Institut Destrée - The Destree Institute

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La Wallonie au futur :
de la prospective de 1987
à la réalité d'aujourd'hui

Jean-Pol Demacq
Président de l'Institut Jules Destrée
 

C'est à l'occasion du Comité scientifique du congrès permanent La Wallonie au futur tenu le 18 avril 1996 que fut lancée l'idée d'un congrès général d'évaluation de l'ensemble de la dynamique menée depuis 1987 sous la direction du professeur Michel Quévit. Trois constats avaient déterminé cette décision :

  1. la société wallonne apparaît freinée dans son développement par un blocage culturel, obstacle qui génère des blocages économiques et sociaux, particulièrement le déficit, sinon la carence de l'esprit d'entreprendre;

  2. les congrès tenus depuis 1987 et l'analyse qui y a été faite de la société wallonne n'ont pas permis d'éviter ou de répondre à ces blocages, même si ces congrès n'avaient pas eu comme objectif de déboucher sur des propositions concrètes de changement de la société mais bien d'ouvrir des pistes de réflexion;

  3. la société a évolué, certaines des pistes proposées depuis 1987 ont été suivies, d’autres n’ont pas été suivies parce qu’elles ne se sont pas avérées pertinentes ou parce que la société n’était pas prête à les accepter.

Le 6 juillet 1996, les axes du nouveau congrès étaient mis en place : il s'agissait de valoriser la relation chercheurs / entreprises – que Robert Deschamps considérait comme une valeur que l'Institut Jules Destrée avait su instaurer – et de ne développer des lignes ni trop générales, ni trop pointues, mais bien novatrices. L'idée était de renouer avec l'approche interdisciplinaire qui avait fait le succès des rencontres de 1987 et 1991. Dès ce moment, le titre était choisi : Sortir la Wallonie du XXème siècle, tandis que la démarche était précisée à l'initiative de Michel Quévit, de Gérard Fourez et de Luc Maréchal qui, tous trois, insistaient sur l'innovation et l'évaluation. Ces deux enjeux allaient constituer les maîtres mots de la nouvelle dynamique progressivement mise sur pied grâce aux initiatives prises à l'occasion des comités scientifiques décisifs des 27 novembre 1996 et 27 février 1997.

A cette date, Philippe Destatte déposa devant le Comité scientifique une note méthodologique destinée à préciser la notion d'évaluation. Il y rappelait, à la suite de Gérard Figari, que l'évaluation doit être comprise et vécue comme un processus de collecte de données permettant de juger des décisions possibles, plutôt que comme un mécanisme de contrôle et de vérification pour lequel l'Institut Jules Destrée et même le congrès permanent La Wallonie au futur ne sont nullement habilités (1). Ainsi, cette démarche, complètement étrangère à celle d'un audit externe, et construite sur un cadre référentiel déjà connu pouvait alors se dessiner suivant trois volets :

  • une évaluation des politiques préconisées par les congrès La Wallonie au futur;

  • une évaluation des politiques menées depuis 1987;

  • une évaluation des structures et des filières, c'est-à-dire des dispositifs (2), mis en place entre les différents acteurs de la société : les entreprises, les institutions politiques, administratives et sociales, les universités et l'ensemble des institutions éducatives, sur base des interactions préconisées par les congrès La Wallonie au futur.

Au delà de la tâche prospective (évaluation diagnostique) que les congrès La Wallonie au futur avaient constitué jusqu'ici, il s'agissait d'appliquer à la société wallonne tout entière, la technique du pilotage que nous avions préconisée pour le système éducatif.

Cette dynamique fut immédiatement approuvée puis affinée lors des réunions des 22 avril et 5 juin 1997 où deux décisions déterminantes furent prises.

D'abord, l'ouverture immédiate du comité de pilotage du congrès à une équipe d'outsiders – de contradicteurs – qui allaient pouvoir remettre en cause la méthodologie, les pratiques et les conclusions des travaux réalisés depuis 1987 : c'est dans ce cadre que, premiers outsiders avant de devenir rapporteurs, Jean-Louis Dethier et Luc Vandendorpe rejoignaient le comité scientifique avec, comme vocation avérée et avouée, de remettre en cause les visions des artisans des congrès précédents et d'aider à gérer le malaise que toute démarche d'évaluation entraîne.

L'autre décision portait sur l'identification et la mise en œuvre des trois premières étapes du nouveau congrès :

 

Première phase : la réalisation d'une synthèse de 40 pages des travaux précédents, la publication, dès juin 1997, des 2144 pages de travaux – tant sur cédérom et sur le site Internet de l'Institut Jules Destrée, Wallonie-en-ligne –, afin de disposer de la totalité du référent, ainsi que l'élaboration d'un questionnaire d'évaluation des congrès.

 

Deuxième phase : le lancement d'une vaste enquête réactive auprès de 2000 personnes, sur base de ce formulaire très précis – trop précis et trop complexe a-t-on dû constater – permettant de recueillir l'opinion de décideurs (chefs d'entreprises, interlocuteurs sociaux, présidents de parti, ministres), d'acteurs (cadres d'entreprise, fonctionnaires, élite agissante), d'observateurs (journalistes, historiens, professeurs d'université), enfin de la société civile. Réalisée pendant le deuxième semestre 1997 et le premier semestre 1998 sous le conseil méthodologique de Jean-Louis Dethier, cette tâche de longue haleine a été menée à bien par Fabienne Roberti, assistante à l'Institut Jules Destrée : elle a rencontré les décideurs politiques, économiques et administratifs du plus haut niveau disposant d'une influence sur l'évolution de la société wallonne, afin de recueillir leur avis sur la pertinence et sur l'actualité des pistes formulées par nos congrès. Elle a également dépouillé la centaine de réponses écrites reçues à la suite de l'envoi de notre questionnaire ainsi que les propositions formulées par les 239 candidats traceurs de lendemain pour la Wallonie – âgés de moins de 35 ans – qui nous ont été aimablement communiquées par la Fondation Roi Baudouin.

Ces documents ont été étudiés à l'occasion des comités scientifiques des 22 avril et 2 septembre 1998. Concernant ce rapport préliminaire, il m'apparaît utile d'en relever rapidement six courts commentaires introductifs :

  1. L'enquête est indubitablement marquée par la période durant laquelle elle s'est déroulée : de novembre 1997 à juin 1998. Il s'agit donc d'une prise d'information sur la situation du moment.

  2. Une des difficultés pour l'analyse résulte du fait que nous ne disposons pas d'enquête de référence sur ces mêmes thèmes avant 1987.

  3. Des biais sont décelés : il faut réfléchir à ce que les gens ont dit et ne pas prendre les réponses comme argent comptant : vous disposez et nous disposons d'informations qui ne confirment pas nécessairement les déclarations des interlocuteurs.

  4. On doit relever une certaine méconnaissance de la réalité chiffrée, y compris de la part de décideurs qui réagissent en fonction de leur propre situation dans le système social et généralisent à l'ensemble de leur analyse sur la Wallonie.

  5. De nombreux constats comme de nombreuses propositions ne portent que sur des perspectives à court terme. Il n'y a pas de réelle prise en compte de la notion de durée. Le congrès lui-même n'avait pas toujours sérié les problèmes de manière précise dans le temps.

  6. On constate une mise en cause systématique du pouvoir dans toutes ses représentations – politiques (parlementaires comme gouvernementales), économiques, administratives, culturelles –, nos interlocuteurs oubliant quelque peu la responsabilité du citoyen dans le système social.

 

Troisième phase : la diffusion, pendant ce mois de septembre 1998, des résultats de l'enquête réactive aux participants au congrès, en demandant à chacun d'analyser l'enquête sur base des deux questions d'évaluation prospective qui constituent véritablement l'objet de nos travaux. Je rappelle ces questions.

La première porte sur la validité des congrès précédents :

Les enjeux pour la société wallonne tels qu'ils ont été définis par les congrès précédents et résumés dans le rapport préliminaire (synthèse, constats, analyse, pistes et exemples) étaient-ils bien anticipés ? Pensez-vous que les politiques menées depuis dix ans – aux différents niveaux de décisions horizontaux et verticaux – et qui affectent la Wallonie, ont tenu compte des travaux des congrès la Wallonie au futur ? Quelles stratégies proposées par ces congrès considérez-vous comme essentielles ou primordiales aujourd'hui ?

La seconde question porte sur les stratégies innovantes sur lesquelles – après les avoir définies – nous chercherons des convergences, en nous inspirant des cadres chronologiques prospectifs mis en avant par le député Serge Kubla.

En dehors de ces stratégies déjà connues, quelles sont les stratégies que vous préconisez pour positionner la Wallonie au XXIème siècle ?

  • A court terme (quel contenu pour les déclarations gouvernementales de la prochaine législature ? quels éléments pour un programme de convergence des interlocuteurs sociaux ? quelles initiatives civiles et associatives promouvoir ? quels sujets prioritaires de mobilisation citoyenne ?, etc.).

  • A moyen terme (dans l'espace d'une législature).

  • En amorce du long terme (une génération) ?

 

La quatrième phase de la dynamique sera constituée par notre rencontre de ces 9 et 10 octobre 1998. Le congrès s'articulera autour de cinq moments importants :

  1. Dans un instant, l'intervention du professeur Michel Quévit, qui a porté notre congrès depuis 1987 comme rapporteur général et qui est appelé aujourd'hui à de nouvelles tâches tout en restant à nos côtés. Nouveau directeur général d'EBN - European Business and Innovation Network, Michel Quévit est donc l'animateur de ce réseau grand européen de centres d'entreprise et d'innovation, spécialisé dans la recherche de partenariats dans le domaine de la recherche et du développement. Notez que l'Institut Jules Destrée est membre correspondant de ce dynamique réseau.

  2. Les travaux des six carrefours interdisciplinaires constitueront les lieux de débats portant sur les questions touchant au paradigme défini de 1987 à 1997, à l'évolution de la société wallonne et aux nouvelles stratégies à mettre en œuvre. De plus, les dialogues stratégiques étant interdisciplinaires, les carrefours qui les précèdent devront l'être aussi. C'est pourquoi nous avons voulu casser les logiques qui veulent que les enseignants parlent de l'enseignement et les ingénieurs de technologie ou d'économie, tout en étant attentifs à avoir pour chaque carrefour au moins un témoin, voire un président ou un rapporteur incompétent – le terme est évidemment provocateur – c'est-à-dire une personne-ressource pour laquelle la problématique étudiée n'est pas le champs habituel de réflexion. Les présidents guideront le travail, en distinguant bien les trois outils (constats, analyses, pistes) que nous avons voulu utiliser et en demandant à chacun des formulations simples et précises, de façon à ce qu'elles puissent être communiquées demain de manière synthétique par les rapporteurs. Il s'agit ici non seulement de faciliter le consensus et l'engagement des décideurs sur des points concrets à mettre en œuvre, mais aussi de permettre un suivi et une évaluation régulière à ces différents niveaux. Avec Michel Molitor, je demanderai également que les présidents veillent à ne pas transformer la créativité d'hier en orthodoxie d'aujourd'hui, en cadrant trop fortement les thématiques abordées. Faut-il rappeler d'ailleurs que le carrefour – lieu de débat, d'expression et d'écoute – vous est ouvert. Je vous invite à en user totalement, dans les limites, des dix minutes consacrées aux interventions des témoins et des cinq minutes réservées à chaque participant. Limites nécessaires afin de faire circuler les idées et de multiplier les interventions.

  3. L'intervention attendue de Madame Elisabeth Dupoirier, directeur de recherches à la Fondation nationale des Sciences politiques à Paris et directeur de l'Observatoire interrégional du Politique au CNRS, ce samedi à 9 heures, qui – comme l'avait fait Riccardo Pétrella en 1987 – ouvrira les questions à des problématiques régionales plus larges, sur base de son expérience des régions de France.

  4. Les dialogues stratégiques, recherches de convergences entre le congrès et les décideurs politiques et économiques pour repositionner la société wallonne. Vous constaterez d'ailleurs que la procédure a été inversée par rapport aux précédentes rencontres. En effet, jusqu'à présent, le panel était utilisé en début de congrès afin de déterminer une thématique. Ici – comme dans une conférence-consensus, il se tiendra en finale pour orienter l'action. C'est à ce moment déjà que nous pourrons à la fois mesurer la qualité de notre travail et la séduction que nous serons capables d'exercer sur les décideurs politiques, économiques et sociaux.

  5. Le rapport général de synthèse et d'orientation que, à la demande du Conseil scientifique, Philippe Destatte a accepté de réaliser, en oubliant autant que faire se peut sa fonction de directeur de l'Institut Jules Destrée, ainsi que l'intervention de clôture du ministre-président du gouvernement wallon, Robert Collignon.

 

Afin de respecter la consigne impérative de respect du temps de parole qui a toujours été un des leitmotive de nos congrès et avant de confier la parole à Michel Quévit, il me reste à conclure.

Je le ferai d'abord en évoquant l'Institut Jules Destrée. L'image de notre institution – qui fête cette année son soixantième anniversaire – ne sort pas indemne de l'enquête réactive. Trop peu connue, l'action de l'Institut Jules Destrée apparaît encore trop souvent liée à un parti politique précis et à une sous-région de Wallonie : ceux dont le député de Charleroi a porté la flamme pendant sa longue carrière politique de 1894 à 1936. Notre effort de présentation en tant qu'organisme réellement pluraliste, philosophiquement et politiquement, et de lieu de rencontre, d'analyse et de réflexion portant sur toute la Wallonie doit donc se poursuivre et même s'amplifier. Déjà, et parce que nous savons aujourd'hui qu'il n'est pas nécessaire d'attendre pour avancer, nous avons associé l'idée de La Wallonie au futur à celle de la gestion quotidienne de nos dossiers, y compris sur le nouveau logo de l'Institut Jules Destrée.

Ainsi, alors qu'un premier cycle de dix ans de réflexion se clôture avec ce congrès, et avant que vous ne débattiez de l'influence des trois premières sessions sur la société wallonne, il me faut constater l'impact du congrès sur les orientations générales de l'Institut Jules Destrée. Au travers des dix années d'existence de La Wallonie au futur, les axes et valeurs définis par ses travaux – tels, notamment, la volonté de considérer la Wallonie comme une société, la nécessité des investissements immatériels particulièrement dans l'éducation et dans la recherche, les projets à la fois enracinés localement et à portée universelle, le développement à partir du terrain – sont devenus aussi les nôtres. Ce congrès, que nous avions voulu permanent est, pour nous, une préoccupation quotidienne.

Mais, faut-il le rappeler, cette rencontre n'est pas le congrès de l'Institut Jules Destrée, elle est celle de La Wallonie au futur. Michel Quévit et tous les membres du Comité scientifique qui pilotent le congrès depuis onze ans le savent : la seule ambition de l'Institut Jules Destrée a été pendant ces années de mettre, avec l'aide de la Région wallonne, de la Communauté française et de la Province du Hainaut, nos moyens, nos compétences et notre disponibilité à la disposition d'un vaste projet qui dépasse largement notre champ d'action. Tous nous les remercions pour la confiance qu'ils ont placée en nous. Tous, nous vous remercions pour la confiance dont vous continuez à nous honorer.

Nous continuerons à agir dans ce sens à l'avenir. Notre volonté consiste d'ailleurs à mettre en place, de manière structurelle, un centre indépendant de prospective pour la société wallonne, en nous inscrivant dans le réseau européen et nord-américain de visions prospectives et futuribles ainsi qu'en tenant compte des leçons de l'évaluation du premier cycle que nous venons de parcourir. Nous le savons, mon cher Michel Quévit, même si nous ne nous sentons pas les professeurs Nimbus de la Wallonie - pour reprendre une formule du débat de Samedi Première de ce 2 octobre - notre congrès est parfois apparu comme une rencontre intellectualisante et détachée du réel. La mécanique même de cette nouvelle rencontre a voulu faire un sort à cette image. Que chacun nous pardonne ici aussi d'avoir anticipé les conclusions de l'enquête réactive.

Mesdames et Messieurs, un projet pour la Wallonie se construit ici depuis dix ans avec modestie, avec insistance, avec volonté, de manière ouverte et démocratique. C'est un projet concret qui engage les acteurs qui y participent. C'est à vous qu'il appartient de le tracer en dressant le programme des mesures que vous pensez déterminantes pour l'avenir de notre région.

Je vous en remercie déjà et vous souhaite bon travail.

 

Notes

(1) Gérard FIGARI, Evaluer : quel référentiel ?, coll. Méthodologie de la recherche, p. 27-29, Bruxelles, De Boeck, 1994.

(2) Manière dont sont disposées les pièces, les organes d'un appareil; le mécanisme lui-même – (Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaire de la Langue française, 1994).

 

 

 

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