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Rapport du carrefour 1
Développement économique,
évolution technologique et ressources humaines

Luc Vandendorpe
Premier Attaché
Ministère de la Région wallonne
Direction générale de l'Economie et de l'Emploi
Direction de la Politique économique
 

Voici venu aussi le temps des grandes mutations. Voici le temps des bouleversements, des changements radicaux, où le futur à tout instant fait irruption, bouleverse toutes les données, fait voler en éclats les certitudes de la veille.

Fernand LEFEBVRE, La Wallonie au futur, Vers un nouveau
paradigme
, 1987, Atelier 5 : Les nouvelles valeurs et l'identité
culturelle
, La Wallonie n'existera pas en l'an 2000.

Dix ans après le premier congrès La Wallonie au futur, le travail du carrefour 1 ne s’est pas focalisé sur le bilan des dix dernières années, même si celui-ci a servi de point de départ à ses travaux. À dix ans d’intervalle, la démarche est restée celle de formuler en termes d’enjeux la question du développement économique, technologique et des ressources humaines de la Wallonie.

La principale perspective qui se dégage du carrefour tient à l’émergence de nouveaux acteurs du développement de la Wallonie. Le rêve du premier congrès La Wallonie au futur s’articule sur la régionalisation des compétences économiques, technologiques et de l’emploi. La Région, enfin, allait "prendre les choses en mains". Dix ans après, le carrefour a pu mesurer les limites du pronostic : une structure publique ne peut pas, à elle seule, assurer le développement, et d’autant moins dans un contexte de libéralisation et de dérégulation globale.

Ainsi s’articule le présent rapport : il synthétise tout d’abord le diagnostic établi grâce aux apports des témoins et des participants au carrefour. Un fois établi, le constat est à la fois mis en perspective par rapport aux précédents congrès La Wallonie au futur et vise à dégager des perspectives pour l’avenir. Ces perspectives tiennent principalement à la prise en compte de l’ensemble des acteurs dans le processus de développement, et à l’esquisse d’un nouveau cadre d’action pour l’autorité publique de Wallonie.

 

1. Le diagnostic

Le diagnostic posé par le carrefour 1 quant à l’état de l’économie wallonne s’articule autour du triple constat suivant :

  • Durant les dix dernières années, le taux de croissance de l’économie wallonne est resté inférieur au taux de croissance fédéral : 1,6 % en moyenne en Wallonie pour la période 1985-1995 contre 2 % environ pour la moyenne fédérale.
  • L’hypertrophie du secteur non-marchand constitue une caractéristique souvent épinglée de l’économie wallonne. A la lecture du tableau, le constat doit être nuancé : si l’emploi non marchand est surreprésenté dans l’emploi salarié total, la part du secteur non marchand dans l’ensemble de la population se situe sous la moyenne fédérale, même si elle est légèrement supérieure à la proportion que connaît la Flandre.

En d’autres termes, il s’agit moins d’une hypertrophie du secteur non marchand que d’une atrophie de l’emploi marchand, signe que la crise industrielle des années 70-80 fait encore sentir ses effets aujourd’hui.

 

Tableau 1 : L’emploi non marchand

 

Emploi salarié non marchand

Par rapport à l'ensemble des salariés

Par rapport à la population

Wallonie

362.731

43,7%

10,94%

Bruxelles

223.622

40,1%

23,59%

Flandre

568.921

31,4%

9,67%

Belgique

1.155.274

36,2%

11,39%

(sources : ONSS, INS).

  • Par ailleurs, comme l’a souligné Mme Anne-Marie Straus, la Wallonie accuse un retard important en termes d’investissement productif par rapport aux autres pays européens. Ainsi, en 1990, le taux d’investissement était de l’ordre de 10 % du PIB régional en Wallonie et de 15 % dans l’ensemble fédéral. La part de la Wallonie dans les investissements fédéraux est ainsi passée de 26 % entre 1972 et 1975 à 19 % entre 1986 et 1990.

Ce diagnostic pose l’échec de la politique économique régionale menée depuis dix ans. Il établit clairement la limite de l’action des pouvoirs publics dans un processus complexe comme le redéploiement et le développement régional. Et ce constat amer renvoie en écho aux espoirs et perspectives dressés par le premier congrès La Wallonie au futur de 1987 :

Le peuple wallon, dont la compétence technique est parmi les plus élevées du monde, est à même d'ailleurs de les assumer [les mutations], si tous ceux qui y détiennent une responsabilité veulent agir dans l'intérêt général. S'il est évident que le renouveau économique de la Wallonie dépend d'éléments très divers tels que la conjoncture internationale, la politique monétaire, la situation des finances publiques, la politique de sécurité sociale qu'il serait hors de propos d'aborder dans ce cadre, il faut admettre qu'il est surtout tributaire de la volonté de ses hommes, de ses techniciens comme de ses investisseurs, de ses gestionnaires comme de ses fonctionnaires, de s'engager dans des innovations même audacieuses s'il le faut !

Philippe BUSQUIN, La Wallonie au futur, Vers un nouveau paradigme,
Atelier 1 : Devenir économique de la Wallonie, S'inscrire dans le grand
marché européen dès 1992
.

Dès lors, peut-être qu’un des obstacles principaux à l’impact des congrès précédents est à chercher dans le paradoxe suivant : alors que La Wallonie au futur a fondé sa démarche sur un nouveau paradigme, une nouvelle perspective pour la société wallonne et a approfondi largement les thèmes de l’éducation et de la formation, l’action publique wallonne est restée marquée par une optique développementaliste (1). Ce paradigme, qui connut son heure de gloire dans les années 60 notamment, est lié au principe d’autodétermination et confie aux autorités publiques un rôle dirigeant et déterminant dans le processus de développement. Le développement lui-même est perçu essentiellement comme une mécanique à mettre en œuvre par un appareil scientifico-administratif à construire, par une autorité publique établie comme acteur économique de substitution à un capitalisme défaillant.

Là réside précisément un des défis les plus importants que doit relever la Wallonie aujourd'hui. Car la tentation est grande de vouloir s'attacher à tout prix aux anciens modèles culturels, politiques, patronaux ou syndicaux d'autant que ceux-ci ont très bien fonctionné dans le passé.

Jean-François ESCARMELLE, La Wallonie au futur,
Vers un nouveau paradigme, Carrefour A : Articulation entre
l’économie et la culture
, Rapport.

En 1998, c’est Christian Druitte qui invite à considérer la Wallonie comme une région en construction et en devenir. Un des enjeux dès lors est d’intégrer dans la stratégie du redéploiement wallon la culture, la participation, le dialogue social, le cadre des vie et les institutions.

On se retrouve ici dans la perspective déjà tracée par certains observateurs étrangers, comme Stefaan De Rynck (2) selon qui Une élite wallonne pourrait s’affirmer avec moins d’ambiguïté et les associations pourraient prendre de l’importance en Wallonie autour du thème de la régénération de l’économie par exemple. C’est dans cette perspective d’une prise de conscience collective articulée sur le redéploiement économique que s’est orientée la discussion générale tenue dans le carrefour.

En résumé, il est nécessaire d’envisager le développement comme un processus enclenché par la dynamique conjointe d’une pluralité d’acteurs hétérogènes. La plupart des interventions des participants du carrefour convergent dans cette perspective et, de la sorte, un nouveau discours sur le développement de la Wallonie, certes encore balbutiant, se fait jour.

 

2. Les acteurs du développement régional

Les entreprises constituent le principal acteur mis en évidence par les diverses interventions du carrefour. Bien sûr, les entreprises ont toujours constitué un élément essentiel du développement de la Wallonie. Il ressort cependant du carrefour qu’elles développent aujourd’hui un discours sur le développement régional, discours qu’elles avaient abandonné aux professionnels politiques, administratifs et universitaires du domaine, domaine perçu jusqu’ici comme extérieur à leur dynamique.

Mais il ressort de l’apport des participants au carrefour, consultants ou opérateurs de services aux entreprises, que l’entrepreneur wallon est encore trop souvent un homme seul, peu porté par l’environnement local et faiblement soutenu par une dynamique de réseau. A l’heure de la communication généralisée, les entreprises sont encore trop largement cantonnées dans l’anonymat, fondues dans la grisaille d’un tissu industriel inachevé.

Le retour balbutiant des entreprises en Wallonie s’effectue dans un contexte général marqué par le phénomène d’externalisation (3) (outsourcing), c’est-à-dire le transfert de fonctions et de salariés de l’entreprise vers un prestataire de service. Après le gardiennage, la restauration ou l’archivage, les entreprises externalisent des centres vitaux : service informatique, services administratifs et financiers, gestion des ressources humaines, gestion des stocks, etc.

Ce phénomène induit trois conséquences :

  • la fonction de gestion de l’entreprise devient une fonction de coordination efficace d’un ensemble de services et de prestataires autonomes;
  • une nouvelle conception des relations de sous-traitance : de la maîtrise des coûts à court terme vers le développement cohérent à long terme de l’entreprise et de ses principaux sous-traitants;
  • la relation du salarié à son entreprise se modifie en une relation de prestataire de service à client : ce n’est pas la fin de la société salariale, mais de la relation salariale. Cela implique une nouvelle conception des relations sociales.

Ce phénomène signe le déclin du modèle traditionnel de la grande entreprise (modèle sur lequel a vécu la Wallonie, au moins au plan symbolique) : lorsque les grandes entreprises "dégraissent", les PME (prestataires de services) apparaissent contribuer positivement à la création d’emplois (4). L’entrepreneur voir lui aussi se modifier radicalement sa fonction, et donc aussi potentiellement son rôle : il n’est plus celui qui crée une structure nouvelle (une entreprise), mais celui qui met en place des relations originales entre des structures existantes (prestataires de services). Créer ne signifie plus seulement inventer un nouveau produit, mais ouvrir des nouveaux chemins communs.

Certains participants en appellent donc, plus qu’à une culture d’entreprise, à une culture de l’enthousiasme, de la création et de l’innovation. Et la RTBF est invitée à dresser un tableau plus complet de la Wallonie que celui des ses malheurs et de ses faillites. De façon plus large, il s’agit de diffuser en Wallonie une culture d’innovation dans tous les secteurs de la société, comme une des bases d’une culture commune en Wallonie

L’autre acteur, ou principe d’action, mis en évidence par le carrefour est le dialogue social, ou le partenariat développé entre les acteurs à travers la concertation sociale instituée. Les ressources humaines sont le moteur du développement régional, et la question n’est pas, ou pas seulement celle de leur formation, mais celle de leur mobilisation, de leur participation. Non pas créer un consensus statique, mais susciter l’adhésion à une dynamique.

Là aussi, une nouvelle culture est à inventer, une culture de la coélaboration. La concertation sociale a pour but de fixer les règles du jeu et de les faire appliquer, mais aussi, plus largement, à garantir l’implication de tous dans la dynamique du développement.

La dynamique sociale ne peut plus fonctionner exclusivement sur une logique de répartition de la valeur ajoutée entre les acteurs (Etat, salariés, entreprises) mais sur une logique basée sur la contribution de chaque acteur du développement régional.

Le fordisme a particulièrement marqué la Wallonie d’après-guerre, et a constitué le socle du compromis salarial et social. Aujourd’hui, la dynamique a changé et il est devenu nécessaire de donner un nouveau fondement à l’équilibre, de mettre en place une nouvelle dynamique, d’évoluer d’une dynamique institutionnelle de négociation à une dynamique de projet de projet collectif. Cette nouvelle dynamique va bouleverser les conditions de la négociation sociale, donner un nouveau rôle à la concertation sociale et à son organe, le CESRW. Ainsi sera-t-il possible de construire le nouveau modèle social wallon.

 

3. Un nouveau rôle politique

Sur base du bilan en demi-teinte de dix ans de dévolution de compétences importantes en matière de développement économique, d’innovation technologique, de formation professionnelle et de réinsertion sur le marché du travail, l’État wallon doit lui aussi réinterroger son rôle et modifier ses stratégies.

Il ne s’agit pas d’abandonner le terrain ni de conclure trop rapidement à l’inefficacité inéluctable de l’action publique, mais d’envisager autrement l’action sur le terrain.

Occuper autrement le terrain signifie tout d’abord reconnaître l’entreprise comme acteur de première ligne du développement économique dans un environnement d’économie de marché. Au gouvernement wallon d’organiser la société de façon à soutenir efficacement l’action des entreprises, en remettant l’entrepreneur endogène au centre du dispositif régional. C’est-à-dire passer d’une logique d’offre (comment faire pour que les entreprises utilisent les dispositifs d’aide ?) à une logique de demande (de quel soutien ont besoin les entreprises actuellement ?).

Il ne s’agit pas pour autant d’accorder un soutien inconditionnel aux entreprises, ni de multiplier les subventions, mais d’assurer un cadre législatif et de contractualiser les systèmes de soutien aux entreprises. Dans ce cadre, un soutien efficace aux entreprises suppose la mise en place d’un système de pilotage et d’une culture d’évaluation à l’intérieur même du processus de gestion administrative des systèmes d’aides.

Le carrefour ne s’est pas uniquement penché sur les systèmes d’aide ou sur l’encadrement culturel de processus de développement. Le rôle de l’Etat dans la mise à disposition des infrastructures a été souligné, mais c’est dans le carrefour 4 que le thème a été approfondi.

Considérer l’entreprise comme actrice essentielle du développement wallon a également conduit le carrefour à établir un lien avec le territoire. Une entreprise est en effet située sur un territoire et dans un environnement donné : les acteurs endogènes sont des acteurs enracinés, c’est-à-dire intégrés dans leur territoire. Les entreprises, les PME en particulier, tirent leurs ressources du substrat territorial dans lequel elles sont intégrées. Ce qui amène à prendre en compte la diversité des situations sous-régionales et à établir des mécanismes de soutien qui tiennent compte des spécificités locales et des partenariats locaux possibles(5).

Les systèmes de soutien ne doivent donc plus être considérés simplement comme des infrastructures matérielles et des subventions, mais aussi comme support immatériel : information et compétences dans les domaines technologique et du management au sens large.

Dans ce cadre, le rôle du politique peut être redessiné comme celui de donner un cadre fédérateur et efficace pour l’ensemble des acteurs impliqués dans le développement régional. Ce cadre fédérateur consiste à définir des cadres d’action, cadre réglementaire mais surtout cadre politique.

Ainsi, par exemple, la prochaine Déclaration de Politique régionale de Wallonie pourrait être écrite sous forme de programme, c’est-à-dire comme un ensemble de stratégies, d’objectifs quantifiés et de budgets intégrés dans un calendrier de mise en œuvre.

La DPR pourrait ainsi constituer le cadre à l’intérieur duquel sont passés des contrats-programmes se référant à une stratégie, des objectifs, des budgets et un calendrier. Ces contrats seraient passés avec les acteurs bénéficiaires des politiques : entreprises, opérateurs publics locaux, partenaires sociaux, etc. Il s’agirait ainsi pour le gouvernement wallon de mener une politique de l’emploi plus adaptée aux spécificités locales.

 

4. Un nouveau contrat social

En conclusion, le carrefour s’est particulièrement attaché à redessiner les équilibres entre acteurs du développement et de proposer une nouvelle dynamique qui reconnaisse davantage le rôle des entreprises et des partenaires sociaux. Selon un témoin, il s’agit à présent de signer en Wallonie un nouveau contrat social. Un contrat social sur le modèle du contrat signé après-guerre par les partenaires sociaux, de ces contrats que l’on signe après une guerre, après une crise, qui à la fois balise et stimule la dynamique de la reconstruction.

Une occasion de réarticuler les valeurs qui fondent la société wallonne avec les valeurs "gagnantes" de la société globale et de l’économie-monde. La Wallonie n’est pas en état de guerre économique, mais en situation d’après-crise, pays en construction et en devenir où, finalement, tout est possible.

Notes

(1) Immanuel WALLERSTEIN, Le concept de développement national, 1917-1989 : élégie et requiem", Contradictions, n°69-70, 1992, p.187-200.

(2) Stefaan DE RYNCK : Culture civique et rendement institutionnel : les régions belges, dans Les paradoxes des régions en Europe, sous la direction de Patrick Le Galès et Christian Lequesne, Paris, La découverte1997.

(3)Laure BELOT, Transferts d’activités et de salariés modifient les contours de l’entreprise, Le Monde, 2 octobre 1998.

(4) Didier Cazal, "Les nouvelles formes du travail en Europe", Sciences humaines, n°69, février 1997, pp.38-41.

(5) Yves de WASSEIGE, Essai d’analyse comparée du dynamisme des arrondissements wallons, sept.-oct. 1998.

 

 

 

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