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Institut Destrée, Centre de recherche européen basé en Wallonie

Wallonie, un projet de développement durable pour 2004,
Une démarche prospective en Région wallonne


Intervention de Philippe Destatte, directeur de l'Institut Jules Destrée
lors de la journée organisée par le Groupe Ecolo du Parlement wallon
 

Namur, Parlement wallon, 13 avril 2002

 

Le cahier des charges qui m'a été adressé pour cette intervention consiste à être réactif par rapport aux propos aussi multiples que riches tenus lors des débats de cette journée parlementaire consacrés à l'évaluation et à la prospective des politiques publiques régionales wallonnes, particulièrement dans le cadre du Contrat d'avenir pour la Wallonie.

Trois séries d'idées me paraissent pertinentes pour éclairer ces travaux.

1. Il faut souligner l'importance de l'initiative prise par le Groupe parlementaire et le mouvement Ecolo pour trois raisons :

– d'abord, le Parlement est le lieu naturel de l'évaluation car les assemblées parlementaires sont porteuses de l'imputabilité démocratique, du "rendre compte" au nom des citoyens, ce qui ne légitimise nullement la propre démarche du gouvernement mais la renforce;

– ensuite, Ecolo est le parti politique qui a le mieux conceptualisé dans son programme la culture de l'évaluation et l'a mise en avant le plus fortement et le plus pertinemment;

– enfin, la Wallonie est en apprentissage dans les domaines de la gouvernance en général, de la contractualisation, de l'évaluation et de la prospective en particulier. Si, en Belgique, la Wallonie est manifestement la Région la plus avancée dans ces domaines, elle reste très en retrait par rapport aux pratiques européennes, sud-américaines, japonaises ou australiennes. Ces éléments nous incitent à cette modestie qui doit être notre première qualité. Ces éléments doivent aussi renforcer notre volonté de nous investir avec force dans cette culture de la gouvernance, dans les méthodes tout comme dans les pratiques.

2. La gouvernance, telle que valorisée par le PNUD et le Club de Rome, constitue un dépassement. En effet, si l'on conçoit, avec James Rosenau, la gouvernance comme un processus par lequel une organisation ou une société se conduit elle-même, à partir de ses acteurs (), il faut considérer que cette gouvernance n'est ni socialiste, ni libérale, ni écologiste, mais qu'elle implique une forme d'intérêt général de la part de l'ensemble de la population du territoire. Cette idée, nouvelle pour la Wallonie, a été avancée dès le lancement du Contrat d'avenir pour la Wallonie, tant par Elio Di Rupo que par José Daras. Elle constitue, bien sûr, une réponse à ces deux maladies chroniques de notre pays que sont le sous-régionalisme et la pilarisation.

Ainsi, Luc Carton a soulevé deux questions fondamentales liées à la gouvernance régionale et au Contrat d'avenir qui constitue désormais le cadre de cette gouvernance ().

La première question est celle des référentiels. Elle est fondamentale. A ceux déjà évoqués, j'ajouterai, au titre de la société civile, la charte de la Société wallonne de l'Evaluation et de la Prospective (SWEP) - société dont la vice-présidente Agnès Biernaux participe aux présents travaux. La charte de la SWEP constitue une réelle référence et pose les exigences de la bonne gouvernance régionale, parmi lesquelles la prise en compte et un pilotage des enjeux mondiaux et locaux du développement durable et viable. On reconnaît l'apport de la Fondation pour les Générations futures aux travaux de la SWEP. Cette charte – accessible sur internet () – et qui a fait l'objet d'un consensus de ses concepteurs, réserve le concept d'évaluation et de prospective à des démarches exclusivement participatives et démocratiques, associant les parties prenantes. Cela renvoie à la question que vous avez posée de savoir si le travail de Deloitte & Touche relatif à l'évaluation du Contrat d'avenir constitue une "évaluation participative" ou un "suivi managérial". C'est une question que s'est posée la Commission des Affaires générales du Parlement wallon. Toutefois, abandonnons cette image, développée en atelier, d'une société de consultance américaine débarquant de Washington – telle la Banque mondiale ou le FMI – pour contrôler l'action du Gouvernement wallon. L'équipe de Jean-Louis Dethier est wallonne, connaît le tissu économique et social wallon, y vit et y travaille.

La seconde question nécessaire soulevée par Luc Carton, en référence à son expérience de la coopération au développement, est celle de la dichotomie entre le discours stratégique du gouvernement et les pratiques quotidiennes.

Certes, le Programme des Nations unies pour le Développement a souvent fait état du fait que le sous-développement trouve davantage son origine dans un déficit de responsabilité politique que dans un défaut de financement. Ici, nous nous posons des questions sur les masses budgétaires que le Contrat d'avenir induit, fait agir, déplace. Dans le cadre d'un travail pour le CRISP, Serge Roland et moi-même avons tenté de répondre à cette question sans y parvenir réellement. Personne ne sait aujourd'hui quelle partie du budget de la Région wallonne est concernée précisément par le Contrat d'Avenir. Les estimations varient entre 5 et 10 % du budget régional.

Cette dernière interrogation nous renvoie évidemment aux objectifs et aux ambitions du Contrat d'avenir tels qu'ils ont été élaborés en 1999, non pas pour que le Gouvernement wallon en relève seul le défi avec son budget et son administration, mais par établir un contrat réel avec l'ensemble des acteurs, leur volonté, leur budget, leur personnel. Une simple analyse montre que ce sont les acteurs – et non le gouvernement – qui ont été absents de la démarche, pris de cours, incapables de relever le défi. Ce constat pose également la question de l'articulation institutionnelle qui continue à adresser une question fondamentale à la Région. Comment, en effet, mettre en action, pour une résolution commune, les universités wallonnes – qui selon le rapport des professeurs eux-mêmes, sont restées au balcon –, la Communauté dite Wallonie - Bruxelles, les provinces et les communes, les intercommunales, le monde associatif – particulièrement celui qui est subventionné ?

Pierre Calame, qui devait participer à notre rencontre, nous aurait dit que la solution réside dans le principe de la subsidiarité active, permettant d'organiser la gouvernance en conciliant unité et diversité : l'action publique, écrit le président de la fondation Charles Léopold Meyer, est la résultante, la superposition sur le terrain des compétences exercées à différents niveaux ().

Vous l'avez constaté aujourd'hui, cette superposition n'est pas pertinente au plan wallon. Il n'est pas possible, sans contractualisation globale, de mener la politique systémique nécessaire pour atteindre les objectifs définis. La question n'est pas liée à l'identité, ainsi qu'on la souligné, – cette identité ne pourrait du reste se définir que comme volonté de participation citoyenne et non comme sentiment d'appartenance –, mais à la gouvernance, à la mobilisation rationnelle (des objectifs précis, assortis d'indicateurs d'impacts et de résultats chiffrés, etc.) de tous les acteurs, c'est-à-dire de toutes les parties prenantes de l'avenir de la Wallonie au sein de sa population.

3. Il faut se méfier du sens commun des mots "prospective" "évaluation" au risque de les voir dénaturés. Ainsi, on n'est pas un petit peu prospectif, on fait de la prospective ou on en fait pas.

Il n'est d'évaluation que participative, sinon il s'agit d'audit. De même, il n'est de prospective qu'ouverte, systémique, collective, sociétale. Ainsi que le rappelle la charte de la Société wallonne de l'Evaluation et de la Prospective, la prospective est une démarche rigoureuse, menée de manière transdisciplinaire et en réseau. On en relève de deux espèces différentes :

– la prospective exploratoire : quels sont les futurs possibles ?

– la prospective normative : quel futur voulons-nous construire ensemble ?

La prospective ouvre les champs du possible et permet d'introduire, dans le débat public, une logique d'anticipation et de préméditation, plutôt que de remédiation.

Cette idée rejoint ce que disait en introduction Pierre Verjans sur la volonté, sur les pionniers et les vainqueurs. C'est l'historien Ennius (Vème siècle PNC) qui, analysant le volontarisme romain face à Hannibal lors des Guerres puniques, disait que le vainqueur n'est pas victorieux si le vaincu ne se tient pas pour tel. Si vous avez défini des possibles et des souhaitables à longs termes, vous ne vous considérerez jamais vaincus et donc vous continuerez à vous battre.

Conclusion

Comme je n'ai pas épuisé le capital d'impertinence que vous aviez initialement confié à Pierre Calame, je voudrais, pour conclure, revenir sur la question du développement durable et interpeller les trois signataires de la Lettre ouverte qui m'a été communiquée ce 12 avril 2002 : le ministre José Daras, Philippe Defeyt et Xavier Desgain ().

En tant que citoyen et comme observateur, je voudrais vous dire mon étonnement par rapport à une phrase comme celle-ci : le développement durable, tout le monde en parle, il est temps de le mettre à l'agenda politique.

Je croyais naïvement, en effet, que, le développement durable étant inscrit comme l'un des trois axes privilégiés non seulement de la déclaration de politique régionale mais aussi du Contrat d'avenir pour la Wallonie, ce développement durable était déjà bel et bien, depuis 1999, à l'agenda politique wallon…

 

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