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Quatre messages à la Wallonie

Elisabert Dupoirier
Directeur de recherches à la Fondation nationale
des Sciences politiques (Paris) et
Directeur de l'Observatoire interrégional du Politique (CNRS)
 

En prenant connaissance du rapport préliminaire à votre congrès établi sous la responsabilité de l'Institut Jules Destrée, j'ai été frappée par la proximité, voire la similitude des questions et des approches qui guident la réflexion prospective en Wallonie, et celles qui animent les acteurs régionaux français, dans un contexte institutionnel et politique pourtant à bien des égards différent du vôtre (domaines de compétence, articulation des niveaux étatique et territoriaux, etc.). En prenant appui sur les recherches que je mène en France en tant que directeur de l'Observatoire interrégional du Politique et dans une perspective comparative, j'ai choisi de vous livrer quatre messages :

1. La mission du politique est plus que jamais de produire une offre de sens;

2. L'espace de l'action régionale doit s'ouvrir à d'autres horizons;

3. Il faut développer la culture de l'évaluation de l'action publique;

4. Plus que jamais l'avenir des Régions est dans l'Europe.

 

I. La mission du politique est plus que jamais de produire une offre de sens

Nous vivons aujourd'hui dans une civilisation perçue, à bien des égards, comme planétaire. Dans ce contexte, le rôle des institutions (au sens large des collectivités et de leurs acteurs) dans le travail d'explication et d'interprétation du monde devient de plus en plus central, parce qu'il protège des craintes de dépersonnalisation individuelle et collective. Dans ce travail de production de sens, les Régions peuvent jouer un rôle important. Je le vois bien à partir des travaux menés sur les Régions françaises qui, comme vous le savez, sont pour la plupart loin d'avoir les atouts de la Wallonie. C'est justement parce qu'elles sont parties de rien qu'elles constituent un bon laboratoire du fait régional et qu'elles permettent de tirer de leurs expériences quelques réflexions sur les conditions dans lesquelles les Régions peuvent contribuer à construire l'offre de sens du XXIème siècle.

Tout d'abord en assurant l'identification et la valorisation des atouts régionaux. Toutes les régions ont des atouts, si l'on veut bien admettre que les atouts d'un territoire, d'une collectivité de vie, ne s'apprécient pas exclusivement à l'aune d'un taux de contribution à un PIB national ou européen. Ces atouts se mesurent aussi à l'aide d'autres critères, plus qualitatifs, comme une position géographique intéressante, la préservation d'une culture vivante, la transmission de savoirs et de savoir-faire, la qualité de sa communauté humaine. Bref, sur un registre diversifié de ce qui constitue la richesse potentielle d'une collectivité, peu de Régions, même celles qui se pensent les plus déshéritées, sont dépourvues d'atouts. C'est à partir de l'identification et de la valorisation de ces atouts que peut se construire le projet régional. L'innovation, et notamment l'innovation technologique, a plus à gagner en s'appuyant sur les réservoirs des savoirs et savoir-faire existants qu'à s'inscrire brutalement dans une rupture traumatisante pour la majorité du corps social.

L'identité régionale joue en second lieu un rôle important dans l'offre de sens que doivent produire les acteurs. Une Région se définit par sa manière de vivre au sens complet du terme, c'est-à-dire son histoire et sa culture, mais aussi par ses projets communs et ses formes de créativité. C'est la pluralité des dimensions historique, culturelle mais aussi fonctionnelle de l'identité qui permet à chaque individu de se reconnaître dans un "vivre ensemble régional". Et c'est par sa posture d'ouverture par rapport à d'autres identités territoriales – locales, nationales et européenne – mais aussi sociales et politiques que l'offre identitaire régionale devient un levier de mobilisation autour d'un projet commun.

 

II. L'espace d'action régionale doit s'ouvrir sur d'autres espaces

L'offre de sens est bien sûr aussi construite par l'action. C'est d'ailleurs toute l'importance de la réflexion que vous menez ensemble à Mons. En cette fin de XXème siècle, ce qui me paraît fondamental, c'est que les conditions de la modernisation et donc de la construction de l'avenir se sont considérablement transformées, et que ces transformations jouent potentiellement au bénéfice des Régions.

Le modèle de développement auto-centré des Etats-nations conduisant la modernisation et façonnant des sociétés plus actives et plus justes s'est affaibli, voire pour certains épuisé. Avec les progrès de l'intégration européenne, c'est aujourd'hui sur un modèle alternatif d'interdépendance des territoires que se construit la modernité d'une société et que se prépare son avenir.

Dans cette perspective, l'espace de l'action publique ne peut plus être considéré comme un espace clos sur les frontières d'un territoire. C'est un espace qui peut, et même doit s'ouvrir sur d'autres de taille et de nature différentes, où les relations contractualisées entre pouvoirs publics se substituent aux relations verticales d'autorité et de solidarité prédéfinies. C'est aussi un espace à "géométrie variable" défini par la nature et la finalité des projets conduits. La notion uniformisante "d'optimum territorial" est, à bien des égards, un leurre tant il est vrai que la nature du projet commande la définition de l'espace propre à le faire aboutir.

Et bon nombre de projets structurants relèvent d'orientations et de programmations dont la mise en œuvre dépasse largement le cadre d'un territoire régional. Ils relèvent de coopérations transnationales entre régions, frontalières ou non, qui sont confrontées à des problèmes de développement complémentaires. Sous l'impulsion de l'Europe, cette fin de siècle est déjà marquée par la coopération des territoires. Le siècle qui s'annonce ne pourra qu'amplifier cette modalité d'ouverture de l'action publique.

La question fondamentale de la mise en cohérence de l'action publique s'en trouve profondément transformée. Cette mise en cohérence ne dépend plus exclusivement de l'accumulation des compétences d'une collectivité territoriale et du développement en conséquence de son pouvoir d'autorité. Elle dépend plutôt de la capacité de la collectivité à développer des relations partenariales avec d'autres dans une perspective de complémentarité de compétences et d'exercice de pouvoirs d'influence réciproques. Les Régions françaises l'ont assurément bien compris, qui, après une première période où elles ont revendiqué l'accroissement de leurs pouvoirs propres, se sont engagées dans des politiques de contractualisation avec l'Etat (la quatrième génération des Contrats de Plan se prépare en ce moment) ou des collectivités infrarégionales, leur permettant de conduire leurs projets structurants. C'est la multiplicité de leurs coopérations qui assurera le rayonnement des Régions.

 

III. Il faut développer la culture de l'évaluation de l'action publique

La multiplicité des systèmes d'action qui varient en fonction des secteurs d'intervention, des types de partenariat, du moment et du contexte environnemental dans lesquels l'action est initiée, des ressources engagées par les acteurs sont autant de facteurs qui confèrent à l'action publique un caractère de plus en plus complexe.

L'évaluation n'est certes pas un remède miracle aux dysfonctionnement des systèmes complexes. Mais elle est un outil central pour des collectivités qui ont pour mission de produire des orientations stratégiques et d'engager des responsabilités de programmation. Elle apporte en effet des réponses à trois questions : l'adéquation des résultats aux finalités recherchées, l'efficacité des programmes engagés, et surtout le sens de l'action publique.

L'évaluation procède avant tout de l'idée qu'il faut savoir ce que l'on fait et comprendre "à quoi ça sert". C'est la différence essentielle entre le contrôle et l'évaluation. L'évaluation est porteuse de sens. Mais elle ne peut remplir ce rôle que si elle est prise en compte par les décideurs qui en sont les bénéficiaires et dans la seule mesure où ces bénéficiaires s'en servent dans la durée pour corriger, infléchir, réadapter, redéfinir les politiques menées par rapport aux objectifs fixés à moyen ou long terme. L'évaluation est un outil de pilotage de l'action publique.

De ce point de vue encore, l'Europe est un précieux catalyseur de la culture d'évaluation. Sous son impulsion, cette démarche n'est plus seulement un exercice réglementaire mais de plus en plus un outil politique, un instrument d'arbitrage des choix stratégiques de la Communauté. Dans ces conditions, le pouvoir d'influence que les collectivités régionales peuvent exercer à Bruxelles est largement dépendant de leur effort commun pour développer cet outil de négociation.

Mais l'évaluation est aussi un outil de fonctionnement de la démocratie. A l'évidence, l'évaluation ne porte pas atteinte à la légitimité des acteurs politiques mais contribue tout au contraire à les relégitimer parce qu'elle alimente la qualité du débat public et répond à un besoin de transparence et de lisibilité de l'action politique réclamé par le corps social.

En France, pays dans lequel l'évaluation a longtemps été cantonnée au stade de l'invocation, au moins au niveau de l'Etat, ce sont les Régions, nouvelles collectivités en quête de légitimité et de crédibilité auprès de l'opinion, qui ont donné l'exemple en revendiquant, comme M. Delebarre, président de la région Nord - Pas-de-Calais, vient encore de le faire récemment, l'évaluation comme un geste éminemment politique.

 

IV. L'avenir des régions est plus que jamais dans l'Europe

Il y a dix ans, à cette même tribune, Riccardo Petrella attirait l'attention de votre assemblée contre de trop fortes attentes à l'égard de l'Europe. Non pas bien sûr dans une perspective de dénigrement de la construction européenne, dont il est à l'évidence un partisan convaincu et un fin connaisseur, mais plutôt sur la base d'un principe de précaution pour mettre en garde contre de mauvaises surprises ou au moins des malentendus. C'est la Région qui peut aider l'Europe, et pas l'inverse, vous disait-il alors.

Le bilan de la décennie écoulée incite à moins de brutalité. Et il me semble que, dans ce laps de temps, l'Europe a beaucoup apporté aux Régions. Et surtout des biens plus durables que ceux mis à disposition par une simple caisse de financement, encore que ceux-ci ne soient pas négligeables.

Les Régions ont reçu de l'Europe, à mon avis, trois biens immatériels qui représentent trois "chèques à tirer sur l'avenir" :

  • Le premier bien est une reconnaissance politique et institutionnelle au sein du Comité des Régions d'Europe. Certes ce comité est loin de consacrer l'idée d'Europe des Régions que certains comme Denis de Rougement appelaient de leurs vœux. Mais même avec des pouvoirs limités et consultatifs, même en partageant ces pouvoirs avec d'autres entités territoriales, les Régions sont en position d'influencer le processus de formation des décisions de l'Union européenne et se voient aujourd'hui reconnaître ce qu'on peut appeler "un régime régionaliste commun", ensemble de principes, normes et règles susceptibles de s'enrichir par l'action commune.

  • Le second bien qui en découle est le surcroît de légitimité dont les Régions bénéficient en retour pour faire valoir leurs positions au niveau stato-national, mais aussi au niveau des collectivités infrarégionales, qu'elles aient ou non pouvoir de tutelle sur elles. Un rapport d'autorité est toujours enrichi par une réputation d'influence lorsqu'il s'agit de faire émerger en tant que chef de file des projets communs qui ne soient pas de simples juxtapositions de projets locaux. Le cas des Régions françaises est clair de ce point de vue. Elles ne sont pas les seules.

  • Le troisième apport décisif de l'Europe aux Régions est l'incitation au développement des coopérations engagées avec d'autres entités sur des projets communs. L'Europe apparaît ici comme un facilitateur de la nécessaire ouverture au monde des Régions et du redéploiement de leur action à la mesure des nouveaux enjeux produits par la mondialisation.

Pour cet ensemble de motifs dont on ne voit pas pourquoi ils seraient remis en question dans l'avenir, l'Europe demeure, et me semble-t-il pour longtemps, un élément catalyseur du développement régional. Reste que, bien sûr, rien ne peut remplacer la volonté politique de la collectivité régionale elle-même de faire valoir ses atouts et de mobiliser ses ressources dans un effort collectif d'imagination et de création pour forger sa communauté de destin.

 

 

 

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