La situation des
minorités et leur statut sont aujourd’hui un problème de première importance
pour l’Europe centrale et orientale. Sa gravité et les risques qu’il peut
entraîner sont tragiquement illustrés depuis trois ans par les événements
dramatiques dans l’ex-Yougoslavie, au règlement desquels – je dois le dire –
l’Europe a été incapable de contribuer vraiment. Peut-on éliminer à l’avenir les
causes de tels affrontements ? Peut-on dégager des formules qui permettent de
maintenir l’unité politique des Etats de la région dans leurs frontières
internationalement reconnues et, en même temps, de respecter la personnalité des
minorités ethniques, linguistiques ou culturelles, et de garantir à leurs
membres l’exercice de leurs droits fondamentaux d’hommes et de citoyens ? Dans
cette recherche de formules qui soient adaptées à chaque situation, l’exemple
belge est particulièrement riche d’enseignements.
Les données belges
étaient particulièrement complexes. Il y a eu un long brassage de populations au
cours de périodes récentes et moins récentes. Il en résulte la présence, dans
chaque région, de minorités significatives souvent regroupées dans une localité,
dans une ville ou autour d’une agglomération. Bruxelles, capitale nationale et
européenne, son statut ainsi que celui des communes de la périphérie, sont un
cas particulièrement intéressant qui est maintenant bien connu non seulement en
Belgique, mais aussi en dehors de la Belgique, par tous ceux qui s’intéressent à
ces problèmes régionaux. Le cas de Bruxelles n’est pas unique et la formule dite
des "communes à facilité", qui a permis de désamorcer des situations
politiquement et humainement difficiles et douloureuses, sera examinée par
ailleurs.
Pour concilier les
réalités politiques, c’est-à-dire une forte conscience de la personnalité
politique de chacune des grandes régions et une certaine diversité culturelle,
les constituants belges ont imaginé de superposer deux structures : une
structure proprement gouvernementale grâce aux compétences qui ont été
rétrocédées à la Région wallonne, à la Région flamande et à la Région
bruxelloise, et une structure proprement culturelle qui regroupe la Communauté
française, la Communauté flamande, et la Communauté germanophone.
Ce passage d’un Etat
largement décentralisé à un Etat fédéral ne s’est pas fait sans heurts. Il
fallait rompre de vieilles habitudes administratives, créer de nouveaux
réflexes, réorganiser les structures et les instruments de la vie politique. Les
grands partis nationaux ont été progressivement transformés en partis régionaux
et, dans certains cas, non sans quelques difficultés. Une trentaine d’années et
plusieurs révisions constitutionnelles successives ont été nécessaires pour que
les institutions fédérales et régionales soient définies, leurs rapports
précisés et qu’elles soient enfin mises en place. L’organisation fédérale ainsi
établie est véritablement originale, tout à fait différente de ce qui existe
dans d’autres fédérations en Europe, par exemple en Allemagne fédérale ou en
Suisse. Cela confirme la souplesse du fédéralisme et la possibilité pour lui
d’adapter ses principes et ses règles aux réalités existantes, si diverses
soient-elles. L’exemple belge incite à sourire quand, sur le plan européen, nous
voyons certains adversaires de l’idée fédérale caricaturer celle-ci en
prétendant qu’elle pourrait conduire à des structures centralisées, à la perte
des personnalités nationales, au refus de la diversité culturelle.
Notre propos est donc
d'approfondir ici le contenu de l’expérience belge, d'examiner comment elle
s’incarne dans la vie d’une grande région, la Wallonie, et aussi d’une petite
Communauté très homogène, la Communauté germanophone. Les résultats positifs
seront identifiés, comme les difficultés et les dysfonctionnements éventuels.
Deux types d’enseignement
peuvent être retirés de ces travaux. L’un est de caractère global. Il s'agit
d'apprécier si la structure fédérale contribue véritablement à l’épanouissement
culturel, si elle apporte un dynamisme politique, et si – au moins à terme –
elle est à même de promouvoir le développement économique. L’autre enseignement
pourrait plutôt viser les formules expérimentées pour résoudre certaines
difficultés spécifiques. Elles peuvent provoquer la réflexion et éventuellement
aider à imaginer des solutions possibles aux problèmes rencontrés dans d’autres
pays ou dans d’autres régions.
Une dernière remarque :
la mise en place d’un Etat fédéral en Belgique n’a compromis en rien la
participation de la Belgique à la Communauté européenne. Les quelques
adaptations institutionnelles qui se révélaient nécessaires ont pu être
réalisées à l’occasion du traité de Maastricht, sans que cela crée de problèmes
significatifs. En particulier, la reconnaissance du principe de subsidiarité a
conforté les changements intervenus ici. La présence et l’apport de la Belgique
dans le fonctionnement de la Communauté restent de tout premier ordre, à
l’avantage de ce pays comme de l’ensemble européen.
Encore une fois, je
voudrais dire nos remerciements au président de la Région wallonne et au
gouvernement wallon, pour nous avoir donné la possibilité de cette étude
détaillée du fédéralisme en action, et de cette discussion ouverte d’une grande
expérience fédérale. Je voudrais dire à tous les participants mes vœux pour le
plein succès de leurs travaux et mon espoir que ceux-ci pourront contribuer à
leur réflexion et à leur action dans leur pays.
Emile Noël, L'Europe
des minorités et la Belgique fédérale, dans
La Wallonie, une région en Europe,
CIFE-IJD, 1997