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Commission spéciale chargée de débattre des modes d'expression de l'identité wallonne
Audition de Philippe Destatte - Historien, directeur de l'Institut Jules Destrée - 19 février 1998

A plusieurs reprises il m'a été donné de récuser le concept de sentiment d'appartenance, dans l'approche de l'identification wallonne, pour lui préférer celui de volonté de participer (1). Assurément, cette démarche relève davantage, dans la volonté de l'Institut Jules Destrée, d'une intention d'efficacité et de mobilisation autour d'un projet plutôt que d'une propension à céder au goût du jour ou à une mode relativement récente - qui ne touche d'ailleurs pas uniquement la Wallonie - selon laquelle toute démarche ne pourrait aboutir que si elle était au départ qualifiée de citoyenne.

En effet - et il me paraît que c'est bien le sens de votre travail de parlementaires wallons - il s'agit au travers de votre commission spéciale chargée de débattre des modes d'expression de l'identité wallonne, de donner des orientations au Parlement lui permettant de mobiliser les Wallons autour d'une volonté commune et de faire en sorte que le Parlement - et je crois avec vous que c'est essentiel - soit au centre et à la tête de cette dynamique (2).

Pourtant, et vous le savez, c'est un dossier difficile, et même un mauvais dossier.

En effet, malgré votre précaution de tenir vos séances hors des activités habituelles du Parlement, le procès vous est quand même fait de privilégier des sujets connexes ou secondaires. Et je ne vous étonnerai pas si je vous dis que, comme vous, depuis le début de ce mois où j'ai reçu votre invitation, j'ai interrogé de nombreux interlocuteurs sur l'intérêt et la pertinence de nos questionnements. Je me suis entendu répondre que les questions posées - hymne, drapeau et fête - étaient des questions dérisoires, sinon futiles, et en tout cas hors sujet - comme disent les professeurs de lettres - à côté de ces thèmes de dissertation pertinents que peuvent être - ou que seraient - l'emploi, la monnaie, l'environnement, le social, les valeurs, etc.

Ainsi, d'une part, il me paraît - mais vous jugerez peut-être que moi aussi je suis hors sujet - qu'il est indispensable que vous puissiez décider rapidement sur les questions de forme que sont l'hymne, le drapeau et la fête, sans faire de concours, ni d'appels au public, ni d'appels d'offre, ni toute autre forme de publicité, car les médias n'étant pas favorables à la Wallonie - c'est un euphémisme - vos démarches, comme celles de l'Institut Jules Destrée à ce sujet, continueront à être tournées en dérision.

D'autre part, et au risque de vous apparaître comme porteur d'un plaidoyer pro-domo en tant que directeur de l'Institut Jules Destrée, j'ai la conviction que le temps que vous pourrez récupérer par votre traitement rapide de ce que vous avez appelé les signes distinctifs de l'identité wallonne, ce temps sera mis judicieusement à profit en travaillant sur votre troisième volet portant sur le projet de Constitution wallonne.

Je pense en effet - et je l'ai longuement écrit - qu'il n'y a pas d'autre critère ou moteur d'affirmation de la Wallonie que ceux définis en tant que valeurs communes à partager. Ces valeurs, à promouvoir, doivent être celles de Wallonnes et de Wallons définis simplement comme habitants de cet espace territorial qu'est la Wallonie. Il faut donc, au plus vite, définir les principes sur lesquels vous voulez construire notre avenir dans cet espace. Qu'on appelle ces principes Constitution, charte, ou par d'autres noms a peu d'importance. L'essentiel, je le répète, est de définir ces principes et, bien sûr, de mener des politiques qui visent à les mettre en œuvre, avec volonté, avec détermination et avec fidélité à l'égard de ceux qui y ont souscrit.

Lorsque je dis qu'il est indispensable que le citoyen se retrouve dans le modèle d'identité qui lui est proposé, c'est parce que son implication - fondamentalement nécessaire -, est à ce prix.

Or, - les chercheurs français, notamment, qui s'attachent à décortiquer les modes de promotion de l'identité régionale, le montrent - identité et légitimité constituent les clefs de la communication. Entre région historique et région exclusivement administrative - que l'on pense à la Bretagne et à la région Centre, en France, - toute la différence de motivation et d'action trouvera son origine dans la légitimité du message (3). Je vous épargnerai les pages de Michel Foucault ou de Max Wéber sur ces questions mais elles sont essentielles.

La Wallonie n'est pas une région historique à identité forte, comme la Flandre ou la Bavière, elle n'est pas non plus une région simplement administrative. Dès lors, il me paraît essentiel qu'elle appuie ses symboles et son architecture sur les filigranes de son histoire récente, lorsqu'elle peut se revendiquer de la déontologie et de l'honnêteté intellectuelle.

Si vous voulez bien, j'examinerai successivement la question de l'hymne wallon, celle de la fête de la Wallonie et celle du drapeau wallon.

1. L'hymne wallon

L'initiative de la proposition de décret créant un hymne wallon est intéressante car elle sanctionne une démarche qui s'ancre dans l'histoire et évite d'ouvrir un nouveau débat de fond.

Une certaine légitimité peut en effet être tirée de l'importance du concours organisé par la Ligue wallonne de Liège de 1899 à 1901, de la personnalité du secrétaire puis président de cette ligue, le libéral Julien Delaite, auteur du premier projet wallon de fédéralisme (1898), des discussions (et même des hésitations) au sein de l'Assemblée wallonne, autour notamment de la langue à choisir pour le chant (Marcel Thiry et Marie Delcourt plaideront, après la Première Guerre mondiale, pour l'adoption d'un chant en français) et finalement de son adoption officielle en 1935 par l'Assemblée wallonne qui favorise également les versions dialectales dans toutes les sous-régions de la Wallonie.

De plus, on oublie que, voici à peine une quinzaine d'années, la plupart des réunions politiques du Mouvement wallon mais aussi des libéraux et des socialistes wallons se clôturaient par le Chant des Wallons. Le texte de Bovy et la musique de Hillier ont d'ailleurs bénéficié d'un certain nombre de petites reconnaissances de fait comme, à titre d'exemple, l'exécution de l'hymne lors de la remise du Prix Roi Albert depuis 1931 et l'incident de la fin des années soixante au Théâtre de Namur, rapporté par Paul Lefin.

Le texte, qui m'apparaît plus jeune que bien des compositions - et plus particulièrement que la Marseillaise ou la Brabançonne -, ne manque pas de qualités. Le caractère désuet - que certains semblent lui attribuer de prime abord - ne surgit que si on considère qu'il a été écrit avant-hier.

Le premier paragraphe semble forcé aujourd'hui car la situation économique à laquelle il est fait référence n'est plus celle de 1901. C'était déjà le cas dix ans plus tard et encore davantage au moment de l'adoption officielle en 1935. Néanmoins, il faut voir un élément très positif dans cette valorisation - même surfaite globalement mais pas dans certains secteurs - des valeurs liées à l'économique, à la culture, à la recherche et aux libertés. L'affirmation de la fierté wallonne aujourd'hui peut agacer, elle n'en est pas moins indispensable. On ne sait d'ailleurs pas quelle sera notre situation économique dans cinquante ans.

Le deuxième paragraphe portant sur l'histoire a été judicieusement supprimé dans la proposition. Cette suppression prend toute sa valeur dans le message dont elle est porteuse : le refus par le Parlement wallon de la fondation d'un nationalisme construit sur une histoire mythique, agressive et différentialiste.

Le troisième paragraphe porte sur la fraternité, la solidarité, la modestie dans l'altruisme. Il est porteur d'exemples. Il est lié à un projet wallon ouvert et attaché à des valeurs tant chrétiennes qu'humanistes. Il est d'actualité.

Le quatrième paragraphe est très intéressant. Il met lui aussi en avant les valeurs comme motivation de l'attachement à la Wallonie, petit pays - c'est-à-dire en référence au grand pays que serait la Belgique - et indique bien la volonté des Wallons de ne pas exacerber un sentiment national (sans trop le proclamer). Le texte stigmatise la crainte et la peur - davantage d'ailleurs que les adversaires - et la capacité de colère défensive de la population wallonne.

Des difficultés de traduction subsistent dans la version présentée dans la proposition de décret, notamment la traduction de la phrase : Et nos avans dès libertés timpèsse, qui semble mal traduite par Et nous avons des libertés en masse, formule qui, selon l'Union culturelle wallonne, ne rend pas la notion de durée dans le temps (qui datent et qui dureront) que marque le mot timpèsse. Il faudrait dès lors s'inspirer de préférence d'une traduction qui aurait été faite par la Professeur Rita Lejeune, dont l'Union culturelle wallonne nous assure qu'elle ne peut être que la meilleure.

Parallèlement, je crois que le Parlement wallon ferait un geste important à l'égard de la population wallonne, s'il reconnaissait comme hymne officiel Li Tchant des Wallons de Théophile Bovy et de Louis Hillier, en publiant les deux versions, wallonne liégeoise et française, la seconde seulement devenant l'hymne officiel de la Wallonie puisque nous sommes d'abord constitutionnellement en région de langue française. Le Carolorégien habitant la Famenne que je suis n'en serait pas meurtri, puisque cette version a largement dépassé le domaine liégeois. Les nombreux témoignages que j'ai recueillis ces derniers temps en attestent comme le fait que, dans les années soixante encore, on enseignait au lycée de Charleroi le Chant des Wallons en wallon de Liège.

Enfin, il me paraît qu'une traduction allemande du texte wallon devrait être réalisée par égard à la population de la Communauté germanophone, sans que - et cela devrait peut-être être indiqué dans la proposition - ce chant ne puisse y être imposé.

2. Le jour de fête

Lorsque, le 27 septembre 1975, se tient pour la première fois la fête de la Communauté française, le président du Conseil, Emile-Edgar Jeunehomme, lève son verre au roi, à la Belgique communautaire et à notre Communauté culturelle française (4). Dans le discours qu'il vient de prononcer, le président du Conseil culturel a tenu à dissiper l'une ou l'autre confusion au sujet du 27 septembre: c'est la fête de la Communauté culturelle française et non pas la fête de la Wallonie comme on l'a écrit souvent, dit-il.

Les faits sont plus complexes. Mais, au moins en droit, Emile Jeunehomme a raison. Depuis le 24 juin 1975, le Conseil culturel a adopté une proposition de décret relative au drapeau et à la date de la fête de la Communauté culturelle française. Le décret qui en est issu, daté du 20 juillet 1975, a été publié au Moniteur belge du 14 août 1975.

Ce texte, déposé le 16 juin 1975 par Fernand Massart et inspiré par Maurice Bologne, a repris les choix que l'Assemblée wallonne - ce Parlement informel - avait faits en 1913 pour se doter d'un drapeau et d'une fête nationale. Ainsi, le jour du 27 septembre est choisi pour célébrer l'identité de la Communauté française de Belgique (5). Il faut d'ailleurs immédiatement noter que le choix de la date s'écarte quelque peu du choix sanctionné par le décret du 20 avril 1913 de l'Assemblée wallonne. En effet, celle-ci disposait en son article 3 : La fête nationale de la Wallonie se célébrera le dernier dimanche de septembre; elle aura pour objet la commémoration des journées révolutionnaires de 1830 (6).

Au delà de ce choix - qui en vaut un autre pour la Communauté française, et veut mettre en avant la solidarité entre la Wallonie et Bruxelles - les historiens se sont interrogés sur la pertinence de l'événement que constituerait la date du 27 septembre 1830. Il ne se serait rien passé ce jour-là, a-t-on dit, en voyant dans ce choix la main des politiques, la turpitude des historiens à leur solde et, pour tout dire un mythe à déconstruire. C'est évidemment la thèse d'Anne Morelli (7).

Les choses sont pourtant, sous ce plan-là, assez claires. Une brochure a été largement diffusée dans les écoles ainsi que dans le public par Paul de Stexhe, nouveau président du Conseil culturel, rédigée dès 1976 par Hervé Hasquin et Georges Van Hout. On y lit, sous le titre, Pourquoi le 27 septembre?, que, dans la nuit du 26 au 27, entre trois et quatre heures du matin, les Hollandais parviennent à évacuer le parc, silencieusement et dans un ordre parfait, s'épargnant ainsi la reddition.
Cette fuite consacre la victoire de Bruxelles et des volontaires wallons.[...] (8).

Le mythe, assurément n'est pas là où d'aucuns ont cru le dénicher puisque, premièrement, le Conseil culturel n'a pas essayé de vendre un événement sanglant le 27 septembre et que, deuxièmement, l'Assemblée wallonne n'avait pas choisi cette date précise.

Là où, par contre, les historiens curieux peuvent apporter leurs lumières, c'est pour montrer - comme l'a fait Philippe Carlier - que, d'une part la date elle-même a une histoire, et que, d'autre part, les combats du Parc n'étaient peut-être pas le modèle de solidarité entre Bruxellois et Wallons que certains ont voulu décrire.

En effet, si le mouvement wallon avait choisi, en 1913, de commémorer les Journées de septembre 1830, c'était pour manifester son hostilité aux lois linguistiques reven-diquées et obtenues par les Flamands et pour les menacer d'une nouvelle révolution, dans le même temps, d'ailleurs, où ils conservaient encore pour la Belgique de 1830 une relative nostalgie.

De plus, la commémoration des combats de Septembre était presque aussi ancienne que la Belgique puisque, sur proposition de Charles Rogier, le Congrès national décida en 1831 d'en faire des fêtes nationales. Cette situation s'est prolongée jusqu'en 1880 (9).

Enfin, l'historien américain Rooney a battu en brèche l'exaltation du rôle des Wallons dans les Journées de Septembre, en mettant en évidence le fait que la liste des morts et des blessés qu'il a identifiés parmi les insurgés tombés au combat, était en majorité composée de travailleurs manuels de Bruxelles ou des faubourgs, soit essentiellement flamands (10). Dès lors, si un mythe doit s'écrouler, c'est bien celui qui repose sur la déclaration de Jules Destrée et de ses amis, affirmant que ce sont les Wallons qui ont fait 1830.

Tout cela serait peu signifiant si le désordre ne s'était encore accentué depuis 1975. C'est avec raison d'ailleurs que, lors de la discussion de la proposition Massart du 16 juin 1975, le sénateur Jacques Hoyaux, qui en avait suivi les travaux, a souligné que la confusion politique et la complexité de nos institutions ont influencé l'économie de ce texte et peuvent être le fondement de réticences et de réserves (11).

La confusion était immense en effet. D'abord dans le chef de Fernand Massart lui-même qui, en fait, avait déposé une première proposition en 1972 dont l'application était limitée à la Wallonie : fête de Wallonie, drapeau de la Wallonie. Le Conseil d'Etat avait rendu un avis négatif sur la démarche, estimant - à mon avis par juridisme - qu'on ne pouvait trouver que dans l'article 59bis de la Constitution la compétence recherchée, de même qu'on ne pouvait pas adopter un projet de décret qui s'appliquerait seulement à la Wallonie, en d'autres mots, qui donnerait un drapeau à une entité plus restreinte que la Communauté elle-même. De cette manière, certes à un moment de préhistoire pour la Région wallonne, le Conseil d'Etat déniait à la Wallonie le droit de se choisir officiellement un drapeau et, dans le même temps, une fête (12).

Dans une nouvelle proposition, datée du 18 juillet 1974, Fernand Massart a donc étendu sa proposition à toute la communauté, ce qui, d'ailleurs, provoqua quelques difficultés avec des Bruxellois. Une troisième proposition a été déposée - toujours par Fernand Massart - le 24 juin 1975. Il faut noter que, si de nombreuses discussions avaient eu lieu au sujet du choix du drapeau, le choix de la fête avait été à peine argumebté et le texte rapidement adopté.

La proposition de décret a été votée par 121 voix contre 2 et 14 abstentions dont celles de Jean Gol et de Jean-Maurice Dehousse (13).

La confusion s'est poursuivie pendant vingt ans. En Wallonie, la fête de la Communauté française n'a jamais suscité d'enthousiasme populaire mais semble être devenue une commémoration administrative, sans guère de référence autre que les discours politiques appelant à son maintien ou à sa disparition.

De son côté, la Wallonie inscrit sa commémoration officieuse dans un terreau festif véritable mais trop limité à Namur. La plupart des ligues et des comités jadis créés dans la foulée des initiatives de Jules Destrée ou François Bovesse - pour ne citer qu'eux - se sont souvent essoufflés et les collectivités locales ont été incapables - sauf à Namur, dans quelques lieux de la Province de Liège, un peu à Charleroi, ou, plus récemment à Rebecq - d'en assurer un relais dynamique.

Depuis plusieurs années une proposition pour la fête de Wallonie fait son chemin. Cette idée dispose à la fois d'un atout et d'un handicap. Le premier peut, à mon avis être utilement avancé, le second être avantageusement contourné.

En effet, cette proposition porte sur l'opportunité de se référer à la fondation de l'Assemblée wallonne à l'automne 1912. Ainsi, au moment où ils s'associent pour la première fois en choisissant l'espace de toute la Wallonie, les Wallons créent un Parlement informel sur base d'un représentant par quarante mille habitants, comme à la Chambre. C'est exemplaire. Pendant plusieurs années, l'Assemblée va jouer un rôle considérable en Wallonie, ne fût-ce que grâce aux nombreux parlementaires qui assistent à ses réunions plénières et de commissions. Parmi les 123 membres identifiés de l'Assemblée wallonne, on compte 32 socialistes – en dépit des réticences de l'appareil du POB -, 31 libéraux et 2 catholiques (14). 54 parlementaires en fonction – députés et sénateurs – en sont membres, ce qui donne à l'Assemblée une certaine représentativité. Jules Destrée, qui préside la réunion de fondation, peut affirmer :


Il naît un nouvel ordre des choses. Il n'y a plus ni Liégeois, ni Namurois, ni Borains; une Wallonie se lève enfin qui, des clochers de Tournai aux ateliers de Verviers, prend conscience de son unité et cherche à s'instruire d'un passé qu'elle a trop longtemps oublié, à se renseigner sur un présent qui l'inquiète, et à se préparer à l'avenir dont elle est digne (15).

Ainsi que l'écrit le Moniteur officiel du Mouvement wallon, édité par la Ligue wallonne de Liège, c'est en somme une sorte de Parlement wallon qui est né (16).

Chacun peut mesurer l'intérêt évident de cet événement comme référence et symbole de la Wallonie : ni bataille sanglante, ni commémoration d'une victoire contre un adversaire humilié, mais la volonté de se réunir en assemblée parlementaire et de s'affirmer en démocratie respectueuse de toutes les composantes philosophiques et politiques.

La décision de création de l'Assemblée wallonne a été prise à Namur le 21 juillet 1912 à la suite du grand congrès wallon qui s'est tenu à Liège le 7 juillet 1912. La première réunion de l'Assemblée wallonne se tient à Charleroi le 20 octobre 1912.

Toutes ces dates posent problème car elles s'écartent du moment festif traditionnel de septembre. De plus, le 21 juillet doit être oublié pour des raisons évidentes de clarté.

Le 20 octobre a l'avantage de se situer au moment de la rentrée parlementaire du Parlement wallon dont une filiation avec l'Assemblée wallonne pouvait être établie mais semble trop loin des fêtes de septembre.

Les projets de rentrée parlementaire plus précoce pourraient résoudre le problème. Ainsi, il serait alors possible de choisir comme date de fête de la Wallonie la rentrée du Parlement wallon - en septembre - ce qui serait valorisant pour le Parlement, pour la démocratie et permettrait de faire référence à l'Assemblée wallonne de 1912.

Ainsi la fête de la Wallonie serait la fête de la démocratie wallonne, en commémorant la création en 1912 de l'Assemblée wallonne et en saluant la rentrée parlementaire wallonne, symbole de cette démocratie. Partout, en Wallonie, dans leurs circonscriptions, les Parlementaires wallons seraient les porte-parole de la fête.

Dans cette hypothèse, les quatorze ans qui nous séparent de 2012 pourraient être mis à profit pour préparer, avec des étapes, le centième anniversaire de l'Assemblée wallonne.

3. Les couleurs et le drapeau wallon

Depuis la fin du XIXème siècle, le coq était utilisé par les militants du mouvement wallon comme symbole de leur engagement, tantôt wallon, tantôt français. Même s'il était légitime de s'interroger - comme le fit Arille Carlier dans la revue Wallonia en 1909 (17) - sur la pertinence et les fondements de ce symbole ancestral. L'amalgame provenait d'un jeu de mot, découlant de la double signification de gallus: coq et gaulois.

Une des premières préoccupations de l'Assemblée wallonne et de sa Commission de l'Intérieur, présidée par Paul Pastur, fut le choix de l'emblème qui devait rassembler les Wallons. Un questionnaire, d'abord envoyé aux membres de l'Assemblée puis publié dans La Lutte wallonne du 17 novembre 1912, permit de récolter les nombreux avis sur le choix des couleurs et de l'insigne (18).

La Commission de l'Intérieur a publié un rapport dû au très actif Richard Dupierreux et relatif aux conclusions de l'enquête. Ce texte détaillait les propositions qui avaient séduit : alouette, taureau, sanglier, écureuil... et dont le perron liégeois avait été, par sa haute signification historique et symbolique, le principal concurrent du choix du coq, - après le spirou. La presse wallonne de l'époque connut d'ailleurs une vive animation autour de ce débat.

Dans son rapport, Richard Dupierreux insistait sur la nécessité des abdications locales au profit de la cause commune et prônait l'abandon du perron car, précisément, son symbolisme est purement local et l'on aurait grand peine à le faire accepter par les autres régions. Il concluait donc à l'adoption du coq, animal emblématique de la patrie française, mais en précisant qu'il s'agissait du "coq hardi" à la patte droite levée, ce qui permettait de couper court aux procès d'intention que certains n'auraient pas manqué de faire - et ont fait - en faveur d'une volonté de rattachement de la Wallonie à la France. Jules Destrée, quant à lui, remarquait toutefois que nous avions aussi le droit de marquer notre attachement à la culture française.

La sélection des couleurs a, elle aussi, alimenté les débats qui ont précédé le vote du drapeau définitif: la couleur jaune a été préférée à la couleur blanche, parce qu'elle rappelait, avec le rouge du coq, la principauté de Liège et ses dix siècles d'histoire.

En juin 1913, Jules Destrée publia, dans La Défense wallonne, le décret qui instituait le drapeau wallon :


L'Assemblée wallonne,

Délibérant sur la question des insignes par lesquels il convient d'affirmer l'unité wallonne,
Après avoir entendu le rapport de M. R. Dupierreux au nom de la Commission de l'Intérieur,

Décrète :

ARTICLE PREMIER. La Wallonie adopte pour drapeau le coq rouge sur fond jaune, cravaté aux couleurs nationales belges.


ART. 2. Ses armes seront le coq hardi de gueules sur or, avec le cri "Liberté" et la devise "Wallon toujours"
(19).

Paul Pastur demanda ensuite à l'artiste peintre Pierre Paulus d'en réaliser le dessin, qui a été adopté officiellement le 3 juillet 1913.

Le coq wallon servira à accueillir le roi Albert lors de ses Joyeuses Entrées dans les villes wallonnes. A Liège, dès le 13 juillet, cet accueil constitua l'occasion de montrer, au chef de l'Etat, la volonté de la Wallonie de s'affirmer wallonne :


Et voilà pourquoi, Sire, c'est le drapeau de Wallonie, le drapeau tout neuf d'un peuple très vieux et qui ne veut pas mourir, le vrai drapeau de notre vraie patrie, à nous, un drapeau dans lequel il y a tout notre cœur, et non l'étendard d'une collectivité utilitaire, artificielle et factice, qui vous salue aujourd'hui chez nous (20).

Dès ce moment le drapeau officiel de la Wallonie a bénéficié d'une popularité très importante. Malgré les vicissitudes du mouvement wallon, dans l'engagement constant et résolu de ce que Jacques Hoyaux a appelé le "militantisme du dimanche" ou dans les moments clandestins des résistances wallonnes au fascisme, le coq wallon fut tantôt perçu comme une image d'incivisme belge tantôt comme un symbole de liberté et d'autonomie wallonnes.

Malgré quelques réticences bruxelloises et parce que le Conseil d'Etat avait estimé devoir réserver ce droit aux conseils culturels, la Communauté culturelle française de Belgique, à l'initiative notamment de Maurice Bologne et de Fernand Massart, adopta le coq wallon comme drapeau le 24 juin 1975. La difficulté de la démarche n'avait échappé à personne. Ainsi, en discussion générale, si Jacques Hoyaux avait souligné qu'officialiser ce drapeau, c'est aussi rendre hommage à ceux qui nous ont précédé et qu'il appartenait au patrimoine de la communauté française de Belgique, le sénateur carolorégien avait aussi affirmé que l'avenir est aux régions et qu'il serait judicieux de prévoir un drapeau pour chacune des trois régions flamande, bruxelloise et wallonne. De son côté, Jean-Maurice Dehousse n'avait pas manqué de regretter qu'on s'était écarté d'une position de sagesse : la détermination d'un drapeau wallon, réservé à l'usage de la Wallonie. Pour l'ancien collaborateur de Freddy Terwagne, qui s'abstiendra lors du vote, c'est la communauté qui s'impose et la région qui recule (21).

Le coq retrouva de fait l'Assemblée wallonne qui l'avait jadis créée, lorsqu'il fut arboré le 15 octobre 1980, lors de la première réunion du Conseil régional wallon à Namur. Le Parlement wallon officieux de jadis était devenu Conseil régional officiel.

Il serait souhaitable que la Wallonie puisse disposer d'un drapeau propre, écrivait le député Claude Eerdekens dans une proposition de résolution du Conseil régional wallon, déposée le 18 novembre 1988, relative à l'introduction d'un jour férié légal et à la reconnaissance d'un drapeau officiel pour la région "Wallonie", co-signée par les députés Laurette Onkelinx et Robert Collignon (22).

Il serait impensable qu'il ne s'agisse pas du coq de Paulus, pourrait-on répondre aujourd'hui, tant les couleurs jaune et rouge s'imposent de plus en plus comme emblème de la Wallonie, collectivité territoriale de droit public et Etat fédéré -, de son Parlement et de son gouvernement.

Enfin, peut-être faudrait-il, après avoir choisi le coq wallon comme emblème officiel de la Wallonie, s'interroger sur la pertinence du drapeau de la Communauté française telle qu'elle a été remodelée par la dernière réforme de l'Etat. Ainsi, s'il s'agit bien d'une institution faisant le pont entre les deux Régions, il serait peut-être utile de lui donner comme emblème un drapeau où, comme c'est le cas pour l'Assemblée communautaire française, apparaissent conjointement l'iris et le coq.

4. Conclusion : d'autres expressions de l'identité wallonne

En conclusion, je souhaite rapidement évoquer d'autres expressions possibles de l'identité wallonne.

4.1. La terminologie :

En 1991, Jean-Marie Klinkenberg, professeur à l'Université de Liège, relevait le fait qu'un certain nombre de termes officiels ont déjà un sens dans le langage courant (polysémie), ce qui est le cas de "région" : (région spadoise, région calcareuse, etc.), et que la terminologie en usage fait apparaître toutes les relations entre Etat central et entités fédérées comme étant de sujétion (région avec son corollaire régionalisation). Ces traits de langage, comme d'ailleurs l'abstraction, témoignent d'une réprobation - consciente ou non - de la réforme de l'Etat, de la part de nombreux constituants.

Et Jean-Marie Klinkenberg relevait ceci :


un effet pervers particulier de cette terminologie est de dissocier radicalement "Wallonie" et "région wallonne". Par exemple, la presse ne parle jamais de la rigueur budgétaire de "la Wallonie" : cette rigueur n'est que celle de la "région wallonne". Par contre, si des grèves éclatent sur le sol wallon, ce sera "la Wallonie qui s'arrête". Mais pourquoi ne pourrait-ce être "la Wallonie" qui soit bien gérée (23) ?

Jean-Marie Klinkenberg apportait des solutions à ses constats en demandant qu'on ne parle plus de Région wallonne, mais bien de Wallonie.

Il me paraît essentiel que le Parlement wallon soit le premier à prendre officiellement en compte cette remarque. Un ami me faisait récemment remarquer que sur les enveloppes actuelles du Parlement, le mot "Wallonie" n'apparaît pas.

Le nom de la région est, écrit Hélène Cardy, le premier élément identifiant (24).



4.2. L'inscription des valeurs

Evoquant une formule - que je considère comme déterminante - du Manifeste pour la culture wallonne de 1983: Sont de Wallonie, sans réserve tous ceux qui vivent, travaillent dans l'espace wallon. Sont de Wallonie, toutes les pensées respectueuses de l'homme, sans exclusive, d'ailleurs reprise par le premier président du Parlement wallon élu directement et séparément, j'ai dit un jour sur les antennes de la RTBF que cette formule mériterait d'être gravée sur le mur du futur Parlement wallon en construction.

Je sais qu'on ne construira pas le Botta ni un de ses semblables, mais peut-être pourriez-vous, comme à Montréal, comme à Aoste, réserver une partie de mur, peut-être dans votre salle de séance, pour y inscrire cette formule. Elle exprimera à ses visiteurs, davantage que la musique et les couleurs, les fondements du projet wallon.


4. 3. Les valeurs elles-mêmes

Ce fut le commencement de ma longue intervention. C'en sera sa fin.

L'identification de la Wallonie se fera davantage par les positions, les résolutions et les lois - n'ayons pas peur des mots - que vous voterez que par les tissus et les notes de musique que vous mettrez en mouvement.

La résolution sur le droit de vote aux élections communales, à laquelle trois groupes se sont associés en juillet dernier, contribue plus grandement que toute autre démarche à identifier la Wallonie, à l'intérieur, comme à l'extérieur.

Pour le Parlement wallon, se répéter, chaque jour, - et peut-être aussi l'inscrire quelque part - que défendre la démocratie, c'est défendre la Wallonie. Et inversement. comme le disait Elie Baussart, fonde le Parlement des Wallonnes et des Wallons et renforce la Wallonie.

Certes, la démocratie est une valeur universelle, mais si elle peut continuer à être cultivée ici avec la même volonté farouche que celle qui a animé les Léon-E. Halkin, Georges Truffaut ou Jean Rey, elle constituera avec bonheur la substance de notre identité.

Notes

(1) Philippe DESTATTE, L'identité wallonne, une volonté de participer plutôt qu'un sentiment d'appartenance, dans Les Cahiers marxistes, Octobre-novembre 1997, p. 149-168.
(2) Philippe DESTATTE, La Wallonie, le pari d'une identité sans complexe et sans fantasme nationaliste, dans Joël KOTEK dir., L'Europe et ses villes frontières, p. 215-229, Bruxelles, Complexe, 1996. [Ce texte a été présenté au Parlement wallon le 9 octobre 1995 dans le cadre de l'accueil de la Conférence internationale sur L'Etat et la nation dans l'Europe contemporaine, CERIS-ULB].
(3) Voir Hélène CARDY, Construire l'identité régionale, La communication en question, Paris-Montréal, L'Harmattan, 1997.
(4) Pour la Fête de la Communauté culturelle française, Des "coqs" à Bruxelles et en Wallonie, Ce n'est pas la fête de la Wallonie souligne M. Emile-Edgar Jeunehomme, qui veut "dissiper la confusion", dans La Libre Belgique, 29 septembre 1975, p. 1. - La Fête de la Communauté culturelle française, Pour la première fois : le drapeau "d'or chargé d'un coq hardi de gueules" flotte rue de la Loi, dans La Dernière Heure, 29 septembre 1975.
(5) Georges VAN HOUT et Hervé HASQUIN, Fête de la communauté culturelle française de Belgique, Conseil culturel de la Communauté française de Belgique, [s.d.], 32 p.
(6) Jules DESTREE, Wallons et Flamands..., p. 115.
(7) Anne MORELLI, La construction des symboles patriotiques de la Belgique, de ses régions et de ses communautés, dans Les Grands mythes de l'histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, p. 197-198, Bruxelles, Vie ouvrière, 1995.
(8) Georges VAN HOUT, Hervé HASQUIN, Fête de la Communauté culturelle française de Belgique, Bruxelles, Conseil culturel de la Communauté culturelle française de Belgique, [s.d.]
(9) Philippe CARLIER, La Wallonie à la recherche d'une fête nationale, Un épisode du mouvement wallon à l'aube du XXème siècle, dans Revue belge de Philologie et d'Histoire, t. 68, p. 902-921, 1990.
(10) J.W. ROONEY, Profil du Combattant de 1830, dans Revue belge d'Histoire contemporaine, t. 12, p. 479-504, 1981.
(11) CONSEIL CULTUREL DE LA COMMUNAUTE CULTURELLE FRANCAISE, Session 1974-1975, Séance du mardi 24 juin 1975 (CRI n°11), p. 9.
(12) CONSEIL CULTUREL DE LA COMMUNAUTE CULTURELLE FRANCAISE, Session 1974-1975, 24 juin 1975, Annexe 1, Avis du Conseil d'Etat. - A noter que la proposition de décret de 1972 n'a pas été imprimée.
(13) CONSEIL CULTUREL DE LA COMMUNAUTE CULTURELLE FRANCAISE, Session 1974-1975, Séance du mardi 24 juin 1975 (CRI n°11), p. 9.
(14) Micheline LIBON, Elie Baussart (1887-1965), L'identité wallonne et le mouvement wallon., t. 1, p. 20, Louvain-la-Neuve, 1986.
(15) Ibidem, p. 70. – P.S., L'Assemblée wallonne de Charleroi, dans L'Express, 21 octobre 1912, p. 1.
(16) Assemblée de Charleroi, dans Moniteur officiel du Mouvement wallon, 3ème année, n°6, Liège, juillet - octobre 1912, p. 3. – Jules Destrée, quant à lui, parle de constituante. Wallons et Flamands..., p. 109.
(17) Arille CARLIER, Le Coq gaulois, dans Wallonia, t. 17, p. 170, Liège, 1909. - Yves MOREAU, La Genèse du drapeau wallon, dans Enquête du Musée de la Vie wallonne, t. 16, n°185-188, p 129-175, Liège, 1987.
(18) Jules DESTREE, Wallons et Flamands, La Querelle linguistique en Belgique, Paris, Plon, 1923, p. 113.
(19) La Défense wallonne, n° 5, mai 1913, p. 267. – Jules DESTREE, Wallons et Flamands..., p. 115. – Yves Moreau a relevé l'erreur dans la date de la réunion de Mons : 26 mars au lieu de 16 mars. Y. MOREAU, op. cit., p. 155.
(20) Georges MASSET, Au Roi, notre Hôte, A propos de quelques drapeaux, dans L'Express, 13 juillet 1913, p. 1. – Voir aussi Yves MOREAU, La genèse du drapeau wallon, dans Enquête du Musée de la Vie wallonne, t. 16, n°185-188, p. 162-164, Liège, 1987.
(21) CONSEIL CULTUREL DE LA COMMUNAUTE CULTURELLE FRANCAISE, Session 1974-1975, Séance du mardi 24 juin 1975 (C.R.I. n°11), p. 8 sv.
(22) CONSEIL REGIONAL WALLON, Session 1988-1989, Proposition de résolution relative à l'introduction d'un jour férié légal et à la reconnaissance d'un drapeau officiel pour la région "Wallonie", déposée par M. C. EERDEKENS et Consorts, Session 1988-1989, n°1.
(23) Jean-Marie KLINKENBERG, Wallonie et terminologie, dans La Wallonie au futur, Le défi de l'éducation, p. 459-462, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1992.
(24) Hélène CARDY, Construire l'identité régionale..., p. 13.


 

 

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