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La Wallonie et les régions françaises,
Approche comparée des identités régionales

  Enquête 1998


 

- 1998 - Identités régionales : index
- Introduction par Philippe Destatte
- Fiche technique
- Questions et graphiques de l'enquête 1998
- Essai de typologie des régions par André-Paul Frognier
- Communiqué de presse 22.04.1999

Elisabeth Dupoirier
Directeur de l’Observatoire interrégional du Politique,
Directeur de Recherches à la Fondation nationale des Sciences politiques, Paris

Après l'exposé du Professeur Frognier, qui nous montre bien l'intérêt de comparer, à des niveaux globaux, les sentiments identitaires, nous avons pensé qu'une question s'imposait dans le prolongement de son exposé : ces identités régionales que nous cherchons à identifier et à mesurer, à comparer, ont-elles des effets mobilisateurs en faveur du fait régional ? Le fait de se sentir "proche", "fier", partie prenante de sa région, a-t-il une influence positive sur les atouts que l'on reconnaît à sa région ? Des effets mobilisateurs en faveur des institutions régionales et de leurs politiques sont-ils produits par le fait de se sentir partie prenante de cette région ? Ces questions sont non seulement intéressantes pour les universitaires mais aussi pour les décideurs politiques : les identités régionales ont-elles un rôle à jouer dans l'émergence et la consolidation du fait régional en Europe ? Au fond, peuvent-elles être, sont-elles déjà et vont-elles être de plus en plus une ressource à mobiliser pour qu'effectivement le fait régional se consolide dans l'espace européen ?

Philippe Destatte a bien rappelé quelles avaient été les idées spécifiques qui avaient animé le législateur en France lorsque l'Etat français – cet archétype d'Etat-nation unitaire et centralisateur – avait décidé de s'inscrire dans un mouvement européen d'émancipation des territoires subnationaux. Quand la France décentralise en 1982, elle ne fait que participer à un mouvement général, qui prend des formes particulières dans tous les pays européens. Mais en France nous suivons le mouvement un peu à notre manière, c'est-à-dire avec une extrême prudence. Il est hors de question, justement, de remettre sur la table le principe de cet Etat unitaire : nous décentralisons, nous n'avons absolument aucune perspective de cheminement vers un fédéralisme quel qu'il soit et, pour s'assurer que la République française – une et indivisible – ne risque pas d'être menacée par la régionalisation, tous les partis politiques tombent d'accord pour que ces régions, territoires artificiels à part quelques exceptions qu'on ne peut éviter, ne recouvrent pas le territoire d'une d'ancienne province chargée d'une histoire et d'une culture communes. Ensuite, le législateur donne aux régions des compétences qui sont d'abord spécialisées et non pas générales, et qu'elles doivent pratiquement toujours partager avec les autres échelons de l'action publique. Les régions en France font leur apprentissage de l'action publique dans la notion de partenariat. Elles n'ont pratiquement aucune compétence qu'elles peuvent exercer en propre, sans négocier soit avec l'Etat soit des collectivités infra-régionales.

Il est vrai que, lorsque les Conseils régionaux ont été élus pour la première fois en 1986, ils ont tous considéré que c'était par la visibilité et l'efficacité de l'action publique qu'ils construiraient l'identité de la région et feraient émerger des sentiments d'appartenance régionaux. Et la première mandature des régions a été caractérisée par le fonctionnalisme : de l'efficacité de l'action devait naître un sentiment d'appartenance régionale. Puis on a vu au début des années 90, dans le basculement de la deuxième mandature, s'infléchir sérieusement cette réflexion. Au fond, provoque-t-on l'envie de "se sentir appartenir" à une région à partir de bilans de politiques publiques, aussi bien présentés et convaincants qu'ils soient ? Dans tous les Conseils régionaux, la réflexion a abouti à revoir d'une manière assez sensible la façon de s'adresser aux populations et de construire à l'aide de politiques de communication une identité régionale. Comment faire, pour que, en dehors des résultats que l'on peut présenter des politiques sectorielles, les citoyens se sentent de plus en plus concernés par leur région ? C'est ainsi que l'on peut parler de l'émergence de politiques volontaristes, de communication, qui ont cherché à réinscrire ou à inscrire ces territoires dans une histoire passée et dans un projet collectif pour le futur.

Deux remarques avant de passer aux résultats. Ce qui est intéressant de voir - on est bien dans notre culture unitaire française –, c'est que les régions se sont employées à réactiver des mémoires ou à les construire, mais en empruntant à la mémoire nationale. Aucune région n'a essayé de ressusciter ou de poser une tradition régionale qui s'opposerait à la tradition nationale, bien au contraire. La Picardie est devenue le berceau des Capétiens – dynastie qui a posé il y a mille ans les fondements de l'Etat unitaire en France. La Champagne-Ardenne que vous connaissez bien aussi rappelle la contribution de ses hommes à la défense du territoire national et la galerie de ses grands hommes qui ont contribué au rayonnement de la France. On retrouve toujours cette volonté d'être dans une dialectique permanente entre région et nation.

Voilà dans quelles dispositions sont aujourd'hui les régions françaises lorsque, grâce à nos contacts scientifiques, nous réussissons cette entreprise d'étude comparative, que je ne rappellerai que de quelques mots parce que André-Paul Frognier en a très bien dit l'essentiel. Il faut avoir à l'esprit, lorsqu'on compare les résultats des enquêtes françaises et wallonne, les différences de contextes dans lesquels sont réalisées les enquêtes. Contexte institutionnel : l'exclusivité des compétences en Wallonie contre le partage des compétences en France; l'équipollence des normes en Wallonie, la subordination des normes en France. Ce sont deux différences lourdes pour juger ensuite des opinions des populations régionales de part et d'autre de la frontière. Contexte d'opinion publique : une France euphorique à l'automne 98, au moment où l'enquête a eu lieu : il n'y a pas que la Coupe du monde de football, il y a aussi une vision tout à fait idyllique du fonctionnement de la cohabitation. Le moral des Français bat des records. Et puis différence de contexte politique : lorsque l'on interroge les régions françaises en septembre 98, les conseils régionaux viennent d'être renouvelés, on est dans la phase "d'état de grâce" du pouvoir régional. C'est à l'automne 98, je crois, qu'en Wallonie le conseil régional achève son mandat. Il est donc, au contraire, dans la phase que l'on appelle classiquement, dans notre jargon de politologues, "d'usure du pouvoir". Les jugements que l'on peut porter sur les bilans des équipes régionales ne sont pas de même nature. Je crois que ces trois éléments n'enlèvent aucun intérêt à l'analyse comparative mais doivent toujours être présents à l'esprit.

Une fois ces précautions prises, la première question que nous avons essayé d'explorer est la suivante : la fierté d'appartenance à la région a-t-elle un effet positif sur les images que l'on a de sa région ? Pour répondre à cette question, je vais commencer par revenir sur le tableau qu'avait évoqué André-Paul Frognier des images de la région en France et en Wallonie.

Tableau 1
Les images de la région en Wallonie et en France (1er choix - en %)

 

Wallonie

Régions françaises

Lieu d'histoire et de culture

34

44

Communauté humaine

21

12

Lieu de débat politique

17

4

Regroupement de territoires

9

13

Lieu de développement économique

8

21

Echelon administratif

6

4

Aucune image

5

2

 

Ce qui est parfaitement intéressant, c'est que, Wallonie ou régions françaises, l'image dominante pour les populations est une image de la région comme lieu d'histoire et de culture. Toutes les régions sont vues par une part importante de leurs habitants comme ayant ce que j'appelle une identité patrimoniale. En Wallonie, elle est complétée par deux autres images. Celle d'une communauté humaine et puis, en troisième rang des choix, l'image de lieu de débats politiques. Les autres images n'intéressent que des petites minorités. En France, associées donc à ce lieu d'histoire et de culture, deux autres images très différentes s'imposent : celle de lieu de développement économique (21 % des citations – vous voyez que ça ne fait que 8 % en Wallonie) et, relativement loin derrière, celle de regroupement de territoires ou celle de communauté humaine. On voit bien là une différence intéressante entre les régions françaises et la Wallonie : en France, l'idée régionale repose sur deux leviers, dont l'un est l'héritage du passé, son histoire et sa culture, et le second est une projection dans l'avenir, comme un lieu potentiellement propre à l'innovation, à la modernisation économique. Et on a là très largement le résultat de la présentation du fait régional telle qu'elle est faite par les politiques de communication des acteurs régionaux en France : l'idée que l'on conjugue sur un territoire de proximité ce qui nous rattache au passé et ce qui nous permet de produire un moteur de développement pour l'avenir. En revanche, comme vous le voyez, il n'y a aucune représentation de construction politique de la région. Les Français ne se représentent pas la scène politique régionale comme une scène politique importante et nous sommes pourtant en septembre 1998, six mois après les élections dont vous avez dû suivre les turbulences, à la fois au niveau des résultats qui ne nous ont pas permis de dégager des majorités politiques stables – sauf dans 2 régions sur 22 – et surtout au niveau de ce que nous avons appelé "le second tour de scrutin", c'est-à-dire l'élection les présidents de régions. On a produit un large psychodrame national sur la question des alliances nécessaires pour dégager des majorités au sein des Conseils. Certains présidents sortant de la droite républicaine ont conservé leur majorité en faisant alliance avec le Front national. On ne pouvait pas dire, au moment de ces enquêtes en septembre 1998, en France, que les Français n'avaient pas à l'esprit ce qui s'était passé sur la scène politique régionale en mars 1998. Et bien six mois après, l'image de "lieu de débat politique" n'est reprise que par 4 % des personnes interrogées. Dans les quatre régions françaises où l’élection du président avait été la plus médiatisée et la plus commentée en raison de l'alliance UDF-RPR avec le Front national, l'image politique n'est pas plus forte, bien au contraire.

Donc, je trouve intéressant de constater que, en Wallonie, l'avenir de la région se construit sur la scène politique que les Wallons reconnaissent comme un lieu de débats; en France, l'avenir régional se construit dans une arène économique qui, dans l'esprit des Français, est dissociée de la scène politique.

Alors, le fait de se sentir fier de sa région va-t-il modifier l'importance relative de ces images ? L'identité régionale favorise-t-elle plutôt certaines images que d'autres ? Les tableau sont un peu compliqués. Nous allons les commenter ensemble.

Tableau 2
Fierté d'appartenance régionale et images de la région
en Wallonie et en France
(1er choix - en %)

Wallonie

 

Lieu d'histoire et de culture

Communauté humaine

Lieu de débat politique

Regroupement de territoires

Echelon adminis-tratif

Lieu de développement économique

Ensemble

34

21

17

9

6

8

Très fier

43

23

11

6

4

9

Plutôt fier

33

22

16

10

4

9

Peu ou pas du
tout fier


31


11


23


14


13


6

 

Régions françaises

 

Lieu d'histoire et de culture

Commu-nauté humaine

Lieu de débat politique

Regroupement de territoires

Echelon administratif

Lieu de développement éco-nomique

Ensemble

44

12

4

13

4

21

Très fier

48

14

4

9

2

20

Plutôt fier

44

12

4

13

3

22

Peu ou pas du
tout fier


33


10


8


23


8


17

 

Le premier tableau traite de la Wallonie. Le second, de la moyenne des régions françaises. Très clairement, lorsque l'on se sent "très fier" de sa région, on est encore plus porté, en France comme en Wallonie, à valoriser son héritage historique et culturel. La notion d'un territoire, lieu de mémoire, est tout à fait forte dans toutes ces régions, très en relation avec la fierté d'appartenance puisque cette image croît de 10 points environ selon que l'on se sent peu fier de sa région ou au contraire, très fier. Le sentiment de former une communauté humaine est un sentiment qui traverse tous les segments de la population wallonne sans qu'il soit sensiblement lié à une fierté d'appartenance. En France, ce sentiment fait bouger peu de choses. Mais, en Wallonie comme en France, la fierté d'appartenance neutralise l'image politique de la région. Autrement dit, plus on est fier d'appartenir à sa région, moins on la voit comme un lieu de débat politique. Alors, en France, comme de toute façon, on la voit rarement comme un lieu de débat politique, le mouvement est très faible. Mais dans le cas de la Wallonie, il est très important. Lorsqu'on est très fier d'être Wallon, on évoque donc la région comme lieu de débat politique à 11 %, lorsqu'on n'est pas fier du tout, à 23 %. Comme si – et je vous livre cela comme réflexion parce que ce sont les mêmes choses que l'on voit en France – le régionalisme, dans sa formulation positive et porteuse, gagnait plus à être associé à des images culturelles ou économiques – car en France, elles sont économiques – qu'à des images politiques. Et pour les études que j'ai faites en France, on voit bien que le régionalisme a, dans le champ politique, un positionnement consensuel : que ce soit mes amis politiques ou au contraire mes adversaires qui gouvernent ma région, en France, cela est secondaire pour juger du projet régional. Les attentes à l’égard des scènes régionales seraient-elles différentes de celles qui concernent les scènes nationales ? Les visions positives seraient-elles plutôt de nature culturelle ou de nature économique, éventuellement combinant les deux ?

Ce qu'on a envie de dire, c'est qu'il y a bien un effet mobilisateur des identités régionales, mais au service d'une idée régionale à la fois de mémoire du passé et de développement du futur.

Deuxième question : la fierté d’appartenance renforce-t-elle l’optimisme à l’égard des atouts de sa région ?

 

Tableau 3
L’évolution des atouts de la région
Comparaison Wallonie/régions françaises
(en %)

 

Wallonie

Régions françaises

Ma région est dynamique

48

73

Je suis "très" ou "plutôt" optimiste quant à l’avenir de ma région


41


67

Ma région est bien placée dans le développement de l’Europe


40


63

Je suis "très" ou "plutôt" optimiste quant à l’avenir du fonctionnement de la démocratie dans ma région


37


54

 

Si l'on compare, en Wallonie et dans les régions françaises, les résultats de questions où l'on demande aux habitants de se prononcer sur les atouts de leur région, "ma région est dynamique", "je suis très ou plutôt optimiste quant à l'avenir de ma région", "ma région est bien placée dans le développement de l'Europe", "je suis très ou plutôt optimiste quant à l'avenir du fonctionnement de la démocratie", on observe tout d’abord un décalage entre les niveaux d’opinions positives en Wallonie et dans les régions françaises. Prenons ce décalage avec circonspection. J'ai évoqué cette différence de climat d'opinion, de climat politique. Rien ne dit que les enquêtes françaises de septembre 1999 retrouveront ces niveaux. Ce qui m'intéresse, c'est que l'ordre des jugements positifs est strictement le même en Wallonie et dans les régions françaises. Là où se fait le maximum de ralliement, c'est sur le dynamisme des territoires. C'est ensuite l'optimisme quant à l'avenir régional. Puis, quand on arrive à une relation entre sa région et la politique – que ce soit à propos de l'Europe ou du fonctionnement de la démocratie régionale, la proportion des jugements positifs a tendance à se tasser un peu, tant dans les régions françaises qu'en Wallonie. Vous voyez, dans l'euphorie française, 73 % de dynamisme régional mais uniquement 63 % de "je suis bien placé dans l'Europe", 54 % de "la démocratie fonctionne bien dans ma région". Donc, au delà des différences de scores, la hiérarchie des résultats aux questions de ce tableau suggère bien une homologie des représentations des atouts des régions françaises et wallonne.

Que va donner le sentiment, la fierté d'appartenance à la région ? Va-t-il modifier sensiblement ou non la représentation des atouts ? Très clairement, oui et, comme vous allez le voir, encore plus en Wallonie que dans les régions françaises.

 

Tableau 4
Fierté d’appartenance régionale et évaluation des atouts de la région
(en %)

 

Ma région est plutôt dynamique

Ma région est bien placée dans le développement de l’Europe

 

Wallonie

Régions françaises

Wallonie

Régions françaises

Ensemble

48

73

40

63

Très fier

58

80

54

66

Plutôt fier

53

73

42

64

Peu ou pas du tout fier

30

56

20

56

Ecart très fier/peu ou pas du tout fier


28


24


34


10

 

 

Je suis optimiste quant à l’avenir de ma région

Je suis satisfait du fonctionnement de la démocratie dans ma région

 

Wallonie

Régions françaises

Wallonie

Régions françaises

Ensemble

41

67

37

54

Très fier

52

70

45

66

Plutôt fier

43

70

43

65

Peu ou pas du tout fier

29

52

18

48

Ecart très fier/peu ou pas du tout fier


23


18


27


18

Si je reprends la question "ma région est plus dynamique", en Wallonie, 48 % des personnes interrogées ont dit "je suis d'accord avec ce jugement". Ce 48 %, point moyen, varie de 58 % (+ 10) lorsqu'on est très fier d'être wallon à 30 % lorsqu'on n'en est pas très fier. Il y a, selon l'intensité de la fierté d’appartenance, 28 points de différence dans les jugements que l'on porte sur le dynamisme de sa région. Sur cet autre acquis fondamental qui est "la Wallonie est bien placée dans le développement de l'Europe", jugement positif pour 40 % des Wallons en moyenne, il est de 54 % si on est "très fier" d'être wallon, mais n'est plus que de 20 % si l'on n'éprouve pas de fierté à l'idée d'être wallon : 34 points de différence dans le jugement que l'on porte sur les atouts de la Wallonie dans l'espace européen, en fonction de cette dimension de sentiment d'appartenance !

Même chose sur l'optimisme quant à l’avenir régional : lorsqu'on est très fier, on est à 52 % optimiste pour la Wallonie. Lorsqu'on n'est pas très fier, on ne l'est qu'à 29 %. On peut multiplier les mesures et vous remarquerez que ce mouvement-là, on le retrouve dans les régions françaises mais très atténué, c'est-à-dire que la variance qui est produite par ce sentiment de fierté est de l'ordre de 25 à 30 points en Wallonie, mais de 10 à 15 points en France. L’hypothèse qu’une mobilisation des ressources identitaires est, pour les acteurs publics, un moteur de soutien à l'action qu'ils mènent et à l'institution qu'ils incarnent se trouve confortée par ces résultats.

Après les images, après les jugements pour les atouts, troisième question : la fierté d'appartenance accroît-il le désir de poursuite de la régionalisation ? Le débat existe en Wallonie, il existe en France. Est-ce qu'il faut aller plus loin dans les compétences transférées ? Alors, là, nous avons jugé prudent, avec André Paul Frognier, d'adapter le questionnement aux cas wallon et français qui ne sont pas exactement équivalents en termes de transferts actuels de compétences.

 

Tableau 5
Attitude à l’égard de la décentralisation (en %)

Wallonie
"Pensez-vous que la Wallonie…"

 

N’a pas assez de compétences

A des compétences suffisantes

A reçu trop de compétences

NSP

Ensemble

35

46

6

13


Très fier


36


46


5


12

Plutôt fier

33

50

4

13

Peu ou pas du tout fier

36

39

14

11

 

Régions françaises
"Pensez-vous que la politique de décentralisation et de régionalisation…"

 

Devrait être développée

A atteint un niveau suffisant

A été trop développée

NSP

Ensemble

55

26

12

7


Très fier


55


25


12


8

Plutôt fier

55

27

11

6

Peu ou pas du tout fier

53

23

17

7

 

On voit que, en Wallonie comme en France, la régionalisation est irréversible pour les populations. Ce ne sont que d'infimes minorités qui regrettent les transferts de compétence décidés à cette occasion, donc, n'en parlons même pas. Le débat se trouve entre ceux qui disent "utilisons ce qu'il y a" et ceux qui disent "il faut aller plus loin". On peut ne pas être surpris, quand on connaît l'ampleur, la diversité, l’autonomie des compétences wallonnes – c'est incomparable par rapport aux régions françaises –, que le pôle dominant soit constitué par ceux qui disent "ces compétences sont suffisantes". Mais je trouve intéressant, dans ce contexte, qu'il y ait encore plus d'un tiers des Wallons (35 %) qui se révèlent favorables à la poursuite du mouvement de transfert. En France, je vous le rappelle, ce sont des compétences spécialisées, partagées, très compliquées à mettre en œuvre. La polarisation majoritaire est "il faut les développer". Les Français se rendent compte qu'il s'est bien passé des choses positives et un quart seulement (26 %) dit qu’il faut rester en l’état du transfert actuel. Chose intéressante dans les cas wallon et français : le jugement que l'on porte sur l'opportunité ou non de poursuivre la régionalisation n'est pas organisé en fonction du sentiment de fierté que l'on a à l'égard de sa région. Ce sont deux dimensions qui relèvent de champs tout à fait différents. Parce que je crois que la fierté renvoie au registre de l'affectif et du symbolique, et que le jugement sur l’éventuelle poursuite de la régionalisation relève de la rationalité et éventuellement aussi de la sensibilité politique – que nous ne sommes pas en mesure de mesurer. Mais on voit bien qu'il n'y a pas de relation entre sentiment d'appartenance et souhait de développement des compétences.

 

En revanche, il y a bien une relation entre intensité de la fierté d'appartenance et attente de plus en plus forte à l'égard de l'action régionale.

 

Tableau 6
Fierté d’appartenance régionale et demande d’action sectorielle des régions :
hiérarchie des secteurs considérés comme "très prioritaire"
(en %)

 

Wallonie

Régions françaises

 

Très fier

Ecart à la moyenne

Très fier

Ecart à la moyenne

La formation professionnelle et l’apprentissage



65



+12



56



+4

L’environnement

64

+12

50

+5

L’enseignement supérieur et la recherche


62


+9


44


+4

Le domaine sanitaire et social


62


+12


40


+5

Les écoles (les lycées)

56

+11

46

+4

L’aide aux entreprises

55

+17

39

+4

Le domaine des nouvelles techniques d’information et de communication



41



+9

   
Les routes    

40

+5

 

Plus l'on se sent fier d'appartenir à sa région, plus on développe des attentes lourdes à l'égard des gouvernants qui ont en charge les politiques régionales. Vous avez sur ce tableau les huit domaines d'action sectorielle – qui sont d'ailleurs communs à la Wallonie et aux régions françaises – et qui font l'objet d'attentes les plus fortes en Wallonie et en France. Vous verrez d'ailleurs – et cela me paraît tout à fait intéressant pour notre réflexion commune – que ce sont les mêmes domaines qui sont jugés prioritaires pour l’action, qu'il s'agisse d'une région wallonne ou de régions françaises : c'est d'abord en termes d'éducation et de formation qu'on attend les gouvernements régionaux, puis en termes de protection de l’environnement – les problèmes de pollution que nous partageons tous. Vient ensuite l'aspiration au développement des équipements sanitaires et sociaux qui indique une attente de participation des régions aux politiques de Welfare – très nette – en la Wallonie et dans les régions françaises. La seule différence est que vous avez indiscutablement, en Wallonie, des attentes à l'égard des nouvelles techniques d'information et de communication qui n'existent pas dans les régions françaises (même pas en Ile-de-France ou en Rhône-Alpes). A leur place les Français demandent des routes en raison du fort sentiment d’enclavement de nombreuses régions. Mais si on laisse de côté ces deux derniers secteurs, vous voyez à quel point ce sont les mêmes attentes qui sont partagées par les citoyens. Et vous voyez aussi à quel point le fait de se sentir fier d'être Wallon ou fier d’appartenir à sa région en France augmente considérablement le niveau des attentes : dans des proportions qui sont toujours de + 10, + 12 en Wallonie par rapport à la moyenne sur chacun des domaines, de + 5, +  4 en France. Autrement dit, l'identité régionale est un des éléments qui supporte l’action régionale.

 

Dernier point de mon exposé : la fierté d’appartenance régionale contribue-t-elle au développement du capital de crédibilité des institutions régionales ? Ce qui est intéressant, c'est que la réponse est plutôt non : il n’y a pas de relation entre ces variables, que ce soit en Wallonie, que ce soit dans les régions françaises. Les institutions régionales – il faudra d'ailleurs qu'on se demande pourquoi – ne bénéficient pas d'un surcroît de légitimité et de crédibilité de la part des citoyens qui sont les plus attachés à leur région.

 

Tableau 7
Fierté d’appartenance régionale et évaluation d’un projet régional (en %)

 

Wallonie

Régions françaises

Ensemble

42

55

Très fier d’être de…

46

59

Plutôt fier d’être de…

49

59

Peu ou pas fier du tout d’être de…


46


61

 

Je ne suis pas du tout une spécialiste qualifiée pour parler de la Belgique et de la Wallonie mais, en tout cas, je peux vous dire que, pour la France, c'est extrêmement intéressant. Nous avons un problème qui s'exprime de manière récurrente en France. Nous l'appelons "crise de la représentation" : c'est un phénomène un peu général dans tous les pays d'Europe de distance prise par les citoyens à l’égard des institutions et de leurs acteurs. On a cru que ces nouveaux gouvernements régionaux, plus proches des citoyens, plus prêts à exercer des politiques répondant précisément à leurs attentes, allaient échapper à cette crise de la représentation et qu'il y aurait des transferts de mobilisation des citoyens, au niveau des régions. Ce qui est clair, depuis quinze ans que nous faisons tous les ans en France, à l'OIP, des études de cette nature auprès des régions, c'est qu'on ne voit rien frémir qui conforte cette hypothèse. Les régions en France sont atteintes, comme les autres échelons politiques – pas plus, mais pas moins – par cette crise, cette prise de distance des citoyens vis-à-vis de leurs gouvernants. Nous en avons eu une illustration cuisante, il y a exactement un an, en mars 1998, puisque, aux élections régionales, le taux record d'abstention a été battu, non seulement par rapport aux précédentes élections régionales mais aussi par rapport aux élections législatives que nous venions d'avoir un an avant. On ne peut donc pas dire que ce frémissement identitaire – aux effets assez convaincants quand il s'agit de juger des atouts de sa région et de supporter l’action régionale – soit, pour le moment, une ressource de mobilisation à l'égard des institutions et des acteurs politiques qui sont en charge de l'action régionale. Ce que je constate me fait dire que les Français se comportent en spectateurs bienveillants, et souvent satisfaits, de l'action régionale mais jamais en acteurs potentiels de la régionalisation, c’est à dire désireux de participer aux débats sur le devenir régional. Il n’y a pas vraiment de signes qui nous permettrait de dire que les Français sont prêts à se mobiliser en faveur d'une scène politique régionale, de participer à des débats politiques régionaux.

 

En conclusion, je dirai qu’en France, l'effet mobilisateur des identités en faveur des institutions et des acteurs régionaux n’a pas atteint un seuil suffisant pour que nos enquêtes permettent de l’identifi=er et de l’analyser.

Elisabeth Dupoirier

 

1. La fierté d'appartenance à la région a-t-elle un effet positif sur les images que l'on a de sa région ?
2. La fierté d’appartenance renforce-t-elle l’optimisme à l’égard des atouts de sa région ?
3. La fierté d'appartenance accroît-il le désir de poursuite de la régionalisation ?
4. La fierté d’appartenance régionale contribue-t-elle au développement du capital de crédibilité des institutions régionales ?

 

 

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