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Investissements matériels et immatériels

Pascale Van Doren
Directrice de Recherches au RIDER (UCL)

 

Introduction

Cette intervention a pour objet d'interpeller les décideurs sur la pertinence de revoir les orientations d'allocation des ressources financières qu'elles soient régionales ou communautaires à la lumière des nouveaux déterminants du développement économique. Il s'agit plus précisément de poser le débat du rapport optimal investissements matériels/investissements immatériels dans les politiques de développement dans le contexte particulier de la Wallonie.

Cette intervention tentera dans un premier temps de mettre en évidence d'un point de vue théorique les raisons structurelles qui font que l'on parle de plus en plus de l'importance du facteur immatériel aujourd'hui comme facteur incontournable de relance économique

Nous verrons ensuite comment cela se traduit au niveau de la réalité wallonne.

Enfin, nous terminerons par une série de considérations et d'interpellations quant à la mise en pratique d'une utilisation plus efficace des ressources publiques.

 

 

1. Éléments de genèse : l'impossibilité de poursuivre selon les approches de développement traditionnelles

Jusqu'à un passé récent, la plupart des politiques de développement mises en place en Europe tant au niveau régional, national ou communautaire, se sont fondamentalement inspirées du modèle dit de la croissance polarisée. Ce modèle de développement était orienté vers la création de "pôles de croissance" dépendant le plus souvent d'industries motrices déterminantes pour l'ensemble d'une économie régionale.

Selon ce modèle de croissance polarisée autour de "centres" développés à forte concentration d'activité économique et de population, les politiques d'aménagement du territoire qui ont prévalu dans les années 70-85 environ, ont été favorables au développement d'infrastructures permettant de relier au mieux ces pôles entre eux et de les rendre plus attractifs à l'égard des investisseurs étrangers potentiels. Cette époque se marque par conséquent aussi par une convergence entre développement industriel et développement urbain comme en témoignent la plupart des régions de tradition industrielle.

Il faut aujourd'hui admettre que ces régions, malgré une forte dotation en infrastructures de transport, de sites d'accueil industriels et un réservoir de main- d'oeuvre important, ont perdu leur rôle moteur de la croissance et qu'elles ont du mal à se repositionner de manière compétitive sur la scène internationale.

Comment expliquer que ce mode de développement qui a fait la richesse économique de nombreuses régions européennes devienne un jour l'origine de leur démission face aux impératifs de la croissance?

Pour y répondre, il faut prendre conscience d'une nouvelle logique du mode de fonctionnement du système industriel.

Dans le système industriel ancien qui a prévalu durant l'époque de croissance polarisée performante, l'avantage comparatif d'une région provenait de l'abondance des ressources matérielles mobilisables dans un environnement proche. L'important résidait en la capacité de transformer cette matière première en produits par des techniques de production relativement stables dans le temps. Les cycles de vie des produits pouvaient en outre durer plus de dix ans.

Aujourd'hui, c'est le rapport entre la recherche et la technologie et non la technique qui fait le produit. De manière générale, la "révolution industrielle" qu'induit l'incorporation du facteur technologique dans le système de production est principalement attribuable à son caractère multi-fonctionnel et mobile. Elle permet de satisfaire les imaginations les plus fertiles ce qui entraîne l'émergence d'une multiplicité de nouveaux produits à haute valeur ajoutée ainsi qu'un raccourcissement de leur durée de vie.

Le développement d'une capacité de tirer profit des adaptations technologiques pour répondre à un nouveau besoin qu'il s'agisse d'une amélioration de produit ou de procédé de fabrication, implique la maîtrise d'une plus grande intelligence au niveau des individus. On parlera de potentiel de conception et d'innovation pour certains, de qualification pour d'autres.

Par l'entrée du facteur technologique dans le système de production, le rôle dominant qu'occupait le facteur matériel tel que l'accessibilité à des matières premières, aux infrastructures de transport, la maîtrise d'une technique industrielle stable ou encore la disponibilité en terrains industriels a fait place aux facteurs immatériels.

Cette évolution n'est par conséquent pas sans lien avec l'évolution de la localisation des activités productives : ce qui détermine aujourd'hui les avantages comparatifs d'une région c'est bien plus le savoir-faire de la main d'oeuvre, la capacité d'innovation et d'organisation entrepreneuriale et public, la valeur des systèmes de formation et de recherche et la présence de services de support au développement de l'innovation des entreprises qui sont ce que l'on peut appeler les facteurs immatériels.

Avec la technologie, est née ce que l'on a appelé la globalisation de l'économie. Le caractère mobile et adaptable de la technologie rend obsolètes et inefficaces les économies régulées au niveau national. L'entreprise performante aujourd'hui se positionne d'emblée sur le marché mondial qu'il s'agisse d'un segment de marché à définir ou d'une technologie à maîtriser pour répondre à un besoin d'innovation. Cette approche du marché concurrentiel désormais défini sur des bases mondiales et en constante dynamique d'innovation implique effectivement pour l'entreprise d'intégrer ou d'accéder à des ressources de type immatériel comme développées dans le paragraphe précédent.

Quelle appréciation peut-on faire de la situation wallonne au regard de cette évolution fondamentale? Cela suggèrerait-il que plus aucun investissement de nature infrastructurelle n'est à consentir dans un objectif de relance économique durable? Si non, comment bien gérer le caractère indivisible des investissements matériels et immatériels dans une philosophie d'utilisation rationnelle des deniers publics.

 

2. Du matériel à l'immatériel en Wallonie

L'évolution dans la prise de conscience par les décideurs de l'importance du facteur immatériel dans la relance de l'économie régionale se marque par les deux approches suivantes :

  • une orientation de relance économique basée sur des infrastructures d'attractvité des entreprises qui trouve son fondement dans l'héritage d'une culture traditionnelle : celle-ci s'inspire du phénomène de croissance polarisée à partir d'une industrie motrice comme déterminant fondamental de la croissance de toute une région;

  • une orientation de relance économique qui inscrit les deux types d' investissements tant matériels qu'immatériels dans une logique de développement intégré qui implique un renforcement mutuel de chacun d'eux.

 

2.1. Une orientation de relance économique basée sur l'héritage du passé : une approche cloisonnée du développement

Les années 70-80 sont marquées par les grands travaux de restructuration industrielle impulsés par la crise sidérurgique. La Wallonie est touchée de plein fouet d'une trop grande dépendance mono-industrielle fondée sur le couple carbo- sidérurgique. La crise de cette industrie motrice pèse non seulement par l'importance de l'emploi qui y est occupé mais aussi et surtout par la dépendance de tout un réseau de PME sous-traîtantes peu enclines à l'innovation dont l'industrie motrice régionale est seule cliente.

Cette phase de restructuration se traduit par une combinaison de modernisation technique, dégraissement de personnel et rationalisation de gestion mais rien de neuf ne se crée.

A cette faiblesse entrepreneuriale en termes de capacité d'innovation de produits et de recherche de nouveaux débouchés, le sillon industriel de l'Entre-Sambre-et- Meuse semble pénalisé pour ce qui est de son accessibilité infrastructurelle. A une capacité objective plus grande de reconversion industrielle (notamment dans le secteur du textile), la Flandre allie une exploitation privilégiée du développement du port d'Anvers. La proximité de l'infrastructure du port d'Anvers a donc constitué un support infrastructurel-clé dans la réussite de la reconversion industrielle de la Flandre.

La Wallonie restera plus longtemps empreinte de la culture industrielle passée (croyance aux potentialités techniques putôt que technologiques, en la grande industrie plus qu'en la PME) et par des schémas de développement régional de type croissance polarisée par la recherche "illusoire" d'industries motrices de remplacement.

Cet héritage culturel s'est traduit par la combinaison des quatre approches suivantes :

- on assiste à une génération "quasi-spontanée" de parcs industriels et scientifiques tous azimuts dans l'espoir de recréer des pôles de croissance industriels qui ont fait la richesse de la Wallonie. Ces sites d'accueil aux entreprises aménagés resteront désespérément sous-exploités malgré un travail intensif des intercommunales chargées de cette mission à l'origine de leur création. Ces différents aménagements ont impliqué de nombreux travaux d'amélioration routières pour en favoriser l'accessibilité et l'attractivité aux investisseurs potentiels;

- les autorités régionales développent une batterie d'incitants à l'investissement étranger considéré comme moteur de relance économique d'une région;

- les PME semblent quelque peu laissées pour compte. Elles ne constituent peu ou pas à priori une cible privilégiée capable de générer rapidement et de façon substantielle des résultats immédiats de richesse économique régionale. De donneurs d'ordre de grandes entreprises nationales, elles passeront au mieux à des donneurs d'ordre de type multinational;

- il en découle un faible développement du tertiaire d'appui aux entreprises tel que structures de conseil en R&D, en management, en marketing ou des structures de capital risque pour l'innovation de PME. A cette époque, les FMN internalisent encore la plupart de ces fonctions au niveau de la maison-mère et les PME existantes expriment peu de besoins en la matière.

Les années 70-80 en Wallonie sont donc marquées par l'héritage de l'approche de la croissance polarisée qui postule que la seule existence d'une concentration de ressources productives(industrielles et infrastructurelles) en un lieu donné a d'emblée la capacité d'entraîner le développement de toute une région.

Si est abandonnée progressivement l'idée de l'industrie motrice de remplacement comme vecteur de base à la relance, il n'en reste pas moins l'idée que le pôle de croissance industriel (de quelque nature qu'il soit) prend place au travers des aménagements de sites industriels et technologiques.

Cette approche de la relance économique revête un caractère partiel en ce sens qu'elle n'est pas conçue en relation aux besoins des entreprises locales. Peu de relations sont faites entre les investissements réalisés et l'utilisation qui pourra en être faite dans la mesure où l'investissement précède le plus souvent l'évaluation réel du besoin. Comment se traduit à l'époque la nécessité de reconversion, de diversification du tissu productif endogène en particulier des PME pour lesquelles l'innovation bien que fondamentale à leur survie est de l'ordre de la révolution culturelle?

Le développement de sites d'accueil aux entreprises ou le développement d'incitants financiers à l'attraction d'investisseurs potentiels dans la région est un facteur qui peut être nécessaire mais certainement pas suffisant pour assurer un développement auto-porteur d'une région :

- les FMN qui ne jouent que sur ces éléments sont les plus délocalisables et par conséquent non porteuses de création d'emplois durables;

- les PME ont en priorité besoin d'un encadrement "soft" qui est plus du ressort de l'ingénierie des ressources humaines.

Cette phase 70-80 se caractérise comme suit : l'action précède l'analyse des besoins des entreprises. Le besoin en encadrement et en ressources immatériels n'est pas encore identifié. C'est l'investissement matériel quantifiable et visible qui prime. Il s'inscrit dans une stratégie à court terme.

 

2.2. Une orientation de relance économique où précède l'analyse des besoins et la définition d'objectifs stratégiques

Les travaux de restructuration des années 70-80 ont provoqué un chômage très important marqué en outre par une qualification obsolète par rapport aux besoins du marché (évolutions technologiques des produits et des procédés-cfr.1ère partie).

La priorité immédiate s'exprime non plus en améliorations infrastructurelles eu guise d'attractivité d'entreprises exogènes mais en capacité de création d'emplois et d'emplois durables.

Il convient désormais de prendre le mal à la base et d'appuyer de manière cohérente sur l'ensemble des leviers de la croissance économique en même temps afin qu'ils se renforcent mutuellement.

Dans cet état d'esprit, la PME devient progressivement une cible dont les autorités régionales se préoccupent. Le soutien à l'innovation, à l'exportation, au financement par capital-risque notamment, l'incitation à la création d'emplois durables sans oublier les incitants à la formation continuée constituent autant d'éléments qui montrent la prise en considération du besoin immatériel de l'entreprise.

La phase de reconversion qui a succédé à la phase de restructuration se caractérise comme suit. Il y a incursion de la démarche dans la conception des investissements : l'analyse des besoins précède l'action. Le besoin en encadrement et en ressources immatérielles est désormais identifié. C'est l'investissement immatériel qui domine. Il s'inscrit dans une stratégie à long terme.

 

3. Vers une réconciliation : comment concevoir une approche complémentaire du matériel et de l'immatériel?

La leçon à tirer de l'expérience wallonne consiste à dire que les investissements de type "hard" peuvent être nécessaires mais sont rarement suffisants pour impulser par eux-mêmes une relance économique de quelque nature qu'elle soit. Pour être efficaces, ils doivent pouvoir répondre à des besoins spécifiques identifiés préalablement auprès des utilisateurs, en particulier les entreprises pour ce qui nous occupe. Ces besoins sont pour la plupart et le seront de plus en plus, des besoins immatériels qui tournent autour de l'apport d'ingénierie dans les différentes fonctions de l'entreprise (R&D, commerciale, financière, juridique,etc.).

Il s'agit donc de bien identifier les supports logistiques (matériels et/ou immatériels) qui favoriseront au mieux l'accessibilité à cette ingénierie.

Pour y répondre, il faudra adopter une approche sélective qui colle au mieux aux besoins de la réalité rencontrée. Pour accompagner le développement de nouvelles entreprises quel investissement sera le plus efficace? Un centre d'entreprise et d'innovation avec ou sans incubateur?

Faut-il au contraire se limiter à concevoir un programme de formation aux jeunes entrepreneurs au niveau interne à la région ou en liaison avec un centre extérieur?Les autoroutes de l'information permettront-elles à terme de se passer totalement du matériel?

Ces questions nous permettent de soulever l'intérêt que peut représenter la coopération au niveau wallon de valorisation conjointe d'infrastructures dans un souci d'économie budgétaire entre villes ou entre communes (valorisation d'un téléport, d'une station d'épuration).

Pour conclure, je souhaiterais attirer l'attention sur l'importance de la relativité du contexte économique régional dans lequel s'inscrivent des orientations de relance économique.

L'ensemble des régions européennes ne sont pas confrontées de manière indifférenciée aux priorités de l'investissement régional. La recherche de la cohésion communautaire n'est pas un slogan; le classement des régions européennes en régions prioritaires en est une expression volontariste. Il y a aussi des trajectoires de développement spécifiques comme les métropoles, les régions technopolitaines, les régions rurales, les régions semi-industrielles avec des villes moyennes, dont les objectifs de développement varient et impliquent des équilibres matériels/immatériels différents.

 


 

 

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