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Intégration des économies européennes et financement de la solidarité

Tanguy van Ypersele de Strihou
Assistant à l'Université catholique de Louvain, CORE

 

Introduction

Le grand marché européen est présenté par les tenants du libéralisme comme la panacée devant nous mener vers plus de richesses. Il suffit de libéraliser les marchés pour que la concurrence pure et parfaite nous mène au paradis. Il faut donc plus de concurrence, plus de dérégulation pour pousser nos économies vers un mieux. Cette vision n'est évidemment pas partagée par tous. L'objet de cette note est, d'un point de vue théorique, d'aborder l'effet de l'intégration des économies européennes sur les possibilités de financement d'une solidarité nationale. Par intégration des marchés, nous entendons la libre circulation des biens et/ou des facteurs de production. En général, s'il n'y a pas de coordination politique entre les pays, le financement de la solidarité devient problématique. Dans notre exposé, les détails techniques seront mis de côté pour laisser la place à une présentation intuitive des résultats. Dès-lors, il faut mettre en garde le lecteur devant le caractère réducteur des hypothèses qui sous-tendent ces différents modèles. Loin de proposer des solutions pratiques, ils tendent à mettre en évidence des mécanismes dont il appartient aux gouvernants d'évaluer l'importance relative.

Dans un premier temps, nous parlerons des effets des mouvements des facteurs de production sur les possibilités de financement de la solidarité, nous nous concentrerons d'abord sur l'impacte de la libéralisation du marché du capital puis sur celui de la libre circulation des travailleurs. Nous terminerons en présentant un modèle dans lequel la libre circulation des biens (les facteurs de production étant immobiles) rend un type de transferts plus intéressant qu'un autre.

Cette note ne se veut pas un survol de la littérature faite en ce domaine mais est plus tôt une illustration de la manière dont ces problèmes sont abordés. La sélection des modèle présentés est totalement partiale étant donné que l'objet du travail était de présenter nos travaux dans une perspective plus large. Pour les lecteurs intéressés par un exposé plus complets de ces problèmes, le survol de la littérature fait par Helmut Cremer, Virginie Fourgeaud, Manuel Leite Monteiro et Pierre Pestieau (1995) est recommandé.

 

1. Libre circulation des facteurs de production

1.1. Financement de la solidarité et mouvements du capital

Lorsque le capital peut se localiser dans le pays lui donnant la meilleure rémunération nette, il est établi (1) que, sans coordination internationale, une concurrence à la baisse va s'engager sur la taxation des revenus du capital. Le mécanisme est simple : en diminuant faiblement son précompte mobilier, un pays augmente la rémunération (2) net du capital (3) chez lui; ce qui lui permet d'attirer le capital de son voisin et donc d'élargir de manière importante sa base taxable. Le très faible précompte mobilier en Europe est le résultat de ce type de concurrence. Les économistes et les décideurs politiques sont d'accord sur le constat et sur les éventuelles solutions. Relever le taux de taxation des revenus du capital n'est possible que si la décision est coordonnée au niveau européen.

Par ailleurs, la mobilité du capital peut rendre difficile la taxation de revenus, comme ceux du travail, ou la poursuite de certaines politiques redistributives comme celle du salaire minimum. Lejour et Verbon (1994) ont montré comment une intégration accrue des marchés du capital diminue les possibilités de financement d'un système de sécurité sociale. Gabszewicz et van Ypersele (1994) ont établi que la libre circulation des capitaux, dans le cadre d'un modèle de commerce international à deux pays, rend presque impossible une politique de salaire minimum. Une coordination internationale est indispensable pour que ces politiques soient menées optimalement. Pour comprendre l'intuition qui conduit ce modèle, il faut se rappeler que l'augmentation du coût d'un facteur par une décision de politique économique diminue la rétribution des autres. Donc une augmentation du coût de la main d'oeuvre provoquée par l'imposition d'un salaire minimum ou d'une taxe sur les revenus du travail, mène à une chute de la rémunération du capital et donc la fuite de celui-ci. Dans ces cas là, ce n'est plus la fuite d'une base taxable qui est dommageable, c'est la disparition de moyens de production. En effet, la diminution de la masse de capital provoque une chute de la demande de travail et par là une augmentation du chômage. Ce sera donc de nouveau cette compétition en vue de ne pas perdre de capital qui poussera les politiques de protection sociale vers le bas.

 

1.2. Financement de la solidarité et migrations des travailleurs

L'impact des migrations sur le financement de la solidarité a donné lieu à un grand nombre d'études. Un survol de la littérature sur cette question a été fait par Helmut Cremer, Virginie Fourgeaud, Manuel Leite Monteiro et Pierre Pestieau (1995). En général, dans ces modèles avec migrations, la solidarité se fait entre deux types de main-d'oeuvre: les qualifiés et les non-qualifiés. Lorsque tous les deux peuvent migrer librement, les travailleurs qualifiés ont tendance à aller vers les pays à faible solidarité à fin de limiter leur contributions, alors que les travailleurs non-qualifiés sont poussés à aller dans les pays où la solidarité est forte à fin d'en profiter. C'est l'effet d'anti-sélection mis en évidence par Stigler (1953). Un pays proposant une politique sociale importante a tendance à attirer les non-qualifiés et à repousser les qualifiés. Du coup la masse à financer devient importante (il y a beaucoup de non-qualifiés) et la base taxable diminue (il y a moins de qualifiés). Une fois encore, la libre circulation des facteurs de production pousse à la baisse les possibilités de financement de la solidarité.

Plusieurs problèmes se posent dans le traitement de cette question. D'une part, l'objectif social n'est pas clair, faut il maximiser le bien-être de la population résidente qui comprend les immigrés ou faut-il simplement maximiser le bien-être des nationaux? D'autre part, il faut se demander à qui s'adresse la solidarité, les nouveaux arrivés en bénéficient-ils? Quelle que soit l'approche utilisée, la logique qui conduit à une solidarité sous-optimale est plus ou moins la même.

 

2. Libre circulation des biens et services

Intégration des marchés peut aussi vouloir dire libre circulation des biens. Dans ce cas aussi, le financement de la solidarité est perturbé. Van Ypersele et Wunsch (1995) ont étudié l'effet de la libéralisation des échanges sur deux politiques de redistribution: une politique de salaire minimum (4) et une politique de taxation des revenus des travailleurs qualifiés (5). Ils ont montré que la libéralisation des échanges rend les politiques de salaires minimum très désavantageuses alors que la taxation des revenus du travail qualifié, elle, devient plus attirante. L'intuition est la suivante: les politiques redistributives, en influençant les coûts relatifs des facteurs de manière différentes, poussent la spécialisation des pays vers des biens différents. Leur analyse se fait dans le cadre d'un modèle à deux biens et deux facteurs. Les facteurs sont deux types de main d'oeuvre : qualifiée et non-qualifiée. Les biens sont produits avec des technologies utilisant les facteurs avec une intensité différente : il y a un bien que l'on appellera égalitaire qui utilise de manière intensive la main d'oeuvre non-qualifiée et l'autre dit inégalitaire, intensif en main d'oeuvre qualifiée.

La politique de salaire minimum, rendant le coût du travail non-qualifié relativement plus élevé, induit une spécialisation dans le bien inégalitaire. Ceci diminue la demande de travail non qualifié, augmentant donc le chômage dans cette catégorie de travailleurs. Dans le cas de pays symétriques, la spécialisation dans la production du bien "inégalitaire" se fera dans le pays ayant le salaire minimum le plus élevé. Nous aurons donc une concurrence à la baisse sur le salaire minimum.

La politique de taxation des hauts revenus, quant à elle, rend le coût de la main d'oeuvre qualifiée relativement plus élevé (6). La spécialisation se fait alors dans la production du bien égalitaire, provoquant une augmentation de la demande de main-d'oeuvre non qualifiée et donc de sa rémunération. Cette politique redistributive est donc plus efficace lorsqu'il y a libéralisation des échanges car elle augmente la rémunération des non-qualifiés tout en redistribuant les montants prélevés. De la même manière que pour la politique de salaire minimum, il y aura une concurrence entre les pays pour se spécialiser dans le bien égalitaire. Ce sera donc une concurrence à la hausse sur les taux de prélèvement. A l'équilibre, ceux-ci seront trop élevés.

Dans les deux cas, les politiques sont sous-optimales si elles ne sont pas coordonnées internationalement. Suivant le contexte de commerce dans lequel nous sommes, les instruments à utiliser pour la redistribution seront différents: en autarcie, c'est la politique de salaire minimum qui est plus souvent "intéressante" alors qu'en commerce international, c'est l'autre.

Ce modèle nous montre que la coordination internationale est indispensable même s'il n'y a pas libre circulation des facteurs de production. De plus au cas, très probable, ou cette coordination ne se ferait pas, la question du types d'instruments utilisés pour le financement de la solidarité est importante: ne faut il pas revoir nos politiques redistributives au regard de la concurrence internationale accrue?

 

Conclusion

Il ressort des quelques pages qui précèdent que la libéralisation du commerce internationale et des marchés des facteurs a un impact sur le financement de la solidarité. Bien que les raisonnements présentés soient principalement théoriques, les mécanismes décrits semblent bien jouer dans l'économie réelle. L'exemple du bas niveau de précompte mobilier est frappant mais n'est pas unique. Nous pourrions interpréter la suppression du salaire minimum par les anglais comme une tentative d'attirer l'investissement. Quant au projet de transfert des charges sociales des bas vers les haut salaires, il peut être vu comme traduisant une volonté de contrecarrer la mouvement de spécialisation de nos pays dans la production de bien utilisant de manière intensive la main d'oeuvre qualifiée.

Dans les quelques modèles présentés, l'intégration des marchés sans entente entre les gouvernements, mène à une allocation sous optimale des ressources. Il semble donc important de s'interroger sur la coordination des politiques sociale en Europe. Lorsque nous parlons de coordination, nous ne voulons pas préconiser l'uniformisation. Il semble légitime que certain pays aient des goûts plus ou moins fort pour la redistribution. Les pays européens sont différents dans leur niveau de developpement et leur dotations en facteurs de production. Ces différences peuvent appeler des protection sociale heterogènes: il serait difficile d'imposer aux entreprises portugaises les avantages sociaux des travailleurs allemands.

La coordination des politiques sociales tenderaient à casser un mouvement qui pousse le niveau de protection sociale vers le bas.

 

 

Références:

Cremer, H., V. Fougeaud, M. Leite Monteiro et P. Pestieau (1995) "Survey on ...", CORE, Louvain-La-Neuve, Belgium.

Gabszewicz, J.J. and van Ypersele, T. (1994), "Social protection and competition', CORE Discussion paper 9457, CORE, Louvain-La-Neuve, Belgium.

Lejour, A. and H. Verbon (1993), "Capital Mobility and Social Insurance in an Intagrated Market", CenTER Discussion Paper n° 9379.

Persson, T and G. Tabellini (1992), "The politics of 1992: Fiscal Policy and European Intergration." Review of Economic Studies, 59, 689-701.

Stigler (1953)

van Ypersele, T and P. Wunsch (1995), "Comparative Advantage, Redistribution, and the Political Process: A Perspective on Social Dumping" mimeo.

Wildasin D.E.(1988), 'Nash Equilibria in Models of Fiscal Competition', Journal of Public Economics, 35, 229-240.

 

Notes

1. Ce type de problème a été analysé entre autres par Wildasin (1988) et Persson et Tabellini (1992)
2. Il faut pour cela que la taxation se fasse à la source des revenus et non à la résidence(des propriétaires de ces revenus). Si la taxation se fait sur le principe de la résidence, il n'y a plus de concurrence fiscale possible, un capitaliste où qu'il investisse ses capitaux devrait déclarer les revenus de ceux-ci et payer les taxes dans son pays de résidence. Malheureusement le principe de taxation à la résidence est difficile et coûteux à mettre en oeuvre pour des raisons faciles à imaginer.
3. Il est à noter qu'il n'est pas indispensable que les capitaux soient effectivement investis dans le pays, il suffit que les dividendes y soient versé.
4. Le salaire minimum est le prix en-dessous du quel un employeur ne peut engager de la main d'oeuvre. Si il plus important que le salaire de marché, la demande de travail est inférieur à l'offre provoquant du chômage. Dans ce papier, les chômeurs reçoivent une allocation financée par une taxe sur les revenus des travailleurs non qualifiés. Cette hypothèse est faite à fin de distinguer la politique de salaire minimum de la politique de taxation des revenus des qualifiés.
5. Cette politique consiste à taxer les revenus des travailleurs qualifiés pour les redistribuer sur toute la population.
6. Nous avons introduit dans la fonction d'utilité des agents qualifiés une variable d'effort. La taxe prélevée diminue les revenus des qualifiés et fait donc chuter leur offre de travail. La rémunération brute de ces travailleurs doit donc augmenter pour qu'il y ait équilibre sur ce marché.

 


 

 

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