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Dialogue stratégique Citoyenneté
 

Jean-Marie Klinkenberg
Professeur à la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège

Pino Carlino
Secrétaire général de la CSC

José Happart
Député européen

Danierl Ducarme
Député wallon

Joëlle Milquet
Sénatrice, Vice-présidente du PSC

Jacky Morael
Secrétaire fédéral d’Ecolo

Jean-Marie Klinkenberg :

Un thème est apparu comme particulièrement important : celui des industries culturelles. Ces industries semblent porteuses, prometteuses d’emplois dans le domaine de l’audiovisuel et dans toutes les nouvelles technologies, les industries de la langue, le multimédia. La question que nous souhaitons vous poser est la suivante : si vous êtes appelé à définir et à appliquer une politique en matière culturelle, quelles dispositions pourriez-vous envisager pour favoriser ces industries culturelles ?

Dans le rapport, on a fait déjà allusion à certaines réalisations ou certaines suggestions. On a rappelé le fond d’aide à l’industrie cinématographique, on a également évoqué la possibilité qu’il puisse y avoir une filiale de la SRIW au niveau culturel. Quelles pourraient être les dispositions réalistes à prendre en ce domaine ?

Daniel Ducarme :

Tout d'abord, si la Wallonie doit exister pour tout ce qui à trait aux industries culturelles, elle doit le faire en tenant compte à la fois de sa dimension et de sa nécessité d’ouverture sur le plan culturel. Cela veut dire que, pour nous, la référence à cet égard, c’est, bien entendu, la possibilité d’un développement en Wallonie mais dans le cadre de l’espace Wallonie -Bruxelles. Il est très clair que, à partir de l’instant où les francophones sont ce qu’ils sont en Belgique, que les institutions que nous connaissons fonctionnent comme elles fonctionnent, il est utile de considérer l’approche en liaison immédiate avec Bruxelles. Donc, dans ce domaine comme dans d’autres, pas de repli wallon.

Ensuite, nous croyons qu’il faut pouvoir développer ce que j’appellerai un pôle d’excellence, en ce qui concerne les industries culturelles. Des efforts importants sont menés actuellement en Wallonie et notamment dans la région de Charleroi. Je sais que des recherches sont également en cours à Mons. Nous croyons que, dans une région qui doit se redévelopper, le fait d’avoir trouvé de nouveaux axes en Wallonie, et particulièrement en Hainaut, devrait nous permettre d’avoir ce pôle d’excellence en travaillant avec nos universités et en faisant appel, incontestablement, au privé.

Enfin, pour mener une politique telle que celle-là, notre proposition est d’identifier une zone franche. Il n’est pas possible d’avoir un effet captif en terme d’industries culturelles au niveau européen – et même vis-à-vis du reste du monde – si l’on n’a pas la volonté de le traduire par une zone capable d’accueillir et donnant les incitants utiles, notamment sur le plan fiscal, pour accueillir.

Voilà, de manière extrêmement synthétique – on pourra peut-être y revenir dans le débat –, ce que nous croyons à cet égard : espace Wallonie -Bruxelles, un pôle d’excellence à développer et une zone franche pour permettre l’investissement.

Joëlle Milquet :

A propos du premier point évoqué par M. Ducarme, autant je pense qu’on a des spécificités en Wallonie, qu’il faut les promouvoir et qu’il faut aider les artistes wallons à s’exprimer, autant je pense que, si l’on veut une Wallonie ouverte, il faut aussi promouvoir la culture multiculturelle : il n’y a pas uniquement les artistes locaux. Je pense que la force de la culture chez nous, c’est aussi la culture francophone et je n’aime pas non plus les replis identitaires parce l’on exacerbe des différences de manière nuisible. Par exemple, le cinéma francophone belge, on ne sait pas nécessairement s'il a été produit à Liège, à Arlon ou à Bruxelles et il y a une cohérence de sensibilité. Je ne vois pas toujours les différences. Par contre, qu’il faille rééquilibrer au niveau de l’affectation des subsides, tout à fait d’accord. Je ne suis en tout cas pas une défenderesse de la régionalisation en la matière.

Les enjeux en politique culturelle c’est :

  • renforcer l’accès à la culture, au delà du problème institutionnel qui me semble secondaire et cela doit être une priorité;

  • renforcer le décloisonnement : la culture n’est pas une bulle fermée de beaux-arts pour une certaine élite. On doit développer une politique qui soit en liaison avec l’économique – et je vais y arriver pour répondre très concrètement à vos deux questions –, avec l’éducatif, avec l’urbanisme, l’aménagement du territoire, avec une politique d’intégration et de multiculturalité, une politique scientifique et surtout de multimédia. Je pense qu’il y a là une filière qui peut être hyper porteuse d’emploi et de développement économique. On a un facteur intellectuel vraiment à part qu’on pourrait valoriser. Cela implique que l'on introduise le culturel dans une politique cohérente, globale et transversale, ce qu’on n'a peut-être pas assez fait jusqu’à présent.

Les pistes évoquées sont intéressantes. Il y a déjà une initiative en ce qui concerne le fond de promotion pour le cinéma; les artistes s’en plaignent, trouvent que ce n’est pas suffisant. Il y a un problème de saupoudrage et de choix. Il faudrait, en tout cas, renforcer cet axe-là. Créer une société à partir de la SRIW est une piste également intéressante. Il faut une promotion politique et économique, que ce soit par des incitants fiscaux, par certaines aides au démarrage, d’autres pistes liées à une politique économique que nous avons menée vis-à-vis d’autres types de PME et d’autres types de filières. En tout cas, ce doit être une des priorités parce que c’est un des vecteurs de développement que l’on a peut-être un peu trop négligés. Quand on voit les succès que nous avons à l’étranger et que l’on pourrait décupler avec une politique plus ciblée, qui peut s’inscrire dans ce fameux plan à long terme wallon, je pense, que nous aurions vraiment là quelque chose de neuf qui, à la fois, allie l’emploi, l’économie et surtout la culture. Donc sur ce plan, il y a des efforts à faire, il y a des pistes, et notre volonté est d’y arriver.

Pino Carlino :

Vous n’allez pas entendre dans ma bouche le projet gouvernemental de la CSC sur les industries culturelles, puisque nous ne sommes pas et nous ne serons pas appelés à ce type de responsabilités. Néanmoins, deux ou trois réflexions par rapport à ce qui a été dit.

Tout d’abord, je partage le point de vue de ceux qui disent "pas de repli". La politique doit être menée sur l’espace Wallonie - Bruxelles.

Ensuite, pour réussir à mettre en œuvre un projet ambitieux sur le champ des industries culturelles, il faut, d’une part, une utilisation intelligente des moyens existants et dans ce cadre-là, la SRIW a les moyens financiers pour le faire; d'autre part, le problème est de trouver les bons projets qui vont déboucher sur la valorisation de la capacité créatrice, en Wallonie, des culturels en général et, en même temps, des projets qui soient payants et qui débouchent sur une amélioration économique pour l’ensemble des citoyens.

Enfin, on ne doit pas recommencer à se disputer pour savoir qui va faire quoi et où on va le faire en Wallonie. Une des conditions, si on veut se mettre dans une stratégie de réussite, c’est de bien définir au préalable où cela se passe. Ce sera un arbitrage stratégique difficile à faire pour les responsables politiques, mais ne recommençons pas la guerre – faire en trente-six endroits des projets croupions qui vont galvauder les moyens de la collectivité, déjà tellement rares.

Si j’ai à plaider pour quelque chose, c’est pour que la Wallonie ait la possibilité de se mettre en route sur des industries culturelles mais qu'elle définisse bien où elle le fait, sur quels points d’appui et avec quels objectifs stratégiques. Dans ces conditions, en tout cas pour ce qui me concerne, si nous devions solliciter la SRIW pour rentrer dans ce type de partenariat, bien entendu nous irions.

Jean-Marie Klinkenberg :

Il est intéressant de voir que, même si, au départ de votre intervention, vous dites que vous ne serez pas amené à définir la politique du gouvernement wallon en cette matière, vous demandez que ce problème soit débattu avec tous les partenaires susceptibles d’être impliqués.

Jacky Morael :

Je vais commencer par le même point que ceux qui m’ont précédé. Pas de repli non plus en matière d’industries culturelles, plus encore que dans d’autres matières parce qu’il faut, tout d'abord, en Wallonie et à Bruxelles, atteindre ensemble des budgets qui présentent un relatif effet de seuil – en dessous d’un certain seuil, tout particulièrement en matières culturelles, on n’est plus crédible, on ne pèse plus sur les événements. Ensuite, parce que, le Wallon est individuellement très peu polyglotte alors que la Wallonie est une région très polyglotte, surtout en complicité avec Bruxelles. Si on prend cet espace-là, nous avons des Wallons, bien entendu, des germanophones, des gens de la communauté italienne, de la communauté marocaine, des Bruxellois francophones, des Bruxellois flamands et chacune de ces langues véhiculées quelque part en Wallonie est aussi un vecteur pour faire connaître certains pans de notre culture à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières régionales et communautaires.

Par ailleurs, je crois qu’il faut, en matière d’industries culturelles, éviter une série d’écueils. Je ne me fais pas beaucoup d’illusions sur la capacité du politique à définir une stratégie d’industries culturelles. J’avoue très honnêtement que je n’ai pas une stratégie des industries culturelles, je crois que l’essentiel des décisions prises dans ce secteur échappe quasi totalement au politique. Par contre, le politique peut être là pour baliser le terrain et notamment pour peser face à des phénomènes comme la mondialisation de l’économie, au traité AMI par exemple – rendons-nous compte que lorsque nous réclamons, par exemple, des exceptions culturelles dans ces traités internationaux de mondialisation des échanges, ces mêmes traités prévoient toujours que ces exceptions sont vouées à disparaître. C’est dans le texte du traité même et donc cette exception n’est jamais que temporaire. Dès lors, en matière de cinéma, de multimédia, de variétés, il est évident que, dès l’instant où l’exception culturelle tombe, c’est le rouleau compresseur qui s’abat sur les cultures les plus marginales. Donc, un : éviter la marginalisation. Deux : éviter la discrimination.

Ensuite, je crois, comme beaucoup, que l’accès aux technologies de l'information va être, dans les décennies qui viennent, le critère discriminant le plus fort au sein d’une population. Il y aura ceux qui – je ne parle même pas des spécialistes –, auront un accès aisé, quotidien, y compris au plan matériel, à ce type de technologies et puis, il y aura ceux qui seront quasiment analphabétisés. Bien sûr, ils sauront lire et écrire mais ils seront complètement analphabétisés par rapport aux circuits qui feront circuler l’essentiel de l’information. Là, le politique a un rôle évident à jouer, notamment dans toute la politique d’éducation, la politique d’éveil, la politique de mise en réseaux, de solidarité entre écoles. Il n’est pas normal que seules les écoles les plus riches puissent offrir du matériel à leurs élèves ou celles qui sont situées près d’une entreprise qui y trouve un intérêt. Donc il faut une politique de l’éveil à ce type de technologies.

Je termine par quelques exemples précis.

Dans cette matière, comme dans d’autres, ce qui manque probablement en Wallonie, c’est une culture du risque. Par définition, tout projet culturel est un projet à risque. Je connais peu de projets culturels qui sont des succès a priori, tout le monde prend un risque. Donc, c’est dans cette culture de risque qu’il faut essayer d’aider au maximum les projets à se développer. Je pense, par exemple, à l’idée – portée depuis des années déjà, mais qui n’avance guère – de faire des dépenses culturelles, des dépenses obligatoires pour les communes au même titre que d’autres types de dépenses, de façon à ce que, partout, une série de micro projets soient aidés à éclore, à se développer, et pourquoi pas à rencontrer du succès.

Je crois aussi que les pouvoirs publics doivent faire en sorte de propager eux-mêmes, de façon non discriminante, une série d’informations sur les supports les plus pointus, non pas parce que cela va toucher une forte population mais parce que cela va habituer et sensibiliser la population à voir circuler ce genre de support. Je prends un tout petit exemple : le centre d’études d’Ecolo a diffusé sur cédérom les textes, volumineux d’ailleurs, du nouveau Code wallon de l’Aménagement du Territoire et de l’Urbanisme. C'est pourtant un code qui n’a pas beaucoup de beauté à nos yeux, mais on a trouvé qu’il était intéressant qu’un maximum de gens aient à disposition un tel outil juridique et technique sous forme de cédérom. Je ne blâme personne de ne pas l’avoir fait. Mais je dis : il faudrait que ce genre de choses se multiplie.

Et enfin, il serait important, à l’échelle de la Communauté française – je ne vois pas comment on pourrait le faire au départ des régions – de voir quelles places nos médias audiovisuels vont avoir dans les futurs bouquets numériques. Ce n’est pas le futur lointain, c’est pratiquement l’immédiat. Les bouquets numériques seront l’accès dominant, d’ici quelques années, à l’information, la culture, les divertissements, la télévision. Il est donc évident que, si nous sommes absents de ce type de projet, qui est à la fois industriel et culturel, c’est évidemment très dommageable pour nous.

Jean-Marie Klinkenberg :

Lorsque vous dites qu’il y a une responsabilité de l’Etat dans le problème de la discrimination mais que par contre l’élaboration de produits culturels lui échappe, il y a peut-être d’autres aspects, notamment l’éveil technologique, l’élaboration de normes de qualité, la formation à la production et au développement et, là, les pouvoirs collectifs ont, sans doute, aussi un rôle à jouer.

José Happart :

Je me demande où je suis ici. Qu’est-ce que c’est pour un truc qui veut que, chaque fois que l’on veut développer la Wallonie, ce soit un repli, et frileux en plus. A quoi est-ce qu’on joue ici ? Est-ce que la Wallonie n’a pas de futur sans Bruxelles ? Cela veut dire quoi ? Ça veut dire, chaque fois que les Bruxellois ne seront pas d’accord, un droit de veto ? Ça ne veut rien dire. Je ne suis pas anti-Bruxellois, je suis pro-Wallon, mais en tant que Wallon j’entends faire ce que j’ai envie de faire pour ma Wallonie, pour la Wallonie des gens qui y habitent, d’où qu’ils viennent. Tant mieux si on peut avoir des collaborations avec Bruxelles, tant mieux si on peut avoir des collaborations avec la Flandre, avec les régions françaises, allemandes ou hollandaises. Si on n’existe pas comme Wallons, de quoi allons-nous discuter avec les autres ? Je ne peux pas supporter qu’on dise toujours qu’il y a un repli wallon. Je suis pour les théâtres amateurs dans nos campagnes en langue dialectale, dont on ne parle jamais parce que, vu de Bruxelles, c’est incohérent, c’est inconséquent d’avoir des théâtres ruraux dialectaux. Je ne suis pas d’accord. On parle de l’industrie. L’industrie viendra le jour où la culture sera.

J’aimerais beaucoup mieux que l’on exige, au niveau de la RTBF, que l’on passe prioritairement des œuvres faites en Wallonie, faites par des Wallonnes et des Wallons qui sont fiers d’être ce qu’ils sont et qui le montrent. Que l’on exige que, dans les programmes de la RTBF, on présente, à des heures de haute audience, des travaux et des œuvres qui sont réalisés par des Wallonnes et des Wallons. C’est cela qu’il faut faire. Il faut nous donner les moyens d’avoir la possibilité de lancer des œuvres dans les cinémas ouverts ou imposer aux grandes salles, comme il y en a une à Liège et une à Charleroi, des projections d'œuvres wallonnes, en permanence, dans une ou deux de leurs salles. Voilà des moyens d’accès facile à la culture wallonne.

Mais, de grâce, arrêtons de dire que, lorsqu’on se déclare Wallon, fier de l’être, on est frileux. Je ne suis pas frileux, je n’ai peur de personne. J’ai le droit d’avoir ma culture et je crois en ma région.

Jean-Marie Klinkenberg :

Nous allons avoir l’occasion de revenir aux relations Bruxelles -Wallonie. La deuxième question portera là-dessus. Ce sera évidemment une question sur laquelle on aura l’occasion de s'exprimer à nouveau. Je voudrais maintenant me tourner du côté de la salle pour savoir si, sur la question des industries culturelles, il y a des interventions, soit sous forme de proposition, soit sous forme de question aux membres du panel.

 

 

 

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