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Treizième congrès des Economistes belges de Langue française
Wallonie et Bruxelles : évolutions et perspectives

 
Allocution de bienvenue

Jean-Pol Demacq
Premier Échevin
Échevin de l'Éducation, de la Formation et de l'Économie sociale de la Ville de Charleroi

 

Charleroi, le 26 novembre 1998

Permettez-moi de vous dire le plaisir qui est le mien d'accueillir, à Charleroi, le treizième congrès des Economistes belges de Langue française.

Lorsque, en 1987, le bourgmestre Jean-Claude Van Cauwenberghe avait ouvert votre septième Congrès, c'était pour constater combien le thème traité – les niveaux de vie des Belges – correspondait à une préoccupation permanente et active des responsables politiques et sociaux de Charleroi.

Onze ans plus tard, dans une approche à la fois plus large – les évolutions et les perspectives de la Wallonie et de Bruxelles – mais tout aussi soucieuse du bien-être équitablement réparti, vous abordez à nouveau ce thème dans une de vos commissions, vous mesurez l'évolution qu'il a suivie, vous envisagez celles qu'il devra affronter.

Cette démarche générale d'évaluation caractérise parfaitement l'ensemble de vos travaux préparatoires, dont, comme souvent lorsqu'il s'agit de vos rencontres, la qualité ne peut que que nous impressionner.

Le quatrième congrès La Wallonie au futur, qui s'est tenu à Mons en octobre dernier était intitulé Evaluation, innovation, prospective. Il a décrit trois outils comme étant porteurs en termes stratégiques : d'abord, l'évaluation démocratique, ensuite, le dialogue social et la contractualisation – moteurs d'un vivre ensemble régional –, et enfin la prospective dont – au titire de président de l'Institut Jules Destrée – j'ai appelé de mes voeux la création d'un centre indépendant wallon, inscrit dans le réseau européen et nord-américain de visions prospectives et futuribles, de façon à articuler, en permanence, la prospective, le projet et son évaluation.

Au delà, j'ai été interpellé par l'idée, martelée voici trois semaines lors de la troisième conférence de la Société européenne de l'Evaluation, selon laquelle les pouvoirs publics doivent favoriser une culture d'évaluation qui encourage l'innovation et l'adaptation à un environnement en mutation. Le message essentiel, relayé par les responsables du programme Puma, consistait à souligner que, pour continuer à répondre aux besoins, les organisations doivent être en mesure de tirer parti des informations recueillies sur leurs résultats. C'est une idée claire et limpide mais trop rarement appliquée.

Pour ce congrès des Economistes, il est manifeste, à la lecture de la documentation fournie, que vous avez constitué et commencé à exploiter un ensemble remarquable d'instruments de mesure. C'est notamment grâce à ces outils que les politiques menées tant dans le secteur public que dans le secteur privé pourront être analysées de plus en plus finement et comparées aux objectifs explicitement définis ou implicitement visés, objectifs qui, eux-mêmes, pourront être réinterprétés, redéfinis, réajustés.

Il faut cependant aller plus loin. Et vous le faites.

Tout d'abord, vous balisez l'avenir en y relevant les multiples défis qui vont se poser aux deux régions que vous avez voulu étudier ensemble : la Wallonie et Bruxelles. Ce faisant, vous faites preuve d'innovation. D'abord, parce que vous posez sérieusement la question de leur développement économique et social commun en cherchant l'intérêt non seulement de la Wallonie pour la capitale de l'Europe, ce qui est classique, mais aussi de Bruxelles pour la Wallonie, ce qui est novateur. Ensuite, vous faites preuve d'innovation parce que vous mettez en évidence la nécessité de ce développement commun, à partir des trois pôles potentiellement structurants que sont Bruxelles, Liège et Charleroi, alors que, beaucoup trop souvent, on a laissé penser – et on a agi en pensant – que, seul le pôle bruxellois pouvait être actif. Même si c'est le terme d'espace Wallonie-Bruxelles que vous utilisez – concept, que vous me permettrez de considérer comme était plus politique qu'économique –, vous vous inscrivez bien dans ce que le patron de nos relations internationales, Philippe Suinen, relevait lors d'un colloque international à Liège sur le fédéralisme, la mise en place progressive d'une fédération, celle constituée par les deux régions que constituent la Wallonie et Bruxelles, dans le respect de leurs personnalités propres.

D'ailleurs, si, dans le rapport préparatoire de synthèse vous posez à nouveau la question de la fusion Région - Communauté pour – je cite – utiliser les marges que pourrait dégager la Région wallonne dès 1999, c'est pour souligner que cette idée ne constitue pas la panacée économique. Cette vision institutionnelle n'est d'ailleurs plus à l'ordre du jour du calendrier politique, tout comme, j'en suis persuadé, l'idée qui pourrait être séduisante économiquement pour Bruxelles, d'un redécoupage des frontières des régions. Cette hypothèse ne serait crédible que dans le cas de la fixation de frontières d'Etats, hypothèse qui, elle aussi, me paraît dépasser le cadre de vos deux jours de réflexion.

La troisième étape de votre démarche est déterminante : après l'évaluation et l'exploration, c'est celle des propositions pour l'avenir.

Dans un exercice qui a souvent été caractérisé par la prudence, vous n'hésitez pas à suggérer aux décideurs économiques, sociaux et politiques des mesures très concrètes portant sur la perception de l'impôt, sur la gestion globalisée des ressources publiques, sur l'amélioration de l'efficacité des aides publiques à l'égard des petites et moyennes entreprises et des demandeurs d'emplois les plus défavorisés, sur la création d'une métropole tripolaire Liège - Bruxelles - Charleroi, sur un mode de scrutin qui permette de dépasser l'attachement actuellement trop grand des élus régionaux à leur arrondissement et qui favorise à la fois l'intérêt régional et la mobilité, sur la prise en compte des différentiels régionaux dans les négociations salariales, sur l'impact de l'aménagement des deux territoires sur leur développement économique, sur une fiscalité foncière favorable à la redynamisation des centres urbains et aux aspects environnementaux, sur un alignement du coût des transactions immobilières, sur une modernisation de la protection sociale, etc.

Parmi ces propositions, permettez-moi de mettre en exergue celles qui rejoignent le plus directement les politiques mises en œuvre à Charleroi : d'abord la constitution d'une métropole tripolaire Liège - Bruxelles - Charleroi – sans négliger le rôle que pourrait jouer Lille, centre de près d'un million d'habitants, par rapport à notre propre développement –, ensuite la redynamisation des centres urbains favorisée par une fiscalité foncière rénovée et, enfin, la lutte contre l'exclusion – assurément prioritaire –, travail qui fait partie de mon quotidien d'échevin et de travailleur social.

Cette lutte contre l'exclusion que vous envisagez ne doit pas être uniquement une lutte contre l'exclusion à Charleroi, dans le Hainaut, en Belgique ou en Europe. Nous oublions trop, dans nos modèles, dans nos craintes et même dans nos fantasmes sur les disparités en matière de niveau de vie ou de sécurité sociale, que nos frontières n'ont que peu de valeur au plan de la détresse humaine, que nos moyennes ou résultats, régionaux ou fédéraux, ne sont pas les seuls critères sur lesquels nous devons faire porter nos jugements. Relativisons, je vous en prie, la question de savoir si la scission hypothétique de la sécurité sociale entre la Flandre et la Wallonie apportera aux Wallons une réduction de prestation de 25 ou de 11,3 %, relativisons cette estimation à l'aune de la différence de prestation que nous pourrions apporter à l'Afrique centrale, si, comme nous y invitait le ministre-président Robert Collignon le 24 octobre dernier, nous voulions assumer quelque peu les responsabilités économiques et sociales qui sont les nôtres, par exemple à l'égard de la région des Grands Lacs.

Certes, ces politiques humanistes ne devraient pas être menées par des régions seules, elles devraient faire partie de politiques concertées au niveau européen. Mais quel que soit le problème envisagé, doit-on attendre que le monde entier adopte des normes sociales et environnementales de développement soutenable, pour que nous menions des politiques dans ces domaines ? Non, évidemment. Nous n'avons pas attendu et je n'ai pas à vous le rappeler ici, à Charleroi, où, à défaut d'un combat – plus tardif – pour l'environnement et bien qu'il existe des textes importants de Jules Destrée sur cette question, le combat social est déjà séculaire.

C'est sur ces questions aussi que se greffent les analyses de Hans-Werner Sinn – que vous mettez en évidence – sur la concurrence intense qui se développe au sein même de l'Europe. C'est d'ailleurs son compatriote social-démocrate Gehrard Schröder – interrogé par le journal Le Monde sur le débat de la répartition du temps de travail, un an avant de devenir Chancelier – qui regrettait que l'on n'ait pas introduit en France la semaine des 35 heures avec maintien du salaire : cela aurait donné – disait-il – un avantage à l'économie allemande !

Comme vous l'avez déjà constaté en lisant les rapports, comme vous en aurez la confirmation au cours de vos travaux et débats, l'intérêt de ce congrès me paraît d'autant plus grand que vous y avez étroitement associé, cette année, partenaires sociaux et responsables politiques pour qu'ils écoutent vos questions et vous posent les leurs. C'est la meilleure façon de faire naître ce que l'économiste et ancien premier ministre québécois Jacques Parizeau appelle la nécessaire conspiration des pouvoirs publics et des entreprises privées.

Bien que non-économiste – nul n'est parfait en ce monde – j'aimerais, moi aussi vous adresser une question.

Alors que le discours ambiant porte sur la mondialisation – dont Yves de Wasseige rappelait encore récemment le caractère largement mythique – et sur les marchés libres ou à libérer, on sait qu'il existe, derrière cette vision du développement – qui n'est pas nécessairement celle du développement soutenable – des groupes d'actionnaires et de financiers extrêmement puissants qui dictent leur loi : la loi du return. Si je ne me trompe, cette loi exigeait hier un retour net de 10% sur le capital investi. Aujourd'hui, on semble s'acheminer vers des exigences de 13, 14 voire 15 % de return. Dès lors, ma question est celle-ci : une économie sociale de marché – dont vous démontrez qu'elle est la plus apte à créer cette convergence entre l'efficacité et l'équité, gage d'un développement durable –, peut-elle s'accommoder de telles exigences ? Enfin, en termes d'emploi et de bien-être, quelles perspectives ouvriraient la réduction de ces exigences ?

Sachant que des questions simples d'apparence requièrent des réponses parfois très nuancées et très complexes, je n'attends pas que vous les abordiez aujourd'hui, au risque de vous distraire partiellement de vos travaux. Ce congrès n'est d'ailleurs pas le dernier que vous organisez, mon cher Albert Schleiper, peut-être pourrez-vous inscrire cette problématique lors d'un prochain ordre du jour ?

Avant de vous souhaiter l'excellent travail que méritent vos assises, je voudrais encore émettre un vœu, dans la philosophie d'implication et de citoyenneté que le professeur Marcel Gérard fait sienne, en soulignant que ce congrès n'est pas seulement une rencontre de chercheurs interpellant les décideurs économiques. Puisque l'heure, en Wallonie, est à l'initiative et à l'action – et j'écoutais avec intérêt le nouvel administrateur délégué de l'Union wallonne des Entreprises le rappeler à la RTBF ce mardi matin, on peut considérer – dans un esprit de discrimination positive – qu'il y a dans cette salle deux types d'économistes. Non pas, comme le disait l'historien Georges Duby en parlant du Moyen Age, ceux qui prient et ceux qui travaillent, mais plutôt, ceux qui ont une expérience quotidienne de création ou de gestion d'entreprises et ceux qui analysent, coordonnent la recherche et imaginent de nouveaux développements. Mon espoir est que, face à l'adversité économique, structurelle ou conjoncturelle, mondiale ou régionale, les uns et les autres se rejoignent dans l'expérience et dans l'action.

N'était-ce pas Jacques Drèze qui disait que le chômage est une calamité, mais pas une fatalité, que beaucoup sous-estiment la calamité mais exagèrent la fatalité ?

L'action que, chacun d'entre vous, vous entreprendrez dans les mois et les années qui viennent permettra, j'en suis persuadé, de modifier le cours des choses. Dès lors, on pourra répondre à la question que l'on posait hier en d'autres termes parlant du Vatican : le congrès des économistes de langue française, combien de spin-offs, combien d'entreprises ?

Je vous remercie et vous souhaite un excellent travail à Charleroi.

 


 

 

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