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La Wallonie, une région en Europe

Subsidiarité et coopération dans le système fédéral - (1995)

Jean-Maurice Dehousse
Ancien Ministre –
Bourgmestre de Liège (1)

 

Longtemps, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, on a analysé le fédéralisme – et notamment le fédéralisme d'Etat – sur la base du développement historique. Cela signifie que, aux Etats-Unis, par exemple, on partait de la Constitution de 1787 – qui a le mérite d'être toujours en activité –, on envisageait la jurisprudence de la Cour suprême pour mettre en évidence le fait que, lorsque John Marshall y arrive, il développe toute une jurisprudence à propos de ce qu'on appelle en anglais la Commerce clause, la clause sur le trafic commercial. Question : est-ce que le gouvernement fédéral peut s'occuper du commerce entre les Etats ? Au départ, la Constitution prévoyait telle chose, plus tard, la Cour suprême a constaté, décidé, ceci ou cela. Dans le domaine de la ségrégation, par exemple, on connaît l'importance de la jurisprudence de la Cour suprême. Dans le jugement rendu en 1954 qui dit que separate is not equal – la séparation est contraire au principe de l'égalité – et, à partir de là, on interprète différemment le principe d'égalité et on en tire un certain nombre de conclusions sur la ségrégation aux Etats-Unis.

Cette méthode est largement empirique. C'est celle qui est aussi pratiquée en France où, quand on commente les Constitutions des Etats ou la construction de la Communauté européenne, on part du traité sur la CECA, du Plan Schuman, des traités sur l'Euratom et sur le Marché commun, et puis on explique tout en ajoutant et en soustrayant, en se basant essentiellement sur la chronologie des textes. C'est une méthode d'analyse qui ne manque pas d'intérêt mais qui est incomplète.

Dès lors, plus récemment, on a développé – essentiellement en Europe – une analyse du fédéralisme qui considère que celui-ci est davantage une méthode de raisonnement. Celle-ci peut s'appliquer aux Etats – par exemple aux Etats fédéraux, aux relations internationales –, notamment au niveau européen où la Communauté européenne et l'Union européennes sont des constructions qui sont internationales au sens classique du terme mais qui sont aussi des constructions de droit public. Ainsi, on est, à la fois, à la frontière très mouvante de deux droits qui n'ont pas tout à fait les mêmes règles : le droit international public et le droit public.

L'analyse fédéraliste peut s'appliquer aussi à des éléments qui, au départ, paraissaient totalement différents. Ainsi, le problème des organisations syndicales : il n'est pas indifférent à l'analyse fédéraliste que l'on parle en Belgique d'une Fédération générale du Travail de Belgique ou d'une Confédération des Syndicats chrétiens. Au départ, on pensait que les appellations n'avaient rien à voir avec une théorie fédérale. Au contraire, elles ont beaucoup à voir et la méthode d'approche permet de discerner de nombreux éléments intéressants. Un homme de science politique belge qui s'appelle Léo Moulin a écrit force articles et un livre particulièrement intéressant sur l'application du fédéralisme dans les ordres religieux en expliquant que – contrairement à ce qu'on pensait –, on pouvait discuter non pas seulement de façon empirique et classique, ce qu'on a toujours fait, mais en raisonnant et en s'interrogeant pour savoir quel type de principe applique-t-on aux ordres religieux ? Quel est le principe qui gouverne ? Est-ce qu'il y a une forme de subsidiarité – pour prendre un terme dont nous reparlerons – entre la hiérarchie centrale de l'Eglise catholique et l'ordre des Jésuites ? Bâtissons sur cet exemple-là : est-ce que les rapports du Pape avec l'ordre des Jésuites sont les mêmes que les rapports du Pape avec les Franciscains ou avec les Dominicains ? La réponse apparaît alors tout de suite : c'est non. Et la différence n'est pas seulement la date de fondation de l'ordre. Dès lors, il y a beaucoup à en dire. Voilà comment on s'est mis à approcher la réflexion sur une analyse beaucoup plus générale, multiciblée, des formes de regroupement des entités humaines et, à partir de là, on a développé toute une théorie sur les principes du fédéralisme.

Certains des livres me sont précieux, je les évoquerai soit pour signaler qu'ils étaient très utiles dans l'analyse – dans une seconde partie, nous appliquerons cette analyse à la Constitution belge, mais il faut d'abord comprendre l'analyse avant de l'appliquer –, soit pour mettre en garde contre des certains problèmes de titres.

Ainsi, Robert Aron et Alexandre Marc ont publié à Paris un livre qui s'intitule Principes du fédéralisme. Je trouve ce livre extrêmement intéressant. On le voit du reste à la façon dont je l'ai constellé de remarques, mais il n'a rien à voir avec notre sujet malgré son titre. C'est davantage une réflexion – bien utile par ailleurs – mais qui ne nous aide pas.

Comme effectivement Alexandre Marc a eu dans tout ceci une influence considérable, la publication du Centre de Recherches de Lausanne, qui a été consacrée au fédéralisme et à Alexandre Marc, contient un certain nombre de considérations qui sont tout à fait d'application par rapport à nous, notamment aux pages 73 et 74.

Enfin, l'excellente revue que Jean-Pierre Gouzy préside, L'Europe en formation, a publié à plusieurs reprises des textes d'un intérêt tout à fait soutenu et notamment en janvier - mars 1976. On y trouve un résumé de la pensée de Guy Héraut sur la société fédérale : principe, schéma, conjecture.

Pour ma part, avec des réserves quant au fond, des nuances que je vais apporter, je pense que les livres majeurs dans la circonstance, ce sont Les Principes du fédéralisme, du professeur Guy Héraut, qui fut jadis, entre autre chose, candidat à la Présidence de la République – mais il ne fut pas élu comme vous le savez sans doute. Ce livre est publié en 1968. Ce n'est pas tout à fait par hasard s'il est préfacé et "postfacé" par Alexandre Marc. On voit combien les deux auteurs ont un certain nombre de choses en commun, même s'il y a des nuances.

Héraut retient cinq principes du fédéralisme, Alexandre Marc en retient quatre. Je suis plutôt de l'avis d'Alexandre Marc, mais c'est secondaire, j'y reviendrai.

1. Le principe d'autonomie

L'autonomie des personnes physiques : c'est une idée très généralement acceptée parce que ce sont des droits qui se traduisent par le principe de la liberté individuelle. L'autonomie des personnes morales, cela pose déjà un certain nombre de problèmes juridiques plus grands. Quant à l'appliquer au niveau des collectivités publiques, c'est très compliqué et c'est souvent par là qu'on aborde le fédéralisme, bien entendu. Cela pose un grand nombre de problèmes.

Considération de droit international public, l'autonomie des collectivités notamment – et même l'autonomie des personnes physiques – a donné base à un concept fondamental, très controversé, du droit international public : c'est le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, qui, du reste, figure en bonne place dans la Charte de l'Organisation des Nations-Unies. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes exprime l'idée que chaque peuple – pour prendre le vocabulaire de la Charte – dispose d'un droit à s'organiser comme il l'entend, donc un droit à l'autonomie. Mais on entre tout de suite dans une controverse vitale, parce que les relations internationales sont surtout des relations inter-étatiques. Autant les Etats se reconnaissent à eux-mêmes le droit de s'auto-organiser en fonction du principe d'autonomie – ils s'interdisent des ingérences dans la sphère de l'un ou dans la sphère de l'autre, sauf raison majeure –, autant cela fonctionne très mal dans l'organisation intra-étatique, et le même principe – le principe d'autonomie – ne trouve pas du tout le même type de reconnaissance à l'intérieur des Etats qu'à l'extérieur des Etats. La France, qui a été à la base de la reconnaissance internationale du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, n'aime pas l'idée que ce principe pourrait s'appliquer aux Bretons et moins encore aux Corses. Donc il y a là une difficulté. Nos amis du Val d'Aoste savent que, en Italie, cela n'a pas été sans peine qu'on a créé des régions et même, dans certains cas, des régions autonomes. Et il en va ainsi à travers le monde : le problème du Cachemire et de son appartenance entre l'Inde et le Pakistan n'est pas plus vite réglé qu'un problème balkanique en Europe et donne le même état de guerre virtuel.

Pourquoi y a-t-il une telle différence entre le principe d'autonomie entre les Etats et le principe d'autonomie à l'intérieur des Etats ? Parce que on se heurte là au tabou national. Ce n'est pas simplement le problème de l'Etat, c'est le problème de l'Etat-nation. On ne se convulse pas à l'idée qu'on puisse organiser, morceler le concept de l'Etat, mais on se convulse à l'idée qu'on puisse morceler le concept de nation. Regardez ce qui est arrivé en France récemment dans l'écriture de la Constitution : les avis du Conseil constitutionnel sur l'unicité du peuple français, l'existence ou la non-existence d'un peuple corse. Premier exemple en Belgique : où le peuple se situe-t-il ? Y a-t-il un peuple belge – vous pouvez traduire, remplacer par "y a-t-il une nation belge" – ? Si vous parlez d'un ancien journal de presse, la réponse est non, il a disparu. Pour certains, c'était prémonitoire, mais pour d'autres le rapport n'est pas là, on est toujours en train d'exalter un peuple belge alors que, en Flandre, on exalte le peuple flamand, en Wallonie, le peuple wallon et que notre ami José Happart parle même du peuple fouronnais pour identifier les 3.000 habitants d'une seule commune. Le problème du vocabulaire n'est pas seulement le problème de l'étiquette que l'on met sur la bouteille; le problème du vocabulaire est encore bien plus le problème du contenu de la bouteille.

Le principe d'autonomie a des connotations importantes qui n'apparaissent pas à première vue. En sociologie économique, par exemple, toute la théorie yougoslave de l'autogestion des entreprises, c'est l'idée que l'entreprise, dans un système économique, doit pouvoir disposer d'une certaine autogestion. C'est une autonomie de gestion. C'est une application du principe d'autonomie. D'emblée, il est clair que la théorie soviétique de jadis récusait la notion d'autogestion des entreprises, puisque ces entreprises étaient soumises – et "soumises" était un mot faible – au Plan tandis que, dans le système de l'économie de marché, on trouve une certaine souplesse mais pas nécessairement une autogestion au sens yougoslave, qui alors posait la question de la gestion à l'intérieur de l'entreprise et non pas seulement la question de la gestion de l'entreprise dans le système économique. On retrouve le même type de différence que celle évoquée au niveau du droit international public, pour d'autres raisons bien entendu, mais aussi parce qu'on touche à un autre tabou qui est : est-on propriétaire d'une entreprise, c'est-à-dire d'un ensemble humain ? Et qui est propriétaire de l'entreprise ? Qui peut l'être ? Qui doit l'être ? Quels sont les attributs du droit de propriété ? Tout ceci, c'est en fait une variation sur le concept d'autonomie.

En droit public, vous pouvez avoir – et vous avez, en général, au vingtième siècle en Europe – une reconnaissance qui va croissante du rôle des entités internes. On peut parler quelques fois, dans un régime fédéral, des composantes internes. Il y a, en Europe, depuis la fin de la guerre, une tendance à reconnaître ce qu'on appelle – fréquemment mais pas uniquement – des régions, à l'intérieur des Etats. C'est classique dans les Etats fédéraux, et pour cause : c'était le cas dans l'Allemagne dès 1945, pour ne parler que de celle-là puisqu'il y a des Länder. En dehors de la construction européenne, c'était le cas de la Suisse, où l'on parle de cantons. Chez les Canadiens, c'est la réalité des provinces qui est mise en discussion. Au niveau des Etats-Unis, ce sont des Etats. On va donc retrouver tout un problème de vocabulaire qui est, à la fois, je le répète, un problème de contenu. Ce n'est pas indifférent que les entités se décrètent – soient considérées – comme des Etats ou non par les textes de base. Et cette analyse peut encore être nuancée, parce que, dans sa Constitution interne, le Texas est un Etat souverain : The Sovereign State of Texas. Et un Etat souverain, ce n'est pas tout à fait la même chose qu'un Etat au sens classique du terme. Donc, grâce au principe d'autonomie, on peut poser toute une série de questions et, du côté des fédéralistes européens, nous tenons pour avéré que la difficulté n'est pas de trouver des réponses mais bien de trouver des questions. Et que si on ne sait pas comment poser des questions, on n'est pas prêt de trouver des réponses.

La France, depuis la guerre, a créé des régions. L'Italie a développé son système régional. Dans un autre pays où la chose n'était pas si simple – elle n'est simple nulle part, en vérité – mais elle n'était pas simple en Espagne, surtout sous le franquisme : l'Espagne a développé des régions. La Catalogne – qui est à l'Espagne ce que le Texas est aux Etats-Unis – a vu renaître la Généralité de Catalogne. On peut multiplier les exemples.

Grande question : y a-t-il une supervision du pouvoir de l'Etat central sur le pouvoir des composantes de l'Etat ? Y a-t-il un contrôle administratif ? Et la Belgique a employé un mot qui, plus tard, s'est étendu dans d'autres domaines : y a-t-il une tutelle, de même que, dans le droit privé, un mineur qui a un problème de famille est placé sous tutelle, parce qu'il n'est pas susceptible d'assumer tout seul la direction de ses affaires, sa propre direction ? Y a-t-il une tutelle administrative ? On retrouve – ce n'est pas un exemple – le mot tutelle dans le vocabulaire de la Charte des Nations-Unies pour parler d'un territoire de type colonial qui est placé sous la tutelle du Conseil de Tutelle. Donc, chose curieuse, des notions qui sont des notions de droit privé – le droit des familles – peuvent se retrouver dans le droit international public, à propos de la décolonisation. On se trouve devant une application du principe d'autonomie.

Quelles sont les limites dans le temps du principe d'autonomie ? Y a-t-il des limites dans le temps au principe d'autonomie ? Ce sont des questions qui suscitent des commentaires, quelque fois passionnés. Revenons à l'idée du droit des familles. Dans le droit des familles, on considère qu'il y a, en général, une limite dans le temps, en tout cas dans la société moderne. Donc, la personne qui est placée sous tutelle ne l'est pas à vie, sauf des dispositions tout à fait particulières qui tiennent alors à son état mental par exemple. Mais on considère qu'un jeune s'émancipe. Est-ce qu'il s'émancipe à 21 ans ? A 18 ans ? Les Etats organisent tout cela. Qu'en est-il des collectivités territoriales ? C'est un autre tabou et on fait guerre sur ce tabou : c'est le problème du droit de sécession. Est-ce que, à un moment donné, s'il y a tutelle, la tutelle doit céder ? Les Etats-Unis sont partis en guerre, en guerre interne, en guerre civile – c'est comme cela, du reste, qu'ils l'appellent –, en 1861, sur le problème du droit de sécession. Est-ce que ce droit à l'autonomie, pour la Virginie, comportait le droit de sortir de l'Union ? Et la Virginie a hésité, en 1861, et il y a eu des débats très grands. Le Deep South, le Sud profond, était tout à fait pénétré de l'idée qu'il fallait faire guerre sur le problème de la sécession, mais la Virginie, avec beaucoup de raison, a hésité avant de rejoindre le camp du Sud. Ainsi, rien que sur le principe d'autonomie, on peut bâtir une énorme réflexion. Cela ne pourrait pas manquer d'intérêt de faire un ouvrage de quatre à cinq cents pages sur les problèmes posés par le principe d'autonomie.

2. Le principe de subsidiarité

On peut avancer plus vite sur le deuxième principe qui est le principe aujourd'hui le mieux connu en Europe. En effet, c'est le principe qui y a la plus grande popularité. Il a été popularisé par Valéry Giscard d'Estaing. Le principe de subsidiarité a été inventé à un moment donné, comme si on avait inventé l'eau chaude. Même s'il est apparu brutalement à tous ceux qui ne le connaissaient pas, il existe depuis longtemps. C'est un principe qui s'applique lorsqu'on discute des compétences. Prenons l'exemple des collectivités territoriales, c'est celui qui nous occupe le plus. Est-ce que toutes les compétences appartiennent à la collectivité la plus large et fait-on des exceptions pour les collectivités moins larges ou bien le principe suivant lequel la compétence de base appartient aux entités de base est applicable, et délègue-t-on vers le haut ? Le mot déléguer est un mot clef. Est-ce que le fédéralisme se construit vers le haut, par un assemblage de pièces ? La réponse est le plus souvent positive. On construit le fédéralisme vers le haut et, dès lors, ce sont les entités de base qui délèguent un certain nombre de compétences. Historiquement, ce sont les cas les plus fréquents et, à nouveau, que l'on parle de la Suisse ou des Etats-Unis, c'est un principe qui est un principe de construction. On délègue des compétences vers l'entité plus large. La Belgique se croit le seul exemple d'une délégation dans le sens inverse, c'est-à-dire d'une délégation qui est faite par l'Etat central vers les entités composées, mais ce n'est pas le seul Etat fédéral – et de beaucoup – où ce principe est joué : le Canada a été, en grande partie – notamment pour des raisons qui tiennent à la nature coloniale du point de départ –, une construction faite par l'Angleterre vers les Provinces et non pas des provinces vers l'Angleterre. Pour une bonne part, les Etats-Unis aussi, contrairement à ce qu'on croit, parce la définition des Etats de l'Ouest a été faite par le pouvoir central. Il n'y a pas eu une genèse spontanée du territoire du Colorado. C'est, à un moment donné, l'Etat central qui a décidé de faire un territoire du Colorado, qui, plus tard, est devenu l'Etat du Colorado. A partir du moment où vous avez des collectivités de base, où vous avez une collectivité plus large, c'est le coeur même du fédéralisme. Ainsi, sur le même territoire, vous pouvez avoir plusieurs autorités qui ne sont pas subordonnées l'une à l'autre, puisqu'il n'y a pas tutelle.

La Belgique a toujours connu des provinces mais les provinces étaient placées sous la tutelle de l'Etat central. La Belgique a toujours connu des communes mais la commune était placée sous la tutelle du pouvoir provincial et du pouvoir central, aujourd'hui du pouvoir régional. Il faut donc toujours faire attention : sommes-nous dans un régime de type fédéral, le principe d'autonomie jouant alors beaucoup plus fortement, ou sommes-nous dans un autre type d'Etat ? Même en Angleterre ou en Hollande – qui sont des Etats puissamment centralisés – vous avez des comtés, qui ont un certain nombre de pouvoirs, mais qui sont des pouvoirs clairement attribués par le pouvoir central et qui ne sont pas mis en discussion quant au principe.

Y a-t-il un principe qui gouverne les attributions de compétences ? L'idée de la subsidiarité, appelée aussi l'exacte adéquation, est l'idée que la collectivité de base doit organiser toutes les compétences qu'elle est capable de gérer efficacement et sans nuire aux autres collectivités ou aux personnes. C'est une idée que Valéry Giscard d'Estaing a popularisée quand on l'a amenée dans l'union européenne. On l'a amenée tard : elle n'a pas été exprimée au moment de la construction de la CECA, née au moment de la construction du Traité de Rome. Or, nous sommes tout à fait dans le système de la construction au départ des entités de base vers l'entité plus générale, parce que clairement l'Europe se fait au départ des Etats. On ne le sait que trop avec tout ce que cela implique, notamment beaucoup de difficultés. L'idée de la subsidiarité a été réintroduite à un moment donné pour limiter les délégations de pouvoir vers la collectivité centrale, vers les instances européennes en disant : quand on vous a dit que vous alliez vous occuper de l'agriculture, on ne vous a pas donné toute l'agriculture, on vous a donné ce que vous pouviez régler plus efficacement que les entités de base qui, dans la construction européenne, sont les Etats. Et, derrière l'idée de subsidiarité, se profile l'idée qu'il y a un droit de rétention de certaines compétences. On mesure mieux maintenant qu'au XIXème siècle que les compétences sont fluctuantes, que, quand on donne une compétence, soit à la collectivité centrale, soit à l'Etat central, cette compétence fluctue dans le temps. C'est l'exemple que j'ai évoquée à propos de la clause de commerce inter-étatique aux Etats-Unis. En 1787, le commerce entre les Etats était très faible, donc cela n'avait pas un grand intérêt. Dans les années suivantes, il s'est développé très fort. C'est devenu d'un intérêt brûlant. Donc, à un moment donné, on a dû trouver une solution, non par la modification de la Constitution, mais bien par la jurisprudence de la Cour suprême. Ce que je souligne, c'est que tout ceci montre le caractère évolutif des choses.

Il est clair, par exemple, que aucun Etat européen, en ce compris la France malgré le caractère partiellement nucléaire de sa défense –n'est plus à même d'assurer seule la protection de son territoire et de sa population. Les Belges le savent depuis longtemps. En 1940, on a eu la preuve par 9 de cette réalité là. Or, aucun Etat européen n'a délégué clairement la compétence de la sécurité. On a construit l'OTAN qui est censé assurer la sécurité mais la compétence n'est pas déléguée à l'intérieur de l'OTAN. Dès lors, vous avez cette chose admirable, vous avez à un moment donné vingt-sept personnes qui se réunissent et qui disent : qu'est-ce que nous allons faire ? Cela prend un certain temps, comme les affaires de Yougoslavie l'ont montré, mais ceci est une autre histoire. Il n'y a pas eu de délégation parce qu'on touche à des tabous et qu'il est très difficile de franchir ces tabous.

Retenons donc, de l'idée de subsidiarité, que le partage des compétences ne se fait pas de façon neutre, qu'il y a un critère d'efficacité et que, idéalement, on ne délègue que ce qu'on ne peut pas régler soi-même. Cette théorie ne va pas toujours sans un certain danger. Si vous l'appliquez comme nous avons essayé de le faire à la construction de l'Etat fédéral belge, vous voyez bien tout ce qui peut y avoir comme problème. Que considère-t-on en Belgique que l'Etat ne peut plus faire, puisque les mêmes principes doivent jouer dans un sens ou dans l'autre ?

3. Le principe de participation

C'est un principe qui exaspère l'opinion publique belge parce qu'elle trouve que cela fait désordre, que c'est compliqué. Pourquoi ? Parce que, jadis, il y avait trois niveaux de pouvoir dans l'organisation classique de l'Etat en Belgique : l'Etat central – Etat centralisé d'ailleurs, les mots ne sont pas synonymes –, les provinces, les communes. Mais les provinces – sauf une exception – ne participaient pas à l'organisation de l'Etat central, et les communes moins encore à l'organisation des provinces, tandis que dans un régime fédéral, les entités les plus petites participent à l'organisation du pouvoir de l'entité la plus large. Prenez l'exemple des Etats-Unis. Il a fallu une fiction. C'est une fiction de dire que le président des Etats-Unis est élu au suffrage universel direct, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent. En réalité, techniquement, les gens élisent des électeurs et les électeurs élisent le président des Etats-Unis. Mais en fait, les électeurs s'engagent – et ils sont recrutés sur cette base-là – à transférer les votes populaires. C'est une trace de participation, mais ce n'est pas directement la participation des composantes. Par contre, quand on voit les deux Chambres des Etats-Unis, il y a une différence majeure : d'une part, aux Etats-Unis, la Chambre des Représentants est élue par des districts qui n'ont rien a voir avec les composantes de base. D'autre part, le Sénat est élu par les Etats; chaque Etat déléguant deux sénateurs, qu'il ait 400.000 milles habitants comme le Névada ou 40 millions comme la Californie et comme New-York – je parle en chiffre très généraux –. Donc on trouve des traces de participation importantes et tout ce problème, toute cette clef, tout ce principe de participation peut aussi conduire à des discussions parce que toute l'organisation du système colonial jadis est une application d'un principe de participation et se heurte à l'application du principe de participation, puisqu'il s'agit d'un territoire qui est, en quelque sorte, organisé carrément de l'extérieur. Prenez l'exemple d'une colonie dans l'ancienne acceptation du terme : comment joue le principe d'autonomie ? Comment joue le principe de subsidiarité ? Vous voyez bien que le principe de participation va à l'encontre de cela et peut susciter des difficultés. Bien entendu, il peut y avoir des participations directes ou des participations indirectes. C'est très lourd, c'est très variable. On peut trouver des situations totales.

4. La coopération

Quatrième et dernier principe sur lequel il y a accord : c'est le principe de coopération. Donc, autonomie, subsidiarité, participation, coopération. Je ne les cite pas dans un ordre d'importance ou de priorité, mais dans l'ordre cité par Guy Héraud. Je ne dis pas que le principe d'autonomie est plus important que le principe de participation.

La coopération, c'est l'idée non seulement que, au départ de l'autonomie, on peut trouver des collectivités territoriales qui soient autonomes mais aussi que ces collectivités territoriales peuvent jouer un certain nombre de rôles en s'associant, sans passer par l'Etat central. Et de fait, dans le fédéralisme américain, par exemple, on essaie depuis quelques années, d'insuffler un certain nombre de mesures de coopération. On en trouve aussi des traces dans le régime belge, nous allons en parler. C'est une zone qui est intermédiaire entre l'autonomie des composantes et la non moins grande autonomie de l'Etat central. C'est, à un moment donné, l'idée qu'on peut régler des problèmes sans se mettre sous la direction politique de l'Etat central, soit qu'on fasse une coopération partielle, soit une coopération de toutes les composantes mais qui ne soit pas placée sous la direction de l'Etat central.

Enfin, Guy Héraud retient – et je me dois de vous le dire – un principe qu'il appelle le principe de la complémentarité, principe qu'il développe dans son livre. Je ne suis pas persuadé quant à moi – Alexandre Marc non plus – que l'on puisse trouver à appliquer cela comme un principe général. Il est vrai qu'il y a des notions de complémentarité mais cela ne nous parait pas tout à fait de la même nature que les autres principes.

 

Le système belge

En ce qui concerne le système belge, posons-nous des questions. Première question de base : qu'est ce qu'on trouve comme principe d'autonomie ? En termes de sociologie politique, on distingue une contradiction et, en même temps, une résultante très curieuse. La contradiction, c'est que, de toute évidence, la fédéralisation de l'Etat a été le fruit de la convergence de deux grandes volontés : la volonté d'une autonomie flamande et la volonté d'une autonomie wallonne. Je ne prends pas le mot autonomie dans le sens qu'on lui donne maintenant en Belgique et qui suscite d'ailleurs des appétits, des convoitises et des hurlements. Je parle d'autonomie au sens du principe d'autonomie. Je veux dire qu'il y a eu un mouvement flamand, historiquement le premier, pour réclamer la reconnaissance d'une spécificité flamande et qu'il y a eu plus tard, cinquante ans plus tard à peu près, un mouvement wallon qui réclamait ce qu'il appelait à l'époque la séparation administrative. Et, au départ de la séparation administrative, la reconnaissance d'une entité wallonne. C'est plus tard qu'est apparu un mouvement bruxellois, beaucoup plus tard et, chose très curieuse, la Région de Bruxelles est la première Région dans laquelle les fédéralistes ont été majoritaires. C'est arrivé vraiment très tard parce que la centralisation de la Belgique a apporté tant de bienfaits à Bruxelles que les autres composantes de la Belgique trouvaient dans la centralisation une raison d'alimenter leur autonomie. Naturellement, les Bruxellois n'avaient pas le même sentiment. C'est quand ils se sont trouvés menacés pour d'autres raisons, notamment linguistiques, qu'ils ont réagi. Donc, premier élément, on sent vraiment deux forces qui vont diriger l'opération de fédéralisation de l'Etat. La contradiction, c'est que c'est l'Etat central qui organise les choses : cela ne se fait pas par un coup de force, ce n'est pas la Flandre qui proclame son autonomie, la Wallonie non plus, c'est l'Etat qui s'adapte aux forces que je viens de dire. C'est une contradiction.

Cette contradiction a une résultante tout à fait caractéristique en Belgique. C'est que, du côté flamand on était parti de l'idée d'une communautarisation de l'Etat, parce que, du côté flamand, les problèmes étaient perçus sur le plan linguistique avec une acuité toute particulière et qu'il y avait deux langues, le français et le flamand. Or, les Flamands ont toujours conçu l'organisation sur la base des appartenances linguistiques : c'est la poussée vers un fédéralisme à deux. Les Wallons, au contraire, ont toujours voulu leur autonomie par rapport à Bruxelles parce que la dominante du mouvement wallon n'est pas la langue mais la revendication économique. Cela ne veut pas dire que les problèmes économiques ne jouent pas en Flandre, on le voit bien maintenant que la principale poussée vient sur la modification du régime de la sécurité sociale, ce qui n'est pas un problème linguistique. On sait que, en Belgique, il y a eu des problèmes de défense contre l'imposition du bilinguisme. Donc je ne dit pas qu'on ne parle pas économie en Flandre, je ne dis pas qu'on ne parle pas des problèmes linguistiques en Wallonie, je dis que la dominante du mouvement flamand actuel est une dominante linguistique, la dominante du mouvement wallon étant une dominante économique. Comme c'est une dominante économique, le mouvement wallon ne veut pas d'une fusion avec Bruxelles. Il a une idée très nette de la spécificité wallonne par rapport à la Flandre, il a une idée non moins nette de la spécificité wallonne par rapport à Bruxelles. Ainsi, de façon assez peu surprenante quand on sait cela, les projets fédéralistes, en Flandre, avant la fédéralisation de l'Etat, sont essentiellement – voire uniquement – des projets d'organisation de l'Etat sur la base de deux composantes, tandis que les organisations wallonnes ont construit, sans exception, des projets qui visent une organisation avec trois entités.

De même, on a discuté de la spécificité germanophone et, comme tout le monde a été d'accord pour dire il y a une spécificité de la partie germanophone de la Belgique – qui est une partie marginale de la Belgique : j'ai beaucoup d'estime pour les germanophones, mais c'est 60.000 habitants, ce n'est pas une composante majeure notamment au niveau du principe de participation –. On s'est mis relativement d'accord et on a réglé, sur le côté pour ainsi dire, le problème des germanophones sans trop de problèmes. Reste le problème central. Comment allait-on choisir entre la revendication à trois et la revendication à deux ? Réponse : on n'a pas choisi, on a combiné et on s'est trouvé devant ce que Freddy Terwagne, qui fut ministre de la Réforme des Institutions, a appelé le fédéralisme à deux et demi et où on avait à la fois des reconnaissances d'un système à trois – c'est la composante des trois Régions, la Flandre, la Wallonie, Bruxelles – et des traces importantes des composantes à deux. De là, la Communauté française et la Communauté flamande. Donc c'est au niveau du principe d'autonomie que l'on trouve, à cet égard, des choses importantes.

A partir de là, on a essayé de reconnaître une autonomie aussi large que possible aux composantes et on y est parvenu parce que, en fait, la Constitution belge porte à la fois des traces de fédéralisme et de confédéralisme, notamment dans le domaine des relations extérieures. En effet, certains Etats fédéraux – reconnus de longue date comme les Etats-Unis par exemple – ne reconnaissent pas du tout à leurs composantes des droits aussi étendus que ceux reconnus à nos Régions. Même des composantes aussi importantes que la Californie ne disposent pas de la capacité de relations extérieures dont la Communauté française et la Région wallonne disposent. Pourtant, si la Californie était seule au monde, si elle n'appartenait pas à l'Union américaine, elle serait la quatrième puissance économique du monde ! Ainsi, on a tendu à une autonomie aussi forte que possible. De là découle le fait que les adversaires de l'Etat fédéral ont lutté en vain. J'ai encore connu le temps des débuts de la construction fédérale et, en 1973, nous étions seulement deux parlementaires dans une commission sur la réforme de l'Etat à dire : le pouvoir régional – et d'ailleurs aussi le pouvoir communautaire – doit pouvoir modifier la loi. Il doit avoir – pour prendre un mot savant – un pouvoir équipollent à la loi. Tous les autres parlementaires disant qu'il n'en est pas question et estimant que les Régions et les Communautés devaient prendre des règlements – surtout les Régions – et ne pouvaient modifier la loi. Au contraire, nous avons donné au principe d'autonomie un contenu législatif et maintenant il est tout à fait admis – et ce n'est plus discuté – que l'on peut, dans la sphère de compétences de la Région ou de la Communauté, modifier la loi. Par exemple, l'aménagement du territoire, confié aux Régions, a vu la Région wallonne se saisir de l'ancienne loi sur l'aménagement du territoire et, dès la formation de la Région wallonne autonome, celle-ci a adopté un décret qu'on appelle – c'est un peu mystérieux – le CWATU, mais on peut traduire et dire le Code wallon d'Aménagement du Territoire et de l'Urbanisme. Et les prescriptions urbanistiques ne sont pas les mêmes en Wallonie, en Flandre et à Bruxelles. Les mauvais esprits disent qu'il suffit de traverser Bruxelles pour s'en rendre compte. Voilà. Ceci est une boutade, naturellement, mais je ne dis jamais des choses aussi sérieuses que quand je fais des boutades. Il est clair que reconnaître l'autonomie législative est un élément tout à fait important et tout à fait caractéristique.

L'autonomie législative n'impliquait pas, jusqu'à cette année, l'autonomie des assemblées législatives. Il y avait un Conseil régional wallon, auquel nous donnons maintenant le nom de Parlement wallon, mais il n'était pas autonome. Il était composé des membres de la Chambre et des membres du Sénat, qui étaient des élus directs. C'est extrêmement rare dans les régimes fédéraux. Nous avons été vers plus d'autonomie, mais le passage par cette non autonomie des assemblées législatives a été la clef politique qui a ouvert la porte de l'autonomie législative. Pourquoi ? Parce qu'on disait aux parlementaires, membres de la Chambre et du Sénat : les Conseil régionaux pourront modifier la loi, mais les Conseils régionaux, c'est vous. Donc les parlementaires, eux, ne perdaient aucun pouvoir. Ils ne déléguaient pas leur pouvoir à d'autres personnes assises dans d'autres endroits, dans d'autres lieux, ils se déléguaient à eux-mêmes, réunis autrement, la possibilité d'agir. Si on n'avait pas eu cette disposition, on ne serait pas arrivé au même résultat. Il est quelque fois bien utile de trouver ce genre de passage – qui surprend et qui déconcerte les analystes – mais qui explique comment on est arrivé à ce résultat.

Depuis cette année, nous avons eu ce que tout le monde appelle des élections directes des Conseils régionaux : cette appellation est fausse. Il y a belle lurette que ces élections sont directes, mais les élections directes n'étaient pas séparées. Maintenant, des personnes différentes siègent les unes au Conseil régional, les autres au Parlement central, soit à la Chambre, soit au Sénat, avec une exception : tandis que la Chambre est composée uniquement de membres élus directs et distincts des personnes élues dans les Conseils régionaux, au contraire, le Sénat est composé, pour partie, de gens désignés par les Conseils de Communautés, en application du principe de participation.

Ceci implique que je précise que, par rapport au fédéralisme à deux et demi, la révision de la Constitution de 1993 a consacré un principe auquel je tiens beaucoup et qui faisait hurler mon collègue Jean Gol, c'est la primauté de la Région. Primauté par rapport à quoi ? Par rapport à la Communauté, au sens belge du terme. Au départ, on avait la Région et la Communauté. Les Flamands nous poussaient très forts à reconnaître la primauté à la Communauté et si nous l'avions reconnue, nous aurions élu des personnes au Conseil communautaire et puis nous aurions dit que celles qui sont élues à Bruxelles peuvent siéger seules et celles qui sont élues en Wallonie peuvent siéger seules. Nous avons fait le contraire et ce n'est pas un détail. Nous avons élu un Conseil régional en Wallonie, comme nous avions élu, à partir de 1989, un Conseil régional à Bruxelles, et nous avons formé des délégations pour le Conseil de Communauté, tant du côté flamand que du côté francophone. Les Flamands ont accepté que le Conseil de Communauté soit fait par délégation mais ils sont plus loin dans la fusion des institutions que la Wallonie ne l'est.

En ce qui concerne la Wallonie, il y a donc un phénomène de double délégation au niveau parlementaire et l'on trouve deux applications successives du principe de participation. A l'heure actuelle, la totalité des conseillers régionaux wallons participe au Conseil de la Communauté française et une partie des conseillers de la Communauté française – un partie très partielle ou très limitée –, siège au niveau du Sénat. Nous avons deux applications successives du principe de participation. Voilà, par exemple, comment nous avons dosé les principes de construction du fédéralisme au niveau des assemblées et de leurs pouvoirs.

Contrairement à ce qu'on peut penser, nous n'avons pas construit les relations entre les gouvernements des entités sur le même modèle que la construction que nous avons faite pour les assemblées. Nous avons, de ce côté-là, accentué la participation, avec une touche de coopération. Le Parlement wallon élit, en son sein ou non, un gouvernement wallon qui est responsable devant lui. Le Conseil de la Communauté française élit, en son sein ou en dehors de lui, un gouvernement de la Communauté française responsable devant lui. Le gouvernement wallon et celui de la Communauté française, comme le gouvernement flamand bien entendu, comme le gouvernement bruxellois aussi – cela a été fortement discuté – participent au Comité de Concertation. Celui-ci a été créé et les Régions ainsi que les Communautés y sont sur pied d'égalité avec le gouvernement central. Le rôle du Comité de concertation est d'essayer de prévenir les querelles qui peuvent voir le jour au niveau de la vie quotidienne. C'est ce qu'on appelle en droit la prévention des conflits. Si on apprend qu'un décret va être voté, nous avons le droit de le geler. Si c'est un texte de loi, il faut que les Assemblées le fassent. Mais, soit un texte législatif, soit une décision exécutive peuvent être gelés pendant soixante jours. Pendant ce temps, c'est le Comité de Concertation qui essaie de parvenir à un consensus. On relève ici une accentuation très forte du principe de coopération, qui n'existe pas au niveau des Assemblées.

Le principe de subsidiarité s'est appliqué surtout dans le domaine des compétences. On en trouve un exemple dans le fait que l'on a donné des compétences larges aux Régions en matière économique. Toute la matière très controversée de l'aide aux entreprises appartient aux Régions. L'Etat a été dépossédé et s'est dépossédé, compte tenu de ce que j'ai dit du sens de la réforme. Et ceci a posé des problèmes au niveau européen, au niveau de la Communauté européenne, au niveau de l'Union européenne. En effet, lorsque j'étais président de l'Exécutif régional wallon et que nous avons vraiment séparé la gestion administrative des dossiers régionaux du Ministère des Affaires économiques, puisque nous avons appliqué l'autonomie dans le domaine régional, les Communautés européennes ont refusé de reconnaître le phénomène régional en Belgique. Elles ont dit : nous n'avons pas à savoir ce que la Belgique fait avec ses compétences et ses pouvoirs et nous, nous continuons à nous adresser au gouvernement belge et au Ministère des Affaires économique pour savoir quelle aide vous avez donnée à une brasserie, à une cimenterie, à ceci ou à cela. C'est le genre de chose qui provoque des problèmes avec les autres gouvernements. La Flandre a accepté cela, d'autant plus que la flamandisation du Ministère des Affaires économiques avait été menée bon train. Pour les mêmes raisons, cela nous déplaisait fortement. Dès lors, nous avons dit aux Communautés européennes, que, puisque nous n'existions pas à leurs yeux, on n'allait pas notifier les décisions. Et comme il n'y a pas, dans le régime belge, d'exigence de notification au niveau du Ministère des Affaires économiques, le Ministère des Affaires économiques ne savait pas plus que le gouvernement du Mexique ce que nous avions fait en matière d'aides aux entreprises. Cela a pris à peu près neuf mois – ce qui est une portée raisonnable – et puis, toute puissante qu'elle soit, la Commission des Communautés européennes a été obligée de s'incliner. Elle n'avait plus de nouvelles, elle ne savait plus ce que nous faisions. Elle voyait dans la presse que nous donnions des aides puisque nous nous empressions de le faire savoir, mais elle ne savait pas lesquelles. Alors, inévitablement les autres gouvernements – et c'était ce que j'avais prévu – se sont inquiétés en se demandant quel était le système sur base duquel nous travaillions. Voilà pourquoi et comment la Commission des Communautés européennes a finalement accepté de reconnaître le fait régional belge.

Où est la subsidiarité ? La voici, autant le pouvoir des aides économiques est complet en ce qui concerne l'aspect économique des aides – c'est la Région qui, seule, décide d'accorder ou de ne pas accorder une aide; qui, seule, décide le montant de l'aide; qui, seule, décide des modalités de l'aide, des conditions de l'aide, sous la surveillance des Communautés européennes –, mais, en matière fiscale, la législation sur les entreprises reste du domaine de l'Etat central. En effet, on a considéré que l'Etat central devait conserver une maîtrise fiscale, sinon on allait se trouver devant un problème de contrôle et de détournement de trafic qu'on ne maîtriserait pas. Que n'a-t-on fait la même chose au niveau européen dans l'autre sens ! Là, nous avons trouvé que la subsidiarité impliquait de maintenir la compétence de l'Etat dans ce domaine et, de même, la subsidiarité nous a conduits à limiter les pouvoirs des Régions – de bon coeur – dans un certains nombres de domaines comme, par exemple, la fixation des prix. Les règles de fixation des prix sont restées dans la compétence fédérale parce que nous avons estimé qu'on irait au désordre économique si il y avait des prix différents. De plus, compte tenu de l'ampleur de la frontière linguistique et du fait qu'il suffit en général de prendre sa voiture et de faire trois kilomètres pour la franchir et aller dans un supermarché, nous avons pensé qu'on allait se trouver devant des détournements de trafic gigantesques pour pas grand chose :dès lors, nous avons pensé qu'il fallait maintenir ces compétences au niveau de l'Etat. C'est vraiment un des domaines où le principe de subsidiarité a joué à plein.

Prenons la coopération. Nous avons des accords de coopération entre la Flandre et la Wallonie, avec la Région de Bruxelles aussi. Là, l'Etat fédéral n'intervient plus. Or, si vous prenez la Belgique et si vous faites un accord entre la Flandre et la Wallonie, par soustraction vous avez Bruxelles et puis c'est tout. Donc, c'est un niveau qui est tout à fait concurrentiel par rapport à l'Etat fédéral. A titre d'exemple, c'est un accord de coopération qui règle la circulation fluviale dans le bassin de la Meuse et dans le bassin de l'Escaut. Cette technique des accords de coopération a tendance à se multiplier pour le moment. Je pense qu'il y a une douzaine d'accords qui sont réalisés ou en gestation.

Ainsi, dans l'expérience belge, nous avons vraiment l'un des exemples très riches au point de vue de la réflexion et de l'application de la théorie du fédéralisme. Il est important de se souvenir de ces quatre principes : l'autonomie, la subsidiarité, la participation, la coopération. Je crois que, quand on maîtrise ces quatre clefs-là, on est en mesure à la fois de poser un certain nombre de questions et de donner un certain nombre de réponses qui n'apparaissent pas aussi clairement à celui qui fait un commentaire simple, intéressant, avisé, utile et plus méthodique que le mien.

Note

(1) Texte non relu par l'auteur

Jean-Maurice Dehousse, Subsidiarité et coopération dans le système fédéral, dans La Wallonie, une région en Europe, CIFE-IJD, 1997


 

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