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Débats avec les participants
 

Jacqueline Joris
Vice-Présidente du Conseil culturel régional de Charleroi

J'avais choisi ce carrefour parce que intitulé Education, culture d'initiative et autonomie. En écoutant les "témoins" chargés d'introduire le débat ainsi annoncé, j'ai surtout entendu parler de compétence, ou socle de matières à connaître; de la nécessité de tenir compte du concret dans un système éducatif encore actuellement déficient; de l'obligation d'être le meilleur en face des réalités du monde économique; de préparation de l'avenir par l'augmentation du niveau d'exigences; d'alphabétisation culturelle sans grande précision... Bref, un vocabulaire qui amène à croire que l'école, l'éducation, devraient prioritairement s'aligner sur les exigences de rentabilité de la société économique. Je ne peux pas être d'accord avec cette vision tronquée.

Evoquant les socles de compétences, un des témoins a utilisé l'expression "bagage élémentaire du petit Wallon". Je pose la question : ce bagage doit-il différer de celui de tout autre écolier ? Ne doit-il pas correspondre à ce qui tend à construire un individu digne de son statut d'être parlant et pensant : celui qui se posera les questionnements primordiaux, s'interrogera sur les vrais problèmes de la vie, de l'évolution, d'une société de droits et de devoirs et sur le sens à leur donner ? Construire un être humain, n'est-ce pas l'amener à se confronter aux vrais "penseurs" ? Et lui permettre d'apprendre des démarches intellectuelles élaborées ? L'éducation ne doit-elle pas surtout constituer un apprentissage à la réflexion objective ? A l'analyse non doctrinale ? Celle qui permet la critique, la remise en question, le choix motivé ? N'est-ce pas ce qui, de l'enfant, fait une femme ou un homme lucide, autonome, créatif... ?

Acquérir des connaissances, certes, il le faut, et sans discontinuer, dans notre société évolutive. Mais surtout, il faut comprendre pourquoi, et en faire une utilisation raisonnée, non particularisée : ouverte, diversifiée, honnête dans son jugement. Ce que Finkielkraut appelle "activité spirituelle et créatrice de l'homme" quand il désigne la culture.

C'est la culture ainsi comprise qui rend possible à la fois la construction de l'identité personnelle en même temps qu'elle ouvre sur un universel de respect des autres et de la pluralité, condition indispensable à une identité démocratique revendiquée. N'est-ce pas là l'éducation primordiale ?

Est-ce que cette culture-là, cette culture vraiment citoyenne, est enseignée aux jeunes ? Est-ce que l'école apporte, encourage cette étude "interrogative", non directive, non fermée, non dogmatique ? Celle qui cherche et peut trouver – en réponse – les principes fondamentaux du sens de l'existence ?

Dans son intervention d'ouverture du Congrès, M. Quévit a mis en évidence l'urgence d'un culturel qui dépasse les clivages, aussi bien socialement, territorialement, politiquement, idéologiquement. Et aussi l'exigence d'une éthique sociale et politique.

Et en pédagogie ?

M. Quévit avait aussi requis une société innovante, dans laquelle l'entreprise, elle-même, devra apprendre le questionnement et les changements de mentalité.

Et l'école ?

A l'école il manquerait actuellement, paraît-il, le pilotage adéquat pour que les enjeux sociétaux soient gagnés. Les enjeux en question m'ont paru miser particulièrement sur l'économie qui triomphe et la rentabilité qui doit progresser.

Ne serait-il pas raisonnable, judicieux et démocratique d'y joindre une politique éducative et culturelle citoyenne, véritablement humaine et humaniste ?

Pas seulement pour combler des lacunes de matières scientifiques, technologiques, de savoir-faire, etc., mais aussi – mais surtout ! – pour apprendre le savoir-être à l'humain qui parle et qui pense. Le sensibiliser aux démarches réflexives, à l'ouverture d'esprit, au respect de la liberté individuelle dans la cohésion sociale nécessaire.

Comment ?

La responsabilité en échoit à chacun, oui. Mais il y a des "chacun" bien démunis, qui, seuls, n'y arriveront pas. Or c'est un droit pour tous, cette culture de la réflexion : l'apprentissage de la personnalité qui maîtrise pulsions, instincts, émotions, en gardant la sensibilité sans céder à la tentation des excès; une éducation bien faite par l'exercice de la pensée et de la liberté de critique.

Il y a des pouvoirs pour en assumer la responsabilité.

A eux de jouer.

Donat Carlier
Etudiant – Membre de la Revue nouvelle
Traceurs de Lendemain (Fondation Roi Baudouin)
Université catholique de Louvain-la-Neuve

J'insisterai sur la question des décrets et du travail législatif qui a eu lieu notamment sous cette législature-ci, en particulier, le décret mission.

Je crois qu'une des lacunes fondamentales de ce décret est de ne pas être traduit dans la réalité, c'est-à-dire d'augmenter le gouffre entre la réalité du travail professoral sur le terrain et l'objectif inscrit dans les textes.

Un second problème de ce décret mission est qu'il ne comporte aucune référence à une dimension collective. Gérard Deprez parlait de se situer dans le temps et dans l'espace. Je crois que le bagage de tout Wallon, c'est aussi de savoir où se trouve la Wallonie et de développer un lien avec toutes les réalités, toutes les dimensions dans lesquelles la Wallonie se trouve imbriquée, la Communauté française, Bruxelles, l'Euregio, etc. Cette dimension de collectivités concrètes est fort absente. Il me semblerait intéressant de pouvoir se situer dans le temps et dans l'espace, de parler de démocratie.

Michel Quévit a indiqué qu'une des lacunes de la démarche La Wallonie au futur était d'être une démarche trop élitiste. Un enjeu fondamental est de pouvoir élargir le débat à l'ensemble de la société wallonne. Je crois que la dimension éducation, c'est aussi de pouvoir se dire qu'on va débattre de l'ensemble des thèmes qu'on a abordés lors de ce colloque, dans l'ensemble de la société.

Azmano Abdelkader

Pour réduire la violence dans les écoles, il faut y apprendre la démocratie. L'école n'est pas seulement un service, c'est un moyen pour imposer aux individus une transformation. Mais peut-on avoir une école à la fois citoyenne et dont le but est la croissance de l'économie wallonne ? Ces deux notions sont contradictoires.

Anne Martinow

Sociologue, j'ai réalisé – fin des années 60, début des années 70 – des enquêtes sur la culture en milieu ouvrier, puis j'ai été engagée à la RTBF à une époque où l'on croyait encore que la TV faisait partie du mouvement d'Education permanente dont on parlait tant dans ces années-là.

Le mouvement ouvrier, par ses luttes, était parvenu à obtenir l'école obligatoire et gratuite. Le réseau dynamique des Maisons du Peuple faisait de l'alphabétisation culturelle et politique. On a cru que la TV allait prendre la relève.

Et puis on a vu apparaître la TV commerciale et, petit à petit, la TV est devenue un enjeu industriel et financier. Or on sait que, moins le niveau scolaire est élevé, plus on regardera des programmes faciles. Ces programmes qui font un taux d'audience élevé, selon l'audimat, cet outil d'évaluation d'audience au service des publicitaires. Ce qui importe, c'est donc de toucher un public perméable à la publicité.

Des enquêtes ont été menées dans certains pays, qui soutiennent que d'autres systèmes d'évaluation d'audience – qui prendraient notamment compte du nombre de personnes devant leur TV, etc. – pourraient donner d'autres résultats concernant l'audience des programmes.

De plus, comme le dit D. Wallon, l'audimat mesure l'offre et non la demande des programmes.

Responsable d'un magazine sur les Relations nord-sud, j'ai été contactée par des enseignants qui disent avoir besoin de ce genre d'émission. Car l'éducation ce n'est pas seulement l'enseignement : c'est la rue, la famille et aussi la TV. Et, même si aujourd'hui la TV est devenue un enjeu industriel et technologique, il ne faut pas oublier qu'il est avant tout un espace culturel et donc éducationnel.

Pour revenir à ce qui a été dit par les témoins :

  • pour Gérard Deprez, les thèses de reproduction culturelle de P. Bourdieu ne seraient plus adaptées à la situation actuelle;

  • M. Crahay, quant à lui, parle de dualisation scolaire et d'inégalités très fortes selon les établissements fréquentés.

Alors, les thèses de P. Bourdieu sont-elles réellement dépassées ou sont-elles toujours d'actualité ? J'aimerais avoir l'avis des deux intéressés sur ce sujet.

Jean Boitquin
Conseiller communal

Je suis enseignant et ne m'en considère pas pour autant représenter une compétence. J'approuve tout à fait de nombreuses propositions faites par les témoins, particulièrement :

  • d'accentuer, de développer et de mieux organiser la coopération entre les réseaux d'enseignement ainsi que la formation des enseignants, non seulement dans les branches qu'ils enseignent mais aussi dans l'éducation à la citoyenneté et à la démocratie.

  • de mieux former les enseignants à apprendre à leurs élèves non seulement à se respecter soi-même et à respecter les autres mais aussi à respecter l'environnement qui est la patrimoine collectif. Ce respect et cette recherche aboutiront inévitablement à étudier les causes et les premiers responsables de ce non-respect actuel de notre environnement à savoir – et cela a une odeur de soufre – un système économique dont la première règle et le premier but sont le profit et qui se moque de l'environnement dans la mesure où il contrecarre ce profit !

Je voudrais pour ma part insister sur un point : c'est l'apprentissage à la démocratie dans nos écoles. La pratique de la pédagogie institutionnelle doit favoriser cet apprentissage à condition que le pouvoir politique apporte l'aide en investissements qu'elle réclame.

La pédagogie institutionnelle, ce n'est pas seulement faire fonctionner le Conseil de Participation dans chaque école mais, surtout, dans chaque école, pratiquer l'évaluation démocratique. Le fonctionnement de l'école doit être lui-même démocratique. Par exemple, les buts, les objectifs de l'école devraient être choisis et définis par des assemblées élues au suffrage universel. Ainsi, les élèves et les enseignants s'exerceraient à une réelle pratique de la démocratie.

Il serait souhaitable aussi que chaque professeur, quelle que soit la branche qu'il enseigne, soit encouragé et réussisse à initier dans sa classe avec ses élèves, une recherche en citoyenneté et en démocratie. Pour ce faire, des outils pédagogiques peuvent, dès maintenant, être mis à sa disposition par des organismes comme la Fondation Roi Baudouin, la cellule "Démocratie ou Barbarie", la Fondation Auschwitz et d'autres.

Alberto Gabbiadini
Président Commission Immigration et Interculture
Directeur
Ente nazionale acli instruzione professionale (ENAIP)

Les chômeurs, les minimexés, les jeunes à la recherche d'emplois sont des sujets trop peu abordés par ce carrefour. On parle de l'université, des études supérieures, des écoles techniques et professionnelles mais pas des centres de formation, qui essaient de récupérer les jeunes qui sont au chômage parfois de très longue durée. La réussite de ces centres est d'une moyenne de 50 % à 60 % de jeunes qui retrouvent du travail ou qui retrouvent goût à la vie, à la citoyenneté. Ces centres de formation ont de lourds problèmes financiers puisqu'ils vivent de subsides, payés souvent fort tardivement.

Par ailleurs, une remarque également sur les exigences des employeurs. Elles sont outrancières, ils veulent des moutons à cinq pattes, des secrétaires qui parlent quatre langues, ...

Françoise Boucau
Enseignante – SEL SETCA – Enseignement libre

La question qui me paraît la plus grave pour le moment est la dualisation croissante de l'école et le pourrissement de la situation dans beaucoup d'écoles techniques et professionnelles. Le décret "Missions" ne fait qu'accentuer cette séparation entre le général et le technique. Beaucoup de directeurs du technique, même s'ils étaient très motivés au départ, se sentent de plus en plus impuissants à inverser la tendance à la dégradation de l'enseignement dans leur école. Et le rapport infantilisant que l'enseignement secondaire induit entre les professeurs et les élèves me rend sceptique quand à une amélioration de la formation et de l'éducation dans ces écoles.

Tout ceci m'amène à proposer un changement radical de l'enseignement et un recentrage du secondaire sur la formation des adolescents jusqu'à 18 ans. Par après, comme ça se fait déjà dans d'autres pays et notamment au Danemark, il serait judicieux d'ouvrir des écoles pour les jeunes adultes (18 à 25 ans ou plus), qui s'adressent aussi bien aux élèves ayant pris du retard dans leur formation qu'aux adultes décidant de continuer la leur. Il faudrait y proposer aussi bien une formation technique que culturelle et citoyenne. Et il serait souhaitable de les mettre sur pied en synergie avec tous les acteurs de la formation permanente, pour regrouper en un seul lieu ou réseau les énergies déployées pour le moment de façon éparpillée, entre des milliers d'organismes de formation pour adultes par l'enseignement secondaire quand il s'occupe d'élèves majeurs.

Jean Mathieu

On ne fournit pas suffisamment d'efforts pour augmenter la coopération entre les réseaux en Wallonie. A propos de la pédagogie et de l'apprentissage dans l'école à la démocratie, on parle de pédagogie institutionnelle. Je me demande si, cette pédagogie institutionnelle, c'est enseigner les institutions – ce qui est important – ou si cela consiste à évaluer démocratiquement le fonctionnement de l'école pour apprendre aux jeunes ce que c'est qu'agir en démocrate dans notre société. Je crois qu'on devrait arriver à une telle formule. Chaque professeur, quelle que soit la branche qu'il enseigne, poursuivrait avec ses élèves une recherche sur la citoyenneté et la démocratie, en se servant d'outils pédagogiques qui existent déjà à la Fondation Roi Baudouin ou à la Fondation Auschwitz par exemple.

Jacques Duriau
Inspecteur honoraire

Les questions principales doivent être : quelle éducation pour la Wallonie, quel type de projets éducatifs, quel type d'individus devons-nous former en fonction de certains objectifs, en considérant les besoins essentiels de l'individu – qui ne va plus travailler que 35 heures par semaine – mais aussi les besoins de l'économie.

A mon avis, lorsqu'on a défini un projet éducatif, il y a trois grandes incidences qui en découlent :

  • quel type d'individus faut-il former ? que doivent-ils faire ? comment doit-on organiser l'enseignement pour que chacun y trouver sa place et son évolution ?

  • quel type d'architectures scolaires est nécessaire ? quel type d'équipements ? quel type d'organisations ?

  • quel type d'administrations faut-il créer pour que cette dynamique fonctionne ?

Comme l'a dit Michel Quévit, plus que les matières, ce sont les démarches qui importent. L'important c'est la méthodologie, l'inventivité, la responsabilité, la capacité d'entreprendre.

Un projet éducatif clair, c'est : on apprend en agissant, on agit si on est motivé, on est motivé si on a un problème à résoudre. Ce schéma fonctionne pour une PME comme pour le système d'enseignement.

Miguel Lloreda et Eugène Mommen
Secrétaire général CCI et Ingénieur et Economiste – MRW
Confédération générale des enseignants

Apprentissage de la démocratie et évaluation démocratique de l'école

Le rapport préliminaire de ce congrès comporte un chapitre 5, intitulé Le défi de l'éducation, qui constitue une synthèse sélective des idées qui ont dominé jusqu'à présent les congrès La Wallonie au futur dans le domaine de l'éducation. Nous y avons cherché une lacune particulièrement importante, dans le but de focaliser cette intervention sur une seule idée. Et nous avons retenu l'idée de démocratie.

Apprendre la démocratie : pourquoi ?

Pour réduire la violence dans l'école. Dès sa naissance, il y a 2500 ans, à Athènes, la démocratie a été l'antidote de la violence. Ne pas frapper, mais se parler : cette injonction n'est crédible que si la parole conduit à une décision partagée. S'écouter mutuellement et décider ensemble peuvent encore avoir cette efficacité aujourd'hui, contre la violence ou l'indifférence – plus inquiétante encore – des jeunes qui décrochent de l'école.

Apprendre la démocratie aussi pour devenir des adultes créatifs : la Wallonie a besoin de citoyens et militants capables d'imaginer son avenir. Et aussi de travailleurs plus créatifs : pour l'efficacité de ses services publics et pour la compétitivité de ses entreprises. Car la créativité, dans les entreprises, demande certes la maîtrise de connaissances technologiques et scientifiques mais aussi une réflexion collective de tous les travailleurs sur leurs pratiques, sur des problèmes des clients et de l'environnement, sur des produits et les processus de production. Mais la réflexion collective s'enlise quand ceux qui y participent ne respectent pas des procédures précises ou ne sont pas imprégnés d'une culture du dialogue. Ces procédures et cette culture peuvent s'apprendre dès l'école primaire, en résolvant ensemble des problèmes concrets : ceux que pose la vie en commun dans l'école.

Apprendre la démocratie : comment ?

Des méthodes ont fait leurs preuves, pour apprendre la démocratie. Les plus importantes constituent une part importante de la pédagogie institutionnelle. Celle-ci est pratiquée, en Wallonie, par des enseignants peu nombreux. D'autres se forment à ces méthodes, au sein du mouvement pédagogique et dans quelques écoles normales. Il s'agit maintenant d'accélérer cette diffusion, tout en conservant la qualité du grain que l'on sème.

La Communauté française devrait donc confier largement un rôle de formateurs à ceux qui pratiquent déjà la pédagogie institutionnelle, tout en leur permettant de garder le contact avec cette pratique. Développement délicat à piloter, qui demande au pouvoir politique un investissement budgétaire et symbolique.

Le Conseil de participation ...

Le conseil de participation a été institué par le décret "missions", entré en vigueur en 1997. Il rassemble, dans chaque école, des représentants des élèves, des parents, d'associations locales, des enseignants et des autres travailleurs de l'école. Il doit débattre du Projet d'établissement et évaluer périodiquement sa mise en œuvre.

C'est un lieu de dialogue des élèves et des parents, usagers du service public qu'est l'école, avec les prestataires de ce service : enseignants, autres travailleurs et direction de l'établissement. Dialogue sur la qualité du service. Dialogue d'autant plus pertinent que, pour un service, la qualité du produit dépend non seulement des producteurs mais aussi des usagers : ceux-ci sont, en quelque sorte co-producteurs du service. Ce partage de la responsabilité, qui distingue la production des services de celle des biens matériels, vaut, tout particulièrement, pour l'enseignement : les élèves et les parents peuvent, selon leurs attitudes, stimuler ou handicaper les efforts que font beaucoup d'enseignants pour améliorer l'efficacité des apprentissages. Quand aux associations locales, elles peuvent, d'une part, apporter à l'enseignement des ressources concrètes disponibles localement et, d'autre part, exprimer les exigences des usagers indirects de l'école : les employeurs (privés, publics et associatifs) – qui ont besoin de travailleurs capables de créativité collective – et les mouvements d'opinion – qui ont besoin de militants qui puissent affiner leur argumentation et promouvoir leurs idées ainsi que de citoyens capables de choisir entre les appels de différents mouvements.

... un lieu d'évaluation démocratique ...

Ce dialogue entre usagers et prestataires d'un service, sur la qualité de celui-ci, c'est ce qu'on appelle l'évaluation démocratique. Par opposition à l'évaluation technocratique, ou plutôt l'audit, qui est l'avis d'un expert supposé neutre. L'audit tend à étouffer le conflit, l'évaluation démocratique l'organise, pour le rendre productif d'innovations et de progrès.

L'évaluation démocratique constitue aussi une alternative à la marchandisation de l'école, cette dérive où les usagers directs – étudiants et parents – se comportent en consommateurs à la recherche du meilleur rapport qualité - prix. Un prix qu'ils ne payent que pour une part minime (mais trop importante encore) et une qualité que, isolés les uns des autres, ils jugent fort mal. Tandis qu'ils peuvent construire un jugement beaucoup plus pertinent en délibérant : entre eux, avec les enseignants et avec des pédagogues.

Mais l'école n'est pas seulement un service, c'est aussi une institution publique : un moyen, pour la société, d'imposer aux individus une transformation – une éducation en l'occurrence – qui contribue un bien commun ou à un intérêt général défini plus ou moins démocratiquement. Pour maximiser ce caractère démocratique, les buts de l'école doivent être choisis par des assemblées élues au suffrage universel, qui concrétisent la souveraineté populaire, telles que le parlement de Communauté française. Cependant, cette décision sera d'autant plus pertinente qu'elle sera préparée par une délibération plus large, tout particulièrement entre usagers et travailleurs de l'école, telle qu'elle peut se démultiplier dans les différents établissements, au sein des conseils de participation. Il s'agit de faire durer, dans ces conseils, ce que les agoras ont inauguré, en 1994.

... produit d'initiatives locales, à aider d'en haut

Si le conseil de participation doit rester consultatif, il est aussi ce qui manque le plus à une délibération active et pertinente et, par là, à la démocratie. Il manque car, s'il est institué par décret, il ne vit réellement que dans peu d'écoles encore. Ici, pour une fois, la loi est en avance sur les faits. Et elle risque de tomber en désuétude si son application est laissée à la spontanéité des bonnes volontés locales.

La Communauté française devrait donc offrir une aide méthodologique aux directions d'école et aux acteurs locaux, pour l'animation des conseils de participation : leur fournir des formations spécifiques et des animateurs itinérants.

Le pilotage de cette aide doit s'appuyer sur une connaissance du terrain : nous avons besoin aussi d'un observatoire du développement des conseils de participation. Ce rôle ne pourrait-il être confié – avec les moyens nécessaires – au Conseil de l'Education et de la Formation ? Il est, lui aussi, un lieu de dialogue entre usagers et prestataires, un lieu d'évaluation démocratique, mais pour l'ensemble de notre système éducatif.

Apprentissage de la démocratie en classe, évaluation démocratique des établissements scolaires : ces deux niveaux d'une démocratie en construction sont complémentaires. La délibération et la décision démocratiques se pratiqueront d'autant mieux dans les classes que les conseils de participation en demanderont. Et les élèves s'investiront d'autant plus activement dans le conseil de participation qu'ils auront vécu en classe l'esprit et les procédures de la démocratie.

Pour en savoir plus :
C.G.E., Apprendre la démocratie et vivre à l'école, Edition Labor, 1995.
Philippe MEIRIEU et Marc GUIRAUD, L'école ou la guerre civile, Edition Plon, 1997.

Jean-Philippe Cornelis
Animateur culturel au Centre culturel du Brabant wallon

Je voudrais cibler mon intervention sur la notion de culture d'initiative. Nous avons la chance de vivre dans un système européen de protection sociale forte qui est le contraire du modèle américain "marche ou crève". Nous devons nous battre pour préserver ce modèle de protection sociale qui est un des plus beaux acquis de notre civilisation.

Certains prétendent à tort que ce modèle européen pousse à l'indolence, que l'Europe a "peur du risque" et qu'il faudrait donc sabrer dans les régimes de sécurité sociale un peu comme le propose le triste et sinistre rapport de l'OCDE. Je pense que nous devons au contraire responsabiliser les gens en trouvant le juste couple de ce j'appelle le concept de "securi-mobilisation" : je (l'Etat) te sécurise, tu te mobilises comme porteur de projet responsable.

Pour cela, différentes techniques peuvent être utilisées, comme celle de supprimer la précarité des chercheurs - entrepreneurs - porteurs de projets en leur donnant l'allocation de chômage maximale pendant tout le temps de préparation - incubation de leur projet et même de permettre à des entrepreneurs malheureux d'émarger au chômage. De même, les fonctions américaines de business angels ou investisseurs en capital à risque doivent être encouragées et améliorées mais dans une culture européenne propre, par exemple en partenariat avec l'Etat et les Régions.

Enfin, culturellement et éducativement, il s'agit surtout, dès l'enseignement primaire et secondaire, d'apprendre aux enfants et adolescents à être "porteurs de projets", tant dans le secteur marchand que dans le secteur non-marchand et culturel. La notion d'entrepreneuriat social et culturel n'est de ce point de vue pas vaine car, si nos sociétés sont en crise (chômage, précarisation), c'est aussi à cause d'une sphère marchande qui ne s'intéresse qu'à ce qui est "rentable" et parce qu'il y a encore énormément de besoins non couverts dans le secteur non-marchand.

Si le système d'enseignement américain a de graves lacunes, compensées parfois par la "fuite de cerveaux", il a cette qualité d'initier très tôt à la prise en charge de projets. Nous, Européens, devons aussi être "porteurs de projets", système qui pourrait par exemple se concevoir par des travaux de fin d'études ou d'entrée dans la vie active sous la forme d'un rapport définissant De quel projet de vie êtes-vous porteur ? ou Comment pensez-vous contribuer au bien-être de la société ? Favorisant la motivation et l'initiative, ces "projets de vie" contribueraient à forger ensemble des "projets de société" et fonctionneraient comme des socles-tremplins pour une intégration plus heureuse et ciblée dans le monde du travail.

René Vandaele
Directeur de l’Observatoire économique des Intérêts liégeois

En termes de stratégie, la première condition est de faire un certain nombre de choix et d'accorder un certain nombre de priorités. La deuxième, c'est de voir dans quel cadre on travaille.

Si on regarde la région liégeoise – et d'ailleurs la Wallonie –, le problème principal est le déficit d'emplois. Ce déficit vient d'une perte d'emplois industriels. L'emploi industriel viendra désormais des PME, il faudra donc faire grossir ces PME pour qu'elles demandent plus de techniciens. Ce sont des études secondaires professionnelles et techniques qui sont le talon d'Achille de notre problème d'emploi et de redéploiement. On ne peut pas continuer à laisser des jeunes de 25 à 35 ans trois ans au chômage avec un diplôme d'études secondaires qui est insuffisant. Les PME sont exigeantes au niveau de la formation car elles sont technologiquement avancées. Il convient de renforcer la formation donnée dans l'enseignement technique et professionnel afin de reconstituer un tissu de ce que l'on appelait A2 – techniciens, mécaniciens, électriciens – performant.

Françoise Dethier
Assistante sociale psychothérapeute familiale

Dans cet atelier, j'entends peu parler de la famille. Il me semble cependant que, depuis sa naissance, la personnalité de l'enfant est structurée par la famille. Comme le dit le titre du livre de Fitzhugh Dodson, Tout se joue avant 6 ans.

Si la dynamique familiale est saine, l'enfant aura une personnalité bien structurée, épanouie et sera plus tard un élève solide dont les parents sont attentifs à la scolarité.

Si la dynamique familiale est pathologique, l'enfant sera fragile et, en tant qu'élève, il risque d'avoir plus facilement des problèmes de comportement au point de vue scolaire (ex. : violence, manque de concentration, turbulent en classe ...).

Dans le cadre de mon travail (une école d'hôtellerie), je rencontre des élèves qui éprouvent de grandes difficultés à suivre les cours et à se concentrer. En effet, assez fréquemment ces élèves ont leur tête tellement pleine par les tensions familiales ou par l'attitude de rejet de(s) parent(s), qu'ils n'ont pas l'énergie pour écouter ce que les professeurs essaient de leur apprendre.

Un intervenant

A propos des remarques de Gérard Deprez sur le fait de combler les lacunes en ayant des exigences supplémentaires et sur l'importance de l'école en tant que lieu d'égalité de chances : ces deux remarques me semblent contradictoires. Nous sommes passés d'une société qui avait un effet essentiellement reproducteur et qui essaie de devenir une société de la création, de l'innovation. La fonction de l'enseignement secondaire a également changé. De sélectif, il est devenu la base minimale pour trouver un emploi, il a maintenant un caractère de promotion sociale.

Par ailleurs, je voudrais dénoncer le retard que nous avons dans la formation des enseignants. Le passage régulier de la théorie à la pratique et de la pratique à la théorie qui existait auparavant n'existe plus pour des raisons budgétaires, c'est regrettable.

L'école doit être un lieu d’apprentissage, de la démocratie. Mais la démocratie doit également s'apprendre de manière volontaire à travers le monde des associations, le monde des mouvements de jeunesse ou autres. C'est de moins en moins le cas et c'est dommage.

L’un des enjeux stratégiques de la Wallonie de demain n’est-il pas de permettre l’émergence de nouveaux lieux d’expression de la citoyenneté spontanée – par opposition à la citoyenneté obligatoire qu'est l'école. Plusieurs freins entravent ce projet, l'assistanat dont les jeunes sont l'objet dans ces mouvements, le manque de moyens financiers, l'institutionnalisation, etc.

Danielle Torfs-Masquelier
Professeur d’histoire
Enseignement technique secondaire supérieur

A force de parler de stratégies innovantes, ne risque-t-on pas d’oublier des éléments traditionnels pourtant fondamentaux pour l’avenir des jeunes Wallons ?

Parmi ceux-ci figure la maîtrise de la langue française. En effet, je constate que, parmi mes élèves (15 à 20 ans, très majoritairement francophones d’origine), de plus en plus éprouvent des difficultés dans ce domaine : il leur devient difficile de comprendre un article de presse du niveau de ceux du journal Le Soir ou de La Libre Belgique, a fortiori les documents "historiques". Ils saisissent souvent mal le sens des questions et expriment parfois leurs réponses, remarques, critiques de telle manière qu’ils en inversent complètement le message ! Constat hélas souvent confirmé par bien des collègues.

Or, en assurant une meilleure maîtrise de la langue française, on fournirait aux jeunes un outil fondamental pour leur avenir et un moyen d’atteindre tant d’objectifs déjà évoqués ici :

  • autonomie : celui qui sait lire et comprendre le français peut plus aisément apprendre par lui-même, que ce soit dans des livres ou au travers des multimédias, car sur l’écran d’ordinateur, ce sont aussi souvent des textes qui défilent. Or une formation continuée devient un atout dans un monde en perpétuel changement.

  • confiance en soi : celui qui peut aisément formuler sa pensée, argumenter logiquement et donc se faire comprendre d’autrui hésite moins à faire valoir son point de vue et à prendre la parole dans un débat. N’est-ce pas là un facteur déterminant pour oser prendre des initiatives et intervenir dans cette participation citoyenne dont on parle tant aujourd’hui ?

  • lutte contre la dualisation de la société : celui qui maîtrise la langue française a plus de chance de comprendre les matières qui lui sont enseignées et surtout d’analyser les questions qui lui sont posées, d’y répondre correctement, donc de réussir les tests d’embauche ou les épreuves pour accéder à une formation plus poussée, souvent nécessaire aujourd’hui pour trouver un emploi. Trop souvent des enfants se retrouvent dans l’enseignement technique ou professionnel moins par manque d’intelligence que pour n’avoir pas réussi à maîtriser des concepts abstraits utilisés dans l’enseignement général.

On pourrait argumenter longtemps encore, mais pour conclure, je souhaiterais que, stratégies innovantes ou pas, tout soit mis en œuvre pour que, dans le bagage de base du "petit Wallon", figure en première place une bonne maîtrise de la langue française.

Certes, cet objectif figure clairement dans le "décret-mission" et dans les socles de compétences, mais on ne peut que constater qu’il demeure actuellement au stade d’objectif et que, dans la réalité, aucun mode d’évaluation objective n’est mis en place pour vérifier que cette compétence, pourtant si fondamentale, est acquise (étape par étape, évidemment !). Quant aux remédiations nécessaires, elles font souvent les frais des restrictions budgétaires !

Il conviendrait donc de mettre méthodes, moyens et critères d’évaluation en adéquation avec l’objectif fixé. Sans doute est-ce là qu’il faut innover !

Michel Peffer
Directeur général – Bruxelles Formation

A partir du moment où on a pu déterminer les objectifs que l’on souhaite poursuivre, il faut encore établir les paramètres qui permettent de les évaluer.

Dans le secteur marchand, c'est simple : on voit si l'on réalise ou non du profit… Dans le secteur non-marchand, la question est différente. Quels sont les paramètres que les pouvoirs publics peuvent mettre en place pour évaluer les politiques ? Une évaluation de l'enseignement, des formations professionnelles sont nécessaires. Est-il normal de ne pas savoir lire à dix-huit ans ? Est-il normal que la formation professionnelle fasse de l’alphabétisation, étant donné les moyens de l'enseignement ? Est-il normal que les personnes qui suivent des formations professionnelles se retrouvent systématiquement au chômage ? Quels sont les paramètres qui permettent d'évaluer ce type de formation ?

Le problème se pose aussi concernant les hommes politiques. Il y a aussi un problème d'évaluation, une personnalité politique peut difficilement remettre en cause les politiques qu’elle a menées et se permettre de les évaluer. Il faut vraiment mettre en place des critères d’évaluation pour que le secteur public, les universités puissent avoir un rôle à jouer dans ce domaine.

Véronique De Keyser
Professeur à la Faculté de Psychologie
Université de Liège

Depuis dix ans, les universités ont incroyablement évolué.

Le premier grand changement, c’est le décloisonnement de l’université vis-à-vis du monde industriel. Les universités vont vers l'industrie et une partie des ressources de l’université vient de ces contacts.

Le deuxième grand changement, c’est l’évolution vers la complémentarité des universités, vers des réseaux universitaires. Cela existe déjà via ce qu’on appelle les troisièmes cycles, le dernier échelon de l’enseignement. L’idée est de dire Mettez-vous ensemble, ne faites pas tous les mêmes troisièmes cycles, faites des synergies entre universités, créez des filières universitaires, pourquoi pas pluralistes, une grande université de la Wallonie. C’est capital, comme les grandes restructurations d'entreprises d'il y a une dizaine d'années. C’est en gestation pour le moment, des axes se créent et c’est une des données stratégiques le futur de la Wallonie.

Le troisième enjeu stratégique, c’est notre capacité à créer des passerelles avec les grandes écoles ou avec d’autres formes d’études. Sommes-nous capables de décourager certains de nos étudiants pour les renvoyer ailleurs mais aussi, d’accepter des étudiants à partir de graduat ou d’autre chose ? C’est un point extrêmement important dans l’idée d’une flexibilité. On n'est plus figé dans un choix définitif, souvent très conditionné par le milieu familial. C’est difficile pédagogiquement, c’est difficile à organiser, cela demande des moyens qui n’existent pas pour le moment.

Le quatrième enjeu, c’est la capacité des universités, mais pas seulement des universités, à ouvrir la porte à une formation continue, à un recyclage, à la formation de citoyens qui voudraient simplement prendre des compléments. C’est de nouveau très difficile à organiser pour les universités qui n’ont pas, pour le moment, les moyens matériels nécessaires

Cela change totalement le visage des universités. Il y a, aujourd’hui, des débats internes, la recherche de ressources. Je pense que c’est une des grandes données de l’enseignement en Wallonie.

 

 

 

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