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Luc Maréchal
Inspecteur général à la Direction générale de
l’Aménagement du Territoire, du Logement et
du Patrimoine du Ministère de la Région wallonne
 

Lors du premier colloque qui s’est tenu à Charleroi en 1987, l'ancêtre du présent carrefour avait mis en avant la qualité de la vie, déclinée à travers trois thématiques : le logement, la santé et le cadre de vie. En onze ans, un glissement des préoccupations s’est effectué. La dénomination du présent carrefour l’exprime bien.

Un point commun la qualité de vie, aujourd’hui encadrée par deux problématiques nouvelles, d’une part par la dynamique territoriale et d’autre part par l’individu saisi dans sa dimension sociétale.

Le rapport préliminaire établi par Fabienne Roberti (1) relève que les problèmes évoqués à travers les trois colloques autour de ce fil conducteur renvoient au logement, à l’aménagement du territoire, aux infrastructures de déplacement et de communication, à l’accueil des activités économiques, à la politique d’éducation, à la garde des enfants en bas âge, aux friches industrielles, à l’eau, aux déchets.

Il n’est pas possible de dresser un bilan et une évaluation de l’ensemble des politiques liées à toutes ces thématiques. D’une façon générale, on peut estimer que différentes politiques ont été initiées dans tous ces domaines et que pour certains de ceux-ci des moyens budgétaires importants ont été dégagés. Le succès varie; une analyse fine supposerait de réaliser une évaluation exhaustive, étape nécessaire et indispensable dans toute politique, si l’on veut s’inscrire dans une démarche d’ajustements, voire de refonte. On procédera ici à une mise en perspective générale comme une démarche initiale d'évaluation. En effet, décrire les "nouvelles stratégies pour positionner la Wallonie au XXIème siècle" impose de se situer à un niveau de globalité au risque de se cantonner dans des mesures peu articulées, partielles, contradictoires et peu cumulatives d’effets. Une évaluation fine est nécessaire, mais ne relève pas du présent exercice.

A cet égard, on peut relever une série de décisions qui ont été prises récemment et qui vont dans ce sens : le plan d’environnement pour le développement durable (PEDD) adopté le 09.03.1995 par le gouvernement wallon, le plan de mobilité et de transport en Wallonie adopté par le même gouvernement le 06.04.1995 et pour une approbation dans les mois qui viennent le schéma de développement de l’espace régional (SDER) succédant au projet de plan régional d’aménagement du territoire wallon (PRATW) (2) et enfin dans un registre différent la récente déclaration de politique régionale complémentaire (DPRC) qui développe une nouvelle méthode de travail au sein des administrations et du gouvernement, avec ce qu’on a appelé la transversalité.

La première conclusion opérationnelle à court terme, est que ces nouvelles orientations doivent, pour être confortées, être accompagnées d’une modification en profondeur des structures administratives et politiques, non pas tellement en termes d’organigramme mais de fonctionnement. S’impose donc une véritable culture du changement : acception des innovations techniques et organisationnelles, recherche de l’équilibre entre autonomie – spécialisation et décloisonnement des administrations, assainissement du rapport politique – administration. Ma conviction, puisque mon intervention est celle d’un témoin est qu’il y beaucoup de femmes et d’hommes qui sont prêts à faire ce pari.

 

Le retour du territoire

La mondialisation de l’économie, la croissance des flux immatériels et plus largement la société de l’information ont pu faire croire que le territoire, l’espace devenaient absents. L’un et l’autre devenaient neutres, étant le réceptacle de mouvements, de flux et de localisations; tout se déroulait sur et non dans le territoire. Paradoxalement, ce n’est pas la réalité actuelle et de nombreux auteurs et analystes ont relevé cette montée en force du territoire. Georges Benko résume bien cette évolution dans un titre-slogan : La mondialisation n’abolit pas les territoires (3). Qui plus est, le territoire devient un des éléments de base des projets collectifs qui peuvent être établis actuellement. Par ailleurs, la régulation par l’Etat, via les politiques économiques monétaires ou fiscales, se réduit. Dès lors, le territoire est un des champs où la régulation peut être exercée par l’Etat, qu’il s’agisse de nations ou de régions. Les propos de Jean-Louis Guigou, délégué général à la DATAR (Délégation générale à l’Aménagement du Territoire et à l’Action régionale), sont explicites à ce sujet, tout en ajoutant une autre dimension : L’organisation du territoire – ville, banlieue, littoral, montagne, espace rural, les infrastructures de transport et la répartition de l’intelligence (universités, recherche, IUT, lycées...) sont les éléments fondateurs d’un grand projet mobilisant les Français (4). Plus loin, le même auteur écrit le rôle de l’espace dans le développement durable doit être renforcé, car il est un gisement de gains de productivité (5).

Le territoire devient facteur de production. Soit une fonction macro-économique classique de production avec trois facteurs, le travail (W), le capital (K) et l’espace (E) :

Q = f (W, K, E) (6).

Dans sa "brutalité" mathématique, cette formule désigne bien l’importance du territoire dans un processus de croissance et de développement.

C'est le moment de souligner une autre vertu du territoire. La plupart des décisions se traduisent par une implantation, une transformation, une construction de bâtiments ou d’infrastructures, de modes d’occupation, de flux. Le territoire est dès lors un "juge" visible et impitoyable de la concurrence maîtrisée ou pas, de la solidarité ou pas, de la réglementation ou de la convergence des politiques comme de la pertinence de celles-ci. Les incompatibilités entre activités, les rejets, les destructions paysagères et urbanistiques sont autant de signatures, autant de révélateurs.

La gestion du territoire, ou mieux le développement territorial, est pour l’essentiel, aux différentes échelles, la gestion des contraires qui doivent, c’est la finalité de cette gestion, devenir des complémentaires.

compétition

versus

coopération

centre

versus

périphérie

économies de proximité

versus

économies de connectivité

hiérarchie

versus

réseaux

etc...

   

 

Les menaces sur le territoire

Jean-Louis Guigou, dans l’ouvrage déjà cité et sur lequel nous nous appuyons, relève pour la France trois menaces : la marginalisation, la dislocation, la surpopulation et le dépeuplement.

Cette dernière menace est peu significative pour la Wallonie. Par contre, nous distinguerons la dislocation par l’extérieur et celle par l’intérieur.

 

Marginalisation

La Wallonie est située au centre d’un vaste espace dont les extrémités sont les ensembles urbains de taille mondiale que sont Londres, la Rhur et Paris soit ce qu’on appelle la mégalopole du nord européen comportant 67 millions d’habitants et ayant un PIB par habitant en 1991 de 121 [CEE=100].

Au sein de cette mégalopole, le triangle que forme la Wallonie et les régions qui l’entourent (la Flandre et Bruxelles, les huit départements français limitrophes, en Allemagne : la Sarre et les régions de Cologne et de Trèves, le Grand-Duché de Luxembourg, en Grande Bretagne le Kent, aux Pays-Bas le Limbourg et le Brabant septentrional) est paradoxalement une périphérie par rapport au centre (fonctionnel) qu'est la mégalopole, avec un PIB par habitant de 108. Il y a risque sérieux que, même en étant au centre (géographique) du système spatio-économique européen la Wallonie, avec d’autres, ne soit marginalisée. Cette situation a été notamment révélée par la seconde esquisse de structure de Benelux qui a fait dire à certains acteurs économiques et politiques que la Wallonie devenait le poumon vert voire la réserve indienne Bénéluxienne.

 

Superficie

(km²)

Population 1992

(millions)

Densité de la population 1992 (habitants/
km²)

Taux de croissance moyen annuel de la population 81/92

PIB/
habitant 1991

(CEE = 100)

Emploi tertiaire

Région wallonne

16844

3,3

195

0,17 %

88

71 %

Triangle

109 832

28,3

257

0,24 %

108

65 %

Couronne

47 169

39,0

819

0,40 %

130

75 %

Mégalopole

157 001

67

429

0,33 %

121

70 %

Source : Eurostat ; calculs propres. (Extrait de O. Granville et L. Maréchal, La Wallonie au centre de l’Europe : comparaisons interrégionales, à paraître).

Les schémas d’infrastructures de communications (eau, fer,...) comme les "eurocorridors" des documents européens (Europe 2000+, SDEC) montrent qu’il y a, volontairement ou pas, un contournement de la Wallonie.

Une telle menace nécessite une vision claire de la Wallonie en Europe et une stratégie cohérente et une tactique continue (sur le long terme) pour s’inscrire activement dans les courants de développement et non pour en être les spectateurs.

 

La dislocation externe

Pour un territoire aussi nettement marqué par la constitution d’un état national jacobin que la France, Jean-Louis Guigou s'inquiète des forces centrifuges qui apparaissent maintenant avec la disparition des frontières, avec des nouvelles logiques économiques et avec, nous l’ajoutons, les programmes transfrontaliers. Ces mouvements, s’ils ne sont pas maîtrisés, pourraient faire en sorte que la France risque de s’effilocher sur ces franges (7). Le même propos, à une autre échelle, peut être fait tenu pour la Wallonie, avec la proximité de centres urbains importants à ses frontières : Bruxelles, l’agglomération Lille-Roubaix-Tourcoing, Euregio (trois ensembles urbains plus que millionnaires en population) et au sein de celui-ci le projet MAHL et l’attraction sur le sud de la Wallonie, de Luxembourg et du système urbain lié à l’espace Sar-Lor-Lux. Traditionnellement ouverte (ainsi la Wallonie comptait en 1981 près de 400.000 habitants – sur 3.221.224 – à moins de 5 km d’une frontière étrangère), la Wallonie se trouve donc face à ce risque de dislocation.

La question centrale est "donc d’articuler une politique combinant l’exogène et l’endogène, c’est-à-dire une politique d’aménagement intégrant les contraintes, tout en étant suffisamment volontariste" (8).

L’existence institutionnelle de la Région wallonne, notamment dans la sphère des relations extérieures, est déjà un instrument important pour mener une telle politique vis-à-vis des régions limitrophes.

Toutefois cette capacité de négociations suppose d’une part une cohésion régionale forte pour dépasser "la dislocation interne" et surtout générer une "masse critique" qui ancre les activités venues de l’extérieur et génère des processus locaux de développement (9).

 

La dislocation interne

On a souvent relevé les aspects négatifs du sous-régionalisme. Et de fait, le risque est grand que les intérêts locaux ne prévalent – on doit reconnaître qu’il y a des expériences malheureuses à cet égard. La diversité humaine, des paysages, des tissus économiques est certes un atout, mais dans la mesure où elle est balancée par un objectif de cohérence au niveau régional. Inutile de monter ici une analyse de ce phénomène bien connu et diagnostiqué. Relevons seulement deux phénomènes plus structurels.

Tout d’abord la dichotomie souvent affirmée entre rural et urbain. Elle est souvent évoquée, mais difficilement saisissable empiriquement (hormis dans les paysages). Elle doit sans doute être située à son niveau (par ailleurs intéressant dans un débat régional) : être le catalyseur d’une série de revendications, de projets.

Ensuite, les basculements au sein du territoire wallon. La carte héritée de la Belgique unitaire et de la révolution industrielle se modifie en profondeur depuis un demi-siècle. Brièvement, le sillon industriel Haine – Sambre -Meuse – Vesdre, tout en étant majoritaire économiquement et démographiquement, est face à un autre axe en développement, dénommé l’axe Nationale 4, partant de Bruxelles et allant à Arlon (Luxembourg) en passant par Namur. Quatre chiffres pour fixer les idées : la population du sillon comportait, en 1831, 501.009 habitants, celle de la "nationale 4" 200.493 (sur une population totale de 1.504.258); en 1996, les chiffres respectifs sont de 1.606.415 (en baisse depuis le sommet de 1970 1.689.449) et de 466.204 (pour 3.314.568 habitants).

Il y a donc un enjeu double : oser prendre mesure de l’évolution de la réalité territoriale wallonne (l’observation), dégager un projet spatial fort et fédérant la diversité wallonne

 

Conclusion : l'effet Thomas

Terminons par des propos qui en fait ne concluent pas, mais se situent dans une approche générale de crédibilisation des politiques et de l'évaluation de celles-ci.

L'histoire de Thomas est doublement millénaire et connue. L'apôtre a dû mettre le doigt dans les plaies de Jésus de Nazareth pour croire à son retour après la Pâques.

Bref, il faut voir ou toucher pour croire. On pourrait dénommer cette attitude comme l'effet Thomas.

Pour qu'une politique rencontre une adhésion, pour, surtout en matière de planification, estimer qu'il ne s'agit pas seulement d'un discours. Il faut une perception sensible, concrète.

 Notes

(1) Fabienne Roberti, Rapport préliminaire , p. 54-57.

(2) Le Gouvernement wallon a adopté provisoirement le 29 octobre 1998 le projet de SDER, conformément aux dispositions réglementaires (article 14 du CWATUP).

(3) Georges Benko, La mondialisation n'abolit pas les territoires, dans Alternatives économiques, hors-série, n°37, 3ème trimestre 1998, pp. 42-44.

(4) Jean-Louis Guigou, France 2015. Recomposition du territoire national, Datar/Editions de l’aube, 1993, p. 7.

(5) Ibid; , p. 71.

(6) Cfr Jean-Louis Guigou, op.cit, et surtout les travaux de Catherine Baumont.

(7) Op.cit, p.35.

(8) Luc Maréchal, Wallonie entre centre(s) et périphérie(s), Recomposition et développement des territoires, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 336. – Marcus Dujardin, Anne-Catherine Guio, Luc Maréchal, Croissance endogène spatialisée et développement régional : apports pour une évaluation critique des plans stratégiques d'aménagement du territoire, dans Tendances économiques, n° 14, mai 1998, pp. 65-99.

(9) Voir Michel Quévit, Relations entre aménagement du territoire et développement régional équilibré, L’aménagement du territoire de la grande Europe en coopération avec les pays d’Europe centrale et orientale, 1995, Office des publications officielles des Communautés européennes, p. 26-38.

 

 

 

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