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Débats avec les participants
 

José Fontaine, Philosophe :

A propos d’une émission de cinéma présentée sur ARTE, Léon Michaux écrivait ceci dans Le Matin : dans la sincérité et le désarroi des cinéastes francophones interrogés à la télévision ARTE, perçait cette idée vérifiée dans la concentration économique ou financière telle que Michel Quévit l’a décrite : en cinéma, la Belgique, vue par les francophones c’est Bruxelles. Dire Belgique, c’est dire Bruxelles. Je pense que c’est exact. Il n’y a pas ici une position politique.

José Happart dit ce qu’il entend dire. Moi je dis ce que j’ai envie de dire. Nous avons signé, avec Michel Quévit, Jean Louvet, Jacques Dubois, Jean-Jacques Andrien, il y a quinze ans, un Manifeste pour la culture wallonne. Mesdames et Messieurs les femmes et les hommes politiques, vous employez constamment le terme de repli pour décrire ce projet sans définir ce que vous entendez par repli.

Je vais terminer par une statistique, je ne peux donner que celle-là parce que Le Soir n’est sur Internet que depuis janvier 1994. De janvier 1994 à août 1996, il y a eu 140 articles dans Le Soir qui opposaient les mots repli et solidarité; le mot "solidarité" désignant les partisans de la Communauté française, le mot "repli" désignant les gens qui, comme ceux du Manifeste pour la culture wallonne, veulent changer les choses.

Je voudrais bien qu’on abandonne, dans la presse et dans la classe politique, un terme qui n’est pas défini, qui stigmatise inutilement la Wallonie et qui l’enferme dans le repli que vous craignez. Je voudrais bien qu’on emploie une autre langue que la langue de bois.

Un intervenant :

Je ne suis pas intervenu dans la commission culture. Je suis un Wallon installé à Bruxelles et qui a vécu largement dans le milieu international.

Je voudrais m’opposer, à la fois, aux propos de José Happart et à ceux de l’intervenant précédent. Quand on crée quelque chose, ce qui est la spécificité du culturel, ce que l’on vise comme objectif, c’est le rayonnement de la beauté ou de la réalisation que l’on a mis sur pied. A ce moment-là, que vous l’adressiez dans une Europe ouverte à n’importe qui, pour autant que ce soit esthétiquement recevable à différents égards – cela peut être de la BD, de la sculpture, n’importe quoi et autre chose que des beaux-arts traditionnels du XIXème siècle – il y a un attrait et une réceptivité potentielle chez tous, au delà des frontières de la seule Wallonie.

Ce que je constate dans les articles de presse auxquels vous vous référez, c’est que vous voulez rayonner sur vous-même et c’est profondément dommage.

J’ai eu l’occasion d’interviewer les frères Dardenne récemment. Ces gens, qui sont des Wallons installés à Bruxelles, ont créé des films remarquables, ont eu un rayonnement international, ont trouvé l’audience et les appuis qui leur étaient nécessaires, sans pour cela dépendre d’une administration wallonne. Ils ne se sentent pas désolidarisés de l’aspect wallon.

Donat Carlier, Etudiant – Membre de la Revue nouvelle, Traceurs de Lendemain (Fondation Roi Baudouin), Université catholique de Louvain-la-Neuve :

Pour essayer d’aborder ce débat de manière plus sereine, je peux être d’accord avec l’ensemble des intervenants qui disaient on travaille dans un espace Wallonie – Bruxelles. Je crois que la démarche qui dit qu'un des éléments de cet espace, la Wallonie, s’interroge, se pose des questions sur elle-même, ne peut pas être assimilée à un repli. Lorsqu’il y a collaboration, solidarité entre deux entités, il est sain que les entités se posent des questions l'une l'autre. C’est tout simplement sain et ce n’est nullement assimilable à un repli.

Concernant les industries culturelles, j'ai deux appréciations et une question. Il y a deux gros risques dans tout ce qu’on dit sur la culture actuellement et qui ne sont pas du tout des replis nationalistes. D'une part, une instrumentalisation de la culture, surtout économique : la culture ne serait plus qu’une valorisation matérielle. D'autre part, le risque exactement opposé, ce serait une culture complètement éthérée, abstraite, une culture qu’on dirait francophone belge, pour ne pas dire qu’elle serait ancrée en Wallonie au pluriel, à Bruxelles au pluriel. Je crois que l’on voit le clivage que je veux dessiner. Il me semble que pour dépasser ces deux risques, il faut une collaboration saine et un débat sain.

Enfin, j’aimerais poser une question, peut-être un peu polémique, à Joëlle Milquet : vous dites que l’on ne sait pas si, au vu de tel film ou de tel film, il a été produit en Wallonie, à Bruxelles ou à Tombouctou. Quand j’ai vu La promesse, j’ai vu qu’il était produit à Liège, quand j’ai vu Toto, le héros, j’ai vu que c’était produit à Bruxelles. Ce sont des films internationaux, ouverts. Je me demande si on va dans les mêmes cinémas.

Marcel Levaux, Député honoraire, Parti communiste :

Je pense que qualifier les soucis des culturls wallons de repli, c’est une injure. On vient d’en administrer la preuve. Nous avons tous reçu Le Matin, c’est un appel des cinéastes de Wallonie à l’attention du gouvernement et du Parlement wallon pour prendre les mesures qu’il faut pour soutenir leur effort, assez extraordinaire du point de vue d’une culture de qualité, qui s’est faite et qui se fait encore en Wallonie. Dès lors, je voudrais demander à nos amis bruxellois s’ils pensent, quand les Wallons disent cela, qu'il s'agit d'un repli. Quand on dit l’inverse, je pourrais qualifier cela de repli bruxellois également. Je crois qu’il faut s’apprécier mutuellement.

La question que je voudrais poser aux orateurs mais également au gouvernement wallon est la suivante : quelle suite va-t-on donner à ce manifeste, à ce programme de revendications qui est, pour un grand nombre de Wallons, une révélation d’un contenu extrêmement riche ? La volonté des artistes, des culturels wallons d’affirmer leur identité dans leurs œuvres devrait être appréciée, non pas comme un repli, mais comme une richesse à partager.

Joëlle Milquet :

On nous prête des intentions qui ne sont pas les nôtres. Soyons clairs : je suis une Wallonne, j’ai vécu à Charleroi, mes grands-parents parlaient wallon et je trouve cela très bien. Je n’en suis pas gênée. J’habite pour le moment à Bruxelles, ce n’est pas pour autant que je suis dévoyée. Je reste avant tout francophone.

Parfois j’ai l’impression qu’on exacerbe les différences. Il y a autant de différences entre quelqu’un qui vient d’Arlon et qui rencontre quelqu’un qui vient du Centre, parce que ce n’est pas du tout les mêmes textures sociologiques, qu’entre quelqu’un qui vit dans le Brabant wallon et un Wallon qui vit à Bruxelles. Ne nous leurrons pas non plus, il y a très peu de purs Bruxellois à Bruxelles. Je ne suis absolument pas méprisante, que du contraire, je suis une Wallonne et je le reste.

Si je parle de repli, c’est que je ne voudrais pas qu’on se trompe d’identité. A la limite, on parle de décloisonnement et, au niveau de la culture, on recloisonne quelque chose qui ne mériterait pas nécessairement de l’être. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut qu’on ne puisse pas promouvoir des initiatives culturelles dans des petits villages. Que ces initiatives se fassent dans les différents "wallons", c'est très bien.

Je pense simplement qu’il ne faut pas se tromper d’identité. Pour moi, l’identité c’est, d'abord, un projet d’ouverture, ce n’est pas une fermeture derrière des frontières. Je trouve un peu dommage que, alors qu'on disposait d'un concept très fort dans la Communauté française, qui est de partir des personnes, on en revienne à parler des territoires. On a assez critiqué la logique des droits du sol. C’est une langue qui nous lie, qui est une communauté que nous avons entre nous. Je pense que c’est cela la base, et c’est aussi une logique d’ouverture. Ne recréons pas nécessairement – ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas promouvoir les spécificités – des fermetures dans les frontières linguistiques.

Le but c’est vraiment d’avoir un projet d’ouverture, d’aider les artistes, d’aider à leur rayonnement. C’est très bien d’essayer d’aider nos artistes locaux mais il faut aussi essayer de les envoyer à l’étranger, qu’ils côtoient ce qui se passe ailleurs parce que la culture de plus en plus elle est mixte, elle est multiculturelle et c’est comme cela qu’elle évolue.

Daniel Ducarme :

Je trouve que c’est vraiment un débat de Wallons. Permettez l’expression, c’est du style : D’ji n’sais pu c’qu’on m’a d'mindé mais d’ji sais bé c’qui d’ji pinse ! Un débat a été posé, chacun y dit de ce qu’il a envie. Mais on ne sait plus quelle était la question posée au départ. La question posée au départ est très claire. C’est le problème des industries culturelles. Je dis à tous les intervenants que le problème n’est pas de savoir si nous avons une identité wallonne, si nous avons un certain goût pour une Wallonie qui nous est proche chez nous. Je suis wallon, mais on m’a appris que la Wallonie c’était le sens critique, l’esprit d’ouverture et les valeurs universelles, et surtout d'être capable de ne pas se replier sur soi-même en tant que Wallon. J’ose employer le terme de repli, ce qui veut dire que je suis fier d’être Wallon, de vivre ce que je vis dans ma région, mais que je veux me tourner vers l’extérieur pour répondre aux défis. Et quels défis ! De jeunes générations sont paumées, n’ont plus d’emploi et demandent : dans quel secteur va-t-on se développer ?

C’est cela la question de départ. Les industries culturelles, ce n’est pas le fait de savoir si un artiste de Thuin, de Barvaux ou d’ailleurs va assumer une promotion de quoi que ce soit. L’industrie culturelle, c’est savoir si nous serons capables de répondre au défi du multimédia et de fixer le multimédia chez nous. Est-ce que nous serons capables d’avoir des entreprises qui ne seront pas simplement des consommatrices du numérique mais qui permettront à nos jeunes de faire eux-mêmes du numérique ? Est-ce que nous serons capables, dans le domaine du câble, de maîtriser convenablement la production ? Est-ce que nous serons des consommateurs ou des serveurs ? La vérité est là.

La question n’est pas de savoir si, individuellement, on est fier de ce que nous sommes. Pour moi, le problème est réglé : je suis fier de ce que je suis, je suis fier d’être en Wallonie. Ce que je souhaite, c’est qu’on se donne des outils utiles pour pouvoir être performant par rapport à l’Europe et au reste du monde. Et par rapport à cette performance-là, il y a une échelle à atteindre.

Si j’ai dis tout à l’heure qu’avoir un espace Wallonie – Bruxelles était important – et je crois que là, José Happart sera d’accord avec moi – c’est qu’il est préférable, pour avoir une première base de marché, d’avoir l’ensemble des Bruxellois francophones avec nous, plutôt que de s’en passer. Ce que je souhaite, pour la Wallonie, c’est que l’on cesse d’avoir ce débat entre nous pour se demander finalement qui sont les bons ou les mauvais Wallons. Il faut que l’on soit suffisamment forts que pour se dire que ce qui compte, c’est d’être aussi performants dans les générations actuelles que nos pères l’ont été quand ils s’occupaient d’industries et de charbon. Le reste, cela n’a pas d’importance.

Jean-Marie Klinkenberg :

Je vais passer à la seconde question, ce qui vous donnera peut-être la possibilité de dire ce que vous avez sur le cœur. Cette seconde question va faire rejaillir le débat des relations Wallonie – Bruxelles. Il semblerait, à travers tous les échanges qu’il y a eu, que ce dialogue Wallonie – Bruxelles – je parle de dialogue et pas de solidarité, ce mot étant un peu obscur, on ne sait pas ce qu’il recouvre – reste certainement nécessaire, mais dans la clarté.

Une proposition a été énoncée à plusieurs reprises dans les carrefours et je demanderai aux membres du panel de bien vouloir se positionner : est-ce que, à court et à moyen termes, les compétences de la Communauté ne pourraient pas être exercées par deux directions régionales, une direction régionale de Wallonie, une direction régionale de Bruxelles ? Dans cette hypothèse – qui permettrait de nouer des relations locales avec les opérateurs régionaux et même les administrations wallonnes, en matière de patrimoine notamment –, quel pourrait être le degré d’autonomie de ces directions dans le domaine de la culture et de l'audiovisuel ? Une question subsidiaire pourrait être : dans quelle mesure cette double direction pourrait-elle être étendue au domaine de l’enseignement ?

José Happart :

Je n’ai pas envie de polémiquer, mais lorsque j’ai entendu le mauvais procès qui a été fait autour de l’hymne wallon, cela m’est resté en travers de la gorge.

Je n’accepte pas et je n’accepterai jamais que l’on interdise, à un certain nombre de Wallonnes et de Wallons, d’être wallonnes et wallons comme nous en avons envie, même si cela dérange Bruxelles.

Quand on me dit que les frères Dardenne sont des bons Wallons parce qu’ils sont allés s’installer à Bruxelles et que c’est de là qu’ils ont rebondi… S'il faut aller à Bruxelles pour faire un bon film, qu’on le dise clairement. Je n’ai pas d’état d’âme par rapport à cela. Vous parlez d’autonomie : le principe des Wallons et du Mouvement wallon, c’est une Belgique à trois composants; Le principe des Flamands, c’est une Belgique à deux composants. Donc, la Belgique à trois régions est une revendication fondamentale du Mouvement wallon depuis le début de l’histoire de la régionalisation de l’Etat.

Si je me suis battu en 1988, 1989, pour que même Philippe Moureaux reconnaisse que Bruxelles devenait une Région, – notamment en renonçant moi-même au mayorat à Fourons – c’est parce que je poursuivais ma logique d’un Etat belge à trois régions, à trois composantes.

Ce qui est important, pour moi, père de deux petites filles, c'est de leur faire comprendre qu’elles sont des Wallonnes. Etre wallon, ce n’est pas nécessairement leur dire : Vous seriez mieux à Bruxelles pour une question de rayonnement ! Je veux que nos enfants puissent savoir ce que la Wallonie veut dire. Je veux savoir comment on peut leur transmettre ce sentiment d’appartenance à la Wallonie. Sans avoir à en vouloir ou à reprocher quoi que ce soit aux autres, je demande simplement qu’on nous laisse exister comme Wallons – pas pour se replier, mais pour pouvoir mieux s’ouvrir.

Vous pouvez regarder, partout dans le monde, là où les cultures n’ont pas été protégées, elles ont été supprimées.

A propos du Mouvement flamand, on me dit : ils se sont repliés sur eux-mêmes. S’ils n’avaient pas pris un certain nombre de dispositions – que je ne partage pas spécialement avec eux –, il est évident que le français aurait continué à grandir de plus en plus largement. Les Flamands se sont peut-être "repliés" mais c’était le seul moyen de défendre leur culture. La Wallonie a, par rapport à cette évolution des choses – et notamment la centralisation économique vers Bruxelles –, une obligation de se protéger, sinon, pour exister, il faudra aller à Bruxelles. Et cela, ce serait – en tout cas pour moi – un repli que je ne veux pas imaginer.

Jean-Marie Klinkenberg :

En ce qui concerne les modalités particulières dont il a été question dans nos travaux, à savoir la mise sur pied de deux directions de la culture au sein de la Communauté, quelle est votre position ?

José Happart :

Je suis tout à fait favorable à l'autonomie totale. Les Bruxellois ont leur culture, leurs spécificités propres. La Wallonie a sa culture et ses spécificités propres.

Jacky Morael :

Comme tous les débats, celui-ci est piégé par des mots.

Certains peuvent se sentir injustement méprisés lorsqu’on parle de repli. Je voudrais aussi qu’on admette que les partisans de la Communauté française ne sont pas des collabos ou des anti-Wallons. Je suis wallon, à peu près aussi légitimement que ceux qui sont pour une autonomie wallonne. Je veux dire qu'il n’y a pas une et une seule bonne façon d’être wallon, partisan d’une indépendance de la Wallonie. Je n’accepte pas cela, c’est du terrorisme intellectuel. On peut être parfaitement wallon tout en se déclarant partisan de la Communauté française, d’un Etat fédéral, de l’Europe et même citoyen du monde.

Ce qui me gêne aussi dans ce débat, c’est qu’on fait comme si les identités étaient exclusives les unes des autres. Ne forçons pas les gens à se déterminer : es-tu wallon et rien que wallon, francophone et rien que francophone, belge et rien que belge, européen et rien qu’européen ? Lisez les études d’opinion : que cela plaise ou non, l’identité des citoyens, aujourd’hui, est multiforme. Elle est faite de couches superposées qui s’interpénètrent et qui font la richesse de l’ensemble. Les gens se sentent liégeois – dans mon cas –, wallons, francophones, belges pour certains – de moins en moins et on comprend pourquoi –, européens et certains vont même jusqu’à être citoyens du monde. Parfois on sent que certains voudraient être wallons et rien que wallons. Je trouve que c’est un débat dans lequel il ne faut pas entrer.

Autre remarque.

Regardez la RTBF : il y a un contrat de gestion avec des clés de répartition où 75% des productions doivent être faites en Wallonie, 25% à Bruxelles. A certains moments, lors de l’élaboration des grilles des programmes, on ne s’inquiète même plus, à la RTBF, de savoir si un projet est bon ou mauvais, utile ou pas, dans une mission de service public. La question se réduit à où ce projet est-il produit ? Arrive-t-on aux 75 / 25 % ? Je parie d’ailleurs que, si un jour il y a une RTBF wallonne, on va négocier des clés de répartition entre Mons, Charleroi, Liège, pour être sûr que chacun ait sa part de la production audiovisuelle. Je ne suis pas sûr que l’on sera très avancé parce que, à Liège, j’imagine qu’il y aura une clé de répartition rive droite, rive gauche et Outremeuse. Je ne veux pas avoir l’air de me moquer mais c’est cela aussi. La clé de répartition part du national, puis elle est à l’intérieur de la communauté et, déjà, en matière de culture, on se dispute de ville en ville.

A propos des deux directions régionales de la culture, je comprends cette proposition mais je n’y adhère pas parce que l’histoire du fédéralisme dans ce pays est bien connue. Chaque fois qu’on a scindé administrativement, à l’intérieur d’un espace institutionnel, c’était pour mieux préparer l’étape suivante, inéluctable, fatale, logique : la séparation. Quand certains ont fait un ministère N de l’Education nationale et un ministère F, c’est clair que c’était une situation strictement temporaire. Tout le monde savait quel était le cap qui se profilait derrière. Une proposition pour dire on ne va aller que jusque-là, je n'y crois pas. On sait bien que ce n’est pas pour aller que jusque-là.

Pino Carlino :

Je ne vais pas répondre à votre question parce que je crois que ce sont les hommes politiques et le débat démocratique au niveau politique qui tranchera la question de l'autonomie de la culture au niveau bruxellois ou au niveau wallon.

Pour ma part, j'ai envie d'aller dans un autre sens, autour de ce débat sur l’identité wallonne. Personnellement, je suis très sensible à la question de la fierté d’être wallon. Je suis né en Sicile, je suis borain, je suis wallon, je suis européen et citoyen du monde. Pour moi, ce qui est le plus important ici – et les responsables politiques devraient essayer d’entendre cela –, c'est de ne pas faire des débats d’intellectuels ou d’élites par rapport à ce que les gens disent et attendent.

Il y a quinze jours, à Mons, mon organisation a réalisé une grande assemblée avec 500 personnes. Il y avait neuf ateliers dont un était consacré à l’identité wallonne. Les participants devaient dire : est-ce que c’est le repli pur et dur ?, est-ce que c’est l’ouverture Wallonie – Bruxelles ?, est-ce que l'on peut, comme cela, plaquer un projet identitaire aux gens ? Les Monsieur et Madame tout le monde, les militants et les délégués de mon organisation disaient : pour nous ce qui est important, dans la construction d’une identité wallonne, d’un projet wallon dont tout le monde parle depuis des années, c’est qu'il parte du vécu, de la réalité et des espoirs qu’il peut donner aux gens en terme de développement économique, en terme de développement social, en terme de promotion de la solidarité, et de faire de la Wallonie une terre de solidarité. Là, ce qui me semble important, c’est que les mentalités et les pratiques politiques doivent évoluer. Dans ce sens-là, j’ai envie de dire que la citoyenneté, c’est peut-être aussi ne pas laisser tomber les citoyens, parce que il n’y aura pas de Wallonie et il n’y aura pas de citoyenneté, si on continue à développer des politiques de crétinisation de la société. Des politiques dans lesquelles la formation de base, la formation continuée, les moyens pour l’éducation permanente sont mis de côté.

Pour moi, ce qui est le plus important, c’est que, demain, les hommes et les femmes qui seront au pouvoir en Wallonie construisent, à la fois, cette identité dont nous tous ici sommes les grands défenseurs mais, en même temps, montrent que, dans les pratiques, on va concrètement tenir compte des espérances de ces jeunes qui sont dans l’impasse et que l'on va faire en sorte d'en faire des acteurs de leur propre destin, des gens qui interviendront dans les choix et la participation au développement de la société à travers des moyens qui soutiennent la citoyenneté.

Peut-être que je n’ai pas répondu à votre question mais c’est ce qui me semblait être le plus intéressant.

Joëlle Milquet :

Je ne pense pas qu’il s’agisse nécessairement d’un débat d’élites. Je pense qu’on sera fier d’être wallon quand on aura aussi un développement économique qui permettra de se sentir un peu plus à l’aise. Tout est lié.

Pour moi, l’enjeu fondamental est autre et il ne veut pas nier les spécificités. L'enjeu fondamental est de donner l’accès à la culture à tout le monde, notamment en Wallonie, pour avoir une pluralité des initiatives culturelles. Cette pluralité vise, à la fois, des productions locales mais aussi des productions extérieures parce que c’est comme cela qu’on s’ouvre, qu’on évolue et aussi qu’on recrée quelque chose de mieux en matière culturelle. L’important, c’est la qualité, la diversité, l’accès. Je ne pense pas que l'important soit un débat sur "qui va gérer quoi".

En ce qui concerne votre question précise et concrète, c’est vrai qu’il faut peut-être un rééquilibrage – ceci dit quand on voit les chiffres, 72% – 28%, cela ne me semble pas démesurément inégalitaire entre Bruxelles et la Wallonie –, qu’on veille à ce qu’il y ait une meilleure équité aussi. Je pense que, parfois, il y a des manques et je suis d’accord pour ouvrir ce débat-là. En tout cas, il ne faut pas compter sur nous, exactement pour les mêmes arguments que ceux évoqués par M. Morael, pour se lancer dans des ouvertures de directions qui seraient l’antichambre de tout autre chose qui ne nous va pas. Si en vous disant cela, je donne des alibis à certains qui ont déjà envie de faire les choses sans nous, tant pis, j’assume ma cohérence politique.

A quoi serviront une direction bruxelloise et une direction wallonne de politique culturelle, matière qui est le lien fondamental entre les francophones de ce pays. Si on régionalise cela, que nous reste-t-il ? Je pense qu’il faut aussi ne pas négliger les conséquences politiques. On est toujours dans un pays où il y a des équilibres politiques francophones à défendre et on sera peut-être plus forts ensemble qu'en se perdant dans des débats qui, à mon avis, n’intéressent pas vraiment la population.

Daniel Ducarme :

Je suis moins proche de M. Morael que Mme Milquet; je suis peut-être plus proche de M. Happart finalement.

Le seul propos que je tiens à évoquer et qui est important – je le dis vraiment comme Wallon – c'est que Bruxelles vit, à certains égards, dans le domaine de la culture – excusez-moi du terme – son "parisianisme". Cela veut dire que nous avons un certain nombre de personnes qui, soi-disant, décident de la culture mais sans avoir nécessairement conscience de ce qui est important en termes de culture : la création.

Quand on voit un certain nombre d’auteurs à l’échelle de la France, que l’on voit d’où ils sont, ce qu’ils ont écrit, ce qu’ils ont traduit, ce qu’ils ont dit par rapport à la société française, ce n’était pas nécessairement des gens qui traduisaient ce qui était voulu à partir d’une certaine idée de la culture et qui, effectivement était parisienne. Il y a des grands auteurs, bien sûr, mais quand vous voyez les contemporains, quand vous voyez ce que nous trouvons actuellement lorsque nous nous rendons en librairie : je dirai que de Tudignac à Deferme, il y a un certain nombre de propos qui sont tenus et ne sont pas nécessairement des bords de Seine.

Actuellement, il n’y a pas de politique culturelle en Communauté française. C’est la force de l’habitude qui conduit un certain nombre de personnes à estimer qu’ils ont inventé le fil à "culturer". Ce ne sont pas nécessairement des gens qui sont prêts à prendre en relais ce qui est produit chez nous, dans tous les domaines – des arts plastiques à la littérature.

Quand je vois un certain nombre de jeunes écrivains, notamment dans le domaine de la science-fiction, en continuation de ce grand héritage qui est le nôtre, et qu’ils n’ont pas droit de cité, je m’interroge quant au fait de savoir pourquoi cela n’est pas pris en relais.

De la même manière, je dis que ces créateurs qui travaillent en Wallonie travaillent un peu pour l’universel. Ce sont des gens qui traduisent un certain nombre de sentiments, un vécu profondément humaniste et je crois qu'eux-mêmes ne souhaitent absolument pas qu’on les mette dans un autre carcan.

Dès lors, quand on pose la question de savoir s’il faut diviser les directions – une direction pour Bruxelles qui s’occupe de sa culture et une direction pour la Wallonie qui s’occupe de sa culture – je ne crois pas nécessairement que ce soit la conclusion à tirer. Ce qu’il faut faire, c’est ressourcer la culture qui est la nôtre. Est-ce qu’un certain nombre d’activités définies comme des activités culturelles sont à gérer par les régions plutôt que par la nouvelle institution à créer dans le cadre de l’espace Wallonie -Bruxelles ? Peut-être, à condition de ne pas perdre ce que le français et la langue française nous apportent, c’est-à-dire ce sens de l’universel. Pour le reste, je reste ouvert.

Permettez-moi un trait d’humour, vu que le ministre-président de la Région wallonne est parmi nous : le fait d’avoir deux directions générales me pose la question de savoir qui va les diriger car, à certains égards, je ne fais pas plus confiance aux Liégeois qu’aux Bruxellois.

 

 

 

 

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