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Baisse du coût du travail et financement alternatif de la sécurité sociale :
de nouvelles solidarités pour l'emploi ?

Christian Valenduc
Conseiller au Service d'Etudes du Ministère des Finances
Enseignant à la FUCAM et à l'ISC St Louis

 

Parmi les différentes stratégies proposées par le Livre blanc (1) pour réduire le chômage figure celle d'une restructuration de l'ensemble des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) dans un sens qui soit favorable à l'emploi. Plus particulièrement, il s'agirait de réduire les prélèvements sur le travail en vue de favoriser l'embauche et de compenser la perte de recettes publiques qui en résulte par l'accroissement d'autres prélèvements.

Le but de cette contribution est d'apporter quelques repères pour l'évaluation de la pertinence de cette stratégie.

Les premiers repères qu'il convient d'avoir sont des éléments de quantification de la pression fiscale actuelle et de sa répartition entre les différentes catégories de revenu et de facteurs de production: c'est l'objet de la première section de cette contribution.

Nous nous intéresserons ensuite aux effets économiques qu'on peut attendre d'une telle stratégie de promotion de l'emploi. Ceux-ci dépendent des réponses apportées à quelques questions essentielles, dont les suivantes: les mesures doivent-elles ou non être ciblées sur des catégories de bénéficiaires particuliers? Doivent-elle être structurelles ou n'être octroyées que sur l'accroissement net de l'emploi ? Quels sont les mérites et inconvénients des différentes compensations possibles? C'est là l'objet de la seconde série de repères que cette contribution tentera d'apporter.

 

 

1. Indicateurs du niveau et de la structure de la pression fiscale et parafiscale

1.1. La structure du prélèvement global

On peut se faire une première idée comparative de la structure du prélèvement global (fiscalité et sécurité sociale) en comparant les ratios de différentes catégories d'impôts et cotisations au P.I.B. de la Belgique avec ceux de la moyenne européenne (2).

Cette première approche, pourtant très globale, apporte déjà quelques conclusions intéressantes.

  • le niveau du taux de prélèvement obligatoire (3) est constamment au-dessus de la moyenne européenne mais s'en est rapproché pendant la seconde moitié des années 80: l'écart est passé de 4 points de P.I.B en 1980 à 1,3 point en 1992. Le rapprochement est encore plus net pour le ratio de pression fiscale "stricto sensu" (non compris les cotisations de sécurité sociale): en fin de période, celle-ci devient, pour la Belgique, inférieure à la moyenne de l'Europe des quinze.

 

Tableau 1. Recettes publiques en % du P.I.B

Catégories d'impôt 1980 1984 1990 1992
Impôt sur le revenu du ménage
Belgique 15,6 16,2 14,2 14,1
Moyenne européenne 10,5 10,7 11,0 11,5
Impôt sur les bénéfices des sociétés
Belgique 2,5 3,0 2,5 2,0
Moyenne européenne 2,5 3,0 3,0 2,6
Cotisation sociales
Belgique 13,5 15,7 15,4 16,4
Moyenne européenne 10,3 11,1 11,5 12,1
Impôts sur le production et la consommation de biens et services
Belgique 11,6 11,7 11,4 11,6
Moyenne européenne 12,0 13,0 13,0 13,5
Total des recettes fiscales
Belgique 30,9 31,9 29,5 29,0
Moyenne européenne 27,6 29,5 29,5 30,2
Impôts et cotisations sociales
Belgique 41,9 44,5 43,7 43,6
Moyenne européenne 37,8 40,6 41,0 42,3

Source: O.C.D.E, Statistique des recettes publiques de pays membres de l'O.C.D.E, Calculs propres.

  • Le ratio de l'impôt sur le revenu des ménages au P.I.B et celui des cotisations sociales au P.I.B sont tous deux supérieurs aux moyennes européennes correspondantes, mais le premier cité s'en est considérablement rapproché dans la seconde moitié des années 80.

  • Pour l'impôt sur les bénéfices des entreprises, la Belgique est récemment passée en deçà de la moyenne européenne.

  • Pour les impôts sur la production et la consommation de biens et services, la Belgique est en deçà de la moyenne européenne correspondante depuis 1980 mais l'écart s'est creusé pour atteindre près de deux points de P.I.B en 1992.

Si on considère, en première approximation, que la dernière catégorie est composée essentiellement d'impôts sur la consommation et l'impôt sur le revenu basé essentiellement sur des revenus du travail, cette première approche du problème aboutit à la conclusion que, comparativement aux autres pays européens, la Belgique serait un pays qui taxe comparativement moins la consommation et les revenus du capital, et comparativement plus le travail salarié.

1.2. Vers des taux d'imposition implicites

Les indicateurs dont l'évolution est illustrée au graphique 1 ne sont pas des taux de pression fiscale, en ce sens que le dénominateur est le P.I.B. et non pas la base respective des différentes catégories d'impôts isolées au numérateur.

On peut cependant, à partir des données relatives aux recettes publiques (4) et des données de la comptabilité nationale construire des taux d'impositions implicites du travail salarié, du travail indépendant, du capital, des transferts sociaux et de la consommation.

Chaque taux d'imposition implicite est le rapport des impôts et cotisations sociales prélevés sur ce type de revenus (ou de dépenses) à un agrégat macro-économique représentatif de la base imposable. Ainsi, le taux d'imposition implicite du travail salarié est obtenu en rapportant à la masse salariale le total des cotisations personnelles et patronales de sécurité sociale et la partie de l'impôt sur le revenu établie sur les revenus salariaux.

Graphique 1. Taux d'imposition implicites - Belgique 1980-1993.

Le graphique 1 retrace l'évolution des taux d'imposition implicites. On notera que la tendance de la taxation du travail salarié est ascendante, celle du capital décroissante, celle des transferts sociaux stable à un bas niveau, et celle de la consommation stable un peu au delà de 15%.

Cette seconde approche apporte un éclairage complémentaire: les évolutions de la taxation du travail et du capital sont "en ciseaux" et un écart se creuse en défaveur du travail salarié.

 

1.3. Des indicateurs micro-économiques

Le concept de pression fiscale a jusqu'à présent été abordé d'un point de vue macro- économique. On peut également mesurer la pression fiscale sur une activité économique particulière: un niveau de salaire donné, un projet d'investissement particulier. On dégage alors des indicateurs micro-économiques.

Pour le travail salarié.

On mesure l'imposition globale du travail salarié en rapportant au coût salarial l'écart entre celui-ci et le salaire net. Ce taux d'imposition, défini au niveau d'un salaire de référence, intègre donc les cotisations personnelles et patronales de sécurité sociale. C'est le correspondant micro-économique du taux d'imposition implicite repris au graphique 1.

Graphique 2. Taux d'imposition global (salaire moyen de l'industrie manufacturière)

Le graphique 2 est établi sur cette base, au niveau du salaire moyen des ouvriers de l'industrie manufacturière, pour l'ensemble des pays de l'O.C.D.E. La Belgique occupe la place de tête: elle est donc parmi les pays de l'O.C.D.E celui où le travail salarié est le plus taxé.

Pour le capital

Etablir des indicateurs similaires pour le capital est un peu plus délicat. On peut toutefois calculer l'écart que creuse la fiscalité entre le rendement brut d'un investissement (le coût du capital investi) et le rendement net l'investissement procure à l'apporteur de fonds: c'est le "coin fiscal", usuellement calculé en appliquant la méthodologie "King-Fullerton".

 

Le calcul du coin fiscal sur les revenus de l'investissement par la méthode King-Fullerton

Le coin fiscal est égal à la différence entre le rendement réel brut requis d'un investissement marginal au rendement (p) réel net que cet investissement procure à l'apporteur de fonds, c'est-à-dire celui qui finance l'investissement (s).

On retient usuellement trois méthodes de financement: l'augmentation de capital, l'emprunt et l'autofinancement. Le coin fiscal est donc une différence de rendements réels et est mesuré donc en points de rendement (réel).

Le mécanisme d'arbitrage sous-jacent pose pour principe qu'il y a égalité dans le chef de l'apporteur de fonds entre le rendement réel net d'un tel investissement et le rendement réel net d'un placement alternatif sans risque.

Un investissement marginal est au sens courant de la théorie économique, un investissement dont le rendement égale le coût.

On trouvera au graphique 3 deux applications de cette méthode pour les pays de l'O.C.D.E (5): la première limitée à l'impôt des sociétés et éliminant l'effet des différences d'inflation entre pays, la seconde intégrant l'imposition de l'apporteur de fonds et tenant compte des taux d'inflation spécifique de chaque pays.

Il apparaît alors que comparativement aux autres pays de l'O.C.D.E, la Belgique est un pays où le coin fiscal sur les revenus de l'investissement, et donc la taxation effective du capital investi, est relativement basse.

Un examen plus approfondi montre que la taxation du capital investi se caractérise aussi par une très forte dispersion (6). Si on tient compte de toutes les particularités de la fiscalité belge (7), la dispersion est encore plus forte. On remarque notamment que le coin fiscal est élevé dans le cas des investissements financés par apport de fonds propres dans les entreprises dont les actionnaires directs sont majoritairement des personnes physiques (c'est le cas des P.M.E), qu'il est négatif (8) lorsque ces mêmes entreprises se financent par emprunt et est largement négatif pour les entreprises qui peuvent financer leurs investissements par l'intermédiaire d'un centre de coordination (9).

Graphique 3 : Coin fiscal sur les revenus de l'investissement

 

1.4. La Belgique, un cas singulier?

Les trois types d'indicateurs utilisés fournissent des conclusions en grande partie convergentes quant à la structure des prélèvements obligatoires et à son évolution:

  • par rapport aux autres pays européens, la Belgique apparaît comme un pays qui prélève comparativement plus le travail salarié et comparativement moins sur le capital et sur la consommation;

  • qu'ils soient macro-économiques (taux implicites) ou micro-économiques, les indicateurs de pression fiscale présentés ci-dessus confirment ce diagnostic. Ils indiquent également qu'au cours des dix dernières années, l'imposition globale du travail salarié s'est accrue et celle du capital a diminué, tandis que celle de la consommation restait plus ou moins stable.

  •  

Tableau 2. Indicateurs micro-économiques.
Comparaison Europe - Autres pays de l'O.C.D.E

  TIG   Coin fiscal
  Travail   rev. capital
  (a) (b) (c)
Belgique 52,2 0,4 0,9
Moyenne Eur 15 42,0 0,6 1,6
Moyenne OCDE 36,5 0,9 2,4
Etats-Unis 31,2 0,8 3,0
Japon 21,3 1,4 2,8

(a) Indicateur du graphique 2.
(b) Impôt des sociétés seul, inflation moyenne (partie supérieure du graphique 3.
(c) Tous impôts; inflation spécifique de chaque pays (partie inférieure du graphique 3)

Peut-on conclure, sur base de ces indicateurs, que la Belgique est un cas singulier ?

Les indicateurs au tableau 2 éclairent cette question: ils rappellent d'abord qu'effectivement, pour la taxation du travail salarié, la Belgique est au-delà de la moyenne européenne et qu'elle est en deçà pour la taxation du capital investi. Mais ce sont exactement les même conclusions qui prévalent quand on compare la moyenne européenne à la moyenne de l'O.C.D.E, ou encore aux Etats-Unis et au Japon. En fait, la Belgique semble être le "cas" d'une Europe qui est elle- même un "cas" par rapport aux autres pays de l'O.C.D.E.

 

2. Les modalités d'une réforme des prélèvements obligatoires visant la promotion de l'emploi.

Les constats sur la structure des prélèvements obligatoires et sur son évolution plaident pour une réforme qui soit une inversion des tendances antérieures: moins de prélèvements sur le travail, davantage de prélèvements sur le capital et/ou sur la consommation.

Il nous faut à présent examiner les modalités d'une telle réforme et plus précisément deux questions:

  • quels types de mesures ?

  • quelles compensations ?

 

2.1. Quels types de mesure?

  • A. L'instrument le plus efficace: la baisse des cotisations patronales

Pour ce qui est de l'instrument à retenir, un large consensus s'établit pour considérer que ce sont les baisses de cotisations patronales de sécurité sociale qui constituent l'instrument le plus adéquat. Elles agissent en effet directement sur la demande de travail, en réduisant le coût salarial à salaire brut et net inchangé (10).

  • B. Mesures générales ou mesures ciblées ?

La seconde question à trancher consiste à savoir si, pour maximiser l'effet sur l'emploi dans le cadre d'une enveloppe budgétaire donnée, la baisse des cotisations sociales doit être ou non ciblées.

Il semble bien établi que les effets seront plus importants si la baisse des charges est ciblée sur les bas salaires (11). En procédant ainsi, les créations d'emploi sont supérieures, car l'élasticité de l'emploi au coût salarial est plus forte pour les bas salaires que pour l'ensemble de l'emploi salarié. On notera également que les effets sur les autres variables macro-économiques sont différents: la relance ainsi générée porte davantage sur la consommation que sur l'investissement, et la baisse des prix est moins forte, malgré une baisse des coûts plus forte.

 

Tableau 3. Effets macro-économiques de deux variantes de baisse des cotisations patronales de 1% du P.I.B.

  Réduction ciblée Réduction linéaire
Ecart par rapport à la situation de référence, t + 5    
Emploi salarié 2,8 1,0
Coût salarial moyen -3,1 - 2,4
PIB + 0,43 + 0,56
Consommation privée + 1,0 + 0,60
Investissement + 0,73 + 1,20
Prix à la consommation - 0,04 - 0,23
Solde budgétaire, % du PIB - 0,27 - 0,43
Solde extérieur, % du PIB - 0,47 - 0,30
Emploi, en milliers d'unités 22,20 46,60

Source: BRECHET e.a (1995), op.cit.

  • C. Les mesures doivent-elles être marginales ou structurelles?

La troisième question à examiner est le choix entre des mesures marginales ou structurelles (12): c'est le débat bien actuel entre les partisans de réductions de cotisations sociales octroyées sur base de l'accroissement net de l'emploi et les partisans de réduction structurelles. Il va de soi que dans un cas comme dans l'autre, la réduction peut-être ciblée sur les bas salaires.

Les partisans des mesures marginales veulent éviter un écart trop grand entre le nombre de bénéficiaires des mesures et les créations nettes d'emploi. Un tel écart s'explique principalement par des effets d'aubaine (ou de déperdition) (13), soit par des effets de substitution (14). Ces effets semblent effectivement importants, au vu des conclusions d'une étude récente (15) que l'auteur recommande cependant d'utiliser avec prudence, ce qui n'empêche évidemment pas qu'on en fasse une utilisation extensive. Mais le débat est assurément mal posé.

En effet, une mesure marginale n'empêche nullement l'effet d'aubaine: on ne l'évite pas en n'octroyant les mesures qu'à concurrence de l'accroissement net de l'emploi. Quant à l'effet de substitution, c'est précisément ce qu'on cherche en ciblant la mesure sur les bas salaires: on ne peut quand même pas vouloir quelque chose et se plaindre que cela se produise...!

Le choix entre mesure marginale ou structurelle se pose en d'autres termes: une mesure structurelle aboutit à une baisse des coûts, et donc des prix plus forte des biens et services intensifs en travail peu qualifié et offre donc bien davantage de possibilités de réorienter la demande vers ces biens, et par là de réorienter la demande de travail vers ceux qui constituent la plus grande part des chômeurs de longue durée.

Une mesure structurelle a également un "effet de signal" beaucoup plus clair, susceptible d'influencer davantage les choix des combinaisons productives.

En bref, semer avec parcimonie ne garantit pas l'abondance de la moisson. Ajoutons encore au débat que des mesures marginales nécessitent dans la pratique une quantification de l'augmentation nette de l'emploi. Or, par le passé, de telles mesures se sont avérées peu utilisées parce que trop complexes et mal connues (16).

 

2.2. Quelles compensations ?

Parmi les différentes compensations possibles, on examinera :

- la hausse de la T.V.A,
- la hausse des accises sur les biens nuisibles à la santé ou à l'environnement,
- la taxation de l'énergie,
- la taxation accrue du capital,
- la cotisation sociale généralisée.

  • A. La hausse de la T.V.A

Une politique visant à compenser des baisses de cotisations patronales de sécurité sociale par une hausse de la T.V.A pose plusieurs problèmes.

  • Le premier est celui de la boucle prix-salaires: toute hausse de la T.V.A se répercute inéluctablement sur les prix à la consommation - donc sur l'indice des prix - et par là sur les salaires. On retrouve donc par le salaire direct la hausse des coûts salariaux que la baisse des cotisations sociales voulait contrecarrer. Le seul secteur à ne pas connaître cette spirale est le secteur exportateur, puisqu'actuellement la T.V.A est toujours perçue au taux en vigueur dans le pays de destination (17).

  • On peut évidemment éviter la boucle prix-salaires en neutralisant l'effet de la hausse de la T.V.A sur l'indice des prix. Mais procéder à la poussée d'inflation se substituent alors la perte de pouvoir d'achat et la compression de la demande finale.

  • Toute hausse de la T.V.A pousse aussi la question de la possibilité d'une action isolée. Tout accroissement du différentiel par rapport à nos voisins (18) accroît le risque de "détournements de trafic" qui réduirait l'effet compensatoire de la mesure. Il faut cependant admettre qu'il est très délicat de chiffrer les seuils critiques qui déclenchent les détournements de trafic. Toute la question est de savoir jusqu'où on peut aller trop loin...

  • Le dernier problème à mentionner est celui de l'effet distributif d'une telle politique de restructuration fiscale. Il est souvent avancé que la T.V.A est anti-redistributive, car elle ne porte que sur la consommation. Or, l'épargne est une fonction croissante du revenu.
    Quel que soit l'effet redistributif de la T.V.A, il ne faut pas perdre de vue que l'impact distributif doit être examiné globalement. Certes, on peut craindre qu'une réduction linéaire des cotisations sociales compensée par une hausse tout aussi linéaire de la T.V.A soit anti-redistributive. Mais de telles craintes ne sont pas justifiées si les réductions de cotisations sociales sont ciblées sur les bas salaires.

Compenser une baisse des cotisations sociales par une hausse de la T.V.A consiste donc à choisir entre l'inflation par les coûts et la compression de la demande, tout en naviguant habilement entre les écueils des détournements de trafic et de l'anti-redistributivité. Assurément, il pourrait y avoir mieux.

  • B. Des hausses sélectives de la fiscalité indirecte

Le problème de la boucle prix-salaires peut être contourné en ciblant la compensation à la baisse des cotisations patronales de sécurité sociale sur des produits qui ont été retirés de l'indice des prix (carburants, alcools, tabacs). Tous ces produits ont pour caractéristique commune d'avoir des effets externes négatifs: ils génèrent des nuisances dont le traitement a un coût social qui est à charge du contribuable et non du consommateur. Réduire la demande de ces produits, c'est certes consommer moins, mais c'est aussi consommer mieux en termes de "croissance durable".

Taxer ces produits est donc justifié d'un point de vue économique. mais le risque est ici celui d'un conflit d'objectif: on ne peut pas avoir à la fois une réduction significative de la nuisance et une recette importante.

En effet, de deux choses l'une:

  • soit la consommation du produit réagit à la variation du prix causée par la charge fiscale additionnelle, et la consommation - et donc la nuisance - s'en trouve réduite de façon significative;

  • soit la consommation du produit réagit peu à la variation du prix causée par la charge fiscale additionnelle. Ni la consommation ni la nuisance ne s'en trouvent réduites. C'est toutefois le "consommateur-pollueur" qui devient le payeur puisque la hausse de la taxe internalise les coûts externes.

Les accises étant des taxes basées sur les quantités et non sur la valeur (19), la baisse des quantités consommées - corollaire d'une réduction de la pollution - rendra rapidement déficitaire une opération au départ budgétairement neutre.

  • C. La taxation de l'énergie.

La taxation de l'énergie est une autre source de compensation possible. Elle a d'ailleurs connu en Belgique un début d'application: la taxe sur l'énergie, qui est entrée en vigueur en juillet 1993, finance des réductions de cotisations patronales.

Les espoirs d'aller plus loin dans cette voie sont fondés sur les projets d'instaurer au niveau européen une taxe sur les émissions de CO2 et les consommations d'énergie: c'est dans ce sens qu'ont déjà été déposés deux projets de Proposition de Directive, faisant partie d'un ensemble de mesures visant à stabiliser les émissions de CO2 dans le cadre de la lutte contre l'effet de serre. On en est actuellement au troisième projet, qui diffère des antécédents sur trois points majeurs: il n'y a plus d'exigence de conditionalité vis-à-vis de pays tiers, la mise en oeuvre serait facultative et l'application limitée aux émissions de CO2.

Les projets antérieurs de Directive européenne auraient dégagés, s'ils avaient pu être appliqués, une marge de manoeuvre importante: 1,3% de P.I.B.

Celle-ci sera vraisemblablement moindre sans la nouvelle version de la Proposition de Directive, mais la possibilité d'une modification de la structure du prélèvement global (moins sur le travail, davantage sur l'énergie) subsiste. Demeure aussi un constat important: celui des nombreuses études faites à la Commission européenne ou par d'autres organismes qui convergent pour désigner comme "meilleur scénario" celui où l'introduction de la taxe est compensée par une baisse des charges patronales ciblée sur les bas salaires (20). La mise en oeuvre de cette Directive est donc un des moyens privilégiés de réduire de façon substantielle les coûts indirects du travail.

  • D. Une taxation accrue du capital

Les évolutions divergentes de la taxation du capital et du travail, telles qu'illustrées ci-dessus, nécessitent assurément une correction. Comme dans le cas de la taxation accrue de l'énergie, les mesures correctrices enverraient aux agents économiques un signal clair d'une modification structurelle du coût relatif des facteurs de production en faveur du travail.

Mais si l'objectif est clair, le choix des modalités est une tâche très délicate. Compte tenu des disparités constatées dans l'imposition du capital investi, les hausses devraient être ciblées sur les cas où la taxation est actuellement la plus faible. Concrètement, cela signifierait :

- revoir le régime fiscal du financement par emprunt soit en limitant la déductibilité des intérêts payés, soit en augmentant le précompte mobilier sur les intérêts;
- amender le régime fiscal des centres de coordination.

Dans chacun des cas, la marge de manoeuvre est très étroite. Le plan global a remonté le précompte mobilier à 13,39% et sans harmonisation européenne, il semble qu'on ne puisse guère aller plus loin (15% au plus?) sans qu'une modification des portefeuilles ne vienne annuler l'effet de la hausse du taux. Prévoir isolément le régime fiscal des centres de coordination ne serait guère productif, maintenant que des substituts existent à l'étranger.

Il existe assurément d'autres modalités : faire passer les cotisations patronales sur l'excédent brut d'exploitation (21), supprimer la déductibilité de la T.V.A. sur l'investissement, ce qui nécessite toutefois une révision des Directives Européennes.

Mais quelles que soient les modalités retenues, les risques sont les mêmes: l'absence d'harmonisation européenne empêche une action significative, sauf à s'attaquer aux capitaux peu mobiles, à savoir au capital investi dans les P.M.E. Mais est-ce là le complément judicieux d'une politique d'emploi?

Bien que nécessaire, une taxation accrue du capital est donc très difficile à mettre en oeuvre sans harmonisation fiscale européenne. Compenser sur le capital uniquement une baisse des coûts indirects du travail est donc très délicate, ce qui n'exclut nullement une compensation partielle.

  • E. Une cotisation sociale généralisée

Jusqu'à récemment, la sécurité sociale était financée par des cotisations basées sur les revenus du travail (salarié et indépendant) et par une subvention de l'état.

La taxe sur l'énergie, la cotisation complémentaire de crise et certaines dispositions du plan global ont initié un financement alternatif ayant pour objectif ultime que tous les revenus et tous les facteurs de production contribuent au financement de la sécurité sociale.

Un financement généralisé est nécessaire, car la sécurité sociale a évolué et certaines prestations sont devenues universelles: allocations familiales, soins de santé, revenu minimum garanti des personnes âgées. Il est illogique et nocif pour l'emploi d'asseoir exclusivement sur les revenus du travail le financement des prestations universelles.

Mais le financement alternatif existe déjà: directement par les recettes affectées à la sécurité sociale, indirectement par la subvention de l'Etat (22) ou encore par le régime fiscal particulier des revenus de remplacement.

Introduire une contribution sociale généralisée aurait assurément l'avantage de la clarté : à un objectif (faire contribuer l'ensemble des revenus au financement de la sécurité sociale) correspondrait un instrument: la C.S.G.

La base de celle-ci devrait être la plus large possible (revenus salariaux, revenus des travailleurs indépendants, loyers, revenus mobiliers, transferts sociaux, bénéfices des sociétés, etc...), et le taux linéaire, avec une exonération de base ciblée sur d'une part sur les bas salaires pour des raisons d'efficacité, et d'autre part sur les transferts sociaux de base, pour des raisons d'équité.

 

3. Conclusions

Le but de cette contribution était d'apporter quelques repères pour l'évaluation d'une des stratégies proposées pour réduire le chômage: réduire les prélèvements fiscaux et sociaux sur le travail et instaurer, en compensation, un financement alternatif des dépenses de sécurités sociale.

Les indicateurs de pression fiscale mettent clairement en évidence qu'en Belgique, le travail est plus taxé que le capital et que cet écart s'est aggravé, jusqu'en 1992 en tout cas. Mais ce qui paraît être une spécificité belge est aussi la particularité de l'Europe vis-à-vis de l'O.C.D.E.

Ces constats justifient les réformes proposées. S'il est clair que la baisse des cotisations patronales est le moyen privilégié de baisser le coût du travail sans réduire les revenus, les modalités d'une telle action sont loin d'être aussi évidentes. Il est cependant acquis que pour maximiser l'effet sur l'emploi, la baisse des cotisations sociales doit être ciblée sur les bas salaires. D'autre part, des effets de déperdition sont inévitables, que les mesures soient structurelles ou ciblées sur l'accroissement net de l'emploi. Choisir des mesures marginales semble relever d'une prudence excessive, car on se coupe alors de l'effet de réorientation de la demande globale vers des biens plus intensifs en travail moins qualifié.

Le choix des prélèvements qui devraient assurer le financement alternatif est une autre question importante. La T.V.A est loin d'être le candidat idéal. Si l'objectif est d'avoir un ou deux instruments simples pour faire contribuer l'ensemble des revenus et/ou des facteurs de production au financement des dépenses sociales, il semble le couple constitué d'une taxe sur l'énergie et d'une cotisations sociale généralisée soit la meilleure solution. La dernière citée a l'avantage de donner un nom aux nouveaux moyens de la solidarité.

 

Bibliographie

BUREAU DU PLAN - ERASME (1994), Structure des prélèvements obligatoires et emploi, Rapport à la DG XXI de la Commission européenne - Task-Force "Prélèvements obligatoires".

BRECHET, LEMIALE, STREEL et VAN BRUSSELEN (1995), Les effets d'une politique de réduction du coût salarial ciblée sur les bas salaires, Cahiers économiques de Bruxelles, N° 146.

COMMISSARIAT GENERAL AU PLAN (1994), Coût du travail et emploi: une nouvelle donne, Paris, La documentation française.

COMMISSION EUROPEENNE (1993), Croissance, compétitivité et emploi.

COMMISSION EUROPEENNE (1994), Taxation, emploi et environnement, Economie européenne N° 56.

CONSEIL SUPERIEUR DES FINANCES (1994), Avis relatif aux interventions publiques sur le marché du travail.

O.C.D.E, Statistique des recettes publiques, Paris, Edition annuelle.

O.C.D.E, La situation des ouvriers au regard de l'impôt et des transferts sociaux, Paris, Edition annuelle.

O.C.D.E. (1991), L'imposition des bénéfices dans une économie globale, Paris.

O.C.D.E.(1995), Fiscalité, emploi et chômage, Paris.

VALENDUC Ch (1991), Evaluation de la taxation effective des revenus de l'investissement et de l'effet des incitants fiscaux, dans CONSEIL SUPERIEUR DES FINANCES, Rapport sur certains aspects d'une réforme de l'impôt des sociétés (annexe 9), Bruxelles, 1991.

VALENDUC Ch, (1995) Prélèvements obligatoires et fonctions économiques; le cas de la Belgique, Commission européenne.

VAN DER LINDEN (1995), Effets de perte sèche et de substitution des formations professionnelles et des aides à l'embauche: une évaluation par enquête auprès d'employeurs, Bulletin de l'IRES, N° 180.

 

Notes

1. Voir Commission européenne (1994), chapitre 9.
2. Les moyennes européennes sont des moyennes non pondérées et concernent, pour toute la période, les quinze Etats Membres actuels.
3. On désigne ainsi l'ensemble formé par les impôts et les cotisations sociales, rapporté au P.I.B.
4. Il faut toutefois effectuer certains reclassements dans la nomenclature habituelle des impôts et cotisations sociales et répartie entre travail salarié, travail indépendant et capital, le produit de l'impôt sur le revenu. Voir VALENDUC Ch (1995, à paraître)
5. Voir O.C.D.E (1991).
6. D'après les calculs effectués par l'O.C.D.E., La Belgique est à la fois un des pays où la taxation des revenus du capital investi est la plus faible en moyenne et un des pays où la dispersion de cet indicateur est la plus forte. Voir O.C.D.E (1991). Les travaux effectués par le Conseil Supérieur des Finances confirment ce constat. Voir l'annexe 9 du Rapport sur certains aspects d'une réforme de l'impôt des sociétés (mai 1991) et l'Avis relatif aux interventions publiques sur le marché du travail (juin 1994), pp. 117 et suivantes.
7. Dans O.C.D.E (1991), les calculs sont faits sur base du système ordinaire de chacun des pays.
8. La fiscalité a alors l'effet d'un subside.
9. Voir VALENDUC (1991).
10. Voir CONSEIL SUPERIEUR DES FINANCES (1994), pp. 97 et suivantes.
11. Voir BRECHET e.a (1995) et BUREAU du PLAN (1994).
12. Une mesure est dite marginale si elle n'est octroyée qu'à concurrence de l'augmentation nette de l'emploi. Une mesure est dite structurelle si elle est octroyée à l'ensemble de l'effectif.
13. Il y a effet d'aubaine lorsque l'embauche de la personne aurait eu lieu même en l'absence de la mesure.
14. Il y a effet de substitution lorsque la mesure a pour effet que l'entreprise engage un travailleur qui donne droit à la mesure alors qu'en l'absence de politique active elle aurait embauché un autre travailleur.
15. Voir VAN DER LINDEN (1995).
16. Voir CONSEIL SUPERIEUR DES FINANCES (1994), op. cit, pp. 107-110 et annexe 4 de la deuxième partie.
17. Une baisse des cotisations sociales compensée par une hausse de la T.V.A renforce donc la compétitivité: c'est la logique des réductions "Maribel". Cet avantage devrait disparaître, pour les exportations intra-communautaires, avec le passage au "régime définitif" de T.V.A puisque c'est alors le taux du pays d'origine qui sera en vigueur et non plus celui du pays de destination.
18. Essentiellement par rapport au Grand-Duché du Luxembourg et à l'Allemagne.
19. Sauf pour le tabac où il s'agit de taxes ad valorem.
20. Voir notamment COMMISSION EUROPEENNE (1994) et BUREAU DU PLAN et ERASME (1994).
21. C'est ce que suggère dans un récent rapport le Commissariat général au Plan (français) pour la part patronale du financement de l'assurance chômage. Voir COMMISSARIAT GENERAL AU PLAN (1994).
22. Pour autant que celle-ci excède le coût des charges que l'Etat impose par ailleurs à la sécurité sociale (exonération de cotisations, etc...).

 


 

 

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