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Investissement et relance. Propositions du Livre Blanc

Henri Sneessens
IRES, Département des Sciences Economiques, Université Catholique de Louvain

 

Le Livre Blanc sur la croissance, la compétitivité et l'emploi publié par la Commission européenne est, dans une large mesure, inspiré par la conviction que le développement économique de l'Union européenne et le retour au plein emploi ne peuvent être assurés que par une stimulation de l'investissement. Cette analyse intègre des éléments multiples, que nous essaierons de faire apparaître en présentant brièvement les lignes de force du Livre Blanc.

L'association des mots "investissement" et "relance" fait inévitablement penser à l'analyse keynésienne du muliplicateur des dépenses autonomes. Si l'analyse keynésienne garde aujourd'hui toute son actualité (en témoignent les discussions nombreuses sur les causes de la récession du début des années 90, en particulier la faiblesse de la demande), nombre d'éléments additionnels concernant la formation des prix et des salaires et les contraintes d'offre sont venus étoffer l'analyse. L'expérience des chocs pétroliers nous a appris qu'il faut, pour comprendre les évolutions macro-économiques, tenir compte simultanément des aspects "offre" et "demande". Depuis quelques années, une importance grandissante est également donnée aux problèmes structurels et à leur interaction avec les évolutions macro-économiques, en particulier les problèmes créés par l'introduction des technologies nouvelles et la mondialisation des relations économiques. Dans ce contexte, l'examen du lien existant entre relance de l'économie et relance des investissements dépasse, de loin, la simple analyse du "multiplicateur des dépenses autonomes".

 

 

1. Diagnostic

Le Livre Blanc sur la croissance, la compétitivité et l'emploi est un travail de réflexion réalisé par la Commission européenne à la demande du Conseil européen de Copenhague en juin 1993. Cette demande faisait suite à un débat approfondi entre les chefs d'état et de gouvernement des différents pays de l'Union européenne, à partir d'un exposé du président de la Commission sur les perspectives de l'économie européenne. Le Livre Blanc est publié fin 1993. Bien que le processus d'intégration soit loin d'être terminé, l'objectif 1992 (grand marché) est à ce moment devenu une réalité et donne à l'Union européenne une dynamique nouvelle. Dans le même temps cependant, la conjoncture internationale redevient mauvaise, ruinant pas mal d'espoirs suscités par la forte reprise de la fin des années 80. Le Livre Blanc fournit dans ce contexte une réflexion globale sur les problèmes que pose le développement économique de l'Europe, en particulier sa piètre performance en termes d'emploi, à l'heure où s'opère une importante redistribution des rôles au niveau mondial, suscitée par la concurrence des pays à bas salaires, l'ouverture de l'Europe de l'Est et l'introduction de technologies nouvelles.

Le Livre Blanc n'est pas un catalogue de mesures précises avec calendrier d'application. Son objectif se situe en amont. Son objectif est de situer le débat économique et de lui donner un cadre cohérent, afin d'éclairer la prise de décisions aux différents niveaux (communautaire, national et local). Il identifie quelques lignes directrices destinées à fournir la trame des orientations futures de la politique économique, avec pour objectif final la construction d'une économie européenne souple et forte, capable de tirer tout le profit possible de la réalisation du marché unique, capable de créer des emplois pour tous et d'affronter la concurrence internationale. C'est une réflexion sur les éléments d'une stratégie de développement à moyen terme pour l'Europe, basée sur un diagnostic des causes de la crise actuelle.

Les éléments principaux du diagnostic dressé par le Livre Blanc sont illustrés par les figures 1 à 4. Ces figures décrivent la situation européenne, par comparaison avec celle observée aux Etats-Unis et au Japon. Elles suggèrent les commentaires suivants :

  1. Dans tous les pays, le taux de croissance moyen du produit intérieur brut (PIB) baisse significativement à partir du début des années septante (voir figure 1). En Europe, le taux de croissance moyen est réduit de moitié, et passe d'environ 5% à quelque 2,5%. Dans le même temps, et contrairement aux Etats-Unis et au Japon, l'Europe connaît une baisse progressive et importante du taux d'investissement (formation brute de capital fixe en pourcentage du PIB), égale à environ 3-4 points de PIB.

  2. Le ralentissement de la croissance n'empêche ni les Etats-Unis ni le Japon de créer beaucoup d'emplois (l'emploi a augmenté de 50% aux Etats-Unis au cours des vingt-cinq dernières années), suffisamment pour éviter de fortes hausses du chômage (voir figure 2). En Europe en revanche, le taux de création d'emplois devient à partir de 1975 nettement inférieur au taux de croissance de la population active, de sorte que le taux de chômage passe de 3 à 10% environ en dix ans (17 millions de chômeurs en 1993).

  3. L'augmentation des salaires réels est, sur toute la période, beaucoup plus forte en Europe qu'aux Etats-Unis (mais moins forte qu'au Japon; voir figure 3). Grâce à une forte croissance de la productivité, le coût en main-d'oeuvre par unite produite reste néanmoins sensiblement le même qu'aux Etats-Unis. La baisse du taux d'investissement suggère que ces gains de productivité sont acquis en partie par la destruction et disparition d'activités particulièrement intensives en main- d'oeuvre.

  4. La figure 4 montre l'évolution du déficit public (en pourcentage du PIB) et du taux d'intérêt réel à court terme. Les Etats-Unis et plus encore l'Europe accumulent après 1980 des déficits publics systématiques et importants. Simultanément, les taux d'intérêt réels augmentent et restent particulièrement élevés en Europe alors même que s'installe la récession du début des années 90. Ces observations suggèrent un dosage malheureux des politiques budgétaire (trop laxiste) et monétaire (trop restrictive), au détriment de l'investissement.

Figure 1 : Evolution de la croissance et du taux d'investissement (% du PIB)

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Source: European Economy (1993)

 

Figure 2 : Evolution de l'emploi (indice1970=100) et du chômage (%)

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Source: European Economy (1993)

 

Figure 3 : Evolution des salaires réels et de la productivité (indice1970=100)

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Source: European Economy (1993)

 

Figure 4 : Déficit public (en pourcentage du PIB) et taux d'intérêt réel à court terme (déflateur: prix à la consommation).

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Source: European Economy (1993)

 

 

2. Eléments d'une stratégie à moyen terme

Le Livre Blanc tire les conséquences du diagnostic précédent. Pour revenir au plein emploi, l'Europe doit retrouver les conditions d'une croissance stable, plus forte (supérieure à 2,5%) et plus intensive en main-d'oeuvre (l'objectif donné est de créer 15 millions d'emplois avant l'an 2000). Les lignes directrices de la stratégie à moyen terme proposée concernent respectivement l'environnement macro-économique, la compétitivité de l'industrie et les systèmes d'emplois. Cette section est consacrée à une brève présentation des propositions les plus significatives du point de vue qui nous occupe.

 

L'environnement macro-économique

Une croissance saine et forte nécessite stabilité monétaire, réduction des déficits publics avec priorité à l'investissement public, évolution des salaires compatible avec la stabilité des prix et le plein emploi (croissance réelle limitée à moins de 1% en moyenne). Ainsi et ainsi seulement pourra-t-on restaurer la confiance, obtenir la baisse souhaitée des taux d'intérêt, l'accroissement de l'épargne et de l'investissement, une croissance génératrice d'emplois pour tous et non pas seulement de hausses de revenus pour ceux qui travaillent.

 

La compétitivité

La disparition des frontières traditionnelles entre pays, marchés, secteurs conduit à la globalisation de l'économie et des marchés, et représente un nouveau défi pour l'Europe. Vouloir concurrencer les pays nouvellement industrialisés par les salaires n'est pas une solution. La maîtrise des coûts n'est qu'un aspect de la compétitivité; la qualité et l'innovation sont aujourd'hui des facteurs plus déterminants. L'Europe n'est pas suffisamment présente sur les marchés et produits à fortes croissance et valeur ajoutée. Un re-positionnement s'impose, qui nécessite un effort d'investissement non seulement en capital physique, mais aussi et surtout en capital immatériel (R&D) et humain (éducation et formation). Pour relever ce défi, il faut, souligne le Livre Blanc, :

  • rechercher une compétitivité "globale" (englobant tous les facteurs de production et l'infrastructure en capital physique et immatériel), notamment par la recherche d'un nouvel équilibre entre concurrence et coopération entre entreprises; ceci implique une réorientation des actions publiques dans le domaine industriel (partenariat entre pouvoirs publics et entreprises, meilleurs contacts entre entreprises et université,...);

  • favoriser l'assimilation des nouvelles technologies, en particulier celles de l'information, susceptibles de créer des marchés nouveaux et de permettre une meilleure capacité d'organisation et une meilleure qualité des services aux entreprises.

Pour atteindre ces objectifs, il faut éliminer tous les obstacles à la croissance et au fonctionnement normal des marchés; corriger les systèmes de taxation lorsqu'ils pénalisent les activités riches en main-d'oeuvre; revoir les critères d'aide publique lorsqu'ils pénalisent l'investissement immatériel par rapport à l'investissement matériel; favoriser le développement de "noeuds" ("clusters") d'activités économiques en stimulant les coopérations horizontales, transectorielles et multidisciplinaires, de façon à combiner les avantages industriels, technologiques et géographiques d'une région.

La création du marché unique est, de ce point de vue, un atout pour l'Europe. Son but n'est pas seulement l'exploitation d'économies d'échelle, mais aussi la constitution d'un espace économique concurrentiel où dynamisme et créativité permettent d'atteindre une allocation optimale des ressources. Il faut poursuivre cet effort et rendre plus effective la libre circulation des biens et services, des capitaux et des personnes. Ceci implique notamment :

  • une bonne transposition nationale des décisions communautaires;

  • une meilleure coopération administrative entre pays et régions;

  • le maintien des actions de "cohésion économique et sociale", qui atténuent les disparités inter-régionales et créent des opportunités d'emploi et d'investissement;

  • le développement des réseaux européens de communication (dont TGV) et d'information;

  • la stimulation des investissements étrangers intra-communautaires;

  • le soutien des PME (conseil et formation; meilleur accès aux facilités de financement, ...).

 

Systèmes d'emplois et marché du travail

Le Livre Blanc souligne la complexité des systèmes d'emplois. L'efficience du marché du travail dépend d'une multitude de facteurs (réglementation, formation, coûts relatifs) et d'acteurs (entreprises, milieux éducatifs, pouvoirs publics) interdépendants. L'ensemble de ces éléments doit être pris en compte. Il faut améliorer la flexibilité du marché du travail tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des entreprises, pour éviter que les ajustements ne se fassent systématiquement par des licenciements ou des emplois précaires et ne créent des mécanimes d'exclusion. On a déjà indiqué la nécessité de contenir la croissance des salaires, pour que la croissance soit génératrice d'emplois pour tous plutôt que de revenus pour ceux qui travaillent. Le Livre Blanc suggère dans le même temps de réduire les coûts non-salariaux. Les impôts et cotisations sociales pesant sur l'emploi représentent plus de 40% du coût total de la main-d'oeuvre en Europe, contre 30% aux Etats-Unis et 20% au Japon. Le Livre Blanc propose une réduction des coûts non-salariaux égale à un ou deux points du PIB, en particulier en faveur de la main-d'oeuvre relativement moins qualifiée, à compenser par des éco-taxes, des impôts sur la consommation (dont la TVA) et une taxation plus forte des revenus du capital financier.

 

3. Investissement et relance

Cette brève présentation et mise en perspective du Livre Blanc montre la complexité du problème auquel nous sommes confrontés et la diversité des mesures proposées. On peut dire néanmoins que toutes les propositions concourent à un seul et même objectif : relancer la croissance en stimulant l'investissement dans les technologies nouvelles. Pourquoi? Parce qu'il serait vain de vouloir concurrencer les pays nouvellement industrialisés par le coût du travail; parce que les technologies nouvelles sont porteuses de marchés nouveaux (le développement des services liés au Minitel en France a créé 350.000 emplois), sur lesquels nous pouvons développer un avantage comparatif de qualité et d'innovation.

La méthode proposée par le Livre Blanc est bien différente de la "planification volontariste" caractérisque des années 50-60. Les temps, il est vrai, ont changé, et la structure de nos économies aussi. Nous sommes loin de la situation qui prévalait au lendemain de la seconde guerre mondiale, avec des économies à reconstruire, une infrastructure matérielle à refaire. Le Livre Blanc mise sur la capacité des économies de marché à fournir de façon décentralisée les incitations individuelles adéquates, pour autant que la politique macro-économique soit appropriée et que les règles et législations en vigueur soient adaptées.

Bien que l'on puisse parler de relance par l'investissement, on est loin également de l'analyse keynésienne standard, dans laquelle la cause première du chômage est un déficit conjoncturel de débouchés et où la relance de l'investissement a pour objectif une relance de la demande. Dans l'analyse du Livre Blanc, le chômage résulte d'une incapacité à s'adapter aux conditions nouvelles, d'où résulte une accumulation de problèmes structurels, eux-mêmes aggravés par la mauvaise conjoncture. Dans cette optique, la relance de l'investissement a pour objectif premier un réajustement de l'offre plutôt qu'une stimulation de la demande. L'investissement public a un rôle à jouer, mais l'effort d'investissement le plus important doit venir du secteur privé qui doit s'adapter aux conditions économiques nouvelles. D'où l'insistance sur la réduction des déficits publics (pour orienter l'épargne vers l'investissement privé) et la flexibilité sur le marché du travail (pour que le développement d'activités nouvelles puisse s'opérer).

La relance de l'investissement par action publique (communautaire) directe est, dans le propositions du Livre Blanc, limitée aux réseaux trans-européens de transport et télécommunications, aux grands projets environnementaux (20 milliards d'écus par an de 1994 à 1999), et aux actions de cohésion économique et sociale (15 milliards d'écus de 1994 à 1999). Pour le reste (redressement financier oblige), le Livre Blanc invite les Etats membres à prendre toute disposition utile pour allouer correctement les ressources disponibles (revoir les sytèmes de taxation et les critères d'aide publique pour favoriser le développement de "noeuds" d'activités économiques et l'emploi des moins qualifiés) et créer l'environnement approprié (baisse des taux d'intérêt et regain de confiance grâce à l'assainissement financier, la stabilité monétaire et la crédibilité).

Incertitudes

La stratégie de développement proposée par le Livre Blanc peut-elle réussir? Puisque cette stratégie de développement est fondée sur l'investissement, un des facteurs de réussite les plus importants est incontestablement la confiance. L'investissement dépend de la profitabilité des entreprises, mais aussi de l'incertitude sur le futur, de l'importance des risques encourus. Sans un minimum de confiance et d'optimisme quant aux perspectives d'avenir, il n'est pas d'investissement possible, sauf pour "rationaliser" et réduire les coûts en main-d'oeuvre. La confiance elle-même a besoin d'éléments concrets, objectifs pour exister. A cet égard, la constitution de l'Union Européenne, dans le même temps qu'elle crée de nouvelles possibilités d'investissement, crée aussi de nouvelles exigences. Il n'y a, dans un marché unique, pas de confiance possible sans un minimum de consensus sur la politique économique et sociale à suivre au niveau européen, en particulier les politiques budgétaire, monétaire et sociale. La situation qui prévaut aujourd'hui peut être résumée comme suit:

  • il y a consensus de fait sur la politique budgétaire, en ce sens que chaque pays se résigne aujourd'hui à la nécessité d'éliminer les déficits publics structurels;

  • il y a consensus théorique sur la politique monétaire; bien que l'objectif de monnaie unique ait été accepté par tous, les politiques monétaires nationales restent aujourd'hui encore fort divergentes et créent des incertitudes énormes sur les taux de change et les taux d'intérêt;

  • il y a absence totale de consensus sur la politique sociale, sinon pour affirmer qu'il faut adapter nos systèmes de sécurité sociale à la situation actuelle sans renier la spécificité du modèle européen de sécurité sociale.

Les méfaits de l'instabilité monétaire sont patents et connus. On a beaucoup parlé aussi du danger des dévaluations et/ou des désinflations compétitives. On parle moins souvent des problèmes qu'engendre l'absence de consensus sur l'Europe sociale et du danger d'une concurrence sociale. En l'absence de coordination entre pays pour établir un ensemble de règles communes, les pressions concurrentielles peuvent conduire au démantèlement progressif de la sécurité sociale et finalement à une situation sous- optimale pour tous (voir par exemple Gabszewicz-Van Ypersele, 1994, et Artus, 1995). L'absence de consensus social est néfaste également parce qu'il bloque les processus de décision, génère tensions et conflits, et empêche la mise en oeuvre d'une politique économique cohérente et efficace. L'absence de consensus social peut ainsi affecter négativement la croissance et l'emploi (voir par exemple Persson-Tabellini, 1994, qui suggèrent que de trop fortes disparités de revenus sont néfastes pour la croissance).

 

Croissance et répartition

Le problème soulevé par l'absence de consensus social est ressenti d'autant plus fortement aujourd'hui que la croissance économique, qui jusque dans les années 70 impliquait des salaires plus élevés pour tous et une réduction des inégalités, semble aujourd'hui devoir s'accompagner d'une évolution inverse, avec non seulement des inégalités plus fortes (baisse relative du revenu des moins qualifiés), mais aussi des pertes absolues pour ceux qui sont au bas de l'échelle. Cette évolution des rémunérations est bien marquée aux Etats-Unis (voir Levy-Murnane, 1992), nettement moins dans les pays de la Communauté Européenne (à l'exception peut-être de la Grande-Bretagne) où les inégalités semblent (jusqu'à présent) s'être exprimées davantage en termes de chômage que de salaires. Cette évolution est imputée à différents facteurs, en particulier, un progrès technologique "asymétrique", défavorable à l'emploi des moins qualifiés (introduction de l'informatique, moyens nouveaux de télécommunications,...; voir par exemple Entorf-Kramarz, 1994); le développement du secteur des services, secteur avec productivité et salaires inférieurs à ceux de l'industrie manufacturière; la mondialisation de l'économie et la concurrence des pays à bas salaires, qui affecterait en priorité la main-d'oeuvre moins qualifiée. Une étude économétrique sur données françaises (voir Sneessens et Shadman-Mehta, 1995, et Sneessens, 1995) suggère que la baisse du coût relatif des moins qualifiés nécessaire pour rétablir le plein emploi serait de l'ordre de 20%. Cette baisse pourrait être obtenue par la réduction des charges de sécurité sociale pesant sur les bas salaires, une proposition reprise dans le Livre Blanc, lequel ne discute pas cependant l'ampleur de la réduction à opérer (1). Cette baisse de coût, combinée à une politique de transferts appropriée, est la condition sine qua non pour la création d'emplois dans les services, en particulier les services de proximité (2), et la création d'un climat de confiance susceptible d'encourager l'investissement et de permettre le retour à une croissance stable et forte.

 

Conjoncture

Reste le problème des débouchés. Sans perspectives de débouchés, il ne peut y avoir d'investissement autre que de rationalisation. La théorie économique néo-classique suggère que, dès lors que les rigidités sur le marché du travail ont disparu, la demande de biens s'ajuste toujours à l'offre via le mécanisme des prix. Dans la pratique, on observe que cet ajustement est loin d'être immédiat. Pour réussir, la stratégie de développement à moyen terme proposée par le Livre Blanc doit être relayée à court terme par une stimulation de la demande. Cette préoccupation est bien présente dans le Livre Blanc, en particulier lorsque sont évoquées les dépenses publiques d'infrastructure et le policy mix (dosage des politiques monétaire et budgétaire). Les propositions faites sont-elles suffisantes de ce point de vue? Drèze, Malinvaud et al. (1994) estiment nécessaires une forte réduction des taux d'intérêt nominaux à court terme (pour ramener à zéro le taux réel à court terme) et une stimulation budgétaire de la Communauté équivalent à 1,4% du PIB (soit environ 80 milliards d'écus par an, à comparer aux 20 milliards proposés par le Livre Blanc). Cette stimulation budgétaire compenserait les effets négatifs des assainissements budgétaires nationaux; son ordre de grandeur correspond également à la réduction de la part de l'investissement public et de la construction dans le PIB (3). Depuis, le lancement des grands travaux bute toujours ur le problème du financement. Concrètement, aucune décision d'envergure n'a encore été prise.

 

 

4. Pour conclure

Le Livre Blanc n'est pas un plan d'action; il offre en revanche un cadre cohérent de réflexion et propose une stratégie de développement à moyen terme, en laissant aux Etats membres la responsabilité de prendre, aux différents niveaux de décision (communautaire, national et régional), les initiatives appropriées. Dans cette stratégie, l'investissement joue un rôle primordial, et l'essentiel des recommandations du Livre Blanc vise à recréer les conditions nécessaires pour le développement de l'investissement privé. La mise en oeuvre est d'une telle stratégie est rendue difficile par la multiplicité des centres de décision et par la multiplicité des éléments à prendre en compte (éléments macro- et micro-économiques, aspects "offre" et aspects "demande"). Il est clair qu'une relance concertée de la demande (par baisse des taux d'intérêt et par les investissements publics par exemple) ne pourra stimuler durablement l'emploi et la croissance que si les ajustements structurels (incluant bien sûr les ajustements sur le marché du travail, mais aussi la réduction des incertitudes monétaires et la politique sociale) sont réalisés, et vice-versa. Aujourd'hui, deux ans après la publication du Livre Blanc, on mesure bien la difficulté de mettre en oeuvre concrètement une stratégie commune, suffisamment audacieuse et déterminée pour atteindre l'objectif visé, quinze millions d'emplois supplémentaires pour l'an 2000.

 

 

Références

Artus, P., (1995), "La concurrence sociale va-t-elle remplacer la oncurrence par les taux de change", document de travail, Services des Etudes Economiques et Financières, Caisse des Dépôts et Consignations, Paris.

Drèze, J.H., Sneessens, H.R., (1995), "Progrès technique, mondialisation et travail peu qualifié", in M.Didier (ed.) Scénarios pour l'emploi, chap. 3, Economica, Paris.

Drèze, J.H., Malinvaud, E., et al., (1994), "Croissance et emploi : l'ambition d'une initiative européenne", Revue de l'OFCE, 49 (1994) 247-288.

Entorf, H., Kramarz, F., (1994), "The Impact of New Technologies on Wages: Lessons from Matching Panels on Employees and on their Firms", DP no 9407, CREST, INSEE, Paris.

Gabszewicz, J., Van Ypersele, T., (1994), "Social Protection and Political Competition", CORE Discussion Paper 9417, Université Catholique de Louvain, Louvain-la- Neuve.

Levy, Fr., Murnane, R.J., (1992), "U.S. Earnings Levels and Earnings Inequality: A Review of Recent Trends and Proposed Explanations", Journal of Economic Literature, XXX, pp1333-1381.

Persson, T., Tabellini, G., (1994), "Is inequality Harmful for Growth", American Economic Review, 84(3)600-621.

Sneessens, H.R., (1995), "Croissance, qualifications et chômage", Revue française d'économie, IX , p.1-33.

Sneessens, H.R., Shadman-Mehta, F., (1995), "Skill Mismatch, Real Wages and Unemployment Persistence", Annales d'économie et de statistique, 37/38, p.255- 292.

 

Notes

1. Pour Drèze-Sneessens (1995) pour une discussion de scénarios alternatifs.
2. Après vingt ans de crise et de destruction d'emplois, il est probable que la demande pour la main- d'oeuvre moins qualifiée ne pourra réapparaître du jour au lendemain, même après correction des coûts relatifs. La demande de main-d'oeuvre peu qualifiée doit être stimulée par des initiatives telles que les chèques-services, ou autres formules à discuter.
3. L'investissement public des Douze est passé de 3,9% du PIB au début des années 70 à 2,8% après 1985., soit une baisse de 1,1 point de PIB.


 

 

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