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Institut Destrée, Centre de recherche européen basé en Wallonie

Investir Internet
Note à Stélio Farandjis
Secrétaire général du Haut Conseil de la Francophonie
en vue de la Session du Haut Conseil

Philippe Destatte
Directeur de l'Institut Jules Destrée (Wallonie)
Secrétaire général de la Conférence des Peuples de Langue française

1. De nombreuses initiatives, souvent heureuses, ont été prises en France et dans quelques rares pays francophones dans la perspective des rapports respectifs de Gérard Théry et de Thierry Breton sur les nouvelles donnes liées aux inforoutes ainsi que sur l'avènement de la société de l'information. A l'heure où, dans des environnements budgétaires limités, des choix politiques devront être opérés en matière d'inforoutes, cette note succincte plaide pour investir et coloniser les réseaux existant plutôt que d'en créer de nouveaux, forcément décalés - voire dépassés - dans le temps et dans l'espace.

2. Le réseau Francité, inauguré le 30 juin 1989 dans le cadre de la Dixième Conférence des Peuples de Langue française s'est sabordé le 1er janvier 1995 au profit d'une présence active de son opérateur, le Centre René Lévesque, sur Internet (http://www.levesque.org). En effet, le réseau des réseaux - et particulièrement sa toile de documents hypertextes, ce fameux World Wide Web (1) conçu - on l'oublie trop souvent - par le CERN à Genève, constitue exactement l'outil que nous tentions de développer : une base de données grand format en texte intégral, accessible à distance avec capacité de saisie et de transfert de l'information et utilisant une langue française correctement accentuée. En sus, Internet offre la puissance, la rapidité et la capacité - ouverte - d'intégration ou d'accès à des supports multimédias, tout en restant financièrement abordable pour l'utilisateur. Notre propre découverte d'Internet en décembre 1993, à l'initiative des membres québécois du Comité d'Accompagnement de notre institution, constitua pour nous la concrétisation d'un objectif auquel nous aspirions depuis de nombreuses années et un nouveau point de départ dynamique en matière de développement technologique adapté à nos objectifs.

3. En fait, la fin d'une insécurité technique au sein d'un environnement électronique enfin devenu fiable et performant permet de s'adonner à l'essentiel, c'est-à-dire à la qualité des informations et au soin de leur présentation. Cette priorité retrouvée pour le contenu intellectuel rencontre un enjeu que le Professeur Michel Guillou, Directeur général et Recteur de l'AUPELF-UREF, retenait comme étant l'un des trois pivots du développement de l'interéseau francophone REFER (Réseau électronique francophone pour l'Education et la Recherche), lors des Etats généraux de la Francophonie scientifique en Sorbonne, le 17 février 1995 (2).

4. Opérer un choix entre l'utilisation des réseaux existant (3) et la création de nouveaux réseaux mondiaux est une erreur stratégique face à notre volonté d'assurer la pérennité et le rayonnement de la langue française, de notre culture romane et de nos identités respectives dans la société mondiale et universelle de l'information. En effet, priorité doit être accordée à l'urgence de définir des priorités permettant l'amélioration du service électronique pour les opérateurs et utilisateurs francophones - intégrant une part aussi large que possible de la société, tant sur le plan des milieux sociaux que sur celui des tranches d'âge - et de leur offrir une capacité accrue d'investir dans l'Internet mondial et, ainsi, d'investir le réseau des réseaux avec comme outil et code d'entrée, leur langue maternelle revivifiée : le français.

Un certain nombre de ces mesures prises ou à prendre peuvent être recensées, notamment :

1. l'affectation des moyens financiers disponibles pour nourrir Internet d'informations de qualité en français et installer de nouveaux serveurs en évitant de créer de nouvelles normes;

2. le renforcement, sur le plan commercial, des mécanismes d'échange de données informatisées et de transferts électroniques de paiements. En cette matière, un apprentissage est nécessaire pour faire évoluer les modèles culturels actifs, particulièrement en Europe;

3. le développement de logiciels d'interfaces utilisateurs en français, comme c'est le cas pour le nouveau navigateur Netscape;

4. l'instauration de mécanismes de solidarité avec les pays de la Francophonie dont la technologie est moins avancée afin d'éviter le fossé entre inforiches et infopauvres, ainsi que l'avait souligné le Ministre wallon Elio Di Rupo à l'occasion du Sommet du G7 de février 1995 partiellement consacré aux télécommunications (4);

5. la diminution, sur le plan européen, du coût des services télématiques, à l'instar de France Télécom qui vient de d'annoncer la tarification de l'accès à Internet au prix d'une communication locale (5);

6. la prise en main et la coordination des initiatives et politiques relatives au réseau mondial de communications, tant européennes que francophones, tant nationales que menées au niveau des entités fédérées. En cette matière comme dans le domaine de l'audiovisuel, notre attention entière doit continuer à se porter sur les enjeux locaux au sein même de nos provinces et régions (6);

7. la création d'une nouvelle culture scolaire de recherche de l'information et de documentation. Apprendre aux élèves et étudiants de toutes les disciplines à maîtriser Internet - même en anglais - pour participer à son développement et y amener l'utilisation ferme et progressive du français.

8. la mise en place d'un réseau de bibliothèques électroniques ou virtuelles spécialisées et ouvertes sur Internet, permettant de véritables transferts de développement Nord-Sud;

9. le lancement et la gestion d'une campagne d'information dans les médias classiques afin de casser la diabolisation de l'inforoute - particulièrement d'Internet - et de favoriser l'apprentissage et l'utilisation de cette nouvelle technique par le plus grand nombre;

5. Ces priorités doivent être mises en oeuvres avec diligence. A l'automne 1994 déjà, André Abbou, Président de l'Observatoire français et international des Industries de la Langue et de l'Information électronique, indiquait la voie à suivre pour faire exister des autoroutes de données électroniques en français : un projet mobilisateur et une volonté d'Etat (7). L'heure est assurément aux choix fondamentaux alors que souvent, - on doit le déplorer - certains débats de fond n'ont pas encore été menés ou n'ont pas débouché sur un consensus suffisamment large. Les inquiétudes qui se manifestent en France, au Québec (8) ou qui se sont exprimées récemment en Wallonie, au Parlement wallon (9), sont là pour sonner l'alarme de notre culture française et en appeler à une action rapide et solidaire de la Francité.

Aux Assises européennes de l'Audiovisuel à Paris en octobre 1989, Jacques Delors s'était lui aussi interrogé : Avons-nous le droit d'exister ? demandait-il. Je pense que, davantage qu'un droit, notre existence européenne sur le plan général de l'Audiovisuel est un devoir. En effet, en cette matière, nous nous trouvons confrontés à un enjeu de souveraineté (10) dont nous devrons répondre face aux citoyens de demain et que nous ne pouvons pas exercer dans un ghetto.

Notes

(1) Radu COTET, Le Projet World Wide Web : présent et perspectives, dans Monique NOIRHOMME-FRAITURE et Luc GOFFINET dir., Multimédia, Actes de la Journée d'information sur le multimédia, Namur, le 25 juin 1995, Presses universitaires de Namur, 1995.
(2) Michel GUILLOU, Intervention lors de la séance solennelle d'ouverture des Etats généraux de la Francophonie scientifique, Paris, Sorbonne, 27 février 1995, p. 19.
(3) Internet et les autres prestataires de services en ligne : America on Line, CompuServe, Infonie, Prodigy, etc.
(4) Christine SIMON, Di Rupo : Eviter le fossé entre inforiches et infopauvres, dans Le Soir, 27 février 1995, p. 6.
(5) Annie KAHN, France Télécom, cap sur Internet, dans Le Monde, Supplément Multimédia, 10-11 mars 1996, p. 26.
(6) Philippe DESTATTE, L'Audiovisuel et les Autoroutes de la communication, Moncton (Acadie), Comité permanent de la Conférence des Peuples de Langue française, 14 août 1994, p.14.
(7) André ABBOU, Autoroutes électroniques françaises : entre le rêve américain et la "machine à flasher", dans Universités, Octobre 1994, p. 41.
(8) Michel CARTIER, A Demain la veille, La mise au rancart du Réseau de veille sur les technologies de l'information révèle le retard important du Québec dans ce domaine, dans Le Devoir, 23 janvier 1996.
(9) Xavier DESGAIN, Proposition de Résolution visant à ouvrir un large débat sur les enjeux économiques, sociaux, culturels et démocratiques liés à la société de l'information et en particulier aux autoroutes de l'information, Parlement wallon, Session 1995-1996, 5 décembre 1995 (Document 94 (1995-1996) - N 1).
(10) Henry MORNY, Les Vrais enjeux du multimédia, dans Le Figaro, 19 décembre 1995, p. 5-6. (A propos de la journée de réflexions organisée le 19 décembre 1995 par le Centre d'Etude et de Prospective stratégiques).

 

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