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La Wallonie, une région en Europe

L'intégration des populations immigrées en Wallonie - (1995)

Alberto Gabbiadini
Directeur du Centre de formation
Ente nazionale acli instruzione professionale

 

La présence des immigrés n’est pas un phénomène temporaire, mais une donnée structurelle dans notre société...

La tâche des pouvoirs publics belges consiste donc "obligatoirement" à rechercher et à créer les conditions d’une société pluriculturelle harmonieuse par le biais de l’intégration...

Si les affaires sont moins bien gérées ailleurs, cela ne signifie nullement qu’elles doivent, du coup, être mal gérées chez nous (1).

Pour peu que l’on soit coutumier des problèmes posés par la présence de près de 10 % d’immigrés en Belgique – de près de 12 % en Wallonie –, à Liège on en compte près de 20 % et, dans le quartier du Nord où se tient ce colloque, on arrive à près de 45-50 % et, si l’on projette le problème démographique en Wallonie en 2025, on peut croire que près de 50 % de la population wallonne sera immigrée ou d’origine immigrée : le mot intégration revient comme panacée capable de résoudre ces problèmes et de résorber la tension qui existe entre communauté belge et communautés immigrées.

Très souvent on ne met en évidence que les problèmes que les immigrés posent au pays. On ne voit pas assez les problèmes que le déracinement provoque comme traumatisme, comme choc social et culturel.

Les programmes des partis, qu’ils soient de gauche ou de droite, sont très clairs à ce sujet : il faut intégrer ceux qui le désirent, les autres il faut les faire partir. L’utilisation électoraliste du mot intégration a permis à chacun de faire valoir les positions les plus divergentes.

Et de citer l’exemple de la communauté italienne. Mais on oublie de dire que, dès les premiers recensements de 1890, on en comptait déjà 1.711, que, avant la guerre 40-45, il y en avait 33.491 dont beaucoup travaillaient déjà dans les charbonnages de Wallonie et que, en 1996, on commémorera les 50 ans de l’accord belgo-italien (en Italie on dit italo-belge) du 23 juin 1946 organisant le recrutement de la main-d’oeuvre italienne pour les charbonnages. Cela fait beaucoup de temps pour arriver à cette soi-disant intégration, tout en oubliant les quolibets, les sarcasmes, les insultes dont au début on les accablait. On ne la retrouve plus dans les études, malheureusement on la retrouve dans les faits divers.

Et l’on voudrait que les communautés plus récentes, marocaine et turque y aillent plus vite sans tenir compte de la situation de crise que nous vivons depuis 1973 (crise pétrolière – dimanche sans voitures, etc.) !

Cette crise crée une tension telle que la désignation de boucs émissaires permet de tout focaliser sur des communautés à statut fragile : 25 ans de crise et la crise n’est pas encore terminée. Et cette crise économique très longue a entraîné une crise de la société, une crise éthique et une crise des valeurs collectives. Si certains essaient de sauvegarder leur générosité naturelle, leur don de soi, leur abnégation, la crise met en péril les valeurs collectives telles que la solidarité envers les plus démunis, envers le Tiers-monde, l’égalité sociale, la justice sociale, la liberté des peuples, la fraternité universelle.

La Wallonie a une longue tradition d’accueil, pour des raisons économiques et démographiques, des travailleurs immigrés. Depuis la crise économique et l’émergence de l’extrême-droite, elle a tendance à prendre des positions restrictives, frileuses, surtout face à l’arrivée des candidats réfugiés. Compte tenu de son expérience et de son histoire, j’aimerais, quant à moi, qu’elle retrouve son dynamisme, son esprit d’entreprise, sa volonté d’accueil, qu’elle prenne l’initiative d’une nouvelle politique d’immigration.

1. Quelle définition de l’intégration ?

Il est donc important de savoir de quoi l’on parle avant de porter un jugement sur le degré d’intégration des différentes communautés.

Si l’on ouvre un dictionnaire tel que le Petit Robert, au verbe intégrer, l’on voit qu’il vient du latin médiéval signifiant rendre complet, achever, qui fait partie intégrante d’un ensemble.

Dans le Larousse, on le définit comme une opération qui consiste à assembler les différentes parties d’un système et à assurer leur compatibilité ainsi que le bon fonctionnement du système complet, voire même une coordination des activités de plusieurs organes en vue d’un fonctionnement harmonieux.

Si l’on transpose le terme corps intégré en chimie cela s’entend de deux corps distincts qui fusionnent pour en faire un troisième. L'exemple le plus courant est le H2O c’est-à-dire l’eau, fusion de l’Hydrogène et de l’Oxygène.

Comme le dit Michel Gheute dans le Quotidien des électeurs (2), Tout ce qui remonte au latin integer relève de la complétude et de l’achèvement. Ses dérivés, le populaire entier et le savant intégral, sont synonymes et proches du sens initial... L’intégration, c’est donc l’action par laquelle un ensemble inachevé devient complet. Ce que nous dit l’usage politique du mot intégration, c’est que faute d’avoir intégré ses immigrés, la société se sent incomplète, inachevée. Une part d’elle-même lui manque, par quoi elle manque à elle-même".

Cette réflexion sur le sens de l’intégration suppose que la société soit une société ouverte, plurielle, multiculturelle, multicolore et pluraliste.

La RAI, télévision italienne, inscrit souvent en exergue cette phrase sur son écran : Non guardare il mondo in bianco e nero. Rispetta i colori. Di tutti, "Ne regarde pas le monde en blanc et noir. Respecte les couleurs. De tous."

Si la société n’est pas accueillante, c’est une greffe qui sera mal supportée et même rejetée. L’intégration des communautés immigrées est éminemment une question politique et non un choix individuel. Il s’agit de la part de tous d’un choix de société.

Et ce choix n’est pas à décider unilatéralement. Il doit être le fruit d’une démarche d’égalité, définissant les nouvelles normes, les nouvelles conditions de convivialité. Et comme le disait le Commissariat royal à la politique des immigrés en novembre 1989 : C’est une politique de longue haleine.

2. Quelles conditions pour une bonne intégration ?

Cette démarche suppose deux conditions : l’une objective, l’autre subjective.

La condition objective, c’est l’existence ou l’acquisition de tous les droits sociaux, culturels et politiques, une égalité totale sans exclusive et une sécurité de séjour qui stabilise la personne face aux aléas des situations conjoncturelles. Et si on veut vraiment arriver à cette situation d’égalité, il faudrait même instaurer des discriminations positives vis-à-vis des personnes et des communautés qui subissent des inégalités établies par la loi, pour faire accéder plus rapidement, à une égalité de droit et de fait, toutes les composantes de la société pour qu’elles puissent participer pleinement à toutes les décisions qui les concernent.

Tant qu’il n’y a pas d’égalité de droit et de fait, il n’y a pas d’intégration réelle. Il y a toujours quelqu’un qui domine et quelqu’un qui est soumis aux décisions des autres sans qu’il puisse politiquement faire valoir ses droits élémentaires et légitimes.

 

L’autre condition dépendra de la volonté de chacun et des moyens mis en oeuvre pour créer les conditions de convivialité, abordant tous les domaines de la vie quotidienne avec l’intention formelle d’aboutir à une cohabitation harmonieuse et trouver les solutions les plus valorisantes pour chacune des deux parties sans léser, ni frustrer qui que ce soit : le logement, l’école, la santé, les usages culturels, la vie de quartier, les lieux de rencontres, etc.

L’intégration sera donc globale puisqu’elle prendra en compte toute la réalité de la personne, de son être, sans en exclure une seule partie, y compris son être politique qui le fait citoyen à part entière. Et sans la sécurité de séjour, il est difficile de penser qu’il participera entièrement. Il lui restera toujours une hésitation, un doute : "Et si un jour on m’expulse, à quoi bon". Pour pouvoir subvenir à ses besoins essentiels, il a dû sacrifier son être politique, social, culturel. Il faut d’urgence le lui restituer dans sa totalité.

Elle sera collective, car seul le dialogue de communauté à communauté peut apporter des réponses valorisantes, en excluant les égoïsmes particularistes, les intérêts de mauvais aloi. L’individu, à lui seul, ne peut faire valoir son apport; il peut tout au plus s’adapter, s’insérer, ne pas se laisser assimiler. Le poids de la culture ambiante risque de l’écraser ou de le marginaliser s’il maintient des comportements différents. Il ne peut aller à lui seul à l’encontre du milieu ambiant.

Elle doit être surtout dynamique car il faudra le temps nécessaire pour harmoniser les différentes approches des comportements quotidiens, suivre l’évolution des mentalités et des sensibilités, répondre aux questions du futur, ne pas figer ni fossiliser ni absolutiser les attitudes du passé comme étant la condition sine qua non de la vie en commun.

3. Un peu d’histoire

Il faut se souvenir de l’expérience du Sud espagnol, au XIIème siècle, de la coexistence des trois communautés juive, chrétienne et islamique qui fut à l’origine de splendeurs architecturales mais aussi en pléiade de grands esprits dont l’influence est toujours vivante sur la pensée et la littérature modernes : des poètes, des mystiques, des penseurs, des géographes, des médecins, des philosophes ont fait de Cordoue et de Tolède, pendant quatre siècles, les deux cités les plus opulentes et culturellement les plus riches d’Europe. Expérience qui a cessé à cause de l’ambition d’une des parties qui voulut occuper tous les pouvoirs et dominer les autres.

N’est-ce pas un peu ce qui se détruit en Yougoslavie aujourd’hui, surtout en Bosnie ?

La construction de l’Europe s’organise autour du concept de l’intégration des pays qui la composent, tout en sauvegardant les spécificités culturelles de chacun et en cherchant des règles communes pour une Europe unie. Les langues et les cultures de chaque pays sont utilisées et valorisées. Chaque pays doit apporter sa contribution spécifique au bien de l’ensemble.

Il serait instructif d’étudier le modèle canadien et australien.

Et il serait heureux qu’il y ait demain un modèle wallon : qui serait fait à la fois de la reconnaissance politique, de l’apport économique, social et culturel des communautés, du respect de ceux qui s’appuient sur leurs racines culturelles pour affirmer leur personnalité et du respect de ceux qui sont à leur recherche, du respect de l’altérité. Il doit avoir à la base l’affirmation multiculturelle comme projet de société pour devenir un jour société interculturelle où sera favorisée, valorisée, organisée, structurée l’approche interculturelle et refuser qu’il ait des minorités qui risqueraient un jour de s’entre-déchirer. La Région wallonne et la Communauté française ont des pouvoirs pour gérer au mieux les situations des immigrés, par exemple l’enseignement, l’éducation permanente, l’emploi, la formation, etc. Il lui manque de pouvoir décider sur deux aspects fondamentaux : le droit de vote et d’éligibilité et la sécurité de séjour.

Ne faudrait-il pas d’urgence, sans attendre l’an 2000, étudier le problème du droit de vote et d’éligibilité pour tous, sans distinction de la nationalité, pour éviter les nouvelles fractures que l’on nous prépare ?

La Région wallonne pourrait être promotrice d'un projet politique nouveau et mobilisateur qui serait un signe crédible de sa volonté d’intégration des immigrés. La Région wallonne devrait prendre l’initiative de combler de manière originale ce déficit démocratique puisque la question est bloquée au niveau fédéral à cause de la situation de minorité, des néerlandophones à Bruxelles. Il faut réfléchir à partir du concept de citoyenneté et non pas de nationalité.

Et il ne faut surtout pas se servir du fait que certains créent des difficultés, ont des objections de type juridique, que l’opinion publique n’est pas préparée, voire même opposée.

Il ne faut pas utiliser le principe de réciprocité pour camoufler la non-volonté politique d’aborder le problème.

Comme le dit le Commissariat royal à la politique des immigrés (3) :

Le principe de réciprocité ne peut fournir aucun apport intéressant pour l’aménagement correct de notre société. Si les affaires sont moins bien gérées ailleurs cela ne signifie nullement qu’elles doivent du coup être mal gérées chez nous.

Lorsqu’une mesure déterminée est jugée indispensable à la réalisation d’une société pluriculturelle harmonieuse sur le territoire de la Belgique, son application, son développement, en d’autres mots, le résultat recherché – ne peut être fonction de ce qui se passe d’ailleurs, c’est-à-dire, du sort réservé aux Belges à l’étranger."

La Communauté française a opté dans son enseignement (4), pour une pédagogie interculturelle. Cette pédagogie ne s’adresse pas seulement aux écoles qui ont un pourcentage important d’enfants d’origine étrangère, mais à l’ensemble des réseaux scolaires qui doivent devenir un lieu où s’exprime, s’expérimente la rencontre interculturelle, la connaissance des autres, la valorisation des cultures, le respect des diversités. La même option a été prise dans son programme d’éducation permanente.

Il est curieux de constater que tout le monde s’émerveille et vante les habitants de Wisconsin qui parlent un namurois ancien, baptisent leur village "Belgium" ou tout autre personnage tel Crommelinck qui se disait de Liège, ou Simenon que l’on récupère même dans les hôtels d’Outre-Meuse. Mais lorsqu'un petit marocain ou un jeune turc cherche à retrouver ses racines, s’obstine à connaître sa langue, son histoire et son peuple, on le lui reproche. On ne peut s’étonner que ces jeunes soient réticents d’apprendre sans comprendre que "leurs ancêtres étaient des Gaulois" et de s’émerveiller à la déclaration de Jules César : "De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves" alors que, dans les petites disputes à l’école, ils viennent de faire peur à leurs petits camarades belges.

Alain Decaux, en 1989, alors ministre chargé de la Francophonie en France, disait Celui qui perd sa langue, perd son âme. Si cela est vrai pour les francophones, cela doit être aussi vrai pour toutes les autres langues et les autres cultures.

4. La proposition du Commissariat à la Politique des Immigrés

La proposition de définition de l’intégration proposée en 1989 par le Commissariat à la politique des Immigrés (5) mérite un approfondissement des concepts énoncés :

1. Que signifie "assimilation là où l’ordre public l’impose ?"

Et si cet ordre public, ces lois sont discriminatoires, peut-on les accepter sans réagir puisqu’elles marginalisent, excluent et légalisent des inégalités ?

2. Que signifie : "insertion poussée conformément aux principes sociaux fondamentaux soutenant la culture d’accueil et tenant à la "modernité", à "l’émancipation" et au "pluralisme" confirmé dans le sens donné par un Etat occidental moderne" ?

Tout cela est affirmé comme vérité absolue, concept intangible, donnée évidente. Affirmer l’absolu de certaines valeurs sans en définir le contenu, n’est-ce pas fermer le dialogue. Les affirmations péremptoires excluent tout dialogue et ne favorisent pas le respect du droit à l’altérité.

Et quand on sait que bien des Belges ont une attitude critique vis-à-vis des institutions et des valeurs qui les sous-tendent, on ne voit pas pourquoi les immigrés devraient les digérer telles quelles sans les confronter avec leurs propres valeurs, sans pouvoir y apporter le "complément" dont ils sont porteurs parce qu’ils font partie aussi de traditions culturelles anciennes et riches en valeurs.

3. Par contre si l’on peut être d’accord sur la notion du "respect sans équivoque de la diversité culturelle en tant qu’enrichissement réciproque", cela ne doit pas empêcher une analyse approfondie de ces diversités pour qu’elles soient purifiées de toutes les déviations que le temps et l’histoire auraient présentées comme étant intangibles, par exemple : la famille, le respect des anciens, la religion, la conception de la société, le respect de la vie, la place et le rôle de la femme, etc.

Et puis qu’est-ce que la culture ? Culture d’élite ? Culture populaire ? Culture dominante ?

Et si la culture était cette capacité de comprendre sa vie, son histoire, ses conditions de vie sociale, sa position sociale, le milieu ambiant et de la prendre en main pour ne pas la subir mais la maîtriser, il faut d’urgence se donner les moyens (pédagogiques, mass média, animateurs, ...) pour que chacune des communautés puisse entreprendre cette rencontre, ce dialogue interculturel.

Mais il s’agit de vérifier si les valeurs qui ont une dimension collective sont un "plus" à la construction d’une société interculturelle et pluraliste, si elles approfondissent la communication, la convivialité ou si elles créent d’autres ruptures, d’autres fossés. Toute la richesse qu’il a en lui, l’école et la société doivent l’aider à la découvrir et à en vivre.

4. Il en est de même de "l’implication structurelle des minorités aux activités et objectifs des Pouvoirs publics". Cette allusion discrète au droit de vote et à la participation active aux décisions politiques qui vont organiser la société est restée en sourdine, mais devrait être réactivée sans tarder. La Région wallonne pourrait avoir un rôle important dans ce domaine.

Le programme gouvernemental fédéral de juin 1995 sous le chapitre Une société rénovée et viable (II A3), est plein d’imprécisions. Après avoir parlé d’une volonté de poursuivre une politique d’intégration, on ne retrouve plus que le mot insertion, prévention et intégration par l’acquisition accélérée de la nationalité. Le reste est plutôt fait de généralités et de mesures répressives. On aurait pu s’attendre à mieux vu l’urgence des problèmes, les tensions dans la cohabitation et l’émergence d’une extrême-droite de plus en plus arrogante. La seule proposition concrète provoque quelques étonnements : le recrutement des Belges d’origine étrangère dans les services de police sera intensifié.

5. Quelle option pour l’immigration ?

Accepter enfin la réalité sociale, reconnaître l’apport économique et démographique, la richesse culturelle et le poids politique des immigrés apporterait plus à cette "société rénovée et viable" que les savants dosages de naturalisation, d'insertion, d'assimilation. Il faut en faire des partenaires indispensables à la construction d’une société respectueuse des droits de chacun et à laquelle chacun apporte toutes les potentialités qui sont en lui. La présence des immigrés n’est plus à considérer comme un phénomène conjoncturel, mais elle est une donnée structurelle de notre société. Il faut intensifier une réflexion approfondie sur le concept de citoyenneté.

Dans un article de l’Echo, Chris Vandenbroecke, historien et démographe de l’Université de Gand, affirme que la structure des âges, que le vieillissement de la population et la dénatalité font que le nombre de jeunes nés en 1980 qui feront leur entrée sur le marché de l’emploi en l’an 2000 ne compensera pas les départs à la retraite, que des emplois seront disponibles et qu’il n’y aura personne pour les occuper... A moins de faire un nouvel appel à l’immigration.

D’ailleurs notre société est en pleine mutation. Il se peut même que les questions actuelles sur l’immigration soient déjà dépassées par le problème de métissage. Il faut réfléchir sur l’augmentation croissante des mariages mixtes. Chaque année plus de 10 % de mariages sont des mariages belgo-étrangers. Et quel avenir pour les enfants qui naissent de ces mariages ? Quelle éducation va leur permettre d’épanouir les bipolarités de leur vie ?

Le métissage s’exprime déjà dans les arts, la musique, le théâtre, la chanson, la danse, la mode. Par exemple dans les défilés de mode où, avant, c’étaient les blondes de type aryen qui triomphaient : maintenant elles sont supplantées par les mannequins basanées. Si l’on se souvient de l’Eurovision de la chanson en Belgique, il y eut des voix (racistes ?) qui se sont étonnées de voir un belle métisse présenter le spectacle.

Reconnaître la générosité, l’engagement, l’intelligence, la solidarité, la pensée et pourquoi pas la beauté comme valeurs qui n’ont pas de frontières, qui sont universelles et se trouvent partout est un pas de plus vers l’acceptation des immigrés comme partenaires à part entière et indispensables à la vie économique, culturelle et politique tout en respectant le droit à l’altérité et le droit de conserver ses racines ou de les récupérer si les circonstances les ont fait enfouir profondément dans l’inconscient. J’insiste sur les valeurs collectives plus que sur les valeurs individuelles.

Et puis, il y a toujours en soi l’envie du retour, le rêve du retour ou l’illusion du retour. C’est une angoisse existentielle qui peut faire échouer le plan le mieux échafaudé.

Mais n’est-ce pas sagesse de se poser beaucoup de questions plus qu’apporter des réponses toutes faites, construites à partir de données statistiques ou sociologiques ?

Chaque être humain est à la fois un être unique, un être complexe, un mystère. C’est ce qui fait son attrait et son charme.

D’autres questions restent en suspens : Intégrer à qui ? Intégrer à quoi ? Pourquoi faire ? Au profit de qui ? Toutes questions auxquelles il faut répondre pour mieux clarifier le concept de l’intégration

6. Quel nom leur donner ?

Et comme il y a une petite "guéguerre" des mots pour désigner cet intrus qui vient tout troubler, je vais me permettre d’y ajouter le mien.

On ne veut plus des mots "étranger", "métèque", "barbare". Termes que l’on n’emploie plus parce que, au moins, on reconnaît à ces personnes venues d'ailleurs une participation importante à l’effort économique du pays et quelques valeurs positives, alors que "barbare", quelle que soit la définition qu’on lui donne, a une connotation injurieuse.

On ne veut pas l’assimilation – sauf pour Emmanuel Todd, dans son livre Le destin des Immigrés, selon qui celui qui se veut biculturel doit être schizophrène –, ni le melting pot à l’américaine.

On récuse les mots "immigré", "travailleur immigré", "émigré" qui, il est vrai ne répondent plus à la situation actuelle, sauf pour la nouvelle immigration qui se cache sous le phénomène des candidats réfugiés.

On emploie de plus en plus l’expression "minorité ethnique" qui rappelle les réserves d’Indiens en Amérique et les ghettos chinois, italiens, portoricains, parce que si cette minorité devient trop nombreuse, remuante, elle devient encombrante et trop exigeante, elle risque qu’on lui fasse subir aussi la purification ethnique, dramatiquement appliquée en ex-Yougoslavie.

On voit, même dans les textes officiels, apparaître l’expression "allochtone que l’on doit intégrer."

Et suprême inconscience même chez certains immigrés, d’accepter de se faire appeler "non-belge" comme si c’était une excellence que de se définir par une négation, par ce qui n’est pas, par le non-être belge, aberration de ceux qui n’existent que par la négation de leur être, qui ne sont rien parce qu’ils ne sont pas. A ceux-là, je souhaiterais de mettre un maximum de Raguletto dans leur nourriture qui suivant la publicité est une sauce qui réveille l’italien qui est en vous et de manger beaucoup de pâtes Buitoni parce que Buitoni, notre Italie, c’est toi. J’imagine que l’on pourrait se servir des mêmes exemples pour la paëlla ou le couscous.

Et pourquoi pas remettre au goût du jour le terme "Aubain" ?

Dans le dictionnaire Le Petit Robert on lit que "aubain" vient de vieux français "aliban", d’un autre ban, d’une autre communauté, d’une autre famille.

Dans le Petit Larousse on lit : aubain : individu fixé dans un pays étranger sans être naturalisé.

Et de ce mot est né "aubaine" c'est-à-dire, droit en vertu duquel le Seigneur recueillait les biens que l’étranger non naturalisé laissait en mourant, droit qui a été supprimé en 1869. Et dont le sens est devenu, à partir de 1868, avantage, profit inattendu, inespéré : profiter de l’aubaine, quelle bonne aubaine, dira le Petit Larousse.

Et nous, nous dirons que, bien qu'il soit étranger, métèque, barbare, immigré, émigré, migrant, assimilé, inséré, intégré, intégrable, adapté, deuxième génération, issu de l’immigration, gens venus d’ailleurs, non belge, allochtone, quelle aubaine !

Cessons de dicter aux immigrés et aux communautés immigrées les conditions à remplir pour s’intégrer, se faire accepter. Cessons de décider de leur destin, pour ne pas dire de leur bonheur.

Les immigrés, les communautés immigrées ont suffisamment fait preuve de maturité dans tous les domaines pour qu’on les considère comme des partenaires dans la construction de cette "maison commune" que doit devenir notre société.

Je pense tout particulièrement à tous les délégués syndicaux élus par les travailleurs, non pas à cause de leur nationalité, mais au nom de leur militance et de leurs capacité de défendre l’entreprise et les droits de leurs compagnons de travail. La Région wallonne devrait s’inspirer de l’exemple des syndicats qui dès 1973, et même avant dans les charbonnages, ont mis sur pied d’égalité tous les travailleurs, sans restriction de nationalité, et qui ont fait confiance à ces travailleurs pour représenter leurs compagnons dans les délégations syndicales, dans les Comités Sécurité-Hygiène, dans les Comités d’Entreprise.

C’est peut-être un rêve, une utopie, mais cela vaut la peine de commencer ce combat.

Ayant participé, il y a quelques années aux travaux de la "Commission Immigration" de l’Institut Jules Destrée, qui par suite de malentendus, ont été malencontreusement interrompus, puis-je en terminant, souhaiter voir l’Institut reprendre ces projets et surtout de s’engager à les faire aboutir ?

Notes

(1) L’intégration, une politique de longue haleine, volume 1, Commissariat royal à la politique des immigrés, nov. 1989, p.39-40.
(2) N°8 du 15 mai 1995.
(3) L'intégration, une politique de longue haleine, op. cit., p. 40.
(4) Op. cit., volume 1, p. 5.
(5) Op. cit., volume 1, p. 38.

Alberto Gabbiadini, L'intégration des populations immigrées en Wallonie, dans La Wallonie, une région en Europe, CIFE-IJD, 1997


 

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