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Professeur Gilbert de Landsheere, Congrès La Wallonie au futur, Namur, 05.10.1991. Gilbert de Landsheere

un scientifique au rayonnement mondial,
un grand citoyen wallon

 

 

Le professeur de Landsheere
est décédé
ce 16 janvier 2001.
Il était né le 4 juin 1921.

Le Professeur Gilbert de Landsheere à la tribune, lors du deuxième congrès La Wallonie au futur, Le défi de l'éducation. A ses côtés, Philippe Destatte, directeur de l'Institut Jules Destrée. Namur, 5 octobre 1991. Photo Institut Jules Destrée, Droits Sofam

 

IJD/PhD/01-12

Le décès, ce mardi 16 janvier 2001, du professeur Gilbert de Landsheere, annoncé par la Fondation des Régions européennes pour la Recherche en Education et en Formation, frappe particulièrement la Wallonie.

Dès le début de la démarche La Wallonie au Futur, en 1987, Gilbert de Landsheere s'y était investi avec détermination. Ainsi, il avait, comme membre de l'Académie internationale des Sciences de l'Education, déposé un texte remarquable intitulé Un nouveau projet éducatif pour la Wallonie. Il y appelait au défi de la formation d'un nouveau type d'homme, à la mesure des mutations technologiques du moment et de la nécessité de faire en sorte qu'un plus grand nombre d'enfants apprennent à donner le meilleur d'eux-mêmes intellectuellement. à. Doutant que la Wallonie ait pris conscience de des enjeux que constituent l'éducation et l'enseignement, Gilbert de Landsheere avait dessiné trois scénarios : celui de la stagnation du système d'enseignement et de la formation : menace qui pèse le plus lourdement sur l'avenir de la Wallonie; celui de la désolidarisation provoquant une fracture sociale plus grande de la société entre élites minoritaires bien formées et le reste de la population; ainsi que le scénario dit de l'évolution démocratique. A cette fin, le professeur estimait qu'il fallait donner à la Wallonie un cadre de référence : une conception éducative fondée sur les acquis les plus sûrs de la psychologie, des sciences de l'éducation, de la sociologie ainsi que de l'anthropologie sociale. Et Gilbert de Landsheere concluait :

Ou bien la nation wallonne comprend que sa survie dépend des efforts éclairés qu'elle va consentir pour donner à sa jeunesse, à toute sa jeunesse, les armes nécessaires pour prendre sa place dans la société du XXIème siècle, ou bien elle ne le comprendra pas et il n'est pas exclu que, dans quelques décennies, on viendra visiter à titre touristique ou anthropologique, ce qui s'appellera peut-être "Wallonie-Land"…

Rapporteur de l'atelier portant sur "L'avenir de l'enseignement", Gilbert de Landsheere avait répété à la tribune du congrès de Charleroi que le futur de la Wallonie dépend, en large partie, de la qualité de l'école démocratique qui pourra y exister. Il souhaitait dès lors que, dans la politique générale à adopter, le progrès de l'éducation compte parmi les premières priorités.

Membre du Comité scientifique du congrès La Wallonie au futur, réuni sous la présidence de Michel Quévit, Gilbert de Landsheere allait inscrire l'élaboration d'un projet éducatif cadre – sorte de charte à laquelle tous puissent adhérer sans devoir renoncer à leurs spécificités essentielles – dans les priorités d'actions pour l'échéance 1993. Il allait également soutenir avec ardeur le professeur Georges Neuray dans sa volonté de consacrer le deuxième congrès La Wallonie au futur au Défi de l'éducation. Lorsque celui-ci se tint à Namur, en octobre 1991, ce fut l'occasion pour Gilbert de Landsheere, à nouveau animateur et rapporteur du réseau intitulé L'Avenir de l'enseignement, de dresser un large panorama des questions et enjeux brûlants dont cette problématique est porteuse. Il concluait sa longue intervention dans la grande salle de la Maison de la Culture de Namur avec une infinie grandeur :

Toute décision en matière d'éducation est indissociable de jugements de valeur et des réalités économiques et sociales. Ne fût-ce que par réalisme, les options humanistes et démocratiques s'imposent, car seuls ces deux idéaux sont garants de progrès et donnent l'espoir d'éviter des mouvements sociaux qui pourraient se solder par un désastre.

En revanche, si la raison et la justice triomphent, la civilisation nouvelle qui émerge pourrait dépasser en qualité et en noblesse tout ce que l'humanité a connu jusqu'à présent. (p. 45).

Néanmoins, lors des séances d'évaluation qui suivirent le congrès, le Comité scientifique et – au premier rang, Gilbert De Landsheere –, estimèrent que si l'examen de l'impact du congrès sur la décision politique était très important dans de nombreux domaines, en ce qui concerne spécifiquement l'enseignement, aucun suivi du congrès n'avait pu, dans le domaine de l'éducation, être finalisé au niveau politique. Gilbert de Landsheere en était particulièrement marri. Déjà, au mois de novembre précédent, il s'était adressé plusieurs fois au directeur de l'Institut Jules Destrée pour lui dire sa contrariété et demander que l'Institut prenne publiquement position sur ces questions. C'est à la suite de ces contacts que l'Assemblée générale du 30 novembre 1991 a notamment pris les trois résolutions suivantes, que le professeur liégeois avait directement inspirées :

- Une réforme de notre système éducatif s'impose immédiatement en optant pour une formation interdisciplinaire visant le développement d'une culture générale alliée à une culture technologique et scientifique solide.

- Une réforme durable des contenus scolaires n'a de sens que si elle est accompagnée d'une profonde réforme pédagogique. Un effort budgétaire tangible devrait permettre d'accorder aux sciences de l'éducation et à la recherche dans ce domaine toute l'attention qu'elles méritent.

- Aux facteurs de développement d'un véritable professionnalisme des enseignants, notamment par la formation continue, doit s'associer une réforme des modes d'organisation de notre système éducatif. Il est urgent de rendre aux professeurs une autonomie responsable.

Comme bien d'autres initiatives, celle-ci n'eut pas davantage de prise sur le cours des événements. Le professeur de Landsheere persuada toutefois le Comité scientifique du congrès permanent La Wallonie au futur que l'enjeu résidait dans la question du pilotage du système éducatif et, lors de longues soirées de débats, testa d'ailleurs en son sein plusieurs idées qu'il développa dans son ouvrage consacré à ce sujet et publié chez De Boeck en 1994.

C'est ainsi que fut mise sur pied la conférence-consensus Où en est et où va le système éducatif en Wallonie ? Comment le savoir ? Si la méthodologie de la conférence-consensus a été apportée par Michel Quévit, c'est essentiellement Gilbert de Landsheere qui a été l'artisan de la rencontre en terme de contenu, d'une part, par un dialogue fructueux avec son collègue namurois Gérard Fourez et,, d'autre part, par une collaboration serrée avec plusieurs experts de nos universités - et surtout avec le directeur de l'Evaluation et de la Prospective du ministère française de l'Education nationale, Claude Thélot.

L'intervention de Gilbert de Landsheere lors de cette conférence-consensus marqua fortement tous les participants. Sa parole, en effet, était celle d'un homme en colère :

Je suis plus inquiet et plus en colère que jamais. Inquiet parce que, lors de mes voyages à travers le monde, j’observe les évolutions sociales et compare ce qui se passe dans notre Wallonie par rapport à ce qui se passe à Singapour, au Japon, en France et en d’autres pays qui investissent massivement dans l’éducation et dans le pilotage du système. J'ai l'impression d'un énorme danger, d'un appauvrissement qui s'accélère, d’un désespoir qui s'installe. Or, je garde l'intime conviction que nous possédons des ressources extraordinaires en savoir, en savoir-faire et en d’autres qualités humaines. Si nous pouvions vraiment les valoriser, nous nous porterions beaucoup mieux. La clé de ce succès reste évidemment la base, la formation des jeunes, l'éducation. Il serait temps que l'on puisse agir pour reconditionner, restructurer, redévelopper notre système d'éducation en fonction des données les plus sûres de la recherche en éducation et des nouvelles conditions sociales. (p. 25).

La conférence-consensus déboucha sur une interpellation du monde politique, patronal et syndical qui répondait aux vues du professeur et à son attente de construire une civilisation digne. Une fois de plus, nous avions également plaidé pour la mise en place d'un réseau de centres de recherches en éducation tel qu'il appelait de ses vœux.

Dans la période de préparation du quatrième congrès d'octobre 1998, Gilbert de Landsheere s'était manifesté à plusieurs reprises, soit au Comité scientifique, soit directement, pour participer à l'évaluation de l'ensemble de la démarche entamée depuis 1987. Ainsi, le rapport général de ce congrès reste marqué par l'insistance et la constance du Professeur à dénoncer le peu de cas fait aux propositions formulées :

– Le décret Mission conforte la hiérarchie des filières entre les formations à caractère général et celles qui sont dites qualifiantes.

– La dualisation croissante du système éducatif se poursuit : la synergie entre les politiques sociales et éducatives n'est pas entamée.

– Le pilotage mis en place a peu de rapport avec celui que nous avons préconisé. En cette matière, particulièrement au moment de la définition de socles de compétences, nous avons régressé.

– Le débat de l'ouverture de l'école sur le monde extérieur n'a pas vraiment avancé.

– La formation des professeurs, initiale et continuée, reste catastrophique.

– Le réseau de centres de recherche en éducation est toujours absent.

Gilbert de Landsheere avait demandé au professeur Marcel Crahay de prendre le relais de l'engagement bénévole qui était le sien à nos côtés depuis quinze ans. Les derniers contacts que nous avons pu avoir avec lui nous ont montré qu'il n'avait rien perdu de son idéal ni de sa combativité.

A titre personnel, la disparition du professeur de Landsheere constitue un vide réel. A l'Université de Liège, comme plusieurs milliers d'étudiants, j'avais eu l'occasion de l'écouter parler de la tâche de l'enseignant comme d'une mission déterminante et ouverte qui dépassait très largement le transfert de connaissances. Plus tard, jeune professeur dans l'enseignement secondaire et supérieur pédagogique à l'Ecole normale des Rivageois à Liège puis, comme chargé de cours à l'Institut supérieur de Pédagogie du Luxembourg, j'ai pu mesurer la pertinence des préceptes et des conseils qu'il avait dispensés. Je fis de son ouvrage La formation des enseignants demain (1976), mon premier outil de travail. Certes, on y trouvait des éléments de pédagogie et de psychologie, mais aussi des instruments de sciences sociales de pointe qu'il tirait lui-même de son propre rayonnement international : la systémique, l'évaluation, la prospective – déjà.

Ce n'est que plus tard, bien sûr, que je découvris l'ampleur de l'homme : ses expériences d'instituteur, de professeur dans l'enseignement de l'Etat, la renommée internationale du Laboratoire de Pédagogie expérimentale qu'il dirigeait à l'Université de Liège depuis 1965, la vingtaine d'ouvrages – dont certains traduits en neuf langues ! – qu'il avait rédigés, ses missions à l'Unesco, à l'OCDE, la distinction de Prix mondial de l'Education José Vascondelas, reçue en 1988 du Conseil mondial de la Culture, notamment.

Depuis 1987, ses conseils lucides, ses encouragements constants, ses colères amicales constituèrent pour l'Institut Jules Destrée – dont il était membre – comme pour son directeur, des appuis et des soutiens si fortement motivés et exprimés qu'ils poursuivront leurs effets, bien après son départ.

C'est pour l'en remercier qu'il nous fallait écrire ceci aujourd'hui.

Philippe Destatte
directeur

Eléments bibliographiques liés à l'activité de Gilbert de Landheere au sein de l'Institut Jules Destrée

Gilbert de LANDSHEERE, Un nouveau projet éducatif pour la Wallonie (1987), dans La Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme, Actes du congrès, p. 126-129, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1989.

Gilbert de LANDSHEERE, L'avenir de l'enseignement (1987), dans La Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme, Actes du congrès, p. 126-129, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1989.

Gilbert de LANDSHEERE, L'Avenir de l'enseignement (1991), dans La Wallonie au futur, Le Défi de l'éducation, Actes du congrès, p. 25-45, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1992.

Gilbert de LANDSHEERE, Le pilotage des système d'enseignement, dans La Wallonie au futur, Le Défi de l'Education, Conférence-consensus, Où en est et où va le système éducatif en Wallonie ? Comment le savoir ?, p. 25-31, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1995.

 

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