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Préretraite et conditions de vie des personnes âgées

Sergio Perelman et Pierre Pestieau (1)
Centre de Recherches en Economie publique et de la Population (CREPP)
Université de Liège

 

Résumé

Cette note porte sur les conditions de vie des personnes ayant plus ou moins volontairement quitté la vie active prématurément et sur les perpectives qui les attendent. Il apparaît que ces préretraités doivent s'attendre à des revenus plus bas que les retraités actuels pour deux raisons. D'abord, du fait du vieillissement démographique et de la stagnation économique, les retraites connaîtront un tassement réel. Ensuite, les préretraités disposent d'une épargne plus faible que les personnes dont la carrière poursuit un cours normal. Ces résultats indiquent les limites de la préretraite comme instrument de lutte contre le chômage.

 

 

1. Introduction

La Belgique a connue ces dernières années un nombre non négligéable de départs à la retraite anticipée. Plusieurs facteurs relevant notamment des préférences individuelles peuvent expliquer cette tendance. On ne peut cependant s'empêcher de penser que bon nombre de ces départs sont involontaires.

L'objet de cette note n'est pas d'analyser les raisons mais plutôt les conséquences de cette évolution. Qui sont les travailleurs les plus exposés à la préretraite (2) ? Sont-ils avantagés du fait de leur départ prématuré ? Vivront-ils dans des conditions satisfaisantes le reste de leur vie ? Ont-ils pu accumuler un patrimoine suffisant ? Voici quelques questions auxquelles nous voudrions répondre à l'aide des informations contenues dans la première vague du panel des ménages belges réalisée en avril 1992 (PSBH, 1992).

Pourquoi s'intéresser aux conditions de vie des préretraités dans un colloque qui porte sur l'emploi et sur le futur ? Parce que la préretraite est sans conteste une des composantes de la politique d'emploi en Belgique. La question est de savoir ce qu'il adviendra de ces préretraites qui entrent progressivement dans l'âge de la vraie retraite. Elle est aussi de se demander si l'on pourra indéfiniment avancer l'âge de la retraite. On sait que cette stratégie soulève deux difficultés. La première est celle du financement de plus en plus difficile des retraites et préretraites dans un régime de répartition. La seconde difficulté est de ne pas habituer la société belge, wallonne en particulier, a une vie active de plus en plus brève alors qu'à l'horizon 2050 la structure d'âge pourrait imposer un départ à la retraite à 70 ans.

Dans cette note, nous donnerons de la retraite et de la préretraite un tableau à première vue rassurant. Cela n'est pas surprenant. La Belgique n'échappe pas au phénomène de l'âge d'or des retraites qui s'étend aux préretraites. Elle n'échappe pas non plus à la fragilité de cet âge d'or dont temoignent des engagements financiers de plus en plus lourds à l'égard des générations futures (3).

Dans quelques années, les premières cohortes issues du "baby boom" arriveront à l'âge des préretraites. Si la tendance actuelle des fins de carrière précoces venait à se confirmer, les régimes de pension seraient confrontés à des problèmes de financement insurmontables, qui se solderaient inévitablement par une réduction des prestations et par une détérioration des conditions de vie au sein de la population âgée. Dans cette note, nous présentons une série de scénarios permettant de mesurer l'impact que ces difficultés de financement pourraient avoir sur la distribution des revenus des personnes âgées au cours des prochaines décennies. Mais tout d'abord, il nous faut faire le portrait de cette population de préretraités.

 

2. Les caractéristiques de la population âgée selon le PSBH

Nous avons sélectionné les ménages dont le chef est un homme âgé entre 50 et 79 ans. Le Tableau 1 donne une brève description de cette population en distinguant deux groupes d'âge et deux catégories de personnes, les travailleurs et les allocataires sociaux (4). Au total, notre échantillon est composé de 1375 ménages (5).

De prime abord, quand on observe le Tableau 1, on s'aperçoit que, parmi les hommes chefs de ménage, ce sont majoritairement les anciens ouvriers et les personnes n'ayant qu'une éducation de base (études primaires) qui forment le groupe des allocataires sociaux dans la classe d'âge de 50 à 64 ans (6). Par contre, les employés et les cadres, ainsi que les personnes ayant obtenu des diplômes de niveau secondaire et supérieur, restent en activité jusqu'à un âge plus avancé, tout comme naturellement les travailleurs indépendants. On notera également que les allocataires sociaux ont généralement travaillé dans le secteur privé. Enfin, c'est le contraste entre la structure des groupes d'allocataires et de travailleurs par type de ménage qui attire notre attention. On remarquera que les 'isolés' représentent plus de la moité des allocataires sociaux au sein du sous-échantillon des hommes âgés de 50 à 64 ans, alors qu'ils ne représentent qu'un tiers des travailleurs.

Dans le Tableau 1, comme par la suite, nous présentons à titre comparatif les caractéristiques de la population masculine âgée de 65 à 79 ans. Etant donné qu'il s'agit généralement de personnes ayant quitté la vie active, nous ne ferons pas dans ce cas de distinction entre allocataires sociaux et travailleurs. Quand on compare les structures des groupes '50 à 64' et '65 à 79', on observe un niveau d'éducation supérieur au sein du premier groupe (effet de génération), ainsi qu'une modification prévisible dans la répartition des ménages par type.

 

Tableau 1 : Caractéristiques de la population âgée de 50 à 79 ans

 

50 à 64 ans

65 à 79 ans

 Caractéristiques

 Avec emploi

 Allocataires    sociaux (%)

 Total

 Total (en %)

Niveau d'éducation

100,0

100,0

100,0

100,0

Etudes primaires

21,6

53,2

38,1

49,4

Etudes secondaires

52,1

39,0

45,0

37,4

Etudes supérieures

26,3

7,8

16,9

13,1

Profession (actuelle ou ancienne)

100,0

100,0

100,0

100,0

ouvrier

22,6

59,9

41,2

39,7

employé, cadre

42,3

29,5

35,9

32,4

petit indépendant

17,5

3,5

10,6

14,1

gros indépendant

9,9

2,1

6,1

6,6

autres

7,6

5,1

6,2

7,3

Secteur d'activité (actuel ou ancien)

100,0

100,0

100,0

100,0

privé

70,2

78,4

74,3

72,4

public

29,8

21,6

25,7

27,6

Type de ménage

100,0

100,0

100,0

100,0

isolé

34,6

54,0

44,5

64,2

couple

55,3

31,8

43,3

14,2

couple avec enfants

10,1

14,2

12,2

21,6

(1) Hommes chefs de ménage
Source : PSBH, 1992.

 

 

3. Les revenus individuels et les revenus du ménage

Les renseignements fournis par la première vague du PSBH permettent une comparaison détaillée des niveaux de revenus individuels. Les valeurs moyennes de cette variable en fonction des caractéristiques individuelles sont indiquées dans le Tableau 2.

Les revenus individuels présentés au Tableau 2 correspondent pour l'essentiel à des revenus professionnels et à des transferts de sécurité sociale. On remarque immédiatement que les revenus individuels des allocataires sociaux dans le groupe '50 à 64 ans' sont, en moyenne, très proches des montants observés pour les '60 à 75 ans' (à l'exception toutefois de la catégorie 'petits indépendants').

 

Tableau 2 : Revenus mensuels individuels

 

50 à 64 ans

65 à 79 ans

 Caractéristiques  (2)

 Avec emploi

Allocataires sociaux (en francs)

Total

Total (en francs)

Niveau d'éducation

 

Etudes primaires

49370

34135

38094

31772

Etudes secondaires

59180

42314

51384

43108

Etudes supérieures

90254

55464

80876

56536

Profession (actuelle ou ancienne)

 

ouvrier

46391

35046

37934

33648

employé, cadre

74782

47769

62979

49545

petit indépendant

51362

19894

44635

29422

gros indépendant

86758

41696

380256

39665

autres

72122

44029

60766

44504

Secteur d'activité (actuel ou ancien)

       

privé

63663

37236

49144

35757

public

70285

46075

59472

48682

Total

65690

39047

51522

39210

(1) Hommes chefs de ménage
(2) Caractéristiques du chef de ménage

Source : PSBH, 1992.

Les différences de revenus entre allocataires sociaux et travailleurs sont en revanche très importantes et dépendent fortement du diplôme (des écarts de 15.000 à 45.000 francs) et de la profession (des écarts de 11.000 francs pour les ouvriers et de 27.000 francs pour les employés). On remarquera aussi que les disparités sont plus importantes entre les différentes catégories de travailleurs qu'entre les allocataires sociaux en raison de l'effet redistributif de la Sécurité sociale. Enfin, les revenus des employés et des retraités du secteur public sont, de manière générale, plus élevés que ceux du secteur privé. Pour rappel, les pensions des fonctionnaires garantissent un taux de remplacement supérieur aux pensions de la Sécurité sociale, du fait que les premières sont calculées en fonction des salaires perçus au cours des cinq dernières années d'activité tandis que les secondes le sont sur base des rémunérations de l'ensemble de la carrière professionnelle.

Nous avons également analysé la distribution des revenus standardisés des ménage (c'est-à-dire les revenus des ménage ajustés en fonction de leur composition). Ces revenus comprennent l'ensemble des revenus professionnels et des transferts de la Sécurité sociale perçus par tous les membres du ménage, ainsi que les éventuels revenus de la propriété (loyers, intérêts, dividendes, etc.). D'une manière générale, les résultats sont proches de ceux obtenus pour les revenus individuels. Les écarts entre les revenus des allocataires sociaux et ceux des travailleurs sont cependant relativement moins importants que pour les revenus individuels. Ceci est dû à un effet de lissage. Un ménage dont la personne de référence est active peut comprendre des allocataires sociaux; inversement, un ménage dont la personne de référence est retraitée peut comprendre des actifs.

 

4. Situation patrimoniale

Afin d'avoir une vision plus complète de la situation financière des ménages dont le chef est âgé de plus de 50 ans, nous reproduisons dans le Tableau 3 leur situation patrimoniale. Les conditions de vie des ménages sont déterminées non seulement par la disponibilité des revenus courants mais également par la possibilité de disposer d'un patrimoine important. Ce patrimoine est important en tant que source potentielle de revenus et réserve pour le financement de consommations futures. Il représente la possibilité de financer des besoins non couverts par la Sécurité sociale.

Dans l'enquête PSBH, chaque ménage a été invité à donner une estimation de la valeur vénale de l'ensemble de ses actifs (mobiliers et immobiliers). Le Tableau 3 indique que les ménages dont le chef est un allocataire social âgé de 50 à 64 ans disposent en moyenne d'un patrimoine d'à peu près 4 millions de francs, contre 7 millions en moyenne pour les actifs dans les mêmes tranches d'âge.

Contrairement à ce que nous avons observé à propos des revenus, les différences entre les patrimoines des allocataires sociaux et des travailleurs sont moins importantes au fur et à mesure que le niveau des études augmente. On peut en déduire que les jeunes retraités ayant une formation plus importante affrontent leur période d'inactivité dans de bien meilleures conditions financières que les autres. En revanche, les ouvriers et les personnes isolées, dont les patrimoines moyens s'élèvent respectivement à 2,9 et 2,0 millions de francs, doivent faire face à la perte d'un emploi dans une situation financière nettement plus précaire.

 

Tableau 3 : Patrimoine moyen du ménage

 

50 à 64 ans

65 à 79 ans

 Caractéristiques (2)

 Avec emploi

 Allocataires   sociaux (%)

 Total

 Total (en %)

Niveau d'éducation

 

Etudes primaires

4988

3178

3797

3154

Etudes secondaires

6665

4609

5760

5879

Etudes supérieures

9763

8424

9570

7693

Profession (actuelle ou ancienne)

       

ouvrier

3722

2885

3098

2543

employé, cadre

7118

6338

6872

6362

petit indépendant

7924

7264

7400

6162

gros indépendant

13492

10558 (3)

13221

8455

autres

7017

4085

5826

4169

Secteur d'activité (actuel ou ancien)

 

privé

7290

3847

5489

4935

public

6565

5255

6086

4400

Type de ménage

 

isolé

4774

2005

3057

3123

couple

6827

4755

5528

5062

couple avec enfants

7615

4061

6431

5940

Total

7071

4148

5624

4781

(1)Ménages dont le chef est un homme
(2) Caractéristiques du chef de ménage
(3) Moins de 10 individus

Source : PSBH, 1992.

Dans le Tableau 4, la problématique du patrimoine est abordée sous un angle quelque peu différent. Tout d'abord, en ce qui concerne la structure de distribution, on constate que parmi les '50-64 ans', plus de 20% des allocataires sociaux possèdent un patrimoine inférieur à 1 million de francs, ce qui est aussi le cas parmi les ménages de personnes âgées de plus de 64 ans. Par contre, plus de 90% des travailleurs possèdent un patrimoine supérieur au million de francs.

Ces observations sont ensuite corroborées par la structure du patrimoine. On remarque en effet, dans le Tableau 4, que d'une manière générale les allocataires sociaux sont relativement moins nombreux à posséder des biens mobiliers (bons d'Etat, Sicav, actions) et immobiliers (maison propre ou de rapport, terrains).

 

Tableau 4 : Situation patrimoniale des ménages dont le chef est un homme âgé de 50 à 79 ans

 

50 à 64 ans

65 à 79 ans

Patrimoine et

actifs patrimoniaux

Avec Emploi

Allocataires sociaux (en %)

 Total

Total (en %)

Patrimoine (en milliers de francs)

100,0

100,0

100,0

100,0

moins de 100

2,4

7,2

4,9

5,6

de 100 à 500

4,0

7,6

5,9

8,2

de 500 à 1000

2,3

6,9

4,7

7,9

de 1000 à 2500

12,6

17,1

15,0

20,3

de 2500 à 5000

26,6

37,8

32,4

26,5

plus de 5000

52,1

23,4

37,1

31,5

Immobilier (taux de détention)

 

Propriétaire de l'habitation

82,9

76,2

79,4

74,8

Possède d'autres immeubles

27,5

20,0

23,6

24,4

Possède des terrains

22,9

10,7

16,5

15,0

Mobilier (taux de détention)

 

Epargne pension - assurance vie

58,7

33,7

45,6

13,1

Bons, actions, Sicav

55,0

31,2

42,5

40,7

Source : PSBH, 1992.

La conclusion qu'il convient de tirer de cette analyse est que les préretraités vont connaître une double difficulté. Ils connaîtront une période moins faste en termes de retraite du fait du vieillissement démographique et de la stagnation économique. Cela est abordé dans la section suivante. Mais en outre, par rapport à leurs contemporains qui ont pu mener leur activité jusqu'au terme normal, ils n'ont pas pu épargner autant.

 

5. L'impact du vieillissement de la population

Depuis quelques temps, les personnes âgées connaissent un niveau de vie sans précédent dans la plupart des pays industrialisés, et notamment en Belgique (Kessler et Pestieau, 1990). Mais cette situation relativement favorable au troisième âge pourrait être éphémère dans la mesure où le vieillissement démographique risque d'affecter les prestations financées par répartition. En termes d'incidence intergénérationnelle, les études concluent généralement à une détérioration de la situation des personnes âgées due à l'accroissement des taux de dépendance pour les retraites de base. Il est également primordial de se placer dans une optique d'équité intragénérationnelle, car les effets du vieillissement concernent autant la répartition des revenus que leur niveau moyen.

L'impact du vieillissement démographique sur la distribution des revenus des personnes âgées dépend de la part des retraites de base dans le revenu de ces personnes, de la logique de protection (beveridgienne ou bismarckienne) suivie par le régime de base, du mode d'organisation des régimes de retraites complémentaires ainsi que de la capacité d'accroître les prélèvements obligatoires.

La question de l'incidence redistributive du vieillissement est abordée dans une étude réalisée par Delhausse et al. (1994) portant sur différents pays de l'OCDE, dont la Belgique. Le taux de dépendance enregistré dans notre pays à l'horizon 2020 se monte à plus de 50% comme dans les autres pays, contre 35% en 1985 (Tableau 5). Mais la part des retraites de base dans le revenu brut des ménages est la plus élevée en Belgique, avec un pourcentage de 80%. On constate aussi que les systèmes basés sur une logique commutative, selon laquelle la structure des retraites épouse celle des rémunérations du travail, conduisent à des fortes inégalités entre les retraités.

 

Tableau 5 : Comparaison internationale. Taux de dépendance et revenus des personnes âgées

Pays

taux de dépendance

Part dans le revenu des ménages

Philosophie des régimes

 

1985

2020

Retraites de base

Revenu de base du capital

 

Allemagne

0,352

0,532

0,75

0,05

BM

Belgique

0,348

0,532

0,80

0,06

BM

Etats-Unis

0,299

0,544

0,55

0,20

MI

France

0,336

0,537

0,68

0,09

BM

Pays-Bas

0,298

0,548

0,68

0,24

MI

Royaume-Uni

0,396

0,522

0,43

0,33

BV

Suède

0,437

0,548

0,63

0,08

BV

BM : régime bismarkien; BV : régime beveridgien; MI : régime mixte

Source : Delhausse et al. (1994).

Delhausse et al. (1994) envisagent différents scénarios afin de cerner les implications du vieillissement démographique sur la distribution des revenus aux horizons 2020 et 2055. Le scénario de référence (REFE) est basé sur l'hypothèse que les prestations du premier pilier diminuent uniformément en fonction de la croissance du taux de dépendance. Un scénario alternatif suppose une modification de la structure des prestations de façon à assurer une pension uniforme à tout retraité (scénario EQUI). Dans le Tableau 6, nous présentons les résultats de ces estimations correspondant aux projections pour l'année 2020. Pour mesurer le degré d'inégalité nous utilisons le coefficient de Gini qui varie de 0 (parfaite égalité) à 1 (inégalité absolue).

 

Tableau 6 : Taux d'inégalité parmi la population âgée. Scénarios alternatifs pour l'année 2020

Pays

Année de base

 REFE

 EQUI

 

(Coefficients de Gini)

Allemagne

0,265

0,321

0,225

Belgique

0,223

0,264

0,190

Etats-Unis

0,385

0,441

0,399

France

0,288

0,312

0,200

Pays-Bas

0,275

0,364

0,366

Royaume-Uni

0,265

0,289

0,294

Suède

0,244

0,266

0,162

Source : Delhausse et al. (1994).

Sous les hypothèses du scénario de référence, l'inégalité globale s'accroît suite au vieillissement démographique. Par contre, le scénario EQUI permet un gain d'égalité dans les pays à philosophie bismarckienne, comme la Belgique. Il en ressort qu'une réforme instaurant une plus grande uniformité des retraites de base n'est souhaitable que dans les pays où le premier pilier obéit à une logique commutative.

En corollaire de cette étude se pose la question d'une éventuelle réforme de la répartition des prestations. Le problème du vieillissement se pose avec bien plus d'acuité dans les systèmes à philosophie commutative, et particulièrement en Belgique où les retraites de base représentant une part extrêmement importante du revenu des personnes âgées. Dans un contexte de coexistence de petites et de grosses retraites, une réduction étale de chaque prestation peut s'avérer intenable pour les allocataires de petites retraites. Dès lors, l'instauration d'une retraite uniforme permettrait une plus grande égalité dans la distribution des revenus des personnes âgées. Pour éviter de trop fortes différences entre les revenus antérieurs et ultérieurs à la cessation d'activité, le recours généralisé à des retraites complémentaires s'avérerait alors souhaitable.

 

6. Conclusions

Tout au long de ce travail, nous avons mis en évidence les difficultés croissantes auxquelles se trouvent exposés les travailleurs âgés face à l'écueil des départs anticipés à la retraite. Les prévisions de long terme sur l'évolution démographique et sur le développement des systèmes de pension ne font qu'anticiper une probable aggravation de cette situation dans la mesure où des restrictions budgétaires devraient avoir des répercussions sur l'égalité des revenus des personnes âgées.

Des mesures correctives en vue de faire face à la situation ont été proposées. Elles s'inscrivent généralement dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler les "trois piliers" du financement des retraites. Ces trois piliers font référence, respectivement, aux régimes publics fondés sur le principe de la répartition, aux régimes professionnels complémentaires (fonds de pension ou assurances de groupe) et à l'épargne individuelle. La capacité de ces trois piliers à absorber l'impact du choc démographique est cependant limitée et depend fortement de l'évolution de la conjoncture économique.

Un quatrième pilier, de nature non financière, a également été identifié. Il s'agit de la possibilité de différer l'âge du départ à la retraite par le biais de formules que l'on présente sous le nom générique de "retraites à la carte".

Ainsi, le prolongement de la vie active des travailleurs âgés devrait être rendu possible par l'aménagement de programmes appropriés, qui pourraient être conçus à l'image de ceux qui sont proposés pour l'intégration des jeunes chômeurs sur le marché du travail. Ces programmes iraient dans le sens des souhaits exprimés par les Ministres des Affaires sociales des pays de l'OCDE (1994), selon lesquels "une nouvelle conception de la politique sociale axée sur le développement des potentiels humains et respectueuse des possibilités de choix de l'individu devrait voir le jour".

Force est de constater que le problème est complexe dans la mesure où des générations successives de travailleurs sont en concurrence sur le marché de l'emploi (7). Ainsi, ces dernières années, la plupart des négociations collectives et des restructurations d'entreprises se sont soldées systématiquement par des "mises à la retraite anticipée" qui ont favorisé l'embauche des jeunes au détriment des travailleurs âgés. Des voix se sont déjà élevées pour dénoncer ce que d'aucuns n'hésitent pas à qualifier de pratiques discriminatoires vis-à-vis des travailleurs âgés (Drury, 1994).

Cependant, il faut à notre avis distinguer deux problèmes : le premier concerne la retraite de la génération actuelle des '55-64' qui ne travaille plus, volontairement ou pas. Le second, plus général, concerne la possibilité de concilier la nécessité de prolonger la vie active pour faire face au vieillissement démographique et au financement des retraites de base avec la crise de l'emploi qui oblige l'Etat a privilégier l'emploi des jeunes pour des raisons d'équité et d'efficacité.

A la première question, nous repondons qu'il n'y a pas à tergiverser. En quelque sorte, le mal est fait. Il faut simplement demander que les montants minimaux de retraite de base soient maintenus voire élevés à un niveau décent. Il y aura en effet de plus en plus d'allocataires touchant ces montants.

La seconde question appelle une réponse plus nuancée. Il faut certainement continuer à privilégier l'emploi des jeunes mais garder à l'esprit que cela ne se passe pas toujours par le prépensionnement des travailleurs âgés. Ensuite, il importe d'introduire par le biais de retraites à temps partiel ou de retraites reculées à la demande une culture du travail des personnes âgées. Et cela, afin de préparer les jeunes générations à massivement opter pour une retraite à 65 voire à 70 ans lorsque la conjoncture le permettra et la démographie l'imposera. Ici comme ailleurs l'effet d'annonce est important.

 

Reférences

Bouillot, L. et S. Perelman (1994), Evaluation patrimoniale des droits à la pension en Belgique, Cahiers de Recherche du CREPP, 94/05.

Carnoy et al. (1988), Dérider la retraite : profil socio-économique des 55-64 ans, Fondation Roi Baudoin.

Cochemé, B. et F. Legros (éds.) (1995), Les retraites. Genèse, acteurs, enjeux, Armand Colin.

Delhausse, B., S. Perelman et P. Pestieau (1994), Retraite et vieillissement : quelle logique de protection?, Revue de l'IRES, 15, pp. 211-221.

Drury, E. (1994), Age Discrimination Against Older Workers in the European Union, Studies on the four pillars, Numéro Spécial des Cahiers de Genève, 73, 496-502.

INS (1993), Enquête sur les forces de travail, Bruxelles.

Kessler, D. et P. Pestieau (1990), Pensions publiques et niveau de vie des personnes âgées, dans Loriaux, M. D. Remy et E. Vilquin (éds), Populations âgées et révolution grise, Chaire Quetelet 86, Ciaco, Louvain-la-Neuve, 829-844.

OCDE (1994), Les nouvelles orientations de la politique sociale, Paris.

PSBH (1992), Panel study of Belgian households, Point d'Appui Panel Démographie Familiale, Universiteit Antwerpen et Université de Liège.

 

Notes

1. Les auteurs tiennent à remercier Philippe Compagnie et Myriam Sluse pour leur aide pré cieuse dans la préparation de ce travail. Cette étude a bénéficié du soutien financier de la Fondation Roi Baudoin (Programme Prospective Sociétale) et du Service de Programmation de la Politique Scientifique (Programme Economie Publique).
2. Nous emploierons le terme "préretraite" dans son acception la plus large, celle d'un dé part à la retraite anticipé que ce soit par un programme de préretraite, l'anticipation de la retraite, le chômage ou l'invalidité . Nous parlerons aussi d'"allocataires sociaux". Voir note 4.
3. Dans une étude récente, Bouillot et Perelman (1994) ont estimé l’équivalent patrimoniale des droits à la pension détenus par l’ensemble de la population belge. Leurs résultats montrent que l’importance de ces droits est aujourd’hui supérieure à celle de la dette publique à laquelle ils peuvent être assimilé s et qu’à législation constante ils seront multipliés par trois au cours des prochaines décennies suite au vieillissement de la population.
4. Nous considérons ici comme “allocataires sociaux” toutes les personnes qui relèvent des différents programmes de sé curité sociale (y compris les anciens fonctionnaires qui relèvent du budget de l’Etat) et dont les ressources proviennent essentiellement de revenus de remplacement. Sont compris dans cette catégorie les retraités et préretraités ainsi que les chômeurs, les malades et les invalides. Nous adoptons cette large définition afin de couvrir l’ensemble des situations. En effet, on sait que d’un pays à l’autre les fins de carrière prennent des formes différentes bien qu’ils recouvrent le plus souvent le même type de situations. C’est ainsi que, par exemple, les préretraités et les chômeurs âgé s belges ont leur équivalent chez les “invalides” aussi bien en Allemagne qu’aux Pays-Bas.
5. L'ensemble des statistiques présentées ici a fait l'objet d'une pondération afin d'assurer leur représentativité en fonction des régions et de la structure par âge de la population.
6. Selon l’Enquête sur les forces de travail de l’Institut National de Statistiques (INS, 1993), les allocataires sociaux représentent 52,0% de l’effectif total des hommes dans la classe d’âge de 50 à 64 ans (81,0% dans la classe d’âge de 60 à 64 ans).
7. Cette problématique de la transition de la vie active à la retraite n'est pas absente des préoccupations des gouvernements, mais également des institutions. On citera ici l'ouvrage de Carnoy et al. (1988), "Dérider la retraite : profil socio-é conomique des 55-64 ans", paru sous les auspices de la Fondation Roi Baudoin, le numéro spécial des Cahiers de Genève "Studies on the four pillars", publié en 1994 par l'Association Internationale pour l'Etude de l'Economie de l'Assurance (Association de Genève) ansi que l'ouvrage collectif "Les retraites. Genèse, acteurs, enjeux", édité en France sous les auspices de la Caisse de dépôts et consignations (Cochemé et Legros, 1995).

 


 

 

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