XVIe siècle, c’est-à-dire aux origine de la grammaire
française. Joseph Hanse s’en est d’ailleurs souvenu et a consacré naguère un
article à l’un de ses prédécesseurs, le père jésuite Laurent Chifflet qui, en
1659, faisait paraître à Anvers le « best-seller » grammatical de l’époque (une
dizaine d’éditions en moins de quarante années).
Mesdames et
Messieurs, cela fait dix ans que Joseph Hanse nous a quittés. L’œuvre qu’il nous
a léguée fait de lui l’une des plus prestigieuses figures de notre Communauté
Wallonie – Bruxelles. Pourtant, au panthéon des personnages illustres, Joseph
Hanse fait bande à part. Son image n’est pas floue, désincarnée ou hypostasiée
comme celle des grands écrivains dans les anthologies scolaires. Au contraire,
le souvenir qu’il nous laisse est étonnamment vivace et précis. Sa voix au
timbre et à l’accent si singuliers résonne encore à mes oreilles et nous sommes
nombreux à nous souvenir avec émotion de sa silhouette, de sa vigoureuse poignée
de main ou de son sourire malicieux.
Chaleureux,
passionné, opiniâtre, dévoué … les qualités de Joseph Hanse seraient-elles
héréditaires ? On n’en doute plus lorsqu’on mesure la persévérance et les
efforts déployés par sa fille, Madame Ghislaine Hanse, pour rassembler autant de
témoignages en un volume d’hommage tant attendu et surtout tant mérité. Qu’elle
en soit sincèrement remerciée. Mieux que quiconque, elle peut témoigner des
qualités humaines d’un père qui, selon ses propres termes, « a toujours été là
pour lui apprendre à faire face et à accepter les difficultés de l’existence ».
Ce père avec qui elle entretenait une relation privilégiée qu’elle définit
notamment comme (je cite) « (…) une main tendue pour aider ceux qui sont
désemparés et leur manifester une écoute attentive ».
Mes
remerciements s’adressent aussi à vous, Mesdames et Messieurs, qui nous faites
le plaisir et l’amitié d’être présents et qui manifestez ainsi votre estime et
votre attachement à Joseph Hanse. Il « aurait cent ans », paraît-il. Je vous
avoue avoir de la peine à le croire tant il donnait l’impression d’une éternelle
jeunesse.
A sa
naissance, son siècle « avait deux ans », comme celui de Victor Hugo. Alors,
pour conclure, permettez moi de citer ce court passage de la Légende des
siècles, qui semble avoir inspiré Joseph Hanse à l’aube de chacune des
journées de sa longue existence :
Quand on est jeune, on a des matins triomphants,
Le jour sort de la nuit comme d’une victoire (…).
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