"Wallonie 2020", Cinquième congrès "La Wallonie au futur" -  Institut Jules Destrée - 2001-2003

 

Wallonie 2020 - Troisième phase - Séminaires : Leçons et débats sur le futur

Technique et société

Thierry Gaudin
président de l’association Prospective 2100, fondateur et ancien directeur du Centre de Prospective et d’Evaluation du Ministère français de la Recherche et de la Technologie, auteur, notamment de De l’innovation (L’Aube, 1998),
coordinateur de l’ouvrage
2100, récit du prochain siècle (Payot, 1990 et 1999) et de  2100, Odyssée de l’espèce (Payot, 1993).

26 mai 2003

Comme le disait Philippe Destatte, le travail que nous avons fait, c'est un travail qui porte d'abord sur l'interaction de la technique et de la société. D'un côté, la société crée la technique par le processus d'innovation; de l'autre, la technique transforme la société d'une manière que la société n'avait pas forcément prévue. Donc, il y a un côté apprenti sorcier dans la manière dont cette interaction technique – société se produit d'autant que la constante de temps peut être assez longue.

Je vais essayer d'expliquer le principal résultat de cette recherche qui s'inspire beaucoup du travail de Bertrand Gilles, qui était notre grand historien des techniques. Bertrand Gilles avait dégagé la notion de système technique. Il voulait dire par-là que, dans la technique, tout est interdépendant. Lorsque quelque chose est perturbé à un endroit, petit à petit, ça rayonne sur tout le reste. Il utilisait cette notion de système technique de manière assez prudente. Nous avons été un petit peu moins prudents que lui et nous avons porté, dès le début des années 80, le diagnostic qu'il y avait un changement systémique de la technique et que ces changements systémiques se produisaient de temps en temps dans l'histoire, un peu comme des marches d'escalier, qui chacune dure environ 2 siècles. Le changement de système technique le plus connu, c'est évidemment la révolution industrielle qui a commencé vers 1700, si on en croit l'ouvrage de Paul Mentoux, et qui n'est pas encore terminée à l'échelle planétaire puisque, il y a peut-être encore la moitié de l'espèce humaine qui attend pour rentrer dans le système technique industriel, qui est en train d'y rentrer, dans certains cas, même à marche forcée, voir le cas de la Chine.

Cette transition suit, comme tous les phénomènes vivants, une courbe en S, une courbe biologique, si on passe d'un palier à un autre palier. En regardant plus loin dans le passé, nous nous sommes aperçus qu'il y avait eu d'autres transitions. Il y en a eu une au 12ème siècle, que Jean Capelle a appelée la révolution industrielle du Moyen Age, qui a elle aussi duré entre 1100 et 1300, et qui s'est terminée de façon catastrophique puisque, entre 1315 et 1475, ça a été le grand déclin où la population de l'Europe a été divisée par 2 avec des phénomènes dramatiques comme la grande peste et la guerre de Cent Ans. Donc, ça ne se termine pas forcément par un palier. Il peut y avoir après un retour à la case départ, assez brutal. Et il semble que la transition de système technique global, il y en ait à peu près une tous les 9 siècles. Il semble qu'il y en ait une vers le 3-4ème siècle avant la chute de l'Empire romain, vers le 6ème siècle avant Jésus Christ : le développement du commerce maritime, les Phéniciens, l'invention de la monnaie et aussi, alors vers - 1500. Mais je ne voudrais pas nous appesantir puisque ce qui nous intéresse, c'est la transition du système technique d'aujourd'hui.

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La Révolution industrielle, elle se caractérise par ces 4 pôles : les matériaux (l'acier et le ciment), l'énergie (la combustion), la microbiologie pasteurienne (les relations avec le vivant, on maîtrise les maladies) et puis le chronométrage taylorien - une structuration du temps qui est en seconde ou en dixième de seconde, qui est un peu plus fine que ce qu'on utilisait au Moyen Age puisque c'était les 7 heures canoniales de Charlemagne; là, on va jusqu'au niveau du seuil du sensible avec les chronométrages qui donnent lieu après à l'organisation dite scientifique du travail, lorsqu'ils se projettent sur le lieu de travail, dans les usines. Donc, ça, ça forme un système complet. Ça forme un système complet et le diagnostic que nous avons porté à partir de 81 – 82, c'est que nous entrions dans un système qui était radicalement différent de celui-là, dans lequel les 4 pôles étaient changés. Les matériaux, ce sont essentiellement les polymères (élastomère, adhésifs, alliage, composite, céramique, etc.), un foisonnement du vocabulaire des matériaux, qui passe de quelques centaines de mots à plusieurs dizaines de milliers et puis aussi, le fait que, autrefois, on était un professionnel d'un matériau, un plâtrier par exemple. Aujourd'hui, on est devant une variété de matériaux et en fait, le designer ou l'industriel même, il doit choisir entre une quantité de matériaux qui peut se compter en millier de possibilités. L'énergie, ça n'est plus la combustion, c'est la transmission instantanée par le réseau électrique, quel que soit le mode de production. Et puis, alors, c'est l'axe vertical, la structuration du temps et la relation avec le vivant, structuration du temps qui n'est plus en seconde, mais en nanoseconde, donc un ordre de grandeur, le milliardième de seconde, donc un temps qui va plus vite que les neurones. Les neurones, ils fonctionnent en dixièmes de secondes. Quand vous croisez par surprise votre mère dans la rue, il vous faut 120 millisecondes pour la reconnaître, ce qui représente 10 pas de calcul de la machine cérébrale. Donc, c'est le dixième de seconde qui est l'unité de base. Le microprocesseur, c'est le milliardième de seconde, donc la machine va plus vite que les neurones. D'où la constitution, nous y reviendrons, d'industries hallucinogènes. Et puis, il y a la relation avec le vivant avec les problèmes de l'écologie, on y reviendra tout à l'heure, donc une relation globale et en même temps, la biotechnologie, c'est-à-dire la possibilité de fabriquer des êtres vivants nouveaux, ce qui donne à l'homme les pouvoirs d'un démiurge sans pour autant lui ôter les instincts d'un primate. C'est une période à haut risque. On y reviendra tout à l'heure.

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Nous avons appelé cela la "révolution cognitive" et non pas la "société de la connaissance", pourquoi ? Parce que quand on parle de phénomène cognitif, on parle en effet de ce dixième de seconde, de ce qui se passe dans ce dixième de seconde où vous reconnaissez votre mère dans la rue, c'est-à-dire du phénomène élémentaire de la perception du traitement de l'information, tel qu'il se passe dans notre cerveau. Et c'est ça la base sur laquelle il faut raisonner. Nous ne sommes plus dans un système où la connaissance est un absolu général. Nous sommes dans un système où il y a plusieurs individus, plusieurs même collectivités qui prennent connaissance et qui sont le siège, le lieu de ce qu'on peut appeler des phénomènes cognitifs. Dire qu'un animal est un lieu de processus cognitif, une entreprise aussi. Il n'y a pas que la boîte crânienne des êtres humains qui est concernée par cette affaire. Donc, nous reviendrons sur cet aspect.

Qu'est-ce qu'on peut dire de cette révolution cognitive, au premier abord. Au premier abord, il y a une infrastructure qui est le réseau de communications. C'est une carte amusante parce qu'elle montre l'année vers laquelle vous avez les différentes régions du monde qui franchissent le cap des 10 lignes téléphoniques pour cent habitants. Une ligne pour 10 habitants, 10 lignes pour cent habitants. Les pays en blanc, ils ont franchi ce cap dès les années 90. Ils sont plutôt à 50 – 60 voire 100 lignes pour cent habitants. Ce sont les pays développés, comme vous pouvez vous en rendre compte. Et puis, vous avez les pays sombres qui eux franchiront ce cap à partir de 2005 et puis, vous avez les pays en bleu clair, c'est-à-dire le cône sud de l'Amérique du Sud et les pays de l'Est, y compris la Chine qui ont franchi ce cap entre 90 et 2005. Et comme par hasard, ce sont les pays qui ont changé de système politique. Quand on fait de la géopolitique traditionnelle, on dit : oui, l'ouverture des pays de l'Est, c'est le résultat d'un complot entre le Pape, Lech Walesa et la CIA. On reste entre gens sérieux. Ce n'est pas quelques millions de lignes téléphoniques qui vont changer quoi que ce soit à l'affaire. Non, nous qui sommes plus modestes, nous disons les communications, c'est comme l'eau, ça prend la forme du vase dans lequel on la met. Si la forme du système de communication change, il y a de bonnes chances pour que la structuration du social change aussi. Et en gros, disons que dans les systèmes qui sont bureaucratiques, c'est-à-dire contrôlés par une organisation en hiérarchie et en étoile, dès qu'il se met en place un système de réseau à commencer par le réseau téléphonique, alors le réseau court-circuite la bureaucratie et la marée d'informations qu'il transporte effectivement rend complètement inopérant le système ancien. Il y a quelques films d'ailleurs russes qui étaient assez prémonitoires à cet égard. Je me souviens d'un qui s'appelait "La petite Véra" qui doit dater de 85 – 86 qui montrait une jeune fille, une jeune étudiante en rupture avec ses parents, lesquels avaient gardé la mentalité classique des Comsomol et qui organisait toute sa vie par téléphone. Elle arrivait à échapper complètement à l'emprise de sa famille grâce à cet outil et effectivement, ce qu'on a vu se développer depuis. Nous, nous avions dès 87 expliqué que l'ouverture des pays de l'Est était inévitable et irréversible. On nous avait dit pourquoi ? A cause du téléphone ? Ça ne va pas, inévitable et irréversible, bien que ça ne se soit pas bien passé. C'est le moins que l'on puisse dire. Parce que la plupart de ces pays ont connu de très très grosses difficultés à la suite de leur ouverture.

Autre aspect de cette civilisation cognitive, c'est que, si on regarde non plus le téléphone mais les internautes, alors là, c'est des chiffres de septembre 2002, on voit qu'à l'échelle mondiale, les 10 % sont dépassés. Il y a 6 milliards d'habitants. On a plus de 600 millions d'internautes sur l'ensemble de la planète. Mais ils ne sont pas dépassés partout. Et comme Internet, c'est vraiment typiquement le système en réseau, à cause du mail, on voit très bien la montée en puissance de ces communications décentralisées par rapport aux communications centralisées, comme par exemple la télévision et les médias de masse. On peut dire, en première approximation, qu'on passe d'une civilisation matérialiste dominée par le scientisme, à une civilisation cognitive, dans laquelle ce n'est plus la connaissance de l'objet par le sujet mais la reconnaissance du sujet par le sujet qui est le phénomène premier, ce qui nous a amenés à écrire cet adage : la reconnaissance précède la connaissance. C'est un adage sur lequel je vous laisse méditer les significations philosophiques qu'il peut avoir.

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Mais, si on regarde les choses un petit peu plus loin, on voit qu'il faut retrouver des éléments sur lesquels appuyer son raisonnement et que l'un des éléments, c'est l'éthologie. L'éthologie s'intéresse en effet, c'est la biologie des comportements et parmi les comportements, il y a les comportements de communication. Ces comportements de communication nécessaires à la survie, ils sont alors, il y a le primate qui nous enseigne que les humains sont tribaux et que l'entreprise finalement est parmi d'autres choses, les associations et tous les groupements, une expression éthologique de l'être tribal de l'espèce humaine, c'est-à-dire l'existence d'un "nous", pas seulement d'un "je" mais l'existence d'un "nous" mais d'un "nous" à l'échelle humaine, c'est-à-dire une tribu, c'est la centaine d'individus, ce n'est pas un million. C'est une extension de la tribu, le sentiment d'appartenance à des millions mais en fait la tribu, c'est les gens qu'on connaît vraiment. On ne peut pas vraiment connaître un million de personnes. Ce n'est pas physiquement possible. Donc, il y a cet effet de proximité et l'un des problèmes justement des entreprises contemporaines, du système actuel des entreprises, c'est que cet effet de proximité, cette limitation de la taille de ce que chacun d'entre nous peut connaître, n'est plus pris en considération parce qu'on est resté dans des modes de raisonnements industriels dans lesquels finalement la multiplication du même apparaît comme quelque chose de tout à fait naturel, normal jusqu'à l'infini, si on peut dire.

Je ne vais pas insister sur ces histoires de politique d'innovation. Simplement, je voudrais dire que, dans une société cognitive, nous avons aussi une structuration différente du processus de production. Les mines étaient l'amont de l'industrie. Finalement, l'industrie, c'était, on a dû prendre la matière première, on transforme la matière première, on distribue la matière première et on consomme le produit fini. Donc, les mines, c'est l'amont de l'industrie. Dans une société cognitive, c'est la métrologie qui est l'amont de la civilisation cognitive avec, en plus, une rétroaction qu'on pourrait appeler l'effet Weight Watchers. Vous connaissez ce groupement de gens qui est né aux Etats Unis. Ce sont des gens qui se pèsent et puis après, vont discuter avec les autres membres de Weight Watchers sur leur poids, l'évolution de leur poids et on observe que cette conscientisation par la mesure, puisque c'est une mesure particulière, aboutit à modifier le comportement des individus; ce qu'on appelle l'effet Weight Watchers, c'est la rétroaction de la mesure et il se trouve aussi, cet effet Weight Watchers, dans d'autres circonstances. Une chercheuse vietnamienne qui a beaucoup travaillé en Afrique qui me disait qu'on observait que, lorsqu'on met un système de mesure de la pollution, la pollution diminue parce que les gens font attention. On savait déjà que lorsqu'on supprime les haies dans le bocage normand, comme les paysans se mettent à ravaler leur maison parce qu'elle devient visible. Et là, c'est un peu le même genre de chose. L'effet Weight Watchers qui rend visible quelque chose aboutit à une transformation du comportement.

Je signale, en passant aussi, un autre phénomène qui lui est purement scientifique qui est la précision, parce que j'ai parlé tout à l'heure de la nanoseconde à propos du microprocesseur. Nous avons déjà aujourd'hui trois Prix Nobel qui portent sur la fentoseconde, c'est-à-dire 10-15 et non plus, 10-9. Alors, la fentoseconde qui a permis un chercheur égyptien qui vit aux Etats Unis d'avoir le Prix Nobel. Elle change complètement la façon de penser de la Physique. Les physiciens vous diront maintenant qu'ils ont à peu près compris comment fonctionne ce qu'ils appellent la décohérence. La décohérence, c'est le phénomène par lequel une onde donne naissance à un corpuscule, c'est-à-dire à nous parce qu'en fait, nous ne sommes qu'un avatar de la décohérence des ondes. Donc, nous sommes tous à l'origine des êtres de vibrations et cette mécanique ondulatoire finalement, elle se consolide mais en fait, l'idée que cette table est solide est une illusion, c'est parce que nos perceptions sont extrêmement grossières que nous pensons que cette table est solide. En fait, elle est faite de vibrations. C'est une vision du monde différente qui est en train de se mettre en place. On a essayé de voir ce que donnerait un tableau des sciences de la révolution cognitive et là, je ne vais pas insister là-dessus mais, disons, à la base, il y a les mathématiques, puis à gauche vous avez Aristote et à droite Platon en gros. Les sciences du vivant et les sciences de la matière et du rayonnement. Et puis au milieu, vous avez tout un tas de choses, l'éthologie, les sciences cognitives, l'étude des interactions technique – société, la pédagogie, etc. qui se développent et qui sont une sorte de filière nouvelle, qui ne sont pas vraiment des sciences au sens de la scientificité Newtonienne, cartésienne à l'ancienne, qui sont des approches semi-intuitives qui posent des problèmes épistémologiques très particuliers, mais qui sont en même temps génératrices de développement économique et de questionnements nouveaux.

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Il faut quand même retenir que la technique mobilise des instruments coûteux et introduit une distance entre les individus, en particulier en milieu hospitalier. Je vais dire entre le soignant et le soigné, il y a une quincaillerie qui s'interpose, qui est de plus en plus épaisse et il en résulte que la relation humaine en pâtit. Si on veut que la relation humaine subsiste, il faut faire un mouvement volontaire pour la reconstruire. Donc, j'ai pris exprès une image de télémédecine, dans laquelle justement un enseignant explique ce qui se passe lors d'une opération.

Autre caractéristique, c'est l'univers informationnel et l'ampleur de cet univers informationnel. Le langage de base, quand on veut se débrouiller dans la rue dans un pays étranger, c'est 600 mots. Un auteur, un romancier, un Simenon, ça sera de l'ordre de 6.000 mots. Un dictionnaire complet de la langue, 60.000. Les références nécessaires pour décrire la science et les techniques modernes, 6 millions. Donc 100 fois une langue, 1.000 fois le vocabulaire d'un homme cultivé. Le résultat, c'est qu'à l'intérieur de l'univers de la technique, il se crée des isolats linguistiques, des sous-ensembles, lesquels ont du mal à communiquer entre eux. Et une grande partie du travail sur la technique est un travail sur la communication pour faire se parler des techniciens qui ont des domaines linguistiques différents. La chose se complique encore du fait de l'unicode. Vos ordinateurs, tous les systèmes d'exploitation sortis depuis au moins 2 – 3 ans traitent l'unicode, c'est-à-dire non plus un code à un octet (256 positions, 256, ça veut dire les lettres, la ponctuation, les chiffres, les majuscules, le umlaut pour les Allemands, le point d'interrogation inversé pour les Espagnols, le c cédille pour les francophones, on peut à la rigueur caser l'alphabet grec et c'est tout). L'unicode, c'est 2 octets. Alors, 2 octets, ça fait 32.768 possibilités, donc les kanji chinois, les cannages japonais, le devanagari indien, le cyrillique, le tamboul, l'arabe et j'en passe, un univers de signes vis-à-vis duquel nous sommes tous des illettrés. La lutte contre l'illettrisme commence aujourd'hui. Et ça vous l'avez par Internet sur votre ordinateur. Vous pouvez mettre sur unicode et vous avez les kanji chinois. J'en connais 5 ou 6. Il en faut 2.000 pour lire le journal. Donc, on est tous sur la même ligne de départ, à l'échelle mondiale.

Voilà, les ordres de grandeur sont importants parce que ça a quand même des conséquences immédiates, c'est que personne ne peut, avec ses 100 milliards de neurones que nous avons tous en standard, arriver ni à maîtriser l'ensemble de la technologie ni à maîtriser les 3.000 langues qui sont en vigueur sur la planète. Donc, il va falloir trouver des modalités d'interpassage qui sont beaucoup plus sophistiquées, beaucoup plus intéressantes d'ailleurs que par le passé.

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Autre aspect, c'est ce que le philosophe Bernard Stigler a appelé le mur du temps, par analogie avec le mur du son. Donc, ce qui est dit, ce que dans une économie cognitive, on n'est pas, contrairement à ce que dit le discours officiel dans une société de l'information, mais dans une société de la désinformation et de l'ébriété. Or, l'économie classique, la théorie économique classique suppose que les usagers sont parfaitement informés, lucides et vigilants. D'où des tentatives d'inversion de la pensée économique qui se manifestent par les grandes réunions de Porto Allegre qui n'ont pas encore débouché sur une pensée économique bien structurée, capable de maîtriser ce que nous avons devant nous. Quand je dis désinformation, je veux dire un système cognitif, il y a quand même pas mal d'expériences, je veux dire, à ce sujet, un système cognitif, il suffit qu'on sature ses perceptions, c'est assez facile soit de lui donner le vertige, soit de l'amener à des clés d'interprétation prédéterminées. Et cette désinformation, elle est parfaitement usuelle, généralisée et quotidienne aujourd'hui. Prenez une heure de télévision, la désinformation, ce n'est pas une information fausse, c'est une information orientée destinée à conditionner le jugement, la pensée et le comportement de l'individu ou des individus qui la reçoivent. Prenez une heure de télévision, vous avez donc 52 minutes de produits d'appel pour 8 minutes de désinformation, que sont les 8 minutes de pub dans lesquelles on vous vend n'importe quoi, en vous montrant n'importe quoi. Plus évidemment, la façon de présenter les actualités. Donc, je n'ai pas besoin d'insister sur la désinformation dans laquelle nous vivons. Simplement, nous n'avons pas encore construit les fonctionnements de résistance qui nous permettent de détecter ce qu'il y a en dessous de ce qu'on est en train d'essayer de nous montrer. C’est d'ailleurs, certainement, une tâche exaltante pour les enseignants du futur.

J'insiste sur ce point, 98 % de notre patrimoine génétique est le même que celui du chimpanzé et les primates, comme beaucoup de mammifères, sont tribaux. Vous avez ici le tribalisme festif, on peut aussi parler du tribalisme agressif et le primate du 21ème siècle a trouvé une manière de réaliser ses besoins d'appartenance avec une multi-appartenance en réseau, ce qui permet de se débrouiller et de s'intégrer un peu dans le système d'information dont je viens de parler. Cet individu appartient à la fois à une tribu indienne parce qu'il a conservé ses nattes et à la tribu des businessmen parce qu'il a la cravate et le Wall Street journal. Donc, il pratique la multi-appartenance mais dans l'univers professionnel, nous pratiquons tous la multi-appartenance. On appartenait une fois à une tribu 24 heures sur 24 de sa naissance à sa mort. On appartient à une entreprise ou à n'importe quelle institution, 8 heures par jour, congés non compris. On appartient en même temps à une famille, un village, des associations, etc. La multi-appartenance est devenue quelque chose de courant pour nos sociétés mais prenez des endroits du monde qui sont encore fortement imprégnés d'esprit tribal, prenez un jeune qui commence à faire des affaires, il y a tout de suite 10 personnes qui lui sautent dessus pour lui dire : il est urgent de financer la fête du village et le mariage de la cousine, ce qui a évidemment la priorité sur l'équilibre des comptes de son entreprise qui n'est là que pour faire le peu d'argent nécessaire pour financer des choses vraiment importantes, la fête du village et le mariage de la cousine. Il est donc poussé par son environnement, à faire ce que nous appelons chez nous, des abus de biens sociaux. Je ne sais pas si vous commencez en Belgique mais en France, les abus de biens sociaux n'ont pas encore disparu, comme vous le savez, y compris dans des grosses entreprises et même, à l'échelle des politiques. Donc, on a, à la fois, je vais dire, cette trace des comportements anciens qui est là et en même temps, les comportements nouveaux car en fait, la loyauté vis-à-vis d'une personne morale n'est pas quelque chose qui est inscrit dans le génome de l'espèce humaine. C'est quelque chose qui est culturel qui est appris. Et donc, l'idée qu'on va passer tout de suite à une société d'entreprise dans laquelle les échanges seront loyaux et tout va baigner dans l'huile, c'est une idée qui est un peu audacieuse, que ce soit pour les pays qui sont encore très tribaux et en développement ou même pour les pays de l'Est. On a bien vu ce que ça donnait.

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Cela va m'amener à quelques indications sur l'évolution récente du capitalisme. Au fond, qu'est devenu depuis qu'il exerce le pouvoir sans partage sur la planète, qu'est devenu le capitalisme ? J'ai intitulé cette partie du Docteur Jekyll à Mister Hyde et j'ai dit, c'est devenu un isme. Le capitalisme n'est pas l'économie de marché. Faut pas confondre. Les marchés, ils sont là depuis la Mésopotamie. Ils ont été inventés en même temps que l'écriture, le système judiciaire, la métrologie, la comptabilité, etc. dans un pays qui aujourd'hui s'appelle l'Irak qui vient d'être bombardé par les Barbares. Donc, le capitalisme, c'est quelque chose de beaucoup plus récent. C'est un marché très particulier, le marché international des capitaux qui a fait évoluer ce capitalisme pendant les 10 dernières années.

La mondialisation, ce n'est pas quelque chose de nouveau non plus. Cet atlas date de 10 ans après Christophe Colomb, vous voyez, c'est la première carte mondialiste, elle date de 1502, il s'appelle l'atlas de Cantineau et on voit l'intention avec les rosaces et les alignements : c'était, après cette expédition, on va baliser pour que les suivants puissent faire un courant d'échanges permanents qui se transformera vite d'ailleurs en un courant de pillage de l'Amérique du Sud avec des effets keynésiens dans l'Europe. Donc, c'est une mondialisation qui est une mondialisation maritime mais avant, il y avait eu la mondialisation de la route de la soie, prolongée par les navigateurs phéniciens à travers la Méditerranée. La route de la soie, je ne sais pas quand elle a commencé. Les historiens ont tendance à dire que c'est au 2ème siècle mais à ce moment-là, elle était complète, c'est-à-dire jusqu'en Chine, de la Méditerranée jusqu'en Chine. En fait, il y a des petits bouts de route de la soie bien antérieurs et en particulier, au 6ème siècle avant Jésus Christ, ça circulait déjà beaucoup. Mais, ce qui s'est passé, c'est que la route de la soie a donné lieu à un développement d'assez importants monopoles de transport par les caravanes. (Après, la femme du prophète Mahomet a possédé des caravanes). Après, au fur et à mesure que l'Islam s'est répandu, c'est devenu un espace, je dirais, sous contrôle, sous contrôle d'un certain nombre de potentats musulmans et les Européens étaient évidemment très mécontents de cette affaire. Ils ont tenté de court-circuiter par le haut en passant par la Russie. Ils ont fait les croisades, ça n'a pas marché.  Comme vous savez, les croisades, c'est un échec du point de vue du déverrouillage en tout cas de ce blocage des transports et la solution est venue justement à l'époque des navigateurs par, d'abord, la ligue asiatique, ça c'était pour la Russie et puis Christophe Colomb et Vasco de Gama. Et le début du déclin de la puissance musulmane a commencé à ce moment-là, quand on a pu faire le tour pour aller commercer avec l'extrême-Orient. Et puis aujourd'hui, nous avons évidemment la mondialisation électronique. Donc, la mondialisation, c'est pas nouveau, c'est quelque chose qui remonte au moins au 6ème siècle avant Jésus Christ.

Mais ce qui est nouveau, c'est la sphère financière. Voilà une idée de l'ampleur de la sphère financière : 700 milliards de dollars par jour de transactions sur le marché d'échanges, 6 fois le PIB mondial, 40 fois le commerce mondial. Ça, c'est de la finance, mouvements financiers, milliards de dollars qui se promènent à travers le monde comme dans les soutes d'un bateau mal arrimé et qui produisent sur leur passage un certain nombre de dégâts. Ce sont les chiffres de 2001. Et puis, évidemment, le volume des échanges des bourses mondiales avec cette bulle de l'an 2000, comme vous pouvez le voir, toujours chiffrée en milliards de dollars. Si je regarde de plus près cette bulle, il y a certains magazines américains qui ont des formules fortes et là, Fortune en a trouvé une et dit : vous avez acheté, ils ont vendu. Les dirigeants ont vendu leurs actions avant que leurs sociétés ne sombrent et on est amené à se demander : est-ce que les bulles font partie du système ? La réponse, c'est sans doute oui. C'est pas une bulle, c'est une pompe aspirante, refoulante et finalement, ça se termine toujours dans les mêmes poches. Et, là, je vais vous montrer quelques éléments. Le salaire moyen entre 1970 et 2000 évalué en dollars constants aux Etats Unis a augmenté de 10 % et la rémunération des 100 PDG les mieux payés a été multipliée par 25 pendant la même période. Donc, un capitalisme de la démesure avec des écarts incroyables et alors, les résultats pour les personnes les plus fortunées, américaines, les voilà. Vous avez, d'après la banque mondiale et le magazine Forms, vous avez à gauche la fortune de la famille Wharton, c'est-à-dire les Wal-Mart. les magasins, ce sont les plus grands, c'est l'équivalent américain du Carrefour, si vous voulez, mais en plus gros. Elle est comparable au produit intérieur brut de l'Egypte. L'Egypte, c'est 75 millions d'habitants. La fortune d'une famille est comparable au PIB de 75 millions d'habitants. Bill Gates et compagnie, comparable au PIB du Pakistan, Warren Buffets de la Roumanie, Mars du Maroc et puis après, il y a les gens de Oracle qui sont deux, les uns qu'on compare à l'Uruguay et les autres à la Slovénie. On voit bien là qu'on est dans des, il y a des gens qui disent : mais pourquoi pas ? Moi, je dis, attention, dans une société cognitive, c'est très dangereux qu'il y ait des gens qui ont trop d'argent parce qu'ils n'ont pas le temps de s'en occuper. C'est comme en Amérique du Sud, il y a des gens qui ont des propriétés foncières incroyables. Ils n'ont pas le temps de s'en occuper et ça fait des terres à l'abandon. Ils n'ont pas forcément le temps, chacun a toujours ses 100 milliards de neurones et n'a pas la capacité de gérer des sommes de l'ordre de grandeur du PIB de l'Egypte. Le PBI de l'Egypte, il est géré par 75 millions de personnes, il n'est pas géré par une personne ou même une seule famille. Cela a des conséquences, c'est que, si vous voulez, nous, nous avons connu une Amérique de la classe moyenne d'après-guerre dans laquelle, à la suite de la crise de 29, des investissements roosveltiens, etc., on avait une société dans laquelle évidemment il y avait quelques personnes qui réussissaient. Il y avait toujours ce mythe de la réussite américaine mais c'était pas démesuré, c'était pas de cet ordre de grandeur-là. C'était une Amérique dans laquelle on avait en gros, la classe moyenne avec sa petite maison, sa voiture, etc. C'étaient des gens qui nous ressemblaient. Là, on a une Amérique qui, au niveau de la classe moyenne, est toujours ce qu'elle était et puis une autre Amérique avec Gatsby le magnifique, c'est-à-dire ce qu'il y avait en Europe et aux Etats Unis d'ailleurs dans les années 20. Dans les années 20 où alors on avait des fortunes absolument colossales qui s'étaient accumulées et en plus, alors, du côté européen, on a le capitalisme dynastique. Je connais un peu le cas français avec un Leclerc, fils de Leclerc, un Dassault fils de Dassault, un Lagardère fils de Lagardère, etc. et une jet set en état d'ébriété complète. Je suppose que vous avez vu les reportages de télévision sur le comportement de la jet set qui va d'un endroit à l'autre, qui est complètement déboussolée, qui ne sait justement pas quoi faire de l'argent qu'elle a en trop. Un comportement qui veut strictement rien dire.

Si on veut faire de la statistique à partir de ça, et bien vous voyez que les transmissions ne se font pas bien entre les ordinateurs. Voilà, c'est un graphe. Il y aurait dû y avoir en bas les différents pays mais je peux vous dire ce que c'est en gros. Le Mexique, ceci est le rapport entre les rémunérations les 10 % les plus élevées et les 10 % les moins élevées. Pour le Mexique, ce rapport est de 30. Les Etats Unis qui viennent juste après, le rapport est de 16, puis après il y a la Grande Bretagne, qui doit être aux alentours de 14. Vous avez un premier palier qui est le palier, disons, de l'Europe moyenne où vous trouvez l'Espagne, la France, l'Italie, etc. un petit peu au bout du palier, vous avez la Belgique, et puis un deuxième palier avec les Scandinaves. Le premier palier, il est à 8 environ et le deuxième palier, il est entre 5 et 6. Donc, le ratio entre les 10 % les mieux payés et les 10 % les moins payés. On voit bien justement que cette Amérique qui était à 6 – 8 si vous voulez, elle est passée à 16, c'est-à-dire qu'elle a augmenté, alors en moyenne, son écart de 2 et qu'à l'intérieur de ça, c'est encore les 10 % les plus rémunérés, les 10 % de ceux-là qui eux forment un pic incroyable avec des montants qui crèvent le plafond, qui ne veulent plus rien dire. C'est un phénomène qu'il faut connaître parce que si on regarde le cas du Mexique et on pourra regarder les autres pays de l'Amérique du Sud parce que ça, c'est une statistique sur l'OCDE, donc le seul pays qui ressemble aux pays d'Amérique du Sud et qui est dans l'OCDE, c'est le Mexique. Les autres, ils sont plus anciens et on mettrait les pays d'Amérique du Sud, ils ressembleraient au Mexique. Et ce qu'on voit, c'est que les Etats Unis sont en train de rejoindre finalement cette cohorte des pays dans lesquels il y a une toute petite classe très riche et une grande classe qui finalement à plutôt tendance à vivre, voire même dans certains cas, à s'appauvrir.

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Ceci va avec un autre phénomène caractéristique de la société cognitive, c'est que, dans la société agraire, le territoire, c'est la terre, c'est la base nourricière, c'est ça qui permet à une petite collectivité humaine, au village de survivre, la propriété terrienne. Et on se bat pour la terre dans la civilisation agraire. D'où ces histoires de conquêtes territoriales qui ont fait toute l'histoire de la société agraire. Dans la société industrielle, le territoire, c'est capital, c'est la contrepartie de la possession des machines. Dans la société industrielle, le capital aujourd'hui est encore devenu autre chose. On en parlait tout à l'heure. Dans la civilisation cognitive, le territoire, c'est le mental. Dans cette société de désinformation, on investit le mental avec une traduction juridique qui est ce qu'on appelle la propriété intellectuelle, c'est-à-dire les brevets, les copyrights, les marques, les modèles, le design etc. et les droits d'auteurs d'une manière générale. Or, dans cette propriété intellectuelle, vous avez un phénomène que vous n'avez pas dans le système capitaliste ancien, c'est the winner takes all. Soit vous avez le brevet et vous ramassez toute la mise, soit vous n'avez pas le brevet et vous allez vous rhabiller. C'est le gagnant a tout. Vous ne pouvez pas expliquer ce qui s'est passé dans l'industrie chimique à la fin des années 90 sans prendre en considération ce phénomène de : the winner takes all. Les chimistes, vers 95, se sont rendu compte que la brevetabilité du génome était un enjeu stratégique. Ils se sont concentrés de manière à être chacun capable d'investir ce champ et de déposer les brevets sur les nouveaux organismes génétiquement modifiés avant leurs concurrents. Et vous avez actuellement en chimie, cinq groupes mondiaux, le célèbre Monsanto connu pour ses comportements puisqu'il vend à la fois le désherbant et la plante qui résiste au désherbant, ce qui permet de mettre l'agriculteur sous la dépendance de ses fournitures. Vous avez Zénéca, vous avez Dupont, vous avez Aventis et Novartis. Dans le cas européen, Aventis, franco-allemand et Novartis, sur base suisse. Et tout ça est en train d'essayer d'investir le territoire de la brevetabilité du génome avec une accélération, bien sûr, de la concentration capitaliste, qui va dans le sens de ce que je racontais tout à l'heure. Mais ceci se passe dans un climat de guerre économique avec les armes de frappe, si vous voulez, le dollar standard qui est encore aujourd'hui le standard mondial. Je dirais que c'est pour ça, sans doute que les Américains depuis deux ans ont le comportement qu'ils ont, c'est qu'il y a vraiment une chose qui peut les inquiéter, c'est l'euro et c'est la lutte actuellement, ce à quoi nous assistons par Irakiens interposés, etc., c'est en fait une lutte entre le dollar et l'euro et peut-être demain, le Uan, enfin, on verra avec une armée d'avocats sur le plan judiciaire. Je rappelle que si vous avez un contrefacteur américain, pour aller devant les tribunaux américains réclamer votre dû, même si la contrefaçon est évidente, le ticket d'entrée, c'est le million de dollars. Donc, ce n'est pas la PME moyenne et nous autres, Européens, on n'a pas fait ce qu'il fallait pour que les Européens puissent défendre leurs droits, même s'ils n'ont pas de fortune personnelle. Si bien qu'aujourd'hui, le petit inventeur est complètement laminé. J'ai connu le cas d'une filiale du CEA les Américains la recevaient en disant : mais, quelle est votre solidité financière ? Vous êtes adossé à qui ? Et bien, on est adossé au C&A qui est adossé à l'état français. Ah bon ! Donc, si vous l'avez pas derrière vous le paquet de millions de dollars qu'il faut, c'est pas la peine d'essayer.. On reparlera de ça tout à l'heure si vous voulez.

Ceci se traduit aussi par un autre mécanisme qui est un mécanisme alors là, financier et industriel à la fois. Cela commence à la veuve de Miami qui a des économies à placer, qui fait un bench marking entre ses banquiers, un bench marking entre les traders, un bench marking entre les managers et ça se termine par un camp de concentration pour enfants quelque part en Asie du Sud-Est. Le mécanisme est implacable et délocalisations, évidemment, défabrications dans les pays à salaires élevés comme les nôtres. Cela n'empêche pas nos enfants d'acheter des chaussures fabriquées dans ces conditions et jusqu'à présent, on n'a pas encore vraiment trouvé la parade.

Depuis que la classe dirigeante exerce le pouvoir sans partage, qu'est-ce qu'elle fait ? Je renvoie au livre de Joseph Stigliz. Mexique, Indonésie, Thaïlande, Corée, Japon, Russie, Argentine, elle fait des bulles. Stigliz cite un exemple très instructif qui est celui de la Thaïlande. Il dit : voilà, vers 1995, la Thaïlande, vue par la communauté financière, c'était le bon élève. La Thaïlande cultivait bien son riz; elle exportait, elle avait satisfait aux recommandations du FMI, vous privatisez, vous ouvrez à la concurrence, etc.  Quantité de bureaux sont construits, mais malheureusement, les affaires ne suivent pas. On n'arrive pas à les vendre. Mais évidemment ceux qui avaient fait l'investissement pour mettre leurs capitaux dans le secteur de bureaux avaient pris toutes les garanties auprès du gouvernement thaïlandais etc. pour, si cela allait mal, quand même rentrer dans leurs sous. Donc, ça commence à aller mal, on n'arrive pas à vendre les tours et on fait jouer les garanties des différents fonds de l'état thaïlandais. Le thaï thaïlandais prend évidemment un coup dans l'aile et à ce moment-là, catastrophe financière, on fait appel au FMI et la Thaïlande obtient un prêt du FMI qui va servir à rembourser ceux qui avaient prêté pour construire les tours de bureaux qui ne servent à rien. Mais comme le prêt du FMI, c'est un prêt, le bon peuple thaïlandais est prié de travailler pendant une vingtaine d'années pour rembourser le FMI qui a avancé l'argent, pour rembourser ceux qui avaient prêté pour construire les tours qui servent à rien. Voilà comment les fantasmes de la communauté financière, si vous voulez, agissent dans le système des pays en voie de développement et comment on fait des bulles, non pas seulement spéculatives sur les nouvelles technologies mais aussi sur tel ou tel pays dit émergeant que l'on considère comme un nouvel Eldorado et ceci pendant une durée allant de 3 à 6 mois. Après quoi, on retire sa mise.

Aux Etats-Unis même, autre phénomène très lié à la désinformation, dont LTCM, .. Andersen et puis on passe à la lobbycratie puisque comme vous le savez, les Etats Unis sont quand même très gouvernés par deux lobbies principaux qui sont celui de l'armement et celui du pétrole, les autres étant priés de mettre la pédale douce pendant un certain temps, le temps que les affaires soient établies conformément à leur goût. Donc, on a là un système de surinformation et de désinformation qui est en effet, si vous voulez, un système dans lequel on est arrivé à un degré de complexité tel qu'il devient incapable de traiter sa propre information. Donc, vulnérable à de nombreuses formes d'escroquerie. .. Il ne faut pas se faire d'illusion. Les escrocs vont apparaître et faire les dégâts. Evidemment, on peut prédire que vraisemblablement, on aura des processus de résistance collective, comme ceux qu'on a vu apparaître en Argentine avec les monnaies locales, les créations de système de trocs pour s'y retrouver lorsque le système officiel s'était effondré, et nous avons en Europe beaucoup d'organisations qui s'appellent les SEL, systèmes d'échanges locaux, les LES en anglais, qui essaient de reconstituer des solidarités à l'échelle locale pour pouvoir se passer de ce grand système qui, lui, est particulièrement dévastateur, comme je l'ai montré. Et ceci se double en même temps d'une période critique.

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Une période critique dans le changement de système technique. Je reprends ma courbe de changement de système technique et de civilisations que j'ai montrée au début qui montre, qui s'étend sur environ deux siècles. Lorsqu'un nouveau système technique arrive, il déclasse la force de travail qui desservait l'ancien. Au début, ça n'est pas perceptible tant que ça concerne 2 – 3 % de la population, ça ne produit que des effets positifs. Mais lorsque ça commence à déclasser une fraction significative de la force de travail, alors on a une crise de jeunesse. Pour l'industrialisation, la crise de jeunesse s'est produite en Europe en 1848. En 1848, qu'est-ce qui s'était passé ? Il s'est passé un crime quelque part, .. dans l'Indre, une ville qui n'avait jamais fait parler d'elle avant et qui n'a jamais fait parler d'elle depuis d'ailleurs. Mais ce crime a été interprété comme étant un crime de classe, comme disent les marxistes et l'Europe entière s'est enflammée. Si elle s'est enflammée, c'est qu'il y avait un petit détonateur quelque part mais l'ensemble était explosif. Et en fait, le peuple était dans la rue, il réclamait quoi ? Du pain et du travail, ce qui somme toute est assez naturel, c'est le moins qu'on puisse dire. Et qu'est-ce qui s'était passé ? Il s'était passé que l'industrialisation avait poussé la population des campagnes vers les villes. Ils étaient venus grossir le prolétariat urbain. Il n'y avait pas assez de travail pour employer tout le monde. Il n'y avait pas de lois sociales à l'époque et du coup, la pauvreté était telle qu'elle était devenue totalement insupportable.(écart entre les riches et les pauvres). Et ce qui est en train de se passer aujourd'hui, à l'échelle mondiale effectivement, c'est, vous avez non plus des pays riches et des pays pauvres mais vous avez comme ici à Sao Paulo au Brésil des riches et des pauvres à 100 mètres les uns des autres. Et ça c'est sur toute la planète. C'est sur toute la planète, d'autant que la concurrence de l'agriculture industrialisée a mis sur le tapis un milliard d'individus sur 6, qui sont venus grossir les banlieues des grandes villes. Il faut donc s'attendre à une crise de jeunesse comparable à celle de 1848 et examiner d'ailleurs comment ça s'est passé après. Car, en effet, qu'est-ce qui s'est passé après 1848 ? Et bien, il y a eu une réponse car la classe dirigeante au début était très surprise, elle croyait avoir réglé le problème avec la suppression des privilèges du clergé et de la noblesse. En fait, là n'était pas la question. Après 1848, ce qu'ils ont fait, c'est une politique structurante. On structure l'espace physique, les grands travaux, c'est-à-dire les chemins de fer, les canaux, l'urbanisme hausmanien et les grands travaux d'une manière générale et on fait l'éducation pour tous, Victor Dury, Jules Ferry, Jules Destrée, etc. Et vous trouvez des politiques voisines, éducation pour tous de la base, pas seulement les élites, la base et grands travaux dans l'Allemagne de Bismarck, dans l'Angleterre de la Reine Victoria, dans la France de Napoléon III. C'était la réponse que j'appelle la réponse saint-simonienne, inspirée de la philosophie de Saint Simon, la réponse saint simonienne à la crise. Ce qu'on a oublié de dire, c'est que ça a marché. C'est-à-dire qu'au bout d'un demi-siècle de ce traitement, un demi-siècle est à peu près nécessaire pour qu'une telle politique produise ses effets, le temps de faire, de remodeler l'urbanisme, de construire les chemins de fer, les canaux et de mettre en place un système scolaire qui aille jusque dans les villages, et bien, c'est bien un demi-siècle. Au bout d'un demi-siècle, l'Europe était redevenue le phare du monde et avait surmonté cette crise. Cela s'est moins bien passé au 20ème siècle parce que les capacités de production sont devenues utilisables pour des pouvoirs belliqueux.

Aujourd'hui, nous avons un contexte démographique qui est à peu près celui-ci. Là, c'est sur deux siècles. Il y a quelques années, on pensait à une transition démographique, c'est-à-dire un plafonnement vers 10 milliards d'habitants. Là, on ne monterait guère au-dessus de 9 et puis après, on redescend lentement. Pourquoi je dis ça ? C'est parce que, je dirais, l'observation des pays dans lesquels s'est mis en place le système de l'économie libérale, généralisée, ont en même temps connu une baisse de fécondité considérable. La fécondité de l'Allemagne de l'Est a été divisée par 2 dans les 2 ans suivant l'ouverture du Rideau de Fer. Quant à celle de la Russie, depuis une dizaine d'années, elle est complètement inversée. Pourquoi ? Parce que, en effet, ces pays avaient des infrastructures pour les crèches, pour les écoles, etc. Tout cela est devenu payant. Pour payer, il faut avoir un métier. Pour avoir les revenus, il faut que l'homme et la femme travaillent simultanément. On diffère la date où on fait des enfants et en même temps, même les enfants qui sont là, il y a en Russie actuellement un million d'enfants dans les rues, abandonnés, dont 35.000, si je me souviens bien, à Saint-Pétersbourg. Donc, le contexte démographique est en effet plutôt, au fur et à mesure que les pays entrent dans le système que nous appelons des économies développées, c'est plutôt un maximum puis une décroissance. 

Cela m'amène à une prospective du 21ème siècle en 3 périodes de 40 ans. La première que nous vivons actuellement, que j'appellerai les désarrois de la société du spectacle. La deuxième qui est cette période saint simonienne, dans laquelle, face à une crise de jeunesse du nouveau système technique, on est amené à faire une politique d'éducation de masse et de grands travaux pour mettre tout le monde au niveau du nouveau système technique et en même temps, bâtir les infrastructures. Si on regarde l'échelle planétaire, les infrastructures du 21ème, elles sont loin d'être prêtes. Le TGV, les autoroutes en même temps que les aménagements de type écologique si vous voulez et puis bon, j'ai choisi cette image qui est une planète creuse artificielle pour la dernière période en pensant que peut-être on irait dans un premier temps peupler les mers et dans un deuxième temps commencer à peupler un peu plus l'espace avec l'idée de stabiliser des écosystèmes.

En tout cas, c'est en gros le passage de l'homo coca colansis que vous voyez ici à l'homo sapiens avec une autre relation avec la nature. Je vous remercie de votre attention.

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"Wallonie 2020", Cinquième congrès "La Wallonie au futur" -  Institut Jules Destrée - 2001-2003

 

Débat

 Emile Simon

Je suis effectivement Simon mais je ne suis pas saint et la coïncidence fait que j'étais vendredi au Palais d'Egmont à Bruxelles en train de discuter dans un colloque sur la politique européenne de sécurité et de défense et j'ai houspillé deux intervenants français dans leur manière d'exposer les choses, d'analyser les situations parce que l'un comme l'autre avaient usé de l'approche, de la méthode ou parfois de l'artifice qui consiste à faire des analyses très bien documentées d'une situation en mettant en exergue les défauts de tous les systèmes existants et en accablant un responsable, c'est essentiellement les Etats-Unis et le capitalisme des Etats-Unis. Bon, moi, je suis un Wallon qui ai travaillé pas mal en international et donc, connais les entreprises par l'intérieur et par le haut et parfois, j'ai, vous l'avez peut-être vu sur des signaux visuels ou gestuels de ma part, trouvé un certain inconfort dans la manière dont vous abordiez le problème. Je ne vais pas rester sur cette impression. Je vais essayer de venir sur le point de la prospective parce que c'est le sujet qui m'a attiré dans ce débat. Est-ce que vous n'avez pas l'impression que les trois périodes dont vous parlez, il y a en fait une superposition, une imbrication, un enchevêtrement des trois phénomènes qui est d'ores et déjà amorcé et qui l'a été de tout temps, puisque si je reviens à votre phase d'analyse, vous décriviez vous-même dans la géographie mondiale trois périodes allant des années 90 – 2000 – 2020 où  les géographies respectives sont capables d'assimiler la société que vous avez définie ou la civilisation que vous avez définie comme cognitive. Au-delà de cela, quand vous parlez de ce qu'en chaque cas où il y a eu un apport contributif, c'est lié à un changement de système géopolitique ou, en tout cas, de l'attitude des dirigeants à l'égard de leur politique vis-à-vis de l'extérieur, comment voyez-vous dans les 3 périodes de 40 années ou 3 grandes phases que vous décrivez des changements de géopolitique qui expliquent les interpénétrations, les accents que l'on met, cela m'intéresserait prodigieusement d'avoir votre point de vue là-dessus. Merci.

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Jean-Marie Lejeune

C'est un domaine totalement différent. Donc, j'ai le sentiment qu'il serait bon de clôturer celui-là ou en tout cas, de poursuivre dans le même sens. En fait, moi, tout est basé apparemment sur l'homme descendant du singe et par conséquent, théorie de Darwin, si je me souviens bien. Pour moi, je sens que cette théorie prend l'eau et pour moi, l'homme descend d'ailleurs et si j'écoute puisque nous sommes dans le cognitif, si j'écoute à l'intérieur ce qui se passe, je sens que tout ça ne tient pas la route. Donc, j'ai besoin d'ouvrir une autre piste, ici ou ailleurs, d'ailleurs mais de toute façon, je peux continuer seul. En tout cas, s'il y en a d'autres qui sentent qu'ils sont autre chose que des singes primates et qui sentent qu'en eux vit autre chose qu'un être mental, je suis partant pour développer le sujet.

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Marc Installé

Une question plutôt du type : votre modèle semble dire qu'il y a une généralisation de ce que nous connaissons ici, dans le monde développé, qui va s'étendre à l'univers, de manière assez linéaire, que ce soit en Chine, en Afrique, en Amérique du Sud et que finalement, il y a une espèce de globalisation comme on le dit si bien maintenant de ce que nous avons vécu mais est-ce que c'est aussi certain.  N'y a-t-il pas des doutes sur l'impossibilité, même physique, de réaliser cette uniformisation de notre devenir à l'échelle de la planète ?

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Thierry Gaudin

(Question de M. Simon) Je suis assez d'accord avec cette façon de voir les choses. C'est vrai qu'il y a présence simultanément de plusieurs éléments de scénarios qui chacun appartiennent à des périodes différentes et qui sont répartis de façon différente sur la planète. Dans le travail que nous avons fait, on n'a pas poussé très loin cette différenciation. Maintenant, c'est clair qu'il y a des éléments qui sont quand même tout à fait évidents. C'est-à-dire que les phénomènes, disons, ils se posent dans les rapports entre l'Europe, les Etats-Unis mais aussi la Chine, le Japon et l'Inde. Bon, je ne parle pas de l'Afrique ou de l'Amérique du Sud parce qu'ils sont peu tractés, ils n'ont pas pour l'instant encore une volonté bien clairement affirmée. Ce qui s'est produit ces dernières années montre que finalement, ce qui a été la réaction du Japon de l'après-guerre. En gros, on va prendre une revanche de la défaite en se plaçant sur le terrain économique, ce qu'ils ont fait avec une industrie extraordinairement conquérante à une certaine période mais la génération d'après, japonaise, n'a pas la même combativité et ce que nous avons connu, nous du Japon dans les années 70 – 80, c'est-à-dire un Japon très conquérant, mondialement et qui a en effet consolidé ses positions sur certaines gammes de produits, il y a les caméscopes, les appareils photos, etc. Aujourd'hui, ce n'est plus un Japon aussi conquérant parce que la génération d'après n'a pas les mêmes objectifs. C'est une génération qui consomme beaucoup, qui est très influencée par des phénomènes de mode, qui n'a plus du tout ce désir de revanche qu'avaient leurs parents et donc, qui raisonne autrement. Si on prend la Chine, alors là, au contraire, la génération montante d'après la révolution culturelle qui est une génération qui est restée beaucoup plus longtemps sur les bancs de l'école, qui a appris des tas de choses, qui a eu l'opportunité d'accéder assez jeune au pouvoir parce que ceux de la révolution culturelle, comme ils ne savaient pas grand chose, ils ont été assez faciles à écarter, c'est une génération qui, au contraire, est très combattive et qui essaie de faire du californien, du supercalifornien en quelque sorte. C'est impressionnant de voir comment à Taiwan, à Hong Kong et aussi maintenant en Chine continentale, se crée une puissance économique dont manifestement le but est d'aller concurrencer les Etats-Unis. C'en est au point que le tiers des start up de Silicone Valley aujourd'hui sont possédés par des capitaux chinois à 25 % et indiens pour 5 à 6 %. Donc, on est là dans une situation tout à fait surprenante.

Les finalités indiennes sont différentes. C'est-à-dire que l'Inde a conservé, de l'époque de Gandhi, l'idée que finalement quand on est 700 millions de personnes ou un milliard, on n'a pas besoin, on sait fabriquer à peu près tout, on n'a pas forcément besoin du reste du monde, ce qui faut, c'est gérer les choses de manière à être en équilibre avec la nature. Pour les Indiens, dire que les animaux et les êtres humains sont sur le même plan, c'est-à-dire qu'ils considèrent les animaux comme étant aussi conscients que les êtres humains, ce qui ne les empêche pas d'avoir les sensations que vous avez sur la spiritualité. Et donc, ils ne sont pas tellement demandeurs de progrès techniques d'extrême pointe sauf le fait qu'ils ont quand même des technopôles extrêmement performants mais ce n'est pas là leur finalité. Ils sont plutôt dans une vision d'équilibre avec le milieu naturel.

Les Européens et les Américains, alors là, c'est une situation différente parce que je dirai que, il y a deux questions qui se posent. La première, c'est une question qui se réfère non pas aux Etats Unis mais à ce que fait actuellement la droite américaine. Si Gore avait été élu, l'Amérique serait certainement très différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Elle n'aurait sans doute pas fait la guerre en Irak. La question, c'est bien, la droite américaine, par rapport à l'Europe d'une manière générale parce qu'on ne peut pas dire que l'Europe ait une couleur politique bien uniforme mais en tout cas, je dirais que ce qu'on perçoit en prenant un peu de recul, c'est deux projets de société. Un projet de société dans lequel le monde est transformé en république bananière et un projet de société dans lequel on essaie de créer un état de droit mondial, qui est le projet européen avec cette fameuse question de la cour criminelle de La Haye, etc. Donc, mais ça c'est pas l'Amérique, c'est la droite américaine et ses deux lobbies dominants que j'ai cités tout à l'heure. Et ce qui se passe malheureusement, c'est que, dans les périodes critiques, voir la crise de 29, pas seulement celle de 1848, dans les périodes critiques, on a forcément du keynésianisme qui revient, c'est-à-dire qu'on compense les difficultés économiques par des investissements d'état qui vont relancer la machine et ces investissements, dans le cas de la crise de 29 aux Etats Unis, c'était la Tennessee Valley Authority, des barrages, des infrastructures, etc. et en même temps, un système d'encadrement de jeunes qui est assez peu connu mais ce qui est intéressant, c'est que Hitler en Allemagne, il faisait aussi des investissements structurants, il faisait aussi de l'encadrement de jeunes mais ça s'appelait Les Hitler Jungers. On a tendance à dire qu'après la crise de 29 où les gens mouraient de faim dans la rue, les Etats Unis ont eu la chance de tomber sur Roosevelt et l'Allemagne a eu la malchance de tomber sur Hitler qui ont utilisé les mêmes instruments mais pour des finalités totalement différentes. C'est pour ça qu'il y a vraiment un problème, la droite américaine est quelque chose d'inquiétant, quelque chose d'inquiétant pour une raison toute simple, c'est que parmi les grands investissements publics destinés à relancer la machine économique, il y a une catégorie qui est quand même très particulière, ce sont les investissements d'armement. Le 19ème siècle de Napoléon III, il a essentiellement fait des infrastructures de transport, d'aménagement, d'urbanisme, c'est-à-dire de l'infrastructure civile, il a fait des investissements civils, ce qui donnait de l'emploi et a relancé la machine économique. Dans le cas de Bismarck, il a fait aussi pas mal d'investissements militaires. Vous avez vu comment ça s'est passé, et dans le cas d'Hitler, c'était des investissements militaires massifs. Une fois qu'on a produit des armes, il faut les utiliser. Soit on les utilise soi-même, soit on les vend pour les faire utiliser par d'autres. D'une façon générale, ça introduit quand même des dégâts. Un programme militaire de 400 milliards de dollars par an, désolé, c'est quand même quelque chose d'inquiétant sur le principe. C'est quelque chose d'inquiétant sur le principe. On aurait préféré un programme de 400 milliards de dollars par an civil, qu'il fasse des autoroutes, parfait, des équipements, besoin d'urbanisme etc. Il y a de quoi faire. Si on regarde la planète prise dans son ensemble, on peut dire qu'elle n'est pas aménagée. Des aménagements restent à faire. Donc, la vraie question, c'est comment est-ce que cela va se présenter dans les années à venir. On ne sait pas si la droite américaine va être réélue. Si elle est réélue, c'est effectivement un peu inquiétant. Si elle n'est pas réélue, peut-être qu'on va avoir un peu plus de civil et un peu moins de militaire parce qu'à ce niveau d'investissement militaire, je ne nie pas que toute société ait besoin d'investissements militaires, mais à ce niveau, c'est inquiétant. C'est pas ce que je disais : toute société a besoin de riches parce que la réussite, ça doit normalement se traduire par la richesse; tout le monde ne cherche pas simplement la réussite intellectuelle ou la réussite dans le registre de la spiritualité ou dans le registre de la générosité. Il faut aussi, quelquefois, on peut attirer les gens par des richesses. Tout le monde a besoin aussi d'un peu d'équipements militaires mais au niveau de 400 milliards de dollars, c'est comme tout à l'heure avec les revenus ou la fortune de Wal-Mart ou de Bill Gates, ça commence à devenir un peu inquiétant. C'est le moins qu'on puisse dire, surtout que plus de la moitié des dépenses de recherches américaines sont financées par l'armée. C'est ça qui a permis après les développements civils, je suis bien d'accord, ce n'est pas totalement négatif mais c'est quand même, je trouve ça quand même inquiétant.

L'idée que l'homme descend d'ailleurs que du singe, la biologie, elle est ce qu'elle est. Les sensations intérieures que nous avons, elles sont ce qu'elles sont et on ne peut pas les effacer, non plus. Je pense d'ailleurs que le registre dont vous parlez, qui est le registre de la spiritualité, pour moi, il n'est pas forcément limité à l'espèce humaine. On peut avoir des rapports avec les animaux, les éthologues vous le diront, il y a d'ailleurs certaines images tout à fait étonnantes. Je me souviens d'une image qui avait été prise en Afrique où il y avait un hippopotame qui aidait, qui accompagnait une gazelle qui était en train de mourir d'une morsure de crocodile. Il lui réchauffait la tête en la mettant dans sa gueule. Il l'accompagnait. Jusqu'au moment où la gazelle est morte, à ce moment-là, il s'est détourné, il est parti ailleurs. Nous ne savons pas grand chose des perceptions que peuvent avoir les animaux mais je suis, pour ma part, intérieurement persuadé, j'ai une sensation intérieure aussi, que si on va y regarder de plus près, c'est d'une richesse tout à fait comparable à ce que nous pouvons ressentir. Notre problème, c'est précisément d'arriver à modifier notre perception de manière à les inclure. On parlait d'inclusivité. Je pense qu'une des grandes inclusivités du 21ème siècle, ce ne sera pas seulement d'inclure la population humaine dans les entreprises, ça sera aussi d'inclure le vivant dans notre perception d'une communauté qui est une communauté élargie et c'est d'autant plus important que, de toute façon, il va bien falloir vivre en équilibre avec la biosphère. Si on fait cette inclusion, on commence à se poser des questions sur les usines à poulets et toutes les tortures que l'on inflige au règne animal aujourd'hui.

Vous avez raison de pointer du doigt la question de l'uniformisation. Ma vision n'est pas du tout celle du fait que nous allions vers une uniformité. Je pense, au contraire, on a travaillé toute la journée sur la Wallonie, que la différenciation culturelle est un élément absolument essentiel de la stratégie. Chaque société, chaque civilisation a, si je peux dire, une âme mais le problème, c'est qu'elle ne le sait pas toujours et qu'il faut quelquefois faire en sorte qu'il y ait une sorte de processus d'accouchement qui se produise, d'autant plus que dans certains cas, je pense au cas de l'Amérique du Sud où la présence de l'âme des anciens est encore là, des Aztèques, des Toltèques, des Incas et compagnie. Malheureusement, les descendants, les hispaniques ont tendance à dire : tant qu'ils restent dans leurs montagnes et qu'ils ne nous embêtent pas, ça va mais. J'ai eu à cet égard, d'ailleurs, une expérience tout à fait surprenante avec un scientifique en Bolivie, un membre de l'Académie des Sciences bolivien, qui était tombé amoureux des Aymaras. Il avait étudié la langue aymara et il était allé d'ailleurs dès l'enfance, parce que son père dessinait ou peignait les populations Aymaras. Les Aymaras, ce sont des femmes qui ont un petit chapeau blanc noir et puis ils habitent à 5000 mètres de haut et ils attendent que les hispaniques retournent dans leur pays depuis 500 ans. Alors, il m'a dit : c'est curieux, on s'était rendu compte que les Aymaras avaient un problème avec les mathématiques. Je me suis demandé pourquoi et j'ai trouvé, dans la langue Aymara, il y a non pas le oui et le non comme chez nous mais il y a 3 possibilités, il y a oui, non et je ne sais pas. Par exemple, un Aymara ne pourra pas dire : Christophe Colomb est venu en Amérique. Il pourra dire : on m'a dit que Christophe Colomb était venu en Amérique mais il peut pas parler à l'affirmatif de quelque chose à quoi il n'a pas personnellement assisté. Alors, je lui dis : ils ont dû avoir quelques problèmes avec l'église qui parle d'un dieu qu'elle n'a pas vu. Et bien, vous croyez pas si bien dire. Dans le vocabulaire Aymara, il y a un mot pour désigner la connaissance. Quand les jésuites sont arrivés, ils ont dit : ça c'est le diable. Ce n'est pas la connaissance, le sujet, l'objet, la coupure épistémologique .. etc. Il y avait un autre mot pour désigner l'homme de connaissance au sens vraiment des chamans, c'est le sorcier. Le sorcier et le diable vont ensemble. Ils méritent l'anathème de l'église. On voit bien si vous voulez le choc qu'il peut y avoir au niveau des concepts élémentaires alors que les Aymaras, en contraste, ils ont une perception immédiate des personnes qui sont en face de vous. Ils imaginent d'ailleurs que chaque individu a, au niveau du plexus, une espèce d'œuf et puis ils se font des commentaires du genre : aujourd'hui, ton œuf est bien rayonnant ou alors, il est un peu terne, etc. Ils n'ont aucune difficulté à manifester cette perception alors que nous, on n'oserait jamais, même si on a la perception, encore faut-il l'avoir. Parce que là, ils y assistent directement. C'est assez remarquable de voir justement deux conceptions de la connaissance qui s'affrontent et cet enseignement tout à fait étrange, qui nous vient de chez eux. Ils ont une langue, du fait qu'ils ont ces scrupules de dire, de ne pas dire les choses auxquelles ils n'ont pas assisté, ils ont une langue qui est extrêmement précise dans la description des faits au point qu'on s'en sert quelquefois comme langue pivot pour les traductions automatiques. On traduit en Aymara et on retraduit dans d'autres langues.

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Paul Olbrecht

J'aurais voulu vous demander ceci. Vous n'avez pas fait allusion à la structure d'âge. On a comparé la Chine, l'Inde, etc. mais je crois que dans le cas de l'Europe surtout, on a une société de plus en plus vieillissante avec une structure d'âge que l'on peut bien imaginer, et dès lors avec des ambitions, des espoirs et des perspectives très différentes. J'aurais voulu avoir un commentaire de votre part.

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Camille Ganty

Vous avez évoqué l'enseignement et j'ai cru comprendre que vous attendiez beaucoup. Vous avez dit qu'il y avait une sorte de challenge pour les futurs enseignants. Comme moi-même, j'ai été enseignante, ce sujet m'est très sensible. Nous vivons en ce moment une crise de l'enseignement, une crise d'autorité et une crise de contenu. Vous avez, dans votre prospective, évoqué les années 2020 – 2060 en parlant de société d'enseignement. Donc, est-ce qu'on serait là dans une sorte de trou, est-ce qu'il faudrait attendre jusqu'en 2020 pour que ça change ? Qu'est-ce qu'il faudrait qui change ? Il y a tout ce problème de la surinformation et de la désinformation. Est-ce que vous pensez que les enseignants, là, ne sont pas du tout formés pour aborder ces problèmes-là ? Est-ce qu'il faudrait revoir la façon de les former ? J'aimerais un peu plus de précisions si vous en avez à nous communiquer. Merci.

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Emile Simon

C'est une intervention qui vient bien à propos parce que mon interrogation et ma perplexité sont un peu dans le même sens et c'est celui de l'uniformité dont l'intervenant précédent parlait. Vous avez beaucoup parlé de marché, que ce soit de marché financier, de marché de n'importe quoi. Dans les marchés, il y a un sujet acteur, c'est le consommateur et le consommateur se confond aussi avec citoyen. J'ai vu et je blâme un certain nombre de politiques aujourd'hui qui ont une tendance à parler du citoyen, du consommateur, comme tout un chacun se ressemblerait sans qu'il y ait une quelconque différence entre nous et curieusement, le même consommateur est le consommateur de l'enseignement, supposé de qualité, en tout cas c'est l'espoir qu'on peut formuler. Donc, le concept ou le risque de l'uniformisation pèse sur notre futur et les premiers à l'employer, paradoxalement, ce sont les politiques. Tout un chacun jouit des mêmes droits, pas nécessairement des mêmes devoirs. Si on observe la réalité et la manière dont on devrait traiter tout le monde est rouleau compresseur unifiant, etc. alors que moi, je suis un de ceux-là un peu plus libéral que les autres peut-être, qui dit, la différenciation est dans notre avenir. D'ailleurs, le sens créatif et la société de la création dont vous parlez, supposent comme un postulat qu'il y ait différenciation et individualisation. Comment réconcilier les vues de l'interrogation à cet égard ? Merci.

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Thierry Gaudin

Sur la question de la pyramide des âges, si vous voulez, c'est un effet, quand on fait le calcul et qu'on montre l'intérieur du modèle, c'est-à-dire les pyramides année après année, on voit en effet que ce phénomène de plafonnement et puis de décroissance lente s'accompagne d'une inversion de la pyramide des âges, c'est-à-dire la classe d'âge de 60 à 65 ans devient plus nombreuse que la classe d'âge de 0 à 5 ans. Cela se produit effectivement d'abord dans les pays du nord, plus développés et puis, peu à peu, ça gagne l'ensemble de la planète. En ce qui concerne l'Europe, l'Europe a été un lieu de migrations mais ça n'a pas pour l'instant suffi à combler, si vous voulez, le déficit qui permettrait d'avoir une pyramide à peu près normale, à peu près équilibrée, c'est-à-dire à rejoindre, je dirais, quelque chose qui soit un régime stable. Il se trouve que cette question de l'immigration dans l'Europe est une question politiquement très difficile parce que d'un côté, quand on regarde les chiffres et notamment les chiffres de la démographie, on est tout à fait prêt à admettre qu'il faudrait qu'il y ait de l'immigration pour combler ce vide et lorsqu'on regarde la sociologie détaillée, on voit que quand il y a une forte proportion d'immigrés quelque part, ils ont tendance à faire des globules, à s'agglutiner ou à être agglutinés, c'est un phénomène physique quasiment, et en même temps, donc des difficultés de relations avec l'environnement avec toutes les ségrégations qui en résultent. Donc, c'est quelque chose de très difficile à gérer. Je dirais que, je ne connais pas bien le cas des autres pays d'Europe, je sais qu'en France et ça me permet d'ailleurs d'enchaîner sur la question suivante, le seul système qui ait vraiment fonctionné, c'est le système d'enseignement au niveau élémentaire. On ne peut pas dire qu'il ait fonctionné parfaitement mais ça a été une machine à intégrer formidable. J'en ai eu le miroir. Il y a deux ans, lorsque je suis dans le jury des bourses de l'OTAN et donc, il y avait une mathématicienne russe de 24 ans qui est arrivée, une surdouée. Elle est en France, elle a commencé à étudier, à voir le pays etc. Et puis, un jour, elle me dit : mais enfin, qu'est-ce qui se passe ? Chez nous en Russie, ce qu'on appelle la nationalité, c'est tchétchène, bouriate, etc. c'est sur le passeport. On appartient à un pays qui est la Russie mais la véritable nationalité, c'est la nationalité de la tribu, si on peut dire. Et ça, ce n'est pas seulement pour la Russie, c'est pour tous les anciens pays de l'Union Soviétique et aussi pour la Chine. Vous allez au Kazakhstan, les Kazakhes sont inquiets parce qu'ils ne représentent pas la majorité de la population vu qu'il y a des Russes à raison de 45 % plus les Allemands que Hitler avait envoyés depuis la Volga et qui sont encore là, à raison de 2 millions. Donc, ils ne sont pas tout à fait majoritaires, donc, ils sont pas vraiment chez eux. Et, la machine à intégrer que nous, nous connaissons en Europe Occidentale car je suppose qu'à cet égard, la Belgique est assez proche de la France, elle n'existe pas vraiment dans ces pays-là. D'ailleurs, une des grandes erreurs de nos ministres successifs de l'éducation en France, ça a été de ne pas voir la difficulté du travail qu'assumaient les enseignants en tant qu'intégration. Parce que la mathématicienne russe en question me disait : mais enfin, ces personnes-là, elles viennent d'Afrique du Nord ou d'Afrique noire mais ils sont français, ils parlent comme des Français, ils se conduisent comme des Français. On ne voit pas, dans leur comportement, de différence. Simplement, ils sont noirs mais ils parlent de la même façon et ils n'ont même pas l'accent de là-bas. Donc, ils ont complètement été intégrés à la deuxième génération.

Cela m'amène à la question, les questions qui tournent autour de l'enseignement, faire une prospective de l'enseignement, c'est vraiment une tâche exaltante aujourd'hui parce que s'il y a une chose qui est claire, c'est que l'enseignement dans 20 ans, ça ne sera pas la même chose qu'aujourd'hui. Par la civilisation cognitive. Je vais dire 2 – 3 petites choses simplement en passant qui montreront peut-être, enfin qui feront percevoir l'ampleur des différences. Premièrement, dans l'industrialisation, l'enseignement a eu pour tâche de vaincre l'illettrisme, c'est certain mais aussi, de former des armées d'ouvriers à qui on va demander de faire le même geste pendant toute une vie, sur la même chaîne de montage. Bien. Et encore aujourd'hui, les établissements d'enseignement ou les programmes d'enseignements considèrent que, dès l'instant qu'on va demander l'avis des industriels et qu'on va traduire ça en programme, qu'on va sortir, qu'on va produire, parce qu'on s'assimile à un système de production, on va produire du personnel qualifié comme l'industrie le demande, on a fait son métier. Il n'y a pas à aller plus loin. Par ailleurs, on entend bien que les gens vont changer de métier 2 – 3 fois dans leur vie et que c'est pas si simple et en fait, on aboutit à quoi ? On aboutit à dire : regardons ce qui se passe dans les technologies les plus modernes, regardons ce qui se passe par exemple sur Internet; c'est ce que je disais tout à l'heure dans le séminaire; Internet est peuplé de quoi, d'autodidactes. Parce que le temps qu'un logiciel ait donné lieu à un cours, il faut plusieurs années, il est déjà dépassé. Et les internautes forment des communautés autodidactes, spontanées, avec un système d'autodidaxie qui est assez particulier, dans lequel d'ailleurs les gens les plus performants ne sont pas ceux qui sont les plus performants dans le système scolaire traditionnel. Je prétends qu'Internet n'est qu'un cas particulier, que tout entrepreneur est d'abord un autodidacte, que tout chercheur est d'abord un autodidacte, qu'il va falloir apprendre à former des autodidactes, ce qui n'est pas du tout la même chose que de former des gens qui ont bien appris la leçon et qui savent faire les exercices qu'il y a dans le manuel et passer des examens. J'ai moi-même fonctionné comme bête à concours dans les examens à la française pendant un certain nombre d'années, je sais ce que c'est. Ça n'a pas grand chose à voir avec, par contre le fait de faire une thèse, oui, alors là parce qu'on est devant la page blanche et il faut explorer quelque chose qu'on ne connaît pas encore. Donc, il y a vraiment cette fonction exploratoire. Premier point.

Deuxième point. On forme des producteurs, on ne forme pas des consommateurs. Je prétends que la performance d'un système économique, elle est due à l'exigence de ceux qui achètent. On en arrive à votre question. Pour le dire sur un exemple précis. Il n'y a pas de grande cuisine sans gastronomes. Former des gastronomes, vous aurez de la grande cuisine.

Troisièmement. Si on va en effet, comme le dit Monsieur Simon, vers un système très différencié, non pas de quelques grandes entreprises mais une multiplicité de petites, alors, on va vers des gens qui vont être eux-mêmes des créateurs, des explorateurs et ça peut toucher toutes les professions. Regardez la créativité de la boulangerie depuis 15 ans. La boulangerie d'aujourd'hui n'est plus du tout ce qu'elle était. Il y a une diversité de produits auxquels on ne pensait même pas, nous avons vécu une époque où du pain, c'était du pain, pas de problème. Maintenant, on met du pain dans tous les sens avec du ceci, du cela, farine machin, truc. Différenciation, multiplication des produits et en même temps, qualité. Et ça, ça veut dire une multiplicité de très petits entrepreneurs. Donc, où est-ce qu'on fabrique des gens qui sont, non plus des gens qui vont passer toute la vie à faire le même geste, mais qui sont d'authentiques entrepreneurs capables de maîtriser leur propre parcours de formation et leur propre territoire d'entreprise, même si ce territoire n'est qu'une simple boutique. Je veux dire, nous sommes tous à 2 ou 3 générations des enfants de boutiquiers ou d'artisans. C'est là la base de l'économie. On en est tous issus. Il faut reconnaître qu'un bon artisan ou un bon commerçant, je veux dire, vous entrez dans une boutique, vous connaissez l'état d'esprit de celui qui la dirige et c'est un facteur extraordinaire d'attractivité, etc. On a jusqu'à présent considéré que parce que c'était petit, il n'y avait pas lieu de s'y intéresser. En fait, à mon avis, ce n'est pas vrai, c'est là que se situe la base sur laquelle le reste se construit. Il y a d'ailleurs des artisans. Pour reprendre le cas de la boulangerie, un monsieur P. est devenu une multinationale en partant d'une boulangerie qui est à côté de Sèvre-Babylone, il continue d'ailleurs à fonctionner dans Paris. Donc, cet aspect de différenciation, moi je suis assez d'accord avec Monsieur Simon, à cela près que le risque, c'est que le consommateur qui normalement est actif et qui devrait être stimulé justement par le système d'enseignement dans son activité; il faut apprendre aux gens à se renseigner, à démonter toutes les calembredaines que vous racontent les fournisseurs, et Dieu sait s'il y en a, devenir des consommateurs et puis en même temps, je veux dire, c'est un aussi des derniers pouvoirs qui nous reste, si vous voulez et puis, on est tout à fait libre de ne pas acheter des chaussures qui sont fabriquées par les camps de concentration pour enfants ou des poulets qui vivent dans des conditions épouvantables. On peut aussi jouer là-dessus, quand on est un consommateur conscient et organisé. Mais, on se laisse posséder par des messages publicitaires et là, on trouve la désinformation. Et une des tâches du système d'enseignement, ça sera aussi : comment éduquer à résister à la désinformation ? Aujourd'hui, on vous apprend à lire comme on apprenait à lire le journal dans l'enseignement de la fin du 19ème siècle mais les enseignants de l'époque, ils apprenaient à lire le journal pour pouvoir démonter, ils apprenaient l'analyse des textes, pour pouvoir démonter les discours des politiciens. Ils se disaient : la démocratie, c'est quand on sait bien lire le journal et décoder les arrière-pensées de ceux qui essaient de vous raconter des cracks. Mais aujourd'hui, on ne sait pas faire la même chose avec les messages télévisés. On peut vous faire une mise en scène télévisée planétaire avec les forces du bien et les forces du mal. On se fait entuber comme pas possible. Or, dans le message télévisé, vous avez encore beaucoup plus de puissance, de conviction et de puissance de contrôle des psychismes que vous n'en avez dans un texte. C'est tout à fait évident. Et par conséquent, là aussi, les résistances immunitaires, je dirais, de l'être conscient et organisé n'ont pas été travaillées. Donc, je conclus en disant : en effet, l'enseignement dans 20 ans sera très différent de ce qu'il est aujourd'hui. Il y a un facteur supplémentaire dont on parlait tout à l'heure, c'est ce que la direction de Monsieur Busquin a l'air de vouloir penser, il dit : dans une société de la connaissance, c'est peut-être pas les 3 % d'universités et de recherches qu'on considère aujourd'hui comme étant le nec plus ultra, un objectif, c'est peut-être 15 à 20 %. L'emploi industriel ayant diminué, c'est peut-être, alors à ce moment-là, ça veut dire que les établissements deviennent des vrais employeurs et non pas simplement des machines à remplir une feuille de paie et à faire un virement à la fin du mois, sans se préoccuper des gens, je veux dire. Les vrais employeurs, ça veut dire une direction des relations humaines qui fonctionne et qui fasse vraiment son métier, qui s'intéresse aux personnes, qui fasse un suivi, comme on le fait aujourd'hui, dans les grandes entreprises. S'il y a une chose à apprendre du système industriel, c'est peut-être aussi cet aspect des choses.

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Emile Simon

Est-ce que finalement notre grande angoisse de pays développé, n'est pas que nous n'avons pas encore réfléchi ni trouvé de question à ce que devrait être notre manière de vivre dans la société de surabondance ? Parce que, ceux qui ne sont pas en surabondance, prenons le cas du pauvre absolu d'Afrique, il va se battre comme nos ancêtres d'il y a quelques siècles pour atteindre une dignité de vie et de survie qu'ils doivent encore affronter s'ils veulent rester sur terre. Nous sommes gavés dès la naissance, le sens de l'effort, diront les enseignants, il est diminué jusqu'à son niveau le plus simple là où avant d'acquérir d'autres choses et de faire, et j'aime bien votre expression : trouver une société qui forme des autodidactes, ils n'ont même pas la capacité et les bases basiques pour le devenir, l'acquérir.

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Jean-Marie Lejeune

Vous nous avez parlé tout à l'heure : tout est vibration et est-ce que dans votre prospective, je n'en ai pas entendu parler mais vous ne parlez pas de l'élévation de niveau vibratoire de la planète, ni des modifications magnétiques qui sont quand même la base des influences de l'organisme et de l'être vivant qu'est l'homme, si je le considère comme un esprit, une âme et un corps. Et j'observe moi de mon côté que cette élévation vibratoire suscite une élévation de la conscience. On le voit avec Porto Alegre, on le voit avec aussi le dernier, ce qui s'est passé avec la guerre en Irak, toute cette masse comme ça de la population qui d'en bas montre que ce n'est plus nécessairement le haut qui dirige mais qu'il y a une autre force dont il faut prendre conscience. C'est une, donc cette élévation vibratoire et de conscience anime ce qu'on appelle en Amérique, je crois, les créatifs culturels, des gens qui pensent autrement, qui agissent autrement, et qui, par leur comportement, justement s'auto-éduquent et apportent vraiment des réponses pour moi qui sont beaucoup plus intéressantes qu'une prospective à 80 ans. Donc, voilà, je me demande s'il n'y a pas là un paramètre d'espoir quelque part. En tout cas, moi, il vit très fort en moi.

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Thierry Gaudin

C'est clair qu'il se crée progressivement ce qu'on pourrait appeler une conscience planétaire. C'est tout à fait clair. Bon, vous parlez de phénomène vibratoire. Il y a des éléments tout à fait concrets qui y contribuent, les satellites notamment. Vous avez un système de communications qui est mondialisé et qui fait que le monde entier peut se voir, peut se comprendre, les éléments que chacun peut avoir sous les yeux sont beaucoup plus planétaires qu'il y a une vingtaine d'années. Nous, lorsqu'on a expliqué qu'on allait faire un rapport mondial sur la prospective, on a dit : mais vous êtes fous ou quoi ? Et puis en plus, on a dit à 2100. Pourquoi on a dit à 2100 ? Parce qu'à l'époque, c'était la prévision des démocrates des Nations Unies, c'était que la population mondiale se stabiliserait vers 2100 autour de 10 milliards d'habitants. Vous voyez, c'est intéressant. A quoi peut ressembler une planète stabilisée avec le nouveau système technique généralisé ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Donc, on est parti de là et après, on a construit ce qui nous paraissait vraisemblable comme cheminement pour arriver à quoi ça ressemble et comment on y va. C'était une démarche tout à fait logique et qui n'avait pas, pour préoccupation de dire : on va faire de l'incrémental. C'est-à-dire qu'on ne dit pas c'est plus difficile de parler de 2100 que de parler de 2010. Non, c'est peut-être plus facile. C'est peut-être plus facile parce qu'on fait le chemin en se plaçant dans la nouvelle situation et puis après, on revient en arrière pour voir quelle est la trajectoire qu'on peut suivre pour y arriver. Je pense que c'est ça le point.

La question de Monsieur Simon, c'était : la société de surabondance.

J'ai une petite objection parce que si vous voulez, là, qu'est-ce que c'est que la pauvreté ? Pour moi, l'extrême pauvreté, c'est celle des gens qui n'ont pas le temps. Ce qu'on peut revendiquer en premier lieu, c'est du temps pour soi-même. Ceux qui n'ont pas le temps, par rapport à la société de désinformation, ils sont possédés au sens des sorciers par quelque chose qui est un être qui n'est pas eux et qui les oblige à faire un certain nombre de choses. On peut consentir à faire un certain nombre de choses. On peut consentir à faire fonctionner une entreprise, on peut consentir à s'allier, etc. Bien entendu, dès l'instant que c'est un consentement conscient et volontaire. Ce que je constate et alors, combien de fois, je l'ai vu, c'est des gens qui n'ont pas le temps. J'ai vu des gens arriver en réunion en disant : je m'excuse d'arriver en retard, je devrais déjà être ailleurs. Ils restaient ¼ heure et ils repartaient. C'est extraordinaire. Ils passaient leur vie à ça. Et ils trouvaient qu'ils étaient assez importants car, dans un certain milieu, l'importance des gens ne se mesure pas à ce qu'ils font mais à ce qu'ils n'ont pas le temps de faire. Et pour moi, c'est l'extrême pauvreté. Je connais alors, dans la situation urbaine, ce que je raconte est constant. Dans la situation urbaine, on s'est beaucoup moqué dans les années 70 des gens qui allaient s'installer à la campagne pour élever des moutons. Aujourd'hui, il y en a un certain nombre qui sont revenus piteux. Puis, il y en a qui sont restés. Ils sont toujours là dans les villages. En fait, j'en connais des dizaines et ils ont dit : on préfère gagner moins et avoir le temps et on vit avec nos animaux, notre potager, on fait d'excellents fromages. Ce qui nous permet de nous payer un peu d'électricité et de quoi vivre tout à fait bien.

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"Wallonie 2020", Cinquième congrès "La Wallonie au futur" -  Institut Jules Destrée - 2001-2003  
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Wallonie 2020

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