Institut Destrée - The Destree Institute

               Accueil

Organisation

Recherche scientifique

Education permanente

Conseil

Action

Evénements

 

 Portail Wallonie-en-ligne : Politique  Retour au Plan thématique du portail Wallonie-en-ligne

 

La province : une institution à redéfinir? 

Les provinces doivent évoluer ou disparaître - (1996)

André Antoine
Président du Groupe PSC au Conseil de la Communauté française

 

L’histoire des provinces belges transcende, pourrait-on dire, celle de notre pays. Comtés de Namur, de Hainaut et de Flandre, Duchés du Luxembourg et de Brabant, Principauté de Liège semblent avoir traversé le temps pour converger vers un même destin. Une forme de déterminisme historique, en quelque sorte, qui, selon les discours les plus apologétiques, donne sa substance à l’Etat belge.

Mais le découpage de la Belgique en neuf entités décentralisées n’était pas seulement une main tendue à l’histoire. Il témoignait aussi de la modernité politique dont pouvait déjà se prévaloir notre pays en 1830; une modernité qui reflétait la détermination du constituant initial à éviter l’omnipotence d’un pouvoir central et à rapprocher le débat démocratique des spécificités sous-régionales au sein du jeune Etat belge.

C’est ainsi que la constitution a, d’emblée, consacré la notion d’"intérêts provinciaux" : un intitulé peu restrictif qui, au fil des ans, s’est appliqué à des domaines aussi divers que le développement de l’industrie, la santé publique, la réglementation de la propriété foncière, les aides aux entrepreneurs et aux particuliers ou encore l’enseignement technique et professionnel. Cette conception des "intérêts provinciaux" était parfaitement en phase avec la logique de l’Etat unitaire. Progressivement, toutefois, elle s’est affaiblie vu l’émergence des particularismes régionaux – flamands et wallons – qui, in fine, ont motivé la réforme de l’Etat.

Car, en 164 ans, la Belgique a changé. L’Etat unitaire a fait place à l’Etat fédéral et de nombreuses compétences exercées hier par le pouvoir central relèvent aujourd’hui des Régions et Communautés. Et celles-ci sont, par nature, plus proches des causes sous-régionales, locales ou individuelles que ne pouvait l’être le niveau national pour les mêmes compétences.

En dépit de cette refonte de nos institutions, le rôle et les principes fondateurs des provinces, définis dans le contexte de la Belgique unitaire, n’ont pas été remis en question, du moins pas dans les faits; une situation qui, aujourd’hui, n’est pas sans induire quelque confusion entre la finalité du pouvoir provincial et celle de son pouvoir de tutelle, à savoir, la Région.

Certes, fédéralisme et décentralisation ne sont pas incompatibles : il existe entre Région et communes un espace politique à même de justifier la présence d’une instance intermédiaire entre ces deux niveaux de pouvoir. Néanmoins, l’acceptation de cette hiérarchie institutionnelle ne suffit pas, à mon sens, à affranchir le niveau provincial, dans sa configuration actuelle, d’une réflexion quant à sa finalité et ses compétences au sein d’une Belgique réformée. On ne peut, en d’autres termes, le dispenser de certaines adaptations aux nouvelles réalités humaines, sociales et institutionnelles de notre pays.

 

Un niveau de pouvoir en proie à des dérives

Abstraction faite des mobiles purement institutionnels qui plaident pour une réflexion sur le statut actuel de l’institution provinciale, celle-ci se révèle aussi sujette à des dérives. C’est notamment le cas pour le rapport de tutelle – dite d’opportunité –entre provinces et communes, lequel témoigne, pour de nombreux municipalistes, d’un empiétement abusif de l’autorité provinciale sur l’autonomie communale ainsi que d’une lourde incohérence puisque ce contrôle d’opportunité est également assuré par la Région. La dernière déclaration de politique régionale reflète déjà la volonté du Gouvernement de supprimer la tutelle d’opportunité des provinces sur les communes, de moderniser la tutelle de légalité et de renforcer le contrôle a posteriori. Cette volonté politique doit maintenant se traduire dans les faits afin d’aménager un meilleur contrôle démocratique des décisions des Députations permanentes et de remodeler les rapports de tutelle. J’ai récemment déposé une proposition de décret allant en ce sens.

 

Du "bon usage" de l’autonomie fiscale des provinces

Les provinces se sont aussi fait les chantres d’une véritable ingénierie fiscale. Pour mémoire, entre 1991 et 1993, la pression fiscale des quatre provinces wallonnes – Brabant wallon non compris – s’est accrue de 13 %. Mieux, en Brabant wallon, les centimes additionnels sont passés, en 1995, de 486 à 1400. Les particuliers ne sont évidemment pas les seuls à avoir fait les frais de la fiscalité boulimique des provinces wallonnes. En effet, pour les entreprises et les commerçants, le précompte immobilier se double, dans la plupart des provinces, d’autres critères d’imposition qui, compte tenu du traitement cadastral spécifique des immeubles à vocation commerciale, font manifestement double voire triple emploi : un constat d’ailleurs explicitement corroboré par l’observatoire des onze chambres de commerce et d’industrie wallonnes. La fiscalité provinciale pêche, en outre, par son absence de balises : en effet, les taux d’impositions ne font plus l’objet, comme par le passé, de valeurs maximales. Enfin, il n’est pas toujours aisé de cerner la logique financière des provinces tant l’élaboration de leur budget témoigne régulièrement d’une véritable opacité. Ici aussi, des mesures s’imposent. Il importe, plus que jamais, de renforcer la transparence budgétaire des provinces et d’améliorer leur lisibilité comptable et donc politique.

 

Une institution à moderniser

En définitive, ce n’est pas dans leur principe que les provinces doivent être mises en question, mais bien dans leur conduite et leur adéquation à des réalités nouvelles. Nous ne pouvons pas, par manque de courage politique, sacraliser l’institution provinciale en nous référant à son histoire. Cela la conduirait inévitablement à amplifier son déficit de sens. Car, pour beaucoup de citoyens, la province semble n’être aujourd’hui qu’un organe occulte et taxateur dont le rôle est dépourvu de toute visibilité. Et si nous voulons assurer, dans de bonnes conditions, la poursuite de nos objectifs économiques, nous devons éviter que des compétences et des enjeux se dispersent, sans cohérence, à plusieurs niveaux de pouvoir. Car, dans un contexte économique difficile, nous avons besoin d’une Région wallonne forte et responsable de ses outils publics.

L’heure est donc, plus que jamais, à la modernisation de l’institution provinciale. Et il y va de la responsabilité tant du niveau fédéral que du niveau régional. Dans le champs fédéral, tout d’abord, il importe d’assurer un fonctionnement plus cohérent et plus démocratique des organes de l’institution provinciale. Les conseillers doivent pouvoir disposer des moyens nécessaires à leur information et à leur maîtrise des dossiers, à l’expression de leur opinion et de leur analyse par rapport aux choix politiques arrêtés au sein de l’assemblée, enfin, au contrôle de la mise en oeuvre réelle de ces choix. Et là, les choses sont manifestement en bonne voie puisque Charles-Ferdinand Nothomb, au titre de Président de la Commission de l’Intérieur, vient de réussir la synthèse de l’ensemble des velléités – antérieurement exprimées par différents partis – de démocratisation des provinces dans une seule proposition de loi modifiant la loi provinciale.

 

Trois propositions de décret et de résolution pour moderniser l’institution provinciale

Dans le champ régional, – je l’ai déjà évoqué – la tutelle d’opportunité et la tutelle d’urbanisme doivent être supprimées. Il importe, en outre, de restaurer la cohérence dans la fiscalité provinciale en mettant au point un cadastre des taxes qui puisse exclure toute imposition double ou triple. Cette cohérence vaut plus largement pour le financement des provinces. C’est le sens des trois propositions de décret et de résolution que j’ai récemment déposées.

1. Projet de modification du décret du 20 juillet 1989 organisant la tutelle sur les communes, les provinces et les intercommunales de la région wallonne.

Cette proposition vise à supprimer le double contrôle d’opportunité sur les communes qui implique tant la province que l’exécutif. Afin de privilégier la rapidité et l’efficacité de la prise de décision politique, seul un pouvoir d’annulation des décisions pour inopportunité devrait être maintenu à l’échelon régional. Le gouvernement disposerait d’un délai bien précis, sous peine de forclusion, afin d’annuler la décision qui viole l’intérêt général. Toute intervention de la province concernant la tutelle d’opportunité sera, dès lors, exclue.

 

2. Proposition de décret visant à intégrer le critère de fiscalité dans le mode de calcul du financement des provinces et organisant l’information du gouvernement et du parlement

Les revenus des provinces sont, pour l’essentiel, de deux ordres : les recettes fiscales et les dotations régionales. A cet égard, la répartition du fonds des provinces est conçue en fonction de critères objectifs (superficie, kilomètres de voiries, population...). Cela tient à la volonté originelle du législateur d’opérer une redistribution des ressources entre les cinq entités wallonnes. Il est toutefois opportun, aujourd’hui, d’intégrer un critère nouveau dans le mode de calcul de la dotation de chaque province : celui du niveau de fiscalité. Ce choix s’impose à un double titre. En effet, deux causes peuvent être à l’origine de l’augmentation des recettes fiscales d’une province.

Première hypothèse : il y a eu augmentation de la richesse intrinsèque de la province. Dans ce cas, le fait d’inclure le critère fiscal procéderait de l’esprit même du décret de 1989, à savoir, une redistribution des moyens entre les provinces.

Deuxième hypothèse : la province a augmenté les taux de ses diverses taxes et redevances. Et si les recettes augmentent, c’est pour faire face à une augmentation des dépenses. Une causalité, de toute évidence, en rupture avec la nécessité de compresser les dépenses comme cela se fait opportunément aux autres niveaux de pouvoir.

Outre cet aspect de justice distributive, il est indéniable que l’augmentation de la fiscalité provinciale altère l’image que les investisseurs se font de la Wallonie. Dans une perspective de restructuration de l’économie wallonne, il convient donc d’encourager la modération fiscale au niveau provincial.

Concrètement, ma proposition établit un seuil de fiscalité propre à chaque province. Le décret offre toutefois la possibilité aux Conseils provinciaux de demander l’adaptation du seuil de fiscalité pris en compte dans le calcul de la dotation. Le gouvernement appréciera sur base d’un dossier justificatif la nécessité, ou non, de relever le niveau du critère fiscal. Ce mécanisme correcteur devra s’appuyer sur une information complète du gouvernement.

Chaque année, en effet, la Députation permanente de chaque province transmettra au Gouvernement wallon un dossier sur l’état de la province comprenant le budget pour l’année en cours, les comptes de l’année précédente, un bilan des actions, une note de politique générale, le nombre des fonctionnaires et agents, la liste des personnes morales, publiques ou privées auxquelles elle est liée de façon prépondérante (1) (ainsi que leurs comptes, leur budget et une note d’activité les concernant) et des intercommunales dont elle est membre. Toujours dans le registre de la transparence, l’ensemble du dossier sera aussi transmis, pour information, à tous les conseillers communaux de la province ainsi qu’au Parlement wallon.

La ratio legis de ma proposition est d’améliorer l’objectif de redistribution poursuivi par le décret de 1989. De plus, elle tend, à la fois, à encourager les provinces à user modérément de leur pouvoir fiscal sans pour autant porter atteinte à leurs missions historiques et à assurer une information minimale de l’affectation par chaque province des moyens alloués par le Parlement.

 

3. Proposition de résolution visant à combattre les risques de double taxation communale des citoyens changeant de résidence ou de domicile.

Si la limitation de la fiscalité communale reste une compétence fédérale, le Gouvernement wallon, dans l’exercice de sa tutelle ordinaire sur les communes, encadre l’autonomie fiscale de nos municipalités.

Ainsi, le 7 décembre 1995, le Gouvernement wallon a adopté les circulaires budgétaires communale et provinciale pour 1996. Celles-ci fixent, entre autres, le cadre conseillé de la fiscalité communale. Une annexe reprend la liste des taxes et de leur taux et se veut un document de référence pour les autorités communales. Si cette annexe détermine avec précision les taux maxima conseillés et l’assiette des taxes, elle ne suggère cependant pas la date qui doit être prise en compte pour l’enrôlement. Cela implique qu’une personne qui déménage peut être enrôlée deux fois pour la même taxe. Les dates d’enrôlement ne sont, en effet, pas les mêmes dans toutes les communes.

Dans ce contexte, ma résolution s’énonce comme suit :

Le parlement wallon

  • estime indispensable d’éviter que le citoyen wallon soit soumis à une double taxation communale suite à un changement de résidence ou de domicile;

  • demande au Gouvernement wallon de tout mettre en oeuvre pour que soit réalisée par les communes une application uniforme, ratione temporis, des taxes communales.

 

En conclusion...

Faut-il le préciser, les propos que j’ai tenus, fin 1995, lors de mon interpellation au Ministre des Affaires intérieures de la Région wallonne sont restés conformes aux lignes directrices de mon parti et plus particulièrement dans le cadre du congrès du 23 octobre 1993 à Liège où le PSC s’était clairement prononcé en faveur d’un changement radical de la nature du pouvoir provincial. Je ne suis donc pas, comme certains l’ont affirmé à tort, un "franc-tireur".

L’ouverture d’un tel débat n’a d’ailleurs rien de bouleversant. En effet, la scission de la province de Brabant a conduit à la suppression du niveau provincial en Région de Bruxelles-Capitale. Aucune voix ne s’est élevée pour dénoncer ce vide et aucune carence fonctionnelle n’est apparue pour autant. Un constitutionnaliste de référence en a même tiré comme conclusion qu’une partie des belges allaient, à terme, faire la preuve qu’il était possible de vivre sans provinces. La réalité bruxelloise a même, semble-t-il, fait des émules puisqu’une demande d’émancipation du cadre provincial émane également de la Communauté germanophone qui, bien que constituée en arrondissement, ne bénéficie pas de la garantie légale de disposer d’un député permanent.

Nous n’en sommes évidemment pas là. Il est toutefois indéniable qu’il existe une véritable convergence des différentes sensibilités politiques vers une volonté de réforme de l’institution provinciale. Cette volonté n’aurait aucun sens si nous ne la concrétisons pas avant la fin de cette législature. Et si nous négligeons de franchir la pas, dès maintenant, nous risquons de céder le sort des provinces à ceux qui plaident, ni plus ni moins, pour leur suppression.

Notes

(1) Est lié de façon prépondérante à la province, premièrement, toute personne morale dont le capital est détenu majoritairement par la province, deuxièmement, toute personne morale dans laquelle les droits de vote dans un des organes de décision ou de gestion sont majoritairement attribués à des mandataires provinciaux ou d’autres personnes au nom de la province ou de l’une des personnes morales liées de façon prépondérante à la province.

  Ce texte est extrait de La province : une institution à redéfinir ?
Actes du séminaire organisé en collaboration par l'Association francophone des Provinces et l'Institut Jules Destrée - Namur, 30 janvier 1996.


 

L'Institut Destrée L'Institut Destrée,
ONG partenaire officiel de l'UNESCO (statut de consultation) et 
en statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social
des Nations Unies (ECOSOC) depuis 2012
  The Destree Institute The Destrée Institute,
NGO official partner of UNESCO (consultative status) and 
in Special consultative status with the United Nations Economic
and Social Council (ECOSOC) since 2012 

www.institut-destree.eu  -  www.institut-destree.org  -  www.wallonie-en-ligne.net   ©   Institut Destrée  -  The Destree Institute